

Auteur : Cédric Suriré Date : mars 2012 Structure de recherche associée à la MRSH : CERREV, Pôle Risques, Qualité et Environnement Durable |
Des grilles qui renforcent l'invisibilité sociale des expositions cancérogènes professionnelles
Depuis presque 30 ans, les installations nucléaires françaises ont fait le choix du faire-faire, c'est-à-dire qu'elles ont délibérément choisi de faire sous-traiter les travaux de maintenance en ayant recours à des salariés d'entreprises extérieures ou des travailleurs intérimaires. Or ces situations de travail et d'exposition aux rayonnements ionisants et aux cancérogènes présents sur ces sites posent divers problèmes en termes de santé des travailleurs et de sûreté des installations. En effet, cette organisation du travail expose les 25 000 salariés sous-traitants à 80% de la dose de rayonnements ionisants et de poussières radioactives inhérente au fonctionnement de l'industrie nucléaire et tend ainsi à créer un véritable transfert des risques sur la sous-traitance. Ces conditions précaires de travail restent alors peu visibles, car supportées par un personnel non statutaire, dépendant des marchés contractés avec les donneurs d'ordre, personnel atomisé et nomadisé pour intervenir sur l'ensemble du territoire français toute l'année (voire tout au long de la carrière), rendu à l'incapacité d'organisation et de réflexion collective sur qu'il est en train de vivre.
Dans un premier temps, les conséquences sont sanitaires et affectent directement les travailleurs sous-traitants qui cumulent des formes d'expositions cancérogènes qui révèlent très bien la dépendance entre d'une part, la dégradation de la santé par des expositions aux risques cancérogènes et, d'autre part, la place que les salariés occupent dans la division sociale du travail qui elle-même organise une division sociale des risques. Dans un second temps, cette organisation du travail qui précarise l'emploi entraîne une fragmentation et une dispersion de la mémoire collective du travail et des installations elles-mêmes. Ainsi, l'organisation du travail par la sous-traitance désorganise l'activité réelle du travail et tend à créer des situations accidentelles à répétition qui exposent à de plus graves dangers encore les travailleurs, mais plus globalement toute la population puisque la sûreté des installations est remise en question, devenant un enjeu d'organisation du travail et, au-delà, un véritable enjeu de société.
Un travail croisé de socio-anthropologie du travail et du risque permet alors de mettre en lumière le caractère socialement invisible des problématiques de santé et de sûreté que la sous-traitance des tâches de maintenance nucléaire engendre. Effectivement, une analyse qualitative du choix technique du nucléaire et ses conséquences permet de mieux comprendre les mécanismes qui ont permis de rendre socialement acceptables les risques que supportent les salariés sous-traitants en incorporant les risques propres à la production d'électricité d'origine nucléaire. Production qui, pour être légitime, doit rendre le moins visible possible les cancers qu'elle engendre et engendrera en organisant une véritable atomisation de 25 000 hommes et femmes qui sont chargés du bon fonctionnement des installations à risques. L'organisation de la sous-traitance empêche ainsi l'émergence d'une conscience sociale et politique des effets sanitaires de l'industrie nucléaire. C'est pourquoi la socio-anthropologie semble être un moyen de comprendre les logiques et les mécanismes qui font obstacles à la visibilité sociale des maladies professionnelles, des risques physiques et psychiques au travail ou plus précisément des expositions à des substances cancérogènes tout en interrogeant la place de l'individu au travail et les risques technologiques qui y sont associés.
Cédric Suriré