Camusat – Le Petit, p. 592
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AT IX-1, 202

Camusat – Le Petit, p. 593
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LETTRE DE MONSIEVR DES-CARTES
A MONSIEVR C. L. R. Clerselier, Claude
Seruant de réponse à vn recueil des principales instances faites par Monsieur GassendiGassendi, Pierre contre les precedentes Réponses.

MONSIEVR,
Ie vous ay beaucoup d’obligation, de ce que voyant que i’ay negligé de répondre au gros Liure d’instances que l’Auteur des cinquiémes Objections a produit contre mes Réponses, vous auez prié quelques-vns de vos amis de recueillir les plus fortes raisons de ce liure, et m’auez enuoyé l’extrait qu’ils en ont fait. Vous auez eu en cela plus de soin de AT IX-1, 203 ma reputation que moy-mesme ; car ie vous assure qu’il m’est indifferent d’estre estimé ou méprisé par ceux que de semblables raisons auront pû persuader. Les meilleurs esprits de ma connoissance Camusat – Le Petit, p. 594
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qui ont leu son liure, m’ont témoigné qu’ils n’y auoient trouué aucune chose qui les arestast ; c’est à eux seuls que ie desire satisfaire. Ie sçay que la pluspart des hommes remarque mieux les apparences que la verité, et iuge plus souuent mal que bien ; c’est pourquoy ie ne croy pas que leur approbation vaille la peine que ie fasse tout ce qui pouroit estre vtile pour l’acquerir. Mais ie ne laisse pas d’estre bien ayse du recueil que vous m’auez enuoyé, et ie me sens obligé d’y répondre, plutost pour reconnoissance du trauail de vos amis, que par la necessité de ma defense ; car ie croy que ceux qui ont pris la peine de le faire, doiuent maintenant iuger comme moy, que toutes les objections que ce liure contient ne sont fondées que sur quelques mots mal entendus, ou quelques supositions qui sont fausses ; vû que toutes celles qu’ils ont remarquées sont de cette sorte, et que neantmoins ils ont esté si diligens, qu’ils en ont mesme adiouté quelques vnes que ie ne me souuiens point d’y auoir leuës.

Ils en remarquent trois contre la premiere Meditation, à sçauoir, 1. Que ie demande vne chose impossible en voulant qu’on quitte toute sorte de préjugez. 2. Qu’en pensant les quiter on se reuest d’autres préjugez qui sont plus préjudiciables. 3. Et que la methode de douter de tout que i’ay proposée ne peut seruir à trouuer aucune verité. AT IX-1, 204 La premiere desquelles est fondée sur ce que l’Auteur de ce liure n’a pas consideré que le mot de préjugé ne s’étend point à toutes les notions qui sont en nostre Camusat – Le Petit, p. 595
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esprit, desquelles i’auouë qu’il est impossible de se defaire, mais seulement à toutes les opinions que les iugemens que nous auons faits auparauant ont laissées en nostre creance ; et pource que c’est vne action de la volonté que de iuger, ou ne pas iuger, ainsi que i’ay expliqué en son lieu, il est éuident qu’elle est en nostre pouuoir : car enfin pour se defaire de toute sorte de préjugez il ne faut autre chose que se resoudre à ne rien assurer, ou nier, de tout ce qu’on auoit assuré, ou nié auparauant, sinon aprés l’auoir derechef examiné, quoy qu’on ne laisse pas pour cela de retenir toutes les mesmes notions en sa memoire. I’ay dit neantmoins qu’il y auoit de la difficulté à chasser ainsi hors de sa creance tout ce qu’on y auoit mis auparauant, partie à cause qu’il est besoin d’auoir quelque raison de douter auant que de s’y determiner : c’est pourquoy i’ay proposé les principales en ma premiere Meditation ; et partie aussi à cause que quelque resolution qu’on ait prise de ne rien nier, ny assurer, on s’en oublie aisement par aprés, si on ne l’a fortement imprimée en sa memoire : c’est pourquoy i’ay desiré qu’on y pensast auec soin. La 2. Objection n’est qu’vne supposition manifestement fausse ; car encore que i’aye dit qu’il faloit mesme s’efforcer de nier les choses qu’on auoit trop assurées auparauant, i’ay tres-expressement limité AT IX-1, 205 que cela ne se deuoit faire que pendant le temps qu’on portoit son attention à chercher quelque chose de plus certain que tout ce qu’on pouroit ainsi Camusat – Le Petit, p. 596
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nier, pendant lequel, il est éuident qu’on ne sçauroit se reuestir d’aucun préjugé qui soit préjudiciable. La troisiéme aussi ne contient qu’vne cauillation, car bien qu’il soit vray que le doute seul ne suffit pas pour establir aucune verité, il ne laisse pas d’estre vtile à préparer l’esprit pour en establir par aprés, et c’est à cela seul que ie l’ay employé.

Contre la seconde Meditation vos amis remarquent six choses. La premiere est qu’en disant, ie pense ; donc ie suis, l’Auteur des Instances veut que ie suppose cette maieure, celuy qui pense, est ; et ainsi que i’aye desia espousé, ouespousé vn préjugé. En quoy il abuse derechef du mot de préjugé. Car bien qu’on en puisse donner le nom à cette proposition, lors qu’on la prefere sans attentionprofere sans attention, et qu’on croit seulement qu’elle est vraye à cause qu’on se souuient de l’auoir ainsi iugé auparauant, on ne peut pas dire toutesfois qu’elle soit vn préjugé, lors qu’on l’examine, à cause qu’elle paroist si éuidente à l’entendement, qu’il ne se sçauroit empescher de la croire, encore que ce soit peut-estre la premiere fois de sa vie qu’il y pense, et que par consequent il n’en ait aucun préjugé. Mais l’erreur qui est icy la plus considerable, est que cét Auteur suppose que la connoissance des propositions particulieres doit tousiours estre deduite des vniuerselles, suiuant l’ordre des syllogismes de la Dialectique ; en quoy il montre sçauoir bien peu de quelle façon la verité se doit AT IX-1, 206 chercher ; Car il est certain que pour la trouuer, on doit toûjours commencer Camusat – Le Petit, p. 597
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par les notions particulieres, pour venir aprés aux generales ; bien qu’on puisse aussi reciproquement ayant trouué les generales en déduire d’autres particulieres. Ainsi, quand on enseigne à vn enfant les elemens de la Geometrie, on ne luy fera point entendre en general, que lors que de deux quantitez égales, on oste des parties égales, les restes demeurent égaux ; ou que le tout est plus grand que ses parties, si on ne luy en montre des exemples en des cas particuliers. Et c’est faute d’auoir pris garde à cecy, que nostre Auteur s’est trompé en tant de faux raisonnemens, dont il a grossi son liure : car il n’a fait que composer de fausses maieures à sa fantaisie, comme si i’en auois deduit les veritez que i’ay expliquées.

La seconde Objection que remarquent icy vos amis, est que pour sçauoir qu’on pense, il faut sçauoir ce que c’est que pensée, ce que ie ne sçay point, disent-ils, à cause que i’ay tout nié. Mais ie n’ay nié que les préjugez, et non point les notions, comme celle-cy, qui se connoissent sans aucune affirmation, ny negation.

La troisiéme est, Que la pensée ne peut estre sans objet, par exemple sans le corps. Ou il faut éuiter l’équiuoque du mot de pensée, lequel on peut prendre pour la chose qui pense, et aussi pour l’action de cette chose ; or ie nie que la chose qui pense ait besoin d’autre objet que de soy-mesme pour exercer son action, bien qu’elle puisse aussi l’étendre aux choses materielles, lors qu’elle les examine.

AT IX-1, 207 La quatriéme, Que bien que i’aye vne pensée de moy-mesme, Camusat – Le Petit, p. 598
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ie ne sçay pas si cette pensée est vne action corporelle, ou vn atôme qui se meut, plutost qu’vne substance immaterielle.
Ou l’equiuoque du nom de pensée est repeté, et ie n’y voy rien de plus, sinon vne question sans fondement, et qui est semblable à celle-cy. Vous iugez que vous estes vn homme, à cause que vous aperceuez en vous toutes les choses à l’occasion desquelles vous nommez hommes, ceux en qui elles se trouuent, mais que sçauez-vous si vous n’estes point vn elephant, plutost qu’vn homme, pour quelques autres raisons que vous ne pouuez aperceuoir ? Car aprés que la substance qui pense a iugé qu’elle est intellectuelle, à cause qu’elle a remarqué en soy toutes les proprietez des substances intellectuelles, et n’y en a pû remarquer aucune de celles qui apartiennent au corps, on luy demande encore comment elle sçait si elle n’est point vn corps, plutost qu’vn substance immaterielle.

La cinquiéme Objection est semblable. Que bien que ie ne trouue point d’étenduë en ma pensée, il ne s’ensuit pas qu’elle ne soit point étenduë, pource que ma pensée n’est pas la regle de la verité des choses. Et aussi la sixiéme, Qu’il se peut faire que la distinction que ie trouue par ma pensée, entre la pensée, et le corps, soit fausse. Mais il faut particulierement icy remarquer l’equiuoque qui est en ces mots, ma pensée n’est pas la regle de la verité des choses, car si on veut dire que ma pensée ne doit pas estre la regle des autres, pour les obliger à croire vne chose à cause que ie la pense vraye, i’en suis entierement Camusat – Le Petit, p. 599
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d’accord ; mais cela ne AT IX-1, 208 vient point icy à propos : car ie n’ay iamais voulu obliger personne à suiure mon autorité, au contraire i’ay auerty en diuers lieux qu’on ne se deuoit laisser persuader que par la seule euidence des raisons. De plus si on prend indifferemment le mot de pensée, pour toute sorte d’operation de l’ame, il est certain qu’on peut auoir plusieurs pensées, desquelles on ne doit rien inferer touchant la verité des choses qui sont hors de nous ; mais cela ne vient point aussi à propos en cét endroit, où il n’est question que des pensées qui sont des perceptions claires et distinctes, et des iugemens que chacun doit faire à par soy, en suite de ces perceptions. C’est pourquoy au sens que ces mots doiuent icy estre entendus, ie dis que la pensée d’vn chacun, c’est à dire la perception ou connoissance qu’il a d’vne chose, doit estre pour luy la regle de la verité de cette chose, c’est à dire, que tous les iugemens qu’il en fait, doiuent estre conformes à cette perception pour estre bons ; mesme touchant les veritez de la foy, nous deuons aperceuoir quelque raison qui nous persuade qu’elles ont esté reuelées de Dieu, auant que de nous determiner à les croire ; Et encore que les ignorans fassent bien de suiure le iugement des plus capables touchant les choses difficiles à connoistre, il faut neantmoins que ce soit leur perception qui leur enseigne qu’ils sont ignorans, et que ceux dont ils veulent suiure les iugemens ne le sont peut-estre pas tant, autrement ils feroient mal Camusat – Le Petit, p. 600
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de les suiure, et ils agiroient plutost en automates, ou en bestes, qu’en hommes. Ainsi c’est l’erreur la plus absurde et la plus exorbitante qu’vn Philosophe puisse AT IX-1, 209 admettre, que de vouloir faire des iugemens qui ne se raportent pas aux perceptions qu’il a des choses ; et toutefois ie ne voy pas comment nostre Auteur se pouroit excuser d’estre tombé en cette faute en la pluspart de ses objections : car il ne veut pas que chacun s’areste à sa propre perception, mais il pretend qu’on doit plutost croire des opinions ou fantaisies qu’il luy plaist nous proposer, bien qu’on ne les aperçoiue aucunement.

Contre la troisiéme Meditation vos amis ont remarqué, 1. Que tout le monde n’experimente pas en soy l’idée de Dieu. 2. Que si i’auois cette idée ie la comprendrois. 3. Que plusieurs ont leu mes raisons qui n’en sont point persuadez. 4. Et que de ce que ie me connois imparfait, il ne s’ensuit pas que Dieu soit. Mais si on prend le mot d’idée en la façon que i’ay dit tres-expressement que ie le prenois, sans s’excuser par l’equiuoque de ceux qui le restreignent aux images des choses materielles qui se forment en l’imagination, on ne sçauroit nier d’auoir quelque idée de Dieu, si ce n’est qu’on die qu’on n’entend pas ce que signifient ces mots, la chose la plus parfaite que nous puissions conceuoir ; car c’est ce que tous les hommes apellent Dieu. Et c’est passer à d’estranges extremitez pour vouloir faire des objections, que d’en venir à dire qu’on n’entend pas ce que signifient les mots qui sont les plus ordinaires Camusat – Le Petit, p. 601
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en la bouche des hommes. Outre que c’est la confession la plus impie qu’on puisse faire, que de dire de soy-mesme, au sens que i’ay pris le mot d’idée, qu’on n’en a aucune de Dieu : car ce n’est pas seulement dire qu’on ne le connoist point par raison naturelle, mais AT IX-1, 210 aussi que ny par la foy, ny par aucun autre moyen, on ne sçauroit rien sçauoir de luy, pource que si on n’a aucune idée, c’est à dire aucune perception qui réponde à la signification de ce mot, Dieu, ouon à beau dire qu’on croit que Dieu est, c’est le mesme que si on disoit qu’on croit que rien est, et ainsi on demeure dans l’abysme de l’impieté, et dans l’extremité de l’ignorance. Ce qu’ils adjoutent, que si i’auois cette idée ie la comprendrois, est dit sans fondement ; car à cause que le mot de comprendre signifie quelque limitation, vn esprit fini ne sçauroit comprendre Dieu, qui est infini, mais cela n’empesche pas qu’il ne l’aperçoiue, ainsi qu’on peut bien toucher vne montagne, encore qu’on ne la puisse embrasser. Ce qu’ils disent aussi de mes raisons, que plusieurs les ont leuës sans en estre persuadez, peut aisement estre réfuté, parce qu’il y en a quelques autres qui les ont comprises, et en ont esté satisfaits : car on doit plus croire à vn seul qui dit sans intention de mentir qu’il a veu, ou compris quelque chose, qu’on ne doit faire a mille autres qui la nient, pour cela seul qu’ils ne l’ont pû voir, ou comprendre. Ainsi qu’en la découuerte des Antipodes, on a plutost creu au raport de quelques matelots qui ont fait le tour de la terre, Camusat – Le Petit, p. 602
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qu’à des miliers de Philosophes qui n’ont pas creu qu’elle fust ronde. Et pour ce qu’ils alleguent icy les Elemens d’EuclideEuclide, comme s’ils estoient faciles à tout monde ; ie les prie de considerer, qu’entre ceux qu’on estime AT IX-1, 211 les plus sçauans en la Philosophie de l’Eschole, il n’y en a pas de cent vn qui les entende, et qu’il n’y en a pas vn, de dix mille, qui entende toutes les démonstrations d’ApolloniusApollonius, ou d’ArchimedeArchimède, bien qu’elles soient aussi éuidentes et aussi certaines que celles d’Euclide. Enfin quand ils disent que de ce que ie reconnois en moy quelque imperfection, il ne s’ensuit pas que Dieu soit, ils ne prouuent rien ; car ie ne l’ay pas immediatement déduit de cela seul sans y adjouter quelque autre chose, et ils me font seulement souuenir de l’artifice de cét Auteur, qui a coustume de tronquer mes raisons et n’en raporter que quelques parties, pour les faire paroistre imparfaites.

Ie ne voy rien en tout ce qu’ils ont remarqué touchant les trois autres Meditations, à quoy ie n’aye amplement répondu ailleurs, comme à ce qu’ils objectent. 1. Que i’ay commis vn cercle en prouuant l’existence de Dieu par certaines notions qui sont en nous, et disant aprés qu’on ne peut estre certain d’aucune chose sans sçauoir auparauant que Dieu est. 2. Et que sa connoissance ne sert de rien pour acquerir celle des veritez de Mathematique : 3. Et qu’il peut estre trompeur. Voyez sur cela ma réponse aux secondes objections nombre 3. et 4. et la fin de la 2. partie des quatriémes. Mais ils adjoutent à la fin vne pensée, que ie ne sçache point que Camusat – Le Petit, p. 603
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nostre Auteur ait écrite dans son AT IX-1, 212 liure d’Instances, bien qu’elle soit fort semblable aux siennes. Plusieurs excellens esprits, disent-ils, croyent voir clairement que l’étenduë Mathematique, laquelle ie pose pour le principe de ma Physique, n’est rien autre chose que ma pensée, et qu’elle n’a, ny ne peut auoir nulle subsistence hors de mon esprit, n’estant qu’vne abstraction que ie fais du corps Physique ; et partant que toute ma Physique ne peut estre qu’imaginaire et feinte, comme sont toutes les pures Mathematiques ; et que dans la Physique réelle des choses que Dieu a creées il faut vne matiere réelle, solide, et non imaginaire. Voilà l’objection des objections, et l’abregé de toute la doctrine des excellens esprits qui sont icy alleguez. Toutes les choses que nous pouuons entendre et conceuoir, ne sont à leur conte que des imaginations et des fictions de nostre esprit, qui ne peuuent auoir aucune subsistence, d’où il suit qu’il n’y a rien que ce qu’on ne peut aucunement entendre, ny conceuoir, ou imaginer, qu’on doiue admette pour vray, c’est à dire qu’il faut entierement fermer la porte à la raison, et se contenter d’estre Singe, ou Perroquet, et non plus Homme, pour meriter d’estre mis au rang de ces excellens esprits. Car si les choses qu’on peut conceuoir doiuent estre estimées fausses, pour cela seul qu’on les peut conceuoir, que reste-t-il, sinon qu’on doit seulement receuoir pour vrayes, celles qu’on ne conçoit pas, et en composer sa doctrine, en imitant les autres sans sçauoir pourquoy on les imite, comme font les singes, Camusat – Le Petit, p. 604
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et en ne proferant que des paroles dont on n’entend point le sens, comme font les Perroquets ; Mais i’ay bien dequoy me consoler, pource qu’on ioint icy ma AT IX-1, 213 Physique auec les pures Mathematiques, ausquelles ie souhaite sur tout qu’elle ressemble.

Pour les deux questions qu’ils adjoutent aussi à la fin, à sçauoir, comment l’ame meut le corps, si elle n’est point materielle ; et comment elle peut receuoir les especes des objets corporels ; elles me donnent seulement icy occasion d’auertir, que nostre Auteur n’a pas eu raison, lors que sous pretexte de me faire des objections, il m’a proposé quantité de telles questions, dont la solution n’estoit pas necessaire pour la preuue des choses que i’ay écrites, et que les plus ignorans en peuuent plus faire en vn quart d’heure, que tous les plus sçauans n’en sçauroient résoudre en toute leur vie ; ce qui est cause que ie ne me suis pas mis en peine de répondre à aucunes. Et celles-cy entre autres présupposent l’explication de l’vnion qui est entre l’ame et le corps, de laquelle ie n’ay point encore traité. Mais ie vous diray, à vous, que toute la difficulté qu’elles contiennent ne procede que d’vne supposition qui est fausse, et qui ne peut aucunement estre prouuée, à sçauoir, que si l’ame et le corps sont deux substances de diuerse nature, cela les empesche de pouuoir agir l’vne contre l’autre ; car au contraire ceux qui admettent des accidens réels, comme la chaleur, la pesanteur, et semblables, ne doutent point que ces accidens ne puissent agir Camusat – Le Petit, p. 605
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contre le corps ; et toutefois il y a plus de difference entre eux et luy, c’est à dire entre des accidens et vne substance, qu’il n’y a entre deux substances.

Au reste, puisque i’ay la plume en main, ie remarqueray encore icy deux des équiuoques que i’ay trouuées AT IX-1, 214 dans ce liure d’Instances, pource que ce sont celles qui me semblent pouuoir surprendre le plus aisement les Lecteurs moins attentifs, et ie desire par là vous témoigner, que si i’y auois rencontré quelque autre chose que ie creusse meriter réponse, ie ne l’aurois pas negligé.

La premiere est en la page 63. où, pource que i’ay AT IX-1, 215 dit en vn lieu, que pendant que l’ame doute de l’existence de toutes les choses materielles, elle ne se connoist que précisement, præcisè tantum, comme vne substance immaterielle ; et sept ou huit lignes plus bas, pour montrer que par ces mots, præcisè tantum, ie n’entens point vne entiere exclusion, ou negation, mais seulement vne abstraction des choses materielles ; i’ay dit que nonobstant cela on n’estoit pas assuré qu’il n’y a rien en l’ame qui soit corporel, bien qu’on n’y connoisse rien, on me traite si injustement que de vouloir persuader au Lecteur, qu’en disant, præcisè tantum, i’ay voulu exclure le corps, et ainsi que ie me suis contredit par aprés en disant que ie ne le voulois pas exclure. Ie ne répons rien à ce que ie suis accusé en suite d’auoir supposé quelque chose en la 6. Meditation que ie n’auois pas prouué auparauant, et ainsi d’auoir fait Camusat – Le Petit, p. 606
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vn paralogisme ; car il est facile de reconnoistre la fausseté de cette accusation, qui n’est que trop commune en tout ce liure, et qui me pouroit faire soupçonner que son Auteur n’auroit pas agi de AT IX-1, 216 bonne foy, si ie ne connoissois son esprit, et ne croyois qu’il a esté le premier surpris par vne si fausse creance.

L’autre equiuoque est en la page 84. où il veut que distinguere et abstrahere soient la mesme chose, et toutefois il y a grande difference : car en distinguant vne substance de ses accidens, on doit considerer l’vn et l’autre, ce qui sert beaucoup à la connoistre ; au lieu que si on separe seulement par abstraction cette substance de ses accidens, c’est à dire, si on la considere toute seule sans penser à eux, cela empesche qu’on ne la puisse si bien connoistre, à cause que c’est par les accidens que la nature de la substance est manifestée.

Voilà, Monsieur, tout ce que ie croy deuoir répondre au gros liure d’Instances : car bien que ie satisferois peut-estre dauantage aux amis de l’Auteur, AT IX-1, 217 si ie réfutois toutes ses Instances l’vne aprés l’autre, ie croy que ie ne satisferois pas tant aux miens, lesquels auroient sujet de me reprendre d’auoir employé du temps en vne chose si peu necessaire, et ainsi de rendre maistres de mon loisir tous ceux qui voudroient perdre le leur à me proposer des questions inutiles. Mais ie vous remercie de vos soins. Adieu.

FIN.