Maire, p. 281
Image haute résolution sur Gallica

DE L’APPARITION DE PLVSIEURS SOLEILS.
Discours Dernier.

On voit encore quelquefois d’autres cercles dans les nuës, qui different de ceux dont iay parlé, en ce qu’ils ne paroissent iamais que tous blancs, et qu’au lieu d’auoir quelque astre en leur centre, ils trauersent ordinairement celuy du soleil ou de la lune, et semblent paralleles ou presque paralleles à l’Horizon. Mais pourcequ’ils ne paroissent qu’en ces grandes AT VI, 355 nuës toutes rondes dont il a esté parlé cy dessus, et qu’on voit aussy quelquefois plusieurs soleils ou plusieurs lunes dans les mesmes nuës, il faut que i’explique ensemble l’vn et l’autre. Soit par exemple A le midy, où est le soleil accompagné d’vn vent chaud qui tend vers B, et C le septentrion, d’où il vient vn vent froid qui tend aussy vers B. Et là ie suppose que ces deux vens rencontrent ou assemblent vne nuë, composée de parcelles de neige, qui s’estend si loin en profondeur et en largeur, qu’ils ne peuuent passer l’vn au dessus l’autre au dessous ou entredeux ainsi qu’ils ont ailleurs de coustume, mais qu’ils sont contrains de prendre leur cours tout à l’entour : au moyen de quoy non seulement ils l’arondissent ; mais aussy celuy qui vient du midy, estant chaud, fond quelque peu la neige de son circuit, laquelle estant aussy tost regelée, tant par celuy du Nord qui est froid, que par la proximité de la neige Maire, p. 282
Image haute résolution sur Gallica
interieure qui n’est pas encore fonduë, peut former comme vn grand anneau de glace toute continuë et transparente, dont la superficie ne manquera pas d’estre assés polie, à cause que les vens qui l’arondissent sont fort vniformes. Et de plus cete glace ne manque pas d’estre plus espaisse du costé DEF, que ie suppose exposé au vent chaud et au soleil, que de l’autre GHI, où la AT VI, 356 neige ne s’est pû fondre si aysement. Et enfin il faut remarquer qu’en cete co nstitutionconstitution d’air, et sans orage, il ne peut y auoir assés de chaleur autour de la nuë B, pour y former ainsi de la glace, qu’il n’y en ait aussy assés en la terre qui est au dessous, pour y exciter des vapeurs qui la soustienent, en souleuant et poussant vers le ciel tout le cors de la nuë quellequ’elle embrasse. En suite de quoy il est euident que la clarté du soleil, lequel ie suppose estre assés haut vers le midy, donnant tout autour sur la glace DEFGHI, et de là se refleschissant sur la blancheur de la neige voysine, doit faire paroistre cete neige à ceux qui seront au dessous, en forme d’vn grand cercle tout blanc. Et mesme qu’il suffist à cet effect que la nuë soit ronde, et vn peu plus pressée en son circuit qu’au milieu, sans que l’anneau de glace Maire, p. 283
Image haute résolution sur Gallica
doiue estre formé. Mais lors qu’il l’est on peut voir, estant au dessous vers le point K, iusques à six soleils, qui semblent estre enchassés dans le cercle blanc ainsi qu’autant de diamans dans vne bague. À sçauoir le premier vers E, par les rayons qui vienent directement du soleil que ie suppose vers A : Les deux suiuans vers D, et vers F, par la refraction des rayons qui trauersent la glace en ces lieux là, où son espaisseur allant en diminuant, ils se courbent en dedans de part et d’autre, ainsi qu’ils font en trauersant le prisme de cristal dont il a tantost esté parlé. Et pour cete cause ces deux soleils ont leurs bords peins de rouge, en celuy de leurs costés qui est vers E, où la glace est lea plus espaisse ; et de bleu en l’autre, où elle l’est moins. Le quatriesme soleil paroist par reflexion au point H ; et les deux AT VI, 357 derniers aussy par reflexion vers G, et vers I. où ie suppose qu’on peut descrire vn cercle dont le centre soit au point K, et qui passe par B le centre de la nuë, en sorte que les angles KGB, et KBG ou BGA, sont esgaux ; et tout de mesme KIB, et KBI ou BIA. Car vous sçaués que la reflexion se fait tousiours par angles esgaux, et que la glace estant vn cors poli doit representer le soleil en tous les lieux d’où ses rayons se peuuent refleschir vers l’œil. Mais pource que les rayons qui vienent tous droits sont tousiours plus vifs, que ceux qui vienent par refraction, et ceuxcy encore plus vifs, que ceux qui sont refleschis, le soleil doit paroistre plus brillant vers E, que vers D ou F, et icy encore plus brillant, que vers G ou H ou I, et ces trois, G, H, et I, ne doiuent auoir aucunes couleurs autour de leurs bors, comme les deux, D, et F, mais seulement estre blancs. Que Maire, p. 284
Image haute résolution sur Gallica
si les regardans ne sont pas vers K, mais quelque part plus auancés vers B, en sorte que le cercle dont leurs yeux sonrt le centre, et qui passe par B, ne couppe point la circonference de la nuë, ils ne pourront voir les deux soleils G et I, mais seulement les 4 autres. Et si au contraire ils sont fort reculés vers H, ou au delà vers C, ils ne pourront voir que les 5, D, E, F, G, et I. Et mesme estant assés loin au delà, ils ne verront AT VI, 358 que les trois, D, E, F, qui ne seront plus dans vn cercle blanc, mais comme trauersés d’vne barre blanche. Comme aussy, lorsque le soleil est si peu esleué sur l’Horizon qu’il ne peut esclairer la partie de la nuë GHI, ou bien lorsqu’elle n’est pas encore formée, il est euident qu’on ne doit voir que les trois soleils D, E, F.

Au reste ie ne vous ay iusques icy fait considerer que le plan de cete nuë, et il y a encore diuerses choses à y remarquer qui se verront mieux en son pourfil. Premierement bien que le soleil ne soit pas en la ligne droite qui va d’E vers l’œil K, mais plus haut ou plus bas, il ne doit pas laisser de paroistre vers là. Principalement si la glace ne s’y estend point trop en hauteur ou profondeur. car alors la superficie de cete glace sera si courbée, qu’en Maire, p. 285
Image haute résolution sur Gallica
quelque lieu qu’il soit, elle pourra quasi tousiours renuoyer ses rayons vers K. Comme si elle a en son espaisseur la figure comprise entre les lignes 123 et 456, il est euident que non seulement lorsque le soleil sera en la AT VI, 359 ligne droite A2, ses rayons la trauersant pourront aller vers l’œil K ; mais aussy lors qu’il sera beaucoup plus bas, comme en la ligne SI, ou beaucoup plus haut, comme en la ligne T3 ; et ainsy le faire tousiours paroistre comme s’il estoit vers E. car l’anneau de glace n’estant supposé gueres large, la difference qui est entre les lignes 4K, 5K, et 6K, n’est pas considerable. Et notés que cela peut faire paroistre le soleil aprés mesme qu’il est couché, et qu’il peut aussy reculer ou auancer l’ombre des Horologes, et leur faire marquer vne heure toute autre qu’il ne sera. Toutefois si le soleil est beaucoup plus bas qu’il ne paroist vers E, en sorte que ses rayons Maire, p. 286
Image haute résolution sur Gallica
passent aussy en ligne droite par le dessous de la glace, iusques à l’œil K, comme S7K, que ie suppose parallele à SI, alors outre les six soleils precedens on en verra encore vn settiesme au dessous d’eux, et qui ayant le plus de lumiere, effacera l’ombre qu’ils pourroient causer dans les Horologes. Tout de mesme s’il est si haut que ses rayons puissent passer en ligne droite vers K par le dessus de la glace, comme T8K qui est parallele à T3, et que la nuë interposée ne soit point si opaque qu’elle les en empesche, on pourra voir vn settiesme soleil au dessus des six autres. Que si la glace 123, 456 s’estend plus haut et plus bas comme iusques aux poins 8, et 7, le soleil estant vers A, on en pourra voir trois l’vn sur l’autre, vers E, à sçauoir aux poins 8, 5, et 7 : Et lors on en pourra aussy voir trois l’vn sur l’anutre vers D, et trois vers F, en sorte qu’il en paroistra iusques à douze, enchassés dans le cercle blanc DEFGHI. Et le soleil estant un peu plus bas AT VI, 360 que vers S, ou plus haut que vers T, il en pourra derechef paroistre trois vers E, à sçauoir deux dans le cercle blanc, et vn autre au dessous, ou au dessus : Et lors il en pourra encore paroistre deux vers D, et deux vers F. Mais ie ne sçache point que iamais on en ait tant obserué tout à la fois ; ny mesme que lorsqu’on en a vû trois l’vn sur l’autre, comme il est arriué plusieurs foix ; ou en ait remarqué quelques autres à leurs costés, Ou bien que lorsqu’on en a vû trois coste à coste, comme il est aussy arriué plusieurs foix, ou en ait remarqué quelques autres au dessus, ou au dessous. Dont, sans doute, la raison est que la largeur de la glace, marquée entre les poins 7 et 8, n’a d’ordinaire aucune proportion, auec la Maire, p. 287
Image haute résolution sur Gallica
grandeur du circuit de toute la nuë : en sorte que l’œil doit estre fort proche du point E, lorsque cete largeur luy paroist assés grande pour y distinguer trois soleils l’vn sur l’autre ; et au contraire fort esloigné, affin que les rayons qui se courbent vers D, et vers F, où se diminue le plus l’espaisseur de la glace, puissent paruenir iusque à luy.

AT VI, 361 Et il arriue rarement que la nuë soit si entiere, qu’on en voye plus de trois en mesme tems. Toutefois on dit qu’en l’an 1625 le roy de Polongne en vit iusque à six. Et il n’y a que trois ans que le Mathematicien de Tubinge obserua les quatre designés icy par les lettres D, E, F, H. il remarque particulierement en ce qu’il en a escrit que les deux D et F estoient rouges, vers celuy du milieu E, qu’il nomme le vray soleil, et bleus de l’autre costé, et que le quatriesme H estoit fort pale, et ne paroissoit Maire, p. 288
Image haute résolution sur Gallica
que fort peu. Ce qui confirme fort ce que i’ay dit. Mais l’obseruation la plus belle et la plus remarquable, que i’aye veu en cete matiere, est celle des 5 soleils, qui parurent à Rome en l’an 1629, le 20 de Mars, sur les 2 ou 3 heures aprés midy. Et affin que vous puissiés voir si elle s’accorde auec mon discours ie la veux mettre icy aux mesmes termes qu’elle fut dés lors diuulguée.

A obseruator Romanus. B vertex loco obseruatoris incumbens. C sol verus observatus. AB planum verticale, in quo et oculus observatoris, et sol observatus existunt, in quo et vertex loci B iacet, ideoque omnia per lineam AT VI, 362 verticalem AB repraesentantur : in hanc enim totum planum verticale procumbit. Circa solem C apparuere duae incompletae Irides eidem homocentricae, diuersicolores, quarum minor, sive interior DEF plenior et perfectior fuit, curta tamen sive Maire, p. 289
Image haute résolution sur Gallica
aperta a D ad F, et in perpetuo conatu sese claudendi stabat, et quandoque claudebat, sed mox denuo aperiebat. Altera sed debilis semper et vix conspicabilis fuit GHI, exterior et secundaria, variegata tamen et ipsa suis coloribus ; sed admodum instabilis. Tertia, et unicolor, eaque valde magna Iris, fuit KLMN, tota alba, quales saepe visuntur in paraselenis circa lunam. Haec fuit arcus excentricus integer ab initio solis per medium incedens, circa finem tamen ab M versus N debilis et lacer, imo quasi nullus. Caeterum in communibus circuli huius intersectionibus cum Iride exteriore GHI, emerserunt duo parhelia non usque adeo perfecta, N et K ; quorum hoc debilius, illud autem fortius et luculentius splendescebat, amborum medius nitor aemulabatur solarem, sed latera coloribus Iridis pingebantur ; neque rotundi ac praecisi, sed inaequales et lacunosi ipsorum ambitus cernebantur. N inquietum spectrum, eiaculabatur caudam spissam subigneam NOP, cum iugi reciprocatione. L et M fuêre trans Zenith B, prioribus minus vivaces, sed rotundiores et albi, instar circuli sui cui inhaerebant, lac, seu argentum purum exprimentes, quanquam M mediâ tertiâ iam prope disparverat, nec nisi exigua sui vestigia subinde praebuit, quippe et circulus ex illa parte defecerat. Sol N defecit ante solem K, illoque deficiente roborabatur K, qui omnium ultimus disparuit, etc.

CKLMN estoit vn cercle blanc dans lequel se AT VI, 363 voyoient cinq soleils, et il faut imaginer, que le spectateur estant vers A, ce cercle estoit pendant en l’air au dessus de luy, en sorte que le point B respondoit au sommet de sa teste, et que les deux soleils L et M estoient derriere ses espaules, lorsqu’il estoit tourné vers les trois autres KCN ; Maire, p. 290
Image haute résolution sur Gallica
dont les deux K et N estoient colorés en leurs bors, et n’estoiẽt, ny si ronds, ny si brillans, que celuy qui estoit vers C. ce qui monstre qu’ils estoient causés par refraction ; au lieu que les deux L et M estoient assés ronds, mais moins brillans, et tous blancs, sans meslange d’aucune autre couleur en leurs bors. qui monstre qu’ils estoient causés par reflexion. Et plusieurs choses ont pû empescher qu’il n’ait paru encore vn sixiesme soleil vers V, dont la plus vraysemblable est, que l’œil en estoit si proche, à raison de la hauteur de la nuë, que tous les rayons qui donnoient sur la glace, vers là, se refleschissoient plus loin que le point A. Et encore que le point B ne soit pas icy representé si proche des soleils L et M, que du centre de la nuë, cela n’empesche pas que la reigle que iay tantost dite, touchant le lieu où ils doiuent paroistre, n’y fust obseruée. Car AT VI, 364 le spectateur Maire, p. 291
Image haute résolution sur Gallica
estant plus proche de l’arc LVM que des autres parties du cercle, l’a deu iuger plus grand, à comparaison d’elles, qu’il n’estoit ; Outre que sans doute ces nuës ne sont iamais extremement rondes, bienqu’elles paroissent à l’œil estre telles.

Mais il y a encore icy deux choses assés remarquables. La premiere est, que le soleil N qui estoit vers le couchant, ayant vne figure changeante et incertaine, iettoit hors de soy comme vne grosse queuë de feu, NOP, qui paroissoit tantost plus longue tantost plus courte. Ce qui n’estoit sans doute autre chose sinon que l’image du soleil estoit ainsi contrefaite et irreguliere vers N, comme on la voit souuent lorsqu’elle nage dans vne eau vn peu tremblante, ou qu’on la regarde au trauers d’vne vitre dont les superficies sont inesgales. Car la glace estoit vray semblablement vn peu agitée en cet endroit là, et n’y auoit pas ses superficies si regulieres, pourcequ’elle y commencoit à se dissoudre, ainsi qu’il se prouue de ce que le cercle blanc estoit rompu, et comme nul entre M et N, et que le soleil N disparut, auant le soleil K qui sembloit se fortifier à mesure que l’autre se dissipoit.

La seconde chose qui reste icy à remarquer, est qu’il y auoit deux couronnes autour du soleil C, peintes des mesmes couleurs que l’arc-en-ciel, et dont l’interieure DEF estoit beaucaoup plus viuë et plus apparente que l’exterieure GHI, en sorte que ie ne doute point qu’elles ne fussent causées, en la façon que iay tantost dite, par la refraction qui se faisoit, non en cete glace continuë où se voyoient les soleils K et N, mais en d’autre, diuisée en plusieurs petites parcelles, AT VI, 365 qui se trouuoit au dessus Maire, p. 292
Image haute résolution sur Gallica
et au dessous. car il est bien vraysemblable que la mesme cause, qui auoit pû composer tout vn cercle de glace de quelques vnes des parties exterieures de la nuë, auoit disposé les autres voysines à faire paroistre ces couronnes. De façon que si on n’en obserue pas tousiours de telles lors qu’on voit plusieurs soleils, c’est que l’espaisseur de la nuë ne s’estend pas tousiours au delà du cercle de glace qui l’enuironne ; ou bien qu’elle est si opaque et obscure qu’on ne les appercoit pas autrauers. Pour le lieu où se voyent ces couronnes, c’est tousiours autour du vray soleil, Et elles n’ont aucune coniunction auec ceux qui ne font que paroistre. car bien que les deux K et N se rencontrent icy en l’intersection de l’exterieure et du cercle blanc, c’est chose qui n’est arriuée que par hazard, et ie m’assure que le mesme ne se vit point aux lieux vn peu loin de Rome, ou ce mesme Maire, p. 293
Image haute résolution sur Gallica
Phainomene fut remarqué. Mais ie ne iuge pas pour cela que leur centre soit tousiours en la ligne droite tiree de l’œil vers le soleil, si precisement qu’y est celuy de l’arc-en-ciel ; car il y a cela de difference, que les gouttes d’eau, estant rondes, causent tousiours AT VI, 366 mesme refraction en quelque situation qu’elles soient ; au lieu que les parcelles de glace, estant plates, la causent d’autant plus grande, qu’elles sont regardées plus obliquement. Et pource que lorsqu’elles se forment par le tournoyement d’vn vent sur la circonference d’vne nuë, elles y doiuent estre couchées en autre sens, que lorsqu’elles se forment au dessus ou au dessous, Il peut arriuer qu’on voye ensemble deux couronnes, l’vne dans l’autre, qui soient à peu prés de mesme grandeur, et qui n’ayent pas iustement le mesme centre.

De plus il peut arriuer qu’outre les vens qui enuironnent cete nuë, il en passe quelqu’vn par dessus ou par dessous, qui derechef y formant quelque superficie de glace, cause d’autres varietés en ce Phainomene. Comme peuuent encore faire les nuës d’alentour, ou la pluie s’il y en tombe. Car les rayons, se refleschissant de la glace d’vne de ces nuës vers ces gouttes, y representeront des parties d’arc-en-ciel, dont les situations seront fort diuerses. Comme aussy les spectateurs n’estant pas au dessous d’vne telle nuë, mais à costé entre plusieurs, peuuent voir d’autres cercles et d’autres soleils. De quoy ie ne croy pas qu’il soit besoin que ie vous entretiene d’auantage. car i’espere que ceux qui auront compris tout ce qui Maire, p. 294
Image haute résolution sur Gallica
a esté dit en ce traité, ne verront rien dans les nuës à l’auenir, dont ils ne puissent aysement entendre la cause, ny qui leur donne suiet d’admiration.

FIN.