Séminaire "Dire l'événement : regards croisés 2015/2016 _ 2

Le roi danois Christian VII (1749-1808) n’est jamais parvenu à dire l’événement. Pour cette raison, il était condamné à le répéter, en principe infiniment, selon le mécanisme psychique qu’on nomme aujourd’hui, après Freud, « Wiederholungszwang », « compulsion de répétition ». Et l’événement en question est une exécution, l’exécution d’un homme, ou plutôt de plusieurs hommes : d’abord celle d’un dénommé Johann Gottfried Mörl, soldat de profession, le 15 septembre 1767, puis les mises à mort de Johann Friedrich Struensee et du compagnon politique de ce dernier, Enevold Brandt, à la fin avril 1772. Pour Christian VII, ces exécutions – et les cadavres qui en résultaient – étaient intimement liés à l’institution de la royauté même, c’est-à-dire au(x) corps de l’État, et par conséquent à lui, Christian VII, en tant que le roi qui ne voulait pas être roi, surtout s’il était doté d’un pouvoir exécutif absolu. Symboliquement, Christian VII désirait se débarrasser de ce qui était pour lui le corps mort de l’institution. C’est pourquoi il s’adonnait souvent à d’étranges répétitions – sous forme de mises en scène théâtrales ou à travers des travaux graphiques – du destin des hommes exécutés sur les ordres du roi Christian VII.
En 1926, le retour du hareng dans le fjord de Eskifjörður, dans l’Est de l’Islande, ainsi que certains évènements qui s’en suivirent stimulèrent Halldór Kiljan Laxness à rédiger la nouvelle intitulée Saga úr síldinni, Le Hareng. Présent sur les lieux, l’auteur composa pourtant son récit à partir d’une histoire rapportée par un ami, celle du destin d’une vieille femme qui était résolue de continuer à pourfendre des harengs en 1926, malgré les quolibets et son très grand âge.
Cette nouvelle rend exemplairement compte de l’acuité parfois dérangeante et de la complexité déstabilisante du regard de Laxness sur les évènements et leur poids sur la destinée humaine. Le Hareng est un récit moral écrit à une période transitoire de l'œuvre de l'auteur. Il en ressort un croisement particulier de différents points de vue, d'éclairages, qui fait de cet objet littéraire singulier que chacun peut volontiers lire comme une fable, une parabole ou un apologue.
Dans le cadre de la 24e édition du festival Les Boréales : http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/erlis/3727