

Structure de recherche associée à la MRSH : ERLIS Date : 17/01/2017 Lieu : MRSH Caen Durée : 45:41 | ![]() |
Cette manifestation a été enregistrée dans le cadre du séminaire "Dire l'événement - regards croisés", organisé par l'équipe ERLIS, dont la thématique de l'année 2016-2017 porte sur les circulations, influences et réceptions.
Dany Savelli est maître de conférences à l’Université Toulouse Jean Jaurès et directrice de publication de la revue Slavica Occitania. Elle travaille sur l’imaginaire de l’Asie (Mongolie, Chine, Japon, Tibet) dans la pensée et la littérature russes, de même que sur le bouddhisme en Russie. Elle prépare actuellement une monographie sur l’Expédition en Asie centrale de N. K. Roerich (1925-1928).
Résumé de la communication
L’Expédition Roerich en Haute-Asie (mars 1924 – mai 1928) constitue indéniablement un micro-événement. Cependant, pour ses organisateurs, le peintre Nicolas Roerich (1874-1947) et sa femme Elena (1879-1955), cette expédition était destinée à avoir une incidence mondiale, voire cosmique : elle était supposée enclencher rien moins que l’avènement d’une Ère nouvelle.
Pour comprendre l’état d’esprit dans lequel ce couple d’émigrés russes effectua un parcours exceptionnel (Sikkim, Cashmere, Ladakh, Himalaya, Xinjiang, URSS, Mongolie, Tibet) durant quatre années, il convient de porter une attention particulière au « journal » d’Elena. À vrai dire, ce texte touffu et sibyllin correspond à la retranscription des messages quotidiens qu’à partir de 1920 cette dernière reçut d’un être surnaturel, le Mahatma Morya, celui-là même avec qui Helena Blavatski (1831-1891), la fondatrice de la Société théosophie, se prétendait en relation. Ce document essentiel nous apprend qu’Elena et son mari ont réglé leur vie en fonction de ces communications, autrement dit, que Morya a été le véritable guide de l’expédition.
Si l’on peut parler de « voyage insensé » pour qualifier cette expédition, ces deux organisateurs l’avaient néanmoins pensée comme un élément entrant à part entière dans un « Plan grandiose » (Velikij Plan) mentionné pour la première fois dans le journal d’Elena le 27 octobre 1922. Un certain nombre d’éléments indique que pour les Roerich, l’expédition était une ambassade chargée d’un projet géopolitique de grande ampleur en rapport avec la Russie et l’Orient bouddhique. Eux-mêmes, convaincus d’être élus par Morya pour mener à bien ce projet, se considéraient comme les héros d’une épopée dont l’enjeu était de permettre non seulement l’avènement d’une Ere nouvelle, mais aussi l’émergence d’un « Nouveau Pays ».
À partir de ces considérations, on peut avancer la thèse selon laquelle le millénarisme qui caractérise l’enseignement spirituel élaboré par Elena à partir des communications de Morya a été favorisé par un événement historique de portée mondiale : la révolution russe de 1917. Le journal d’Elena porte en effet témoignage de cet événement, au sens où le traumatisme de l’exil et de l’apatridie sont à l’origine de son désir de retrouver mais aussi de bâtir le pays perdu et magnifié. Ce texte si particulier, que l’on pourrait croire réserver à une lecture psychopathologique, dévoile donc les ressorts d’une des plus fascinantes utopies de l’émigration russe.