AT IX-1, 81

Camusat – Le Petit, p. 129 (007)
Image haute résolution sur Gallica
REPONSES DE L’AVTEVR
aux premieres Objections, faites par un sçauant Theologien du Païs-bas
.

Messieurs,
Ie vous confesse que vous auez suscité contre moy vn puissant aduersaire, duquel l’esprit et la doctrine eussent peu me donner beaucoup de peine, si cét officieux et deuot Theologien n’eust mieux aimé fauoriser la cause de Dieu, et celle de son foible defenseur, que de la combatre à force ouuerte. Mais quoy qu’il lui ait esté tres-honneste d’en vser de la sorte, ie ne pourois pas m’exempter de blâme, si ie tâchois de m’en preualoir : C’est pourquoy mon dessein est plutost de découurir icy l’artifice dont il s’est seruy pour m’assister, que de luy répondre comme à vn aduersaire.

Il a commencé par vne briêue deduction de la Camusat – Le Petit, p. 130 (128)
Image haute résolution sur Gallica
principale raison dont ie me sers pour prouuer l’existence de Dieu, afin que les Lecteurs s’en ressouuinssent d’autant mieux. Puis ayant succintement accordé les choses qu’il a iugé estre suffisamment demontrées, et ainsi les ayant apuyées de son autorité, il est venu au nœud de la difficulté, qui est de sçauoir ce qu’il faut icy entendre par le nom d’idée, et quelle cause cette idée requiert. Or i’ay écrit en quelque part, que l’idée est la chose mesme conceuë, ou pensée, en tant qu’elle est objectiuement dans l’entendement, lesquelles paroles il feint d’entendre tout autrement que ie ne les ay dites, afin de me donner occasion de les expliquer plus clairement. Estre, dit-il, objectiuement dans l’entendement, c’est terminer à la façon d’un objet l’acte de l’entendement, ce qui n’est qu’vne denomination exterieure, et qui n’adjoûte rien de réel à la chose, etc. Où il faut remarquer qu’il a égard à la chose mesme, comme estant hors de AT IX-1, 82 l’entendement, au respect de laquelle c’est de vray vne denomination exterieure qu’elle soit objectiuement dans l’entendement ; Mais que ie parle de l’idée qui n’est iamais hors de l’entendement, et au respect de laquelle estre objectiuement ne signifie autre chose, qu’estre dans l’entendement en la maniere que les objets ont coûtume d’y estre. Ainsi par exemple, si quelqu’vn demande, qu’est-ce qu’il arriue au Soleil de ce qu’il est objectiuement dans mon entendement, on répond fort bien qu’il ne luy arriue rien qu’vne denomination exterieure, à sçauoir qu’il termine à la façon d’un objet l’operation de mon entendement : Mais si on Camusat – Le Petit, p. 131 (129)
Image haute résolution sur Gallica
demande de l’idée du Soleil ce que c’est, et qu’on réponde que c’est la chose pensée, en tant qu’elle est objectiuement dans l’entendement, personne n’entendra que c’est le Soleil mesme, en tant que cette exterieure denomination est en luy. Et là estre objectiuemeut dans l’entendement, ne signifiera pas terminer son operation à la façon d’vn objet, mais bien estre dans l’entendement en la maniere que ses objets ont coûtume d’y estre : En telle sorte que l’idée du Soleil est le Soleil mesme existant dans l’entendement, non pas à la verité formellement, comme il est au Ciel, mais objectiuement, c’est à dire en la maniere que les objets ont coûtume d’exister dans l’entendement : laquelle façon d’estre est de vray bien plus imparfaite que celle par laquelle les choses existent hors de l’entendement ; mais pourtant ce n’est pas vn pur rien, comme i’ay desia dit cy-deuant. Et lorsque ce sçauant Theologien dit qu’il y a de l’equiuoque en ces paroles vn pur rien, il semble auoir voulu m’auertir de celle que ie viens tout maintenant de remarquer, de peur que ie n’y prisse pas garde. Car il dit premierement, qu’vne chose ainsi existante dans l’entendement par son idée, n’est pas vn estre réel, ou actuel, c’est à dire, que ce n’est pas quelque chose qui soit hors de l’entendement, ce qui est vray ; En aprés il dit aussi, que ce n’est pas quelque chose de feint par l’esprit, ou vn estre de raison, mais quelque chose de réel, qui est conceu distinctement : par lesquelles paroles il admet entierement tout ce que i’ay auancé : mais neantmoins Camusat – Le Petit, p. 132 (130)
Image haute résolution sur Gallica
il adjoûte, parce que cette chose est seulement conceuë, et qu’actuellement elle n’est pas (c’est à dire, parce qu’elle est seulement vne idée, et non pas quelque chose hors de l’entendement) elle peut à la verité estre conceuë, mais elle ne peut aucunement estre causée, c’est à dire, qu’elle n’a pas besoin de cause pour exister hors de l’entendement ; ce que ie confesse ; mais certes elle a besoin de cause AT IX-1, 83 pour estre conceuë, et de celle-là seule il est icy question. Ainsi si quelqu’vn a dans l’esprit l’idée de quelque machine fort artificielle, on peut auec raison demander quelle est la cause de cette idée ; et celuy-là ne satisferoit pas, qui diroit que cette idée hors de l’entendement n’est rien, et partant qu’elle ne peut estre causée, mais seulement conceuë ; Car on ne demande icy rien autre chose, sinon quelle est la cause pourquoy elle est conceuë ; Celuy-là ne satisfera pas aussi, qui dira que l’entendement mesme en est la cause, en tant que c’est vne de ses operations, car on ne doute point de cela, mais seulement on demande quelle est la cause de l’artifice objectif qui est en elle. Car que cette idée contienne vn tel artifice objectif plutost qu’vn autre ; elle doit sans doute auoir cela de quelque cause ; et l’artifice objectif est la mesme chose au respect de cette idée, qu’au respect de l’idée de Dieu, la realité objectiue. Et de vray on peut assigner diuerses causes de cét artifice, car ou c’est vne réelle et semblable machine qu’on aura veuë auparauant, à la ressemblance de laquelle cette idée a esté formée ; ou vne grande connoissance de la Camusat – Le Petit, p. 133 (131)
Image haute résolution sur Gallica
mechanique qui est dans l’entendement ; ou peut-estre vne grande subtilité d’esprit, par le moyen de laquelle il a peu l’inuenter sans aucune autre connoissance precedente. Et il faut remarquer que tout l’artifice, qui n’est qu’objectiuement dans cette idée, doit estre formellement ou eminemment dans sa cause, quelle que cette cause puisse estre. Le mesme aussi faut-il penser de la realité objectiue qui est dans l’idée de Dieu. Mais en qui est-ce que toute cette realité, ou perfection, se pourra rencontrer telle, sinon en Dieu réellement existant ? Et cét esprit excellent a fort bien veu toutes ces choses, c’est pourquoy il confesse qu’on peut demander, pourquoy cette idée contient cette realité objectiue plutost qu’vne autre ; à laquelle demande il a répondu premierement, Que de toutes les idées, il en est de mesme que de ce que i’ay escrit de l’idée du triangle, sçauoir est, que bien que peut-estre il n’y ait point de triangle en aucun lieu du monde, il ne laisse pas d’y auoir vne certaine nature, ou forme, ou essence determinée du triangle, laquelle est immuable et eternelle : et laquelle il dit n’auoir pas besoin de cause. Ce que neantmoins il a bien iugé ne pouuoir pas satisfaire ; car encore que la nature du triangle soit immuable et eternelle, il n’est pas pour cela moins permis de demander pourquoy son idée est en nous ? C’est pourquoy il a adjoûté, Si neantmoins vous me pressez de vous dire vne raison, ie vous diray que c’est l’imperfection de nostre esprit, etc. par laquelle réponse il semble n’auoir voulu signifier autre chose, sinon que ceux qui se voudront icy Camusat – Le Petit, p. 134 (132)
Image haute résolution sur Gallica
éloigner de mon sentiment, ne pourront rien AT IX-1, 84 répondre de vray-semblable. Car en effet, il n’est pas plus probable de dire que la cause pourquoy l’idée de Dieu est en nous, soit l’imperfection de nostre esprit, que si on disoit, que l’ignorance des mechaniques fust la cause pourquoy nous imaginons plutost vne machine fort pleine d’artifice qu’vne autre moins parfaite ; Car tout au contraire, si quelqu’vn a l’idée d’vne machine, dans laquelle soit contenu tout l’artifice que l’on sçauroit imaginer, l’on infere fort bien de là, que cette idée procede d’vne cause dans laquelle il y auoit réellement et en effet tout l’artifice imaginable, encore qu’il ne soit qu’objectiuement, et non point en effet dans cette idée : Et par la mesme raison, puisque nous auons en nous l’idée de Dieu, dans laquelle toute la perfection est contenuë que l’on puisse iamais conceuoir, on peut de là conclure tres-euidemment, que cette idée dépend et procede de quelque cause, qui contient en soy veritablement toute cette perfection, à sçauoir de Dieu réellement existant. Et certes la difficulté ne paroistroit pas plus grande en l’vn qu’en l’autre, si, comme tous les hommes ne sont pas sçauans en la mechanique, et pour cela ne peuuent pas auoir des idées de machines fort artificielles, ainsi tous n’auoient pas la mesme faculté de conceuoir l’idée de Dieu ; mais parce qu’elle est emprainte d’vne mesme façon dans l’esprit de tout le monde, et que nous ne voyons pas qu’elle nous vienne iamais d’ailleurs que de nous mesmes, nous suposons Camusat – Le Petit, p. 135 (133)
Image haute résolution sur Gallica
qu’elle apartient à la nature de nostre esprit. Et certes non mal à propos, mais nous oublions vne autre chose que l’on doit principalement considerer, et d’où dépend toute la force, et toute la lumiere, ou l’intelligence de cét argument, qui est, que cette faculté d’auoir en soy l’idée de Dieu, ne pourroit pas estre en nous, si nostre esprit estoit seulement vne chose finie, comme il est en effet, et qu’il n’eust point, pour cause de son estre, vne cause qui fust Dieu. C’est pourquoy, outre cela i’ay demandé, sçauoir si ie pourrois estre, en cas que Dieu ne fust point, non tant pour aporter vne raison differente de la precedente, que pour expliquer la mesme plus exactement.

Mais icy la courtoisie de cét aduersaire me iette dans vn passage assez difficile, et capable d’attirer sur moy l’enuie et la ialousie de plusieurs ; Car il compare mon argument auec vn autre tiré de Saint ThomasThomas d’Aquin, Saint et d’AristoteAristote, comme s’il vouloit par ce moyen m’obliger à dire la raison, pourquoy estant entré auec eux dans vn mesme chemin, ie ne l’ay pas neantmoins suiuy en toutes choses ; mais ie le prie de me permettre de ne point parler des autres, et de rendre seulement raison des choses que i’ay écrites : Premierement donc, ie n’ay point tiré mon argument de ce que ie voyois, que dans les AT IX-1, 85 choses sensibles, il y auoit vn ordre, ou vne certaine succession de causes efficientes, partie à cause que i’ay pensé, que l’existence de Dieu estoit beaucoup plus éuidente que celle d’aucune chose sensible, et partie aussi pour ce Camusat – Le Petit, p. 136 (134)
Image haute résolution sur Gallica
que ie ne voyois pas que cette succession de causes me peust conduire ailleurs, qu’à me faire connoistre l’imperfection de mon esprit, en ce que ie ne puis comprendre comment vne infinité de telles causes ont tellement succedé les vnes aux autres de toute eternité, qu’il n’y en ait point eu de première : Car certainement de ce que ie ne puis comprendre cela, il ne s’ensuit pas qu’il y en doiue auoir vne première : comme aussi de ce que ie ne puis comprendre vne infinité de diuisions en vne quantité finie, il ne s’ensuit pas que l’on puisse venir à vne derniere, aprés laquelle cette quantité ne puisse plus estre diuisée ; mais bien il suit seulement que mon entendement qui est finy, ne peut comprendre l’infiny. C’est pourquoy i’ay mieux aymé apuier mon raisonncment sur l’existence de moy-mesme, laquelle ne dépend d’aucune suite de causes, et qui m’est si connuë que rien ne le peut estre dauantage : Et m’interrogeant sur cela moy-mesme, ie n’ay pas tant cherché par quelle cause i’ay autrefois esté produit, que i’ay cherché quelle est la cause qui à present me conserue, afin de me deliurer par ce moyen de toute suite, et succession de causes. Outre cela ie n’ay pas cherché quelle est la cause de mon estre, en tant que ie suis composé de corps et d’ame, mais seulement et precisément en tant que ie suis vne chose qui pense, ce que ie croy ne seruir pas peu à ce sujet ; Car ainsi i’ay pû beaucoup mieux me deliurer des preiugez, considerer ce que dicte la lumiere naturelle, m’interroger Camusat – Le Petit, p. 137
Image haute résolution sur Gallica
moy-mesme, et tenir pour certain que rien ne peut estre en moy, dont ie n’aye quelque connoissance ; ce qui en effect est autre chose, que si de ce que ie voy que ie suis né de mon pere, ie considerois que mon pere vient aussi de mon ayeul ; Et si, parce qu’en cherchant ainsi les peres de mes peres ie ne pourois pas continuer ce progrez à l’infiny, pour mettre fin à cette recherche, ie concluois qu’il y a vne première cause. De plus ie n’ay pas seulement cherché quelle est la cause de mon estre, en tant que ie suis vne chose qui pense, mais principalement en tant qu’entre plusieurs autres pensées, ie reconnois que i’ay en moy l’idée d’vn estre souverainement parfait ; Car de cela seul dépend toute la force de ma demonstration. Premierement parce que cette idée me fait connoistre ce que c’est que Dieu, au moins autant que ie suis capable de le connoistre ; Et selon les loix de la AT IX-1, 86 vraye Logique, on ne doit iamais demander d’aucune chose, Si elle est, qu’on ne sçache premierement, Ce quelle est. En second lieu, parce que c’est cette mesme idée qui me donne occasion d’examiner si ie suis par moy, ou par autruy ; et de reconnoistre mes défauts. Et en dernier lieu, c’est elle qui m’aprend que non seulement il y a vne cause de mon estre, mais de plus aussi, que cette cause contient toutes sortes de perfections ; Et partant qu’elle est Dieu. Enfin ie n’ay point dit qu’il est impossible qu’vne chose soit la cause efficiente de soy-mesme ; Car encore que cela soit manifestement veritable, lorsqu’on restraint la signification Camusat – Le Petit, p. 138
Image haute résolution sur Gallica
d’efficient à ces causes qui sont differentes de leurs effets, ou qui les precedent en temps, il semble toutesfois que dans cette question elle ne doit pas estre ainsi restrainte ; tant parce que ce seroit vne question friuole ; Car qui ne sçait qu’vne mesme chose ne peut pas estre differente de soy-mesme, ny se preceder en temps ? Comme aussi parce que la lumiere naturelle ne nous dicte point, que ce soit le propre de la cause efficiente de preceder en temps son effet ; Car au contraire à proprement parler, elle n’a point le nom ny la nature de cause efficiente, sinon lorsqu’elle produit son effet, et partant elle n’est point deuant luy. Mais certes la lumiere naturelle nous dicte qu’il n’y a aucune chose de laquelle il ne soit loisible de demander, pourquoy elle existe, ou dont on ne puisse rechercher la cause efficiente ; ou bien si elle n’en a point, demander pourquoy elle n’en a pas besoin ; De sorte que si ie pensois qu’aucune chose ne peust en quelque façon estre à l’esgard de soy-mesme, ce que la cause efficiente est à l’esgard de son effect, tant s’en faut que de là ie voulusse conclure qu’il y a vne premiere cause, qu’au contraire de celle la mesme qu’on appelleroit premiere, ie rechercherois derechef la cause, et ainsi ie ne viendrois iamais à vne premiere. Mais certes i’auouë franchement qu’il peut y auoir quelque chose dans laquelle il y ait vne puissance si grande et si inepuisable, qu’elle n’ait iamais eu besoin d’aucun secours pour exister, et qui n’en ait pas encore besoin maintenant pour estre conseruée ; et ainsi qui soit en Camusat – Le Petit, p. 139
Image haute résolution sur Gallica
quelque façon la cause de soy-mesme ; et ie conçoy que Dieu est tel : Car tout de mesme que bien que i’eusse esté de toute eternité, et que par consequent il n’y eust rien eu auant moy, neantmoins parce que ie voy que les parties du temps peuuent estre separées les vnes d’auec les autres, et qu’ainsi de ce que ie suis maintenant il ne s’ensuit pas que ie doiue estre encore aprés, si, pour ainsi parler, ie ne suis creé de nouueau à chaque moment par quelque cause, ie ne ferois point difficulté d’apeller, Efficiente, la cause qui me crée continuellement en cette façon, c’est à dire qui me conserue. AT IX-1, 87 Ainsi encore que Dieu ait tousiours esté, neantmoins parce que c’est luy-mesme qui en effect se conserue, il semble qu’assez proprement il peut estre dit, et apelé la cause de soy-mesme. (Toutesfois il faut remarquer que ie n’entens pas icy parler d’vne conseruation qui le fasse par aucune influence réelle, et positiue de la cause efficiente, mais que i’entens seulement que l’essence de Dieu est telle, qu’il est impossible qu’il ne soit, ou n’existe pas tousiours.)

Cela estant posé, il me sera facile de répondre à la distinction du mot, Par soy, que ce tres-docte Theologien m’auertit deuoir estre expliquée ; Car encore bien que ceux, qui ne s’attachant qu’à la propre et étroite signification d’efficient, pensent qu’il est impossible qu’vne chose soit la cause efficiente de soy-mesme, et ne remarquent icy aucun autre genre de cause, qui ait raport et analogie auec la cause efficiente, encore, dis-je, que ceux-là n’ayent pas de coustume Camusat – Le Petit, p. 140
Image haute résolution sur Gallica
d’entendre autre chose, lorsqu’ils disent que quelque chose est par soy, sinon qu’elle n’a point de cause ; Si toutesfois ils veulent plustost s’arrester à la chose qu’aux paroles, ils reconnoistront facilement que la signification negatiue du mot Par soy ne procede que de la seule imperfection de l’esprit humain, et qu’elle n’a aucun fondement dans les choses : mais qu’il y en a vne autre positiue tirée de la verité des choses, et sur laquelle seule mon argument est appuyé : Car si, par exemple, quelqu’vn pense qu’vn corps soit par soy, il peut n’entendre par là autre chose, sinon que ce corps n’a point de cause : Et ainsi il n’assure point ce qu’il pense par aucune raison positiue, mais seulement d’vne façon negatiue, parce qu’il ne connoist aucune cause de ce corps ; mais cela témoigne quelque imperfection en son iugement ; Comme il reconnoistra facilement aprés, s’il considere que les parties du temps ne dépendent point les vues des autres, et que partant de ce qu’il a suposé que ce corps iusqu’à cette heure a esté par soy, c’est à dire sans cause, il ne s’ensuit pas pour cela qu’il doiue estre encore à l’auenir ; si ce n’est qu’il y ait en luy quelque puissance réelle et positiue, laquelle, pour ainsi dire, le reproduise continuellement ; Car alors voyant que dans l’idée du corps, il ne se rencontre aucune puissance de cette sorte, il luy sera aysé d’inferer de là que ce corps n’est pas par soy ; Et ainsi il prendra ce mot, Par soy positiuement. De mesme, lorsque nous disons que Dieu est par soy, nous Camusat – Le Petit, p. 141
Image haute résolution sur Gallica
pouuons aussi à la verité entendre cela negatiuement, et n’auoir point d’autre pensée, sinon qu’il n’y a aucune cause de son existence ; Mais si nous auons auparauant recherché la cause pourquoy il est, ou pourquoy il ne cesse point d’estre, et que considerans l’immense et incomprehensible puissance qui est contenuë AT IX-1, 88 dans son idée, nous l’ayons reconnuë si pleine et si abondante, qu’en effect elle soit la cause pourquoy il est, et ne cesse point d’estre, et qu’il n’y en puisse auoir d’autre que celle là, nous disons que Dieu est par soy, non plus negatiuement, mais au contraire tres-positiuement. Car encore qu’il ne soit pas besoin de dire qu’il est la cause efficiente de soy-mesme, de peur que peut-estre on n’entre en dispute du mot, neantmoins, parce que nous voyons que ce qui fait qu’il est par soy, ou qu’il n’a point de cause differente de soy-mesme, ne procede pas du neant, mais de la réelle, et veritable immensité de sa puissance ; Il nous est tout à fait loisible de penser qu’il fait en quelque façon la mesme chose à l’esgard de soy-mesme, que la cause efficiente à l’esgard de son effect, et partant qu’il est par soy positiuement. Il est aussi loisible à vn chacun de s’interroger soy-mesme, sçauoir si en ce mesme sens il est par soy ; Et lorsqu’il ne trouue en soy aucune puissance capable de le conseruer seulement vn moment, il conclut auec raison qu’il est par vn autre, et mesme par vn autre qui est par soy ; Pource qu’estant icy question du temps present, et non point du passé, ou du futur, le progrez ne Camusat – Le Petit, p. 142
Image haute résolution sur Gallica
peut pas estre continué à l’infiny ; Voire mesme i’adjousteray icy de plus (ce que neantmoins ie n’ay point écrit ailleurs) qu’on ne peut pas seulement aller iusqu’à vne seconde cause ; pource que celle qui a tant de puissance que de conseruer vne chose qui est hors de soy, se conserue à plus forte raison soy-mesme par sa propre puissance, et ainsi elle est par soy.

Maintenant lorsqu’on dit que toute limitation est par vne cause, ie pense à la verité qu’on entend vne chose vraye, mais qu’on ne AT IX-1, 89 l’exprime pas en termes assez propres, et qu’on n’oste pas la difficulté ; Car à proprement parler, la limitation est seulement vne negation d’vne plus grande perfection, laquelle negation n’est point par vne cause, mais bien la chose limitée. Et encore qu’il soit vray que toute chose est limitée par vne cause, cela neantmoins n’est pas de soy manifeste, mais il le faut prouuer d’ailleurs. Car, comme répond fort bien ce subtil Theologien, vne chose peut estre limitée en deux façons, ou parce que celuy qui l’a produite ne luy a pas donné plus de perfections, ou parce que sa nature est telle, qu’elle n’en peut receuoir qu’vn certain nombre, comme il est de la nature du triangle de n’auoir pas plus de trois costez : Mais il me semble que c’est vne chose de soy éuidente, et qui n’a pas besoin de preuue, que tout ce qui existe, est ou par vne cause, ou par soy comme par vne cause ; car puisque nous conceuons et entendons fort bien, non seulement l’existence, mais aussi Camusat – Le Petit, p. 143
Image haute résolution sur Gallica
la negation de l’existence, il n’y a rien que nous pussions feindre estre tellement par soy, qu’il ne faille donner aucune raison, pourquoy plutost il existe, qu’il n’existe point ; Et ainsi nous deuons tousiours interpreter ce mot, estre par soy positiuement, et comme si c’estoit estre par vne cause, à sçauoir par vne surabondance de sa propre puissance, laquelle ne peut estre qu’en Dieu seul, ainsi qu’on peut aysément démontrer.

Ce qui m’est ensuite accordé par ce sçauant Docteur, bien qu’en effect il ne reçoiue aucun doute, est neantmoins ordinairement si peu consideré, et est d’vne telle importance pour tirer toute la Philosophie hors des tenebres où elle semble estre enseuelie, que lorsqu’il le confirme par son authorité, il m’ayde beaucoup en mon dessein.

Et il demande icy, auec beaucoup de raison, si ie connois clairement et distinctement l’infiny ; Car bien que i’aye taché de preuenir cette objection, neantmoins elle se presente si facilement à vn chacun, qu’il est necessaire que i’y réponde vn peu amplement. C’est pourquoy ie diray icy premierement que l’infiny, en tant qu’infiny, n’est point à la verité compris, mais que neantmoins il est entendu ; car entendre clairement et distinctement qu’vne chose soit telle, qu’on ne puisse y rencontrer de limites, c’est clairement entendre qu’elle est infinie. Et ie mets icy de la distinction entre l’indefiny, et l’infiny, Et il n’y a rien que ie nomme proprement infiny, sinon ce en Camusat – Le Petit, p. 144
Image haute résolution sur Gallica
quoy de toutes parts ie ne rencontre point de limites, auquel sens Dieu seul est infiny ; mais les choses esquellespour lesquelles sous quelque consideration seulement ie ne voy point de fin, comme l’étenduë des espaces imaginaires, la multitude des nombres, la diuisibilité des parties de la quantité, et autres choses semblables, ie les appelle AT IX-1, 90 indefinies, et non pas infinies, parce que de toutes parts elles ne sont pas sans fin, ny sans limites. Dauantage ie mets distinction entre la raison formelle de l’infiny, ou l’infinité ; et la chose qui est infinie. Car quant à l’infinité, encore que nous la conceuions estre tres positiue, nous ne l’entendons neantmoins que d’vne façon negatiue, sçauoir est, de ce que nous ne remarquons en la chose aucune limitation ; Et quant à la chose qui est infinie, nous la conceuons à la verité positiuement, mais non pas selon toute son étenduë, C’est à dire que nous ne comprenons pas tout ce qui est intelligible en elle. Mais tout ainsi que lorsque nous iettons les yeux sur la mer, on ne laisse pas de dire que nous la voyons, quoy que notre veuë n’en atteigne pas toutes les parties, et n’en mesure pas la vaste étenduë : Et de vray lorsque nous ne la regardons que de loin, comme si nous la voulions embrasser toute auec les yeux, nous ne la voyons que confusément ; Comme aussi n’imaginons-nous que confusément vn Chiliogone, lorsque nous tâchons d’imaginer tous ses costez ensemble ; mais lorsque nostre veuë s’arreste sur vne partie de la mer seulement, cette vision alors peut-estre fort claire et fort distincte, comme aussi l’imagination Camusat – Le Petit, p. 145
Image haute résolution sur Gallica
d’vn Chiliogone, lorsqu’elle s’étend seulement sur vn ou deux de ses costez. De mesme i’auouë auec tous les Theologiens, que Dieu ne peut-estrepeut estre compris par l’esprit humain ; et mesme qu’il ne peut-estre distinctement connu par ceux qui tâchent de l’embrasser tout entier, et tout à la fois par la pensée, et qui le regardent comme de loin ; auquel sens Saint ThomasThomas d’Aquin, Saint a dit, au lieu cy-deuant cité, que la connoissance de Dieu est en nous sous vne espece de confusion seulement, et comme sous vne image obscure ; Mais ceux qui considerent attentiuement chacune de ses perfections, et qui appliquent toutes les forces de leur esprit à les contempler, non point à dessein de les comprendre, mais plustost de les admirer, et reconnoistre combien elles sont au delà de toute comprehension, ceux-là, dis-je, trouuent en luy incomparablement plus de choses qui peuuent estre clairement et distinctement connues, et auec plus de facilité qu’il ne s’en trouue en aucune des choses creées. Ce que Saint ThomasThomas d’Aquin, Saint a fort bien reconnu luy-mesme en ce lieu-là, comme il est aisé de voir de ce qu’en l’article suiuant il assure que l’existence de DIEV peut estre demonstrée. Pour moy toutes les fois que i’ay dit que Dieu pouuoit estre connu clairement et distinctement, ie n’ay iamais entendu parler que de cette connoissance finie, et accommodée à la petite capacité de nos esprits ; aussi n’a-t-il pas esté necessaire de l’entendre autrement pour la verité des choses que i’ay auancées, comme Camusat – Le Petit, p. 146
Image haute résolution sur Gallica
on verra facilement, si on prend garde que ie n’ay AT IX-1, 91 dit cela qu’en deux endroits, en l’vn desquels il estoit question de sçauoir si quelque chose de réel estoit contenu dans l’idée que nous formons de Dieu, ou bien s’il n’y auoit qu’vne negation de chose, (ainsi qu on peut douter si dans l’idée du froid, il n’y a rien qu’vne negation de chaleur) ce qui peut aisement estre connu encore qu’on ne comprenne pas l’infiny. Et en l’autre i’ay maintenu que l’existence n’apartenoit pas moins à la nature de l’estre souuerainement parfait, que trois costez apartiennent à la nature du triangle : Ce qui se peut aussi assez entendre sans qu’on ait vne connoissance de Dieu si étenduë, qu’elle comprenne tout ce qui est en luy.

Il compare icy derechef vn de mes argumens auec vn autre de Saint ThomasThomas d’Aquin, Saint, afin de m’obliger en quelque façon de monstrer lequel des deux a le plus de force. Et il me semble que ie le puis faire sans beaucoup d’enuie, parce que Saint ThomasThomas d’Aquin, Saint ne s’est pas seruy de cét argument comme sien, et il ne conclut pas la mesme chose que celuy dont ie me sers ; et enfin ie ne m’éloigne icy en aucune façon de l’opinion de cét Angelique Docteur Thomas d’Aquin, Saint. Car on luy demande, sçauoir, si la connoissance de l’existence de Dieu est si naturelle à l’esprit humain, qu’il ne soit point besoin de la prouuer, c’est à dire si elle est claire et manifeste à vn chacun ; Ce qu’il nie, et moy auec luy. Or l’argument qu’il s’objecte à soy-mesme, se peut ainsi proposer. Lorsqu’on comprend Camusat – Le Petit, p. 147
Image haute résolution sur Gallica
et entend ce que signifie ce nom Dieu, on entend vne chose telle que rien de plus grand ne peut estre conceu ; Mais c’est vne chose plus grande d’estre en effect, et dans l’entendement, que d’estre seulement dans l’entendement ; Doncques, lorsqu’on comprend et entend ce que signifie ce nom Dieu, on entend que Dieu est en effect et dans l’entendement : Où il y a vne faute manifeste en la forme ; car on deuroit seulement conclure : Doncques, lorsqu’on comprend et entend ce que signifie ce nom Dieu, on entend qu’il signifie vne chose qui est en effect, et dans l’entendement : Or ce qui est signifié par vn mot, ne paroist pas pour cela estre vray. Mais mon argument a esté tel. Ce que nous conceuons clairement et distinctement apartenir à la nature, ou à l’essence, ou à la forme immuable et vraye de quelque chose, cela peut estre dit ou affirmé auec verité de cette chose ; mais aprés que nous auons assez soigneusement recherché ce que c’est que Dieu, nous conceuons clairement et distinctement qu’il apartient à sa vraye et immuable nature qu’il existe ; Doncques alors nous pouuons affirmer auec verité qu’il existe. Ou du moins la conclusion est légitime : Mais la maieure ne se peut aussi nier, parce qu’on est desia tombé d’accord cy-deuant, que tout ce que nous entendons ou conceuons clairement AT IX-1, 92 et distinctement est vray : Il ne reste plus que la mineruemineure, où ie confesse que la difficulté n’est pas petite. Premierement parce que nous sommes tellement Camusat – Le Petit, p. 148
Image haute résolution sur Gallica
accoustumez dans toutes les autres choses de distinguer l’existence de l’essence, que nous ne prenons pas assez garde, comment elle apartient à l’essence de Dieu, plustost qu’à celle des autres choses : Et aussi pource que ne distinguant pas les choses qui appartiennent à la vraye et immuable essence de quelque chose, de celles qui ne luy sont attribuées que par la fiction de nostre entendement : encore que nous aperceuions assez clairement que l’existence apartient à l’essence de Dieu, nous ne concluons pas toutesfois de là que Dieu existe, pource que nous ne sçauons pas si son essence est immuable et vraye, ou si elle a seulement esté inuentée. Mais pour oster la premiere partie de cette difficulté ; il faut faire distinction entre l’existence possible, et la necessaire ; Et remarquer que l’existence possible est contenuë dans le concept, ou l’idée de toutes les choses que nous conceuons clairement et distinctement, mais que l’existence necessaire n’est contenuë que dans la seule idée de Dieu : Car ie ne doute point que ceux qui considereront auec attention cette difference qui est entre l’idée de Dieu et toutes les autres idées, n’aperçoiuent fort bien, qu’encore que nous ne conceuions iamais les autres choses, sinon comme existantes, il ne s’ensuit pas neantmoins de là qu’elles existent, mais seulement qu’elles peuuent exister ; parce que nous ne conceuons pas qu’il soit necessaire que l’existence actuelle soit coniointe auec leurs autres proprietez : mais que de ce que nous Camusat – Le Petit, p. 149
Image haute résolution sur Gallica
conceuons clairement que l’existence actuelle est necessairement et tousiours conjointe auec les autres attributs de Dieu, il suit de là que Dieu necessairement existe. Puis pour oster l’autre partie de la difficulté, il faut prendre garde que les idées qui ne contiennent pas de vrayes et immuables natures, mais seulement de feintes et composées par l’entendement, peuuent estre diuisées par le mesme entendement, non seulement par vne abstraction ou restriction de sa pensée, mais par vne claire et distincte operation, en sorte que les choses que l’entendement ne peut pas ainsi diuiser, n’ont point sans doute esté faites ou composées par luy. Par exemple, lorsque ie me represente vn cheual aislé, ou vn lion actuellement existant, ou vn triangle inscrit dans vn quarré, ie conçoy facilement que ie puis aussi tout au contraire me representer vn cheual qui n’ait point d’aisles, vn lion qui ne soit point existant, vn triangle sans quarré : Et partant que ces choses n’ont point de vrayes et immuables natures. Mais si ie me represente vn triangle, ou vn quarré (ie ne parle AT IX-1, 93 point icy du lion ny du cheual, pource que leurs natures ne nous sont pas encore entierement connuës) alors certes toutes les choses que ie reconnoistray estres contenuës dans l’idée du triangle, Comme que ses trois angles sont égaux à deux droits, etc. Ie l’asseureray auec verité d’vn triangle ; et d’vn quarré, tout ce que ie trouueray estre contenu dans l’idée du quarré ; Car encore que ie puisse Camusat – Le Petit, p. 150
Image haute résolution sur Gallica
conceuoir vn triangle, en restraignant tellement ma pensée, que ie ne conçoiue en aucune façon que ses trois angles sont égaux à deux droits, ie ne puis pas neantmoins nier cela de luy par vne claire et distincte operation, c’est à dire entendant nettement ce que ie dis. De plus si ie considere vn triangle inscrit dans vn quarré, non afin d’attribuer au quarré ce qui apartient seulement au triangle, ou d’attribuer au triangle ce qui apartient au quarré, mais pour examiner seulement les choses qui naissent de la conjonction de l’vn et de l’autre, la nature de cette figure composée du triangle et du quarré ne sera pas moins vraye et immuable, que celle du seul quarré, ou du seul triangle ; De façon que ie pouray assurer auec verité que le quarré n’est pas moindre que le double du triangle qui luy est inscrit, et autres choses semblables qui appartiennent à la nature de cette figure composée. Mais si ie considere que dans l’idée d’vn corps tres-parfait l’existence est contenuë, et cela pource que c’est vne plus grande perfection d’estre en effect, et dans l’entendement, que d’estre seulement dans l’entendement, ie ne puis pas de là conclure que ce corps tres-parfait existe, mais seulement qu’il peut exister ; car ie reconnois assez que cette idée a esté faite par mon entendement lequel a ioint ensemble toutes les perfections corporelles ; et aussi que l’existence ne resulte point des autres perfections qui sont comprises en la nature du corps : pource que l’on peut également affirmer Camusat – Le Petit, p. 151
Image haute résolution sur Gallica
ou nier qu’elles existent. Et de plus à cause qu’en examinant l’idée du corps, ie ne voy en luy aucune force par laquelle il se produise, ou se conserue luy-mesme, Ie conclus fort bien que l’existence necessaire, de laquelle seule il est icy question, conuient aussi peu à la nature du corps, tant parfait qu’il puisse estre, qu’il apartient à la nature d’vne montagne de n’auoir point de valée, ou à la nature du triangle d’auoir ses trois angles plus grands que deux droits. Mais maintenant si nous demandons non d’vn corps, mais d’vne chose, telle qu’elle puisse estre, qui ait toutes les perfections qui peuuent estre ensemble, sçauoir si l’existence doit estre comtée parmy elles. Il est vray que d’abord nous en pourons douter, parce que nostre esprit qui est finy, n’ayant pas coustume de les considerer que separées, n’aperceura peut-estre pas du premier coup, AT IX-1, 94 combien necessairement elles sont iointes entr’elles. Mais si nous examinons soigneusement, sçauoir, si l’existence conuient à l’estre souuerainement puissant, et quelle sorte d’existence ; nous pourrons clairement et distinctement connoistre, premierement qu’au moins l’existence possible luy conuient, comme à toutes les autres choses dont nous auons en nous quelque idée distincte, mesme à celles qui sont composées par les fictions de nostre esprit. En aprés parce que nous ne pouuons penser que son existence est possible, qu’en mesme temps prenans garde à sa puissance infinie, nous ne connoissions qu’il peut exister Camusat – Le Petit, p. 152
Image haute résolution sur Gallica
par sa propre force, nous conclurons de là que réellement il existe, et qu’il a esté de toute eternité ; car il est tres-manifeste par la lumiere naturelle, que ce qui peut exister par sa propre force, existe tousiours ; Et ainsi nous connoistrons que l’existence necessaire est contenuë dans l’idée d’vn estre souuerainement puissant, non par aucune fiction de l’entendement, mais pource qu’il apartient à la vraye et immuable nature d’vn tel estre, d’exister : Et nous connoistrons aussi facilement qu’il est impossible que cét estre souuerainement puissant n’ait point en luy toutes les autres perfections qui sont contenuës dans l’idée de Dieu, en sorte que de leur propre nature, et sans aucune fiction de l’entendement, elles soycnt toutes iointes ensemble, et existent dans Dieu. Toutes lesquelles choses sont manifestes à celuy qui y pense serieusement, et ne different point de celles que i’auois desia cy-deuant écrites, si ce n’est seulement en la façon dont elles sont icy expliquées, laquelle i’ay expressément changée pour m’accommoder à la diuersité des esprits. Et ie confesseray icy librement que cét argument est tel, que ceux qui ne se ressouuiendront pas de toutes les choses qui seruent à sa demonstration, le prendront aisement pour vn Sophisme ; et que cela m’a fait douter au commencement si ie m’en deuois seruir, de peur de donner occasion à ceux qui ne le comprendront pas, de se deffier aussi des autres. Mais pource qu’il n’y a que deux voyes par lesquelles on puisse prouuer qu’il y a vn Dieu, sçauoir, Camusat – Le Petit, p. 153
Image haute résolution sur Gallica
l’vne par ses effects, et l’autre par son essence, ou sa nature mesme, et que i’ay expliqué, autant qu’il m’a esté possible, la premiere dans la troisiesme Meditation, i’ay creu qu’aprés cela, ie ne deuois pas obmettre l’autre.

Pour ce qui regarde la distinction formelle que ce tres-docte Theologien dit auoir prise de ScotDuns Scot, Jean, ie répons briêuement qu’elle ne differe point de la modale, et qu’elle ne s’étend que sur les estres incomplets, lesquels i’ay soigneusement distinguez de ceux qui sont complets ; Et qu’à la verité elle suffit pour faire qu’vne chose soit AT IX-1, 95 conceuë separement et distinctement d’vne autre, par vne abstraction de l’esprit qui conçoiue la chose imparfaitement ; mais non pas pour faire que deux choses soient conceuës tellement distinctes et separées l’vne de l’autre, que nous entendions que chacune est vn estre complet et different de tout autre ; Car pour cela il est besoin d’vne distinction réelle. Ainsi, par exemple, entre le mouuement et la figure d’vn mesme corps, il y a vne distinction formelle, et ie puis fort bien conceuoir le mouuement sans la figure, et la figure sans le mouuement, et l’vn et l’autre sans penser particulierement au corps qui se meut, ou qui est figuré ; mais ie ne puis pas neantmoins conceuoir pleinement et parfaitement le mouuement, sans quelque corps auquel ce mouuement soit attaché ; ny la figure sans quelque corps où reside cette figure ; ny enfin ie ne puis pas feindre que le mouuement soit en vne Camusat – Le Petit, p. 154
Image haute résolution sur Gallica
chose dans laquelle la figure ne puisse pas estre, ou la figure en vne chose incapable du mouuement. De mesme ie ne puis pas conceuoir la iustice sans vn iuste, ou la misericorde sans vn misericordieux ; Et on ne peut pas feindre que celuy-là mesme qui est iuste, ne puisse pas estre misericordieux : Mais ie conçoy pleinement ce que c’est que le corps, (c’est à dire, Ie conçoy le corps comme vne chose complete) en pensant seulement que c’est vne chose étenduë, figurée, mobile etc. encore que ienie de luy toutes les choses qui appartiennent à la nature de l’esprit ; Et ie conçoy aussi que l’esprit est vne chose complete, qui doute, qui entend, qui veut etc. encore que ie n’accorde point qu’il y ait en luy aucune des choses qui font contenuës en l’idée du corps. Ce qui ne se pouroit aucunement faire, s’il n’y auoit vne distinction réelle entre le corps et l’esprit.

Voila, Messieurs, ce que i’ay eu à répondre aux objections subtiles et officieuses de vostre amy commun. Mais si ie n’ay pas esté assez heureux d’y satisfaire entierement, ie vous prie que ie puisse estre auerty des lieux qui meritent vne plus ample explication, ou peut-estre mesme sa censure : Que si ie puis obtenir cela de luy par vostre moyen, ie me tiendray à tous infiniment vostre obligé.