Camusat – Le Petit, p. 539
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Des choses qui ont esté objectées contre la premiere Meditation.

Vous dites que vous aprouuez le dessein que i’ay eu de deliurer l’esprit de cesses anciens préjugez, qui est tel en effet que personne n’y peut trouuer à redire. Mais vous voudriez que ie m’en fusse acquité simplement, et en peu de paroles, c’est à dire en vn mot negligemment, et sans tant de precaution ; Comme si c’estoit vne chose si facile, que de se deliurer de toutes les erreurs dont nous sommes imbus dés nostre enfance ? et que l’on peust faire trop exactement, ce qu’on ne doute point qu’il ne faille faire ? Mais certes ie voy bien que vous auez voulu m’indiquer, qu’il y en a plusieurs, qui disent seulement de bouche, qu’il faut soigneusement euiter la préuention, mais qui pourtant ne l’éuitent iamais, pource qu’ils ne s’étudient point à s’en defaire, et se persuadent qu’on ne doit point tenir pour des préjugez, ce qu’ils ont vne fois receu pour veritable. Certainement vous joüez icy parfaitement bien leur personnage, et n’obmettez rien de ce qu’ils me pouroient objecter, mais cependant vous ne dites rien qui sente tant soit peu son Philosophe. Car ou vous dites qu’il n’estoit pas besoin de feindre vn Dieu trompeur, ny que ie dormois, vn Philosophe auroit crû estre obligé d’adjouter la raison, pourquoy ces choses ne peuuent estre reuoquées en doute, ou s’il n’en eust point eu, Camusat – Le Petit, p. 540
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comme de vray il n’y en a point, il se seroit abstenu de dire cela. Il n’auroit pas non plus adjouté qu’il sufisoit en ce lieu-là d’alleguer pour raison de nostre défiance, le peu de lumiere de l’esprit humain, ou la foiblesse de nostre nature ; Car il ne sert de rien pour corriger nos erreurs, de dire que nous nous trompons, parce que nostre esprit n’est pas beaucoup clair-voyant, ou que nostre nature est infirme : car c’est le mesme que si nous disions que nous errons, parce que nous sommes sujets à l’erreur. Et certes on ne peut pas nier qu’il ne soit plus vtile de prendre garde, comme i’ay fait, à toutes les choses où il peut arriuer que nous errions, de peur que nous ne leur donnions trop legerement nostre creance. Vn Philosophe n’auroit pas dit aussi Qu’en tenant toutes choses pour fausses, ie ne me dépoüille pas tant de mes anciens préjugez, que ie me reuests d’vn autre tout nouueau, ou bien il eust premierement tâché de montrer qu’vne telle suposition nous pouuoit induire en erreur ; mais tout au contraire, vous asseurez vn peu aprés qu’il n’est pas possible que ie puisse obtenir cela de moy, que de douter de la verité et certitude de ces choses que i’ay suposé estre fausses, c’est à dire que ie puisse me reuestir de ce nouueau préjugé, dont vous aprehendiez que ie me laissasse préuenir. Et vn Philosophe ne seroit pas plus étonné de cette suposition, que de voir quelquefois vne personne qui pour redresser vn bâton qui est courbé, le recourbe de l’autre part : Car il n’ignore pas que souuent on Camusat – Le Petit, p. 541
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prend ainsi des choses fausses pour veritables, afin d’éclaircir dauantage la verité, comme lors que les Astronomes imaginent au Ciel vn équateur, vn Zodiaque, et d’autres cercles ; ou que les Geometres adjoustent de nouuelles lignes à des figures données ; et souuent aussi les Philosophes en beaucoup de rencontres : Et celuy qui apelle cela recourir à vne machine, forger des illusions, rechercher des détours, et des nouueautez, et qui dit, que cela est indigne de la candeur d’vn Philosophe, et du Zele de la verité, montre bien qu’il ne se veut pas luy-mesme seruir de cette candeur Philosophique, ny mettre en vsage les raisons, mais seulement donner aux choses le fard et les couleurs de la Rhetorique.