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DES MOYENS DE PERFECTIONNER LA VISION.
Discours Septiesme.

Maintenant que nous auons assés examiné comment se fait la vision, receuueillons en peu de mots, et nous remettons deuant les yeux toutes les conditions, qui sont requises à sa perfection ; afin que considerant en quelle sorte il a desia esté pourvû à chacune par la Nature, nous puissions faire vn denombrement exact, de tout ce qui reste encore à l’art à y adiouster. On peut reduire toutes les choses, ausquelles il faut auoir icy esgard, à trois principales, AT VI, 148 qui sont, les obiets, les organes interieurs qui reçoiuent les actions de ces obiets, et les exterieurs qui disposent ces actions à estre receues comme elles doiuent. Et touchant les obiets, il suffit de sçauoir, que les vns sont proches ou accessibles, et les autres esloignés et inaccessibles ; et auec cela les vns plus, les autres moins illuminés : afin que nous soyons auertis que pource qui est des accessibles, nous les pouuons approcher ou esloigner, et augmẽter ou diminuer la lumiere qui les esclaire, selon qu’il nous sera le plus commode ; mais que pour ce qui concerne les autres, nous n’y pouuons changer aucune chose. Puis touchant les organes interieurs, qui sont les nerfs et le cerueau, il est certain aussy, que nous ne sçaurions rien adiouter par Maire, p. 71
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art à leur fabrique ; car nous ne sçaurions nous faire vn nouueau cors ; et si les medecins y peuuent ayder en quelque chose, cela n’apartient point à nostre suiet. Si bien qu’il ne nous reste à considerer que les organes exterieurs, entre lesquels ie comprens toutes les parties transparentes de l’œil, aussy bien que tous les autres cors qu’on peut mettre entre luy et l’obiet. Et ie trouue que toutes les choses ausquelles il est besoin de pouruoir auec ces organes exterieurs, peuuent estre reduites à quattre points. Dont le premier est, que tous les rayons, qui se vont rendre vers chacune des extremités du nerf optique, ne vienent autant qu’il est possible que d’vne mesme partie de l’obiet, et qu’ils ne reçoiuent aucun changement en l’espace qui est entre deus : car sans cela les images qu’ils forment, ne sçauroient estre ny bien semblables à leur original, AT VI, 149 ny bien distinctes. Le second, que ces images soient fort grandes ; non pas en estendue de lieu, car elles ne sçauroient occuper que le peu d’espace qui se trouue au fonds de l’œil ; mais en l’estendue de leurs lineamens ou de leurs trais. car il est certain qu’ils seront d’autant plus aysés à discerner qu’ils seront plus grands. Le troisiesme, que les rayons qui les forment soyent assés forts pour mouuoir les petits filets du nerf optique, et parcepar ce moyen estre sentis ; mais qu’ils ne le soyent pas tant qu’ils blessent la veuë. Et le quatriesme, qu’il y ait le plus d’obiets qu’il sera possible, dont les images se forment dans l’œil en mesme temps, afin qu’on en puisse voir le plus qu’il sera possible tout d’vne veuë.

Or la nature a employé plusieurs moyens à pouruoir Maire, p. 72
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à la premiere de ces choses. Car premierement remplissant l’œil de liqueurs fort transparentes, et qui ne sont teintes d’aucune couleur, elle a fait que les actions qui vienent de dehors, peuuent passer iusques au fonds sans se changer. Et par les refractions que causent les superficies de ces liqueurs, elle a fait qu’entre les rayons, suiuant lesquels ces actions se conduissentcõduisent, ceux qui vienent d’vn mesme point, se rassemblent en vn mesme point contre le nerf ; et en suite, que ceux qui vienent des autres points, s’y rassemblent aussy en autant d’autres diuers points, le plus exactement qu’il est possible. Car nous deuons supposer que la nature a fait en cecy tout ce qui est possible, d’autant que l’experience ne nous y fait rien aperceuoir au contraire. Et mesme nous voyons, que pour rendre d’autant moindre le defaut, qui ne peut AT VI, 150 en cecy estre totalement euité, elle a fait qu’on puisse restrecir la prunelle quasi autant que la force de la lumiere le permet. Puis par la couleur noire, dont elle a teint toutes les parties de l’œil opposées au nerf, qui ne sont point transparentes, elle a empesché qu’il n’allast aucuns autres rayons vers ces mesmes points. Et enfin par le changement de la figure du cors de l’œil, elle a fait qu’encore que les obiets en puissent estre plus ou moins esloignés vne fois que l’autre, les rayons qui vienent de chacun de leurs points, ne laissent pas de s’assembler tousiours, aussy exactement qu’il se peut, en autant d’autres points au fonds de l’œil. Toutefois elle n’a pas si entierement pourvû à cette derniere partie, qu’il ne se trouue encore quelque chose à y adiouter : car outre que communement à tous, elle ne Maire, p. 73
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nous a pas donné le moyen de courber tant les superficies de nos yeux, que nous puissions voir distinctement les obiets qui en sont fort proches, comme à vn doigt ou vn demi doigt de distance : Elle y a encore manqué d’auantage en quelques vns, à qui elle a fait les yeux de telle figure, qu’ils ne leur peuuent seruir qu’a regarder les choses esloignées, ce qui arriue principalement aus vieillars ; Et aussy en quelques autres, à qui au contraire elle les a faits tels, qu’ils ne leur seruent qu’a regarder les choses proches, ce qui est plus ordinaire aux ieunes gens. En sorte qu’il semble que les yeux se forment au commencement vn peu plus longs et plus estrois qu’ils ne doiuẽt estre, et que par aprés pendãt qu’on vieillist, ils deuienẽt plus plats et plus larges. Or afin que nous puissions remedier par art à ces defauts, AT VI, 151 il sera premierement besoin que nous cherchions les figures, que les superficies d’vne piece de verre ou de quelq; autre cors transparent doiuent auoir, pour courber les rayons, qui tombent sur elles, en telle sorte que tous ceux qui vienẽt d’vn certain point de l’obiet, se disposẽt en les trauersant, tout de mesme que s’ils estoient venus d’vn autre point, qui fust plus proche, ou plus esloigné : à sçauoir, qui fust plus proche, pour seruir à ceux qui ont la veuë courte ; et qui fust plus esloigné, tant pour les vieillars, que generalement pour tous ceux, qui veulẽt voir des obiets plus proches que la figure de leurs yeux ne le permet. Car par exẽple l’œil B, ou C, estant disposé à faire que tous les rayons qui vienẽt du point H, ou I, s’assemblent au milieu de son fonds ; et ne le pouuant estre, à faire aussy que ceux du point V, ou X, s’y assemblent ; il est euident, que si on met au deuãt de Maire, p. 74
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luy le verre O, ou P, qui face que tous les rayons du point V, ou X, entrent dedans, tout de mesme que s’ils venoyent du point H, ou I, on suppleera par ce moyen à son defaut. Puis à cause qu’il peut y auoir des verres de plusieurs diuerses figures, qui ayent en cela exactement le mesme effect, il sera besoin, pour choisir les plus AT VI, 152 propres à nostre dessein, que nous prenions encore garde principalement à deux cõditions. Dont la premiere est, que ces figures soyent les plus simples et les plus aysées à descrire et à tailler qu’il sera possible. Et la seconde, que par leur moyen les rayons qui vienent des autres points de l’obiet, comme EE, entrent dans l’œil à peu prés de mesme, que s’ils venoient d’autant d’autres points, comme FF. Et notés que ie dis seulement icy à peu prés, non autant qu’il est possible ; car outre qu’il seroit peut estre assés mal-aysé à determiner par Geometrie, entre vne infinité de figures qui peuuent seruir à ce mesme effect, celles qui y sont exactement les plus propres, il seroit entierement inutile ; à cause que l’œil mesme ne faisant pas, que tous les rayons qui vienent de diuers Maire, p. 75
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points, s’assemblent iustement en autant d’autres diuers points, elles ne seroyent pas sans doute pour cela les plus propres à rendre la vision bien distincte. Et il est impossible en cecy de choisir autrement qu’a peu prés, à cause que la figure precise de l’œil ne nous peut estre cognue. De plus nous aurons tousiours à prendre garde, lors que nous appliquerons ainsi quelque cors au deuant de nos yeux, que nous imitions autant qu’il sera possible la nature, en toutes les choses que nous voyons qu’elle a obserué en les construisant : et que nous ne perdions aucun des auantages qu’elle nous a donnés, si ce n’est pour en gaigner quelque autre plus important.

Pour la grandeur des images, il est à remarquer, qu’elle depend seulement de trois choses. à sçauoir, de la distance qui est entre l’obiet, et le lieu où se AT VI, 153 croisent les rayons, qu’il enuoye de diuers de ses poins vers le fonds de l’œil ; puis de celle qui est entre ce mesme lieu, et le fonds de l’œil ; et enfin de la refraction de ces rayons. Comme il est euident que l’image RST seroit plus grande qu’elle n’est, si l’obiet VXY estoit plus proche du lieu K, où se croysent les rayons VKR et YKT, ou plustost de la superficie BCD, qui est proprement le lieu où ils commencent à se croiser, ainsi que vous verrés cyaprés : Ou bien si on pouuoit faire que le cors de l’œil fust plus long, en sorte qu’il y eust plus de distance qu’il n’y a, depuis sa superficie BCD, qui fait que ces rayons s’entrecroysent, iusques au fonds RST : Ou enfin si la refraction ne les courboit pas tant en dedans vers le milieu S, mais plustost, s’il estoit possible, en dehors. Et quoy qu’on imagine outre ces trois choses, il n’y a rien Maire, p. 76
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qui puisse rendre cette image plus grande. Mesme la derniere n’est quasi point du tout considerable, à cause qu’on ne peut iamais augmenter l’image par son moyen que de fort peu, et ce auec tant de difficulté, qu’on le peut tousiours plus aysement par l’vne des autres, ainsi que vous sçaurés tout maintenãt. Aussy voyons nous que la nature l’a negligée, car faisant que les rayons, cõme VKR et YKT se courbent en dedans vers S, sur les superficies BCD et 123 ; elle a rendu l’image RST vn peu plus petite, que si elle auoit fait qu’ils se courbassent en dehors, comme ils font vers 5 sur la superficie 456 ; ou qu’elle les eust laissé estre tous droits. On n’a point besoin aussy de considerer la premiere de ces trois choses AT VI, 154 lors que les obiets ne sont point du tout accessibles : mais lors qu’ils le sont, il est euident que d’autant que nous les regardons de plus prés, d’autant leurs images se forment plus grandes au fonds de nos yeux. Si-bien que la nature ne nous ayant pas donné le moyen de les regarder de plus prés, qu’enuiron à vn pied ou demi pied de distance, afin d’y adiouster par art tout ce qui se peut, il est seulement besoin d’interposer vn verre, tel que celuy qui est marqué P, Voyés en la page 74.dont il a esté parlé tout maintenant ; qui face que tous les rayons, qui vienent d’vn point le plus proche qu’il se pourra, entrent dans l’œil, comme s’ils venoient d’vn autre point plus esloigné. Or tout le plus qu’on puisse faire par ce moyen c’est qu’il n’y aura que la douze ou quinziesme partie d’autant d’espace entre l’œil et l’obiet, qu’il y en deuroit auoir sans cela : et ainsi que les rayons qui viendront de divers poins de cet obiet, se croissanscroisans douze ou quinze fois Maire, p. 78
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plus prés de luy ; ou mesme quelque peu d’auantage, à cause que ce ne sera plus sur la superficie de l’œil qu’ils commenceront à se croiser, mais plustost sur celle du verre, dont l’obiet sera vn peu plus proche ; ils formeront vne image, dont le diametre sera douze ou quinze fois plus grand qu’il ne pourroit estre si on ne se seruoit point de ce verre : et par consequent sa superficie sera enuiron deus cens fois plus grande, ce qui fera que l’obiet paroistra enuiron deux cent fois plus distinctement. au moyen de quoy, il paroistra aussy beaucoup plus grand, non pas deus cent fois iustement, mais plus ou moins à proportion de AT VI, 155 ce qu’on le iugera estre esloigné. Car par exemple, si en regardant l’obiet X au trauers du verre P, on Voyés en la page 74.dispose son œil C, en mesme sorte qu’il deuroit estre pour voir vn autre obiet, qui seroit à 20 ou 30 pas loin de luy, et que n’ayant d’ailleurs aucune cognoissance du lieu où est cet obiet X, on le iuge estre veritablement à trente pas, il semblera plus d’vn milion de fois plus grand qu’il n’est. en sorte qu’il pourra deuenir d’vne puce vn elephant ; car il est certain que l’image que forme vne puce au fonds de l’œil, lors qu’elle en est si proche, n’est pas moins grande, que celle qu’y forme vn elephant, lors qu’il en est à trente pas. Et c’est sur cecy seul qu’est fondée toute l’inuention de ces petites lunetes à puce composées d’vn seul verre, dont l’vsage est par tout assés commun : bien qu’on n’ait pas encores connu la vraye figure qu’elles doiuent auoir : et pource qu’on sçait ordinairement que l’obiet est fort proche, lors qu’on les employe à le regarder, il ne peut paroistre si grand, qu’il seroit, si on l’imaginoit plus esloigné.

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II ne reste plus qu’vn autre moyen pour augmenter la grandeur des images, qui est de faire que les rayons qui vienent de diuers points de l’obiet, se croisent le plus loin qu’il se pourra du fonds de l’œil. mais il est bien sans cõparaison, le plus important et le plus considerable de tous. Car c’est l’vnique qui puisse seruir pour les obiets inaccessibles, aussy bien que pour les accessibles, et dont l’effet n’a point de bornes : en sorte qu’on peut en s’en seruant augmenter les images de plus en plus iusques à vne grandeur indefinie. Comme par exemple, d’autãt que la premiere AT VI, 156 des trois liqueurs dont l’œil est rempli, cause à peu prés mesme refraction que l’eau commune, si on applique tout contre vn tuyau plein d’eau, comme EF, au bout duquel il y ait vn verre GHI, dont la figure soit toute semblable à celle de la peau BCD qui couure cette liqueur, et ait mesme rapport à la distance du fonds de l’œil ; il ne se fera plus aucune refraction à l’entrée de cet œil ; mais celle qui s’y faisoit auparauant, et qui estoit cause que tous les rayons qui venoient d’vn mesme point de l’obiet commencoient à se courber dés cet Maire, p. 80
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endroit-la, pour s’aller assembler en vn mesme point sur les extremités du nerf optique, et qu’en suite tous ceux qui venoyent de diuers points s’y croisoient, pour s’aller rendre sur diuers points de ce nerf, se fera des l’entrée du tuyau GI : si bien que ces rayons se croisans dés là, formeront l’image RST beaucoup plus grande, que s’ils ne se croisoient que sur la superficie BCD ; et ils la formeront de plus en plus grande selon que ce tuyau sera plus long. Et ainsi l’eau EF, faisant l’office de l’humeur K ; le verre GHI, celuy de la peau BCD ; et l’entrée du tuyau GI, celuy de la prunelle, la vision se fera en mesme façon que si la nature auoit fait l’œil AT VI, 157 plus long qu’il n’est, de toute la longeur de ce tuyau. Sans qu’il y ait autre chose à remarquer, sinon que la vraye prunelle sera pour lors, non seulement inutile, mais mesme nuisible, en ce qu’elle exclura, par sa petitesse, les rayons qui pourroient aller vers les costés du fonds de l’œil, et ainsi empeschera que les images ne s’y estendent, en autant d’espace qu’elles feroient, si elle n’estoit point si estroite. Il ne faut pas aussy que ie m’oublie de vous auertir, que les refractions particulieres, qui se font vn peu autrement dans le verre GHI, que dans l’eau EF, ne sont point icy considerables, à cause que ce verre estant par tout esgalement espais, si la premiere de ses superficies fait courber les rayons, vn peu plus que ne feroit celle de l’eau, la seconde les redresse d’autant à mesme temps. Et c’est pour cette mesme raison, que cydessus ie n’ay point parlé des refractions que peuuent causer les peaus qui enueloppent les humeurs de l’œil, mais seulement de celles de ses humeurs.

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Or d’autant qu’il y auroit beaucoup d’incommodité à ioindre de l’eau contre nostre œil, en la façon que ie vien d’expliquer ; et mesme que ne pouuant sçauoir precisement quelle est la figure de la peau BCD qui le couure, on ne sçauroit determiner exactement celle du verre GHI, pour le substituer en sa place ; il sera mieux de se seruir d’vne autre inuention. Et de faire par le moyen d’vn ou de plusieurs verres, ou autres cors transparens, enfermés aussy en vn tuyau, mais non pas ioints à l’œil si exactement qu’il ne demeure vn peu d’air entre deux, que des l’entrée de ce tuyau, les rayons qui vienent d’vn mesme point de l’obiet se AT VI, 158 plient, ou se courbent, en la façon qui est requise, pour faire qu’ils aillent se rassembler en vn autre point, vers l’endroit où se trouuera le milieu du fonds de l’œil, quand ce tuyau sera mis au deuant. Puis de rechef que ces mesmes rayons en sortant de ce tuyau se plient et se redressent en telle sorte qu’ils puissent entrer dans l’œil tout de mesme que s’ils n’auoient point du tout esté pliés, mais seulement qu’ils vinsent de quelque lieu qui fust plus proche. Et en suite, que ceux qui viendront de diuers points, s’estant croisés dés l’entrée de ce tuyau, ne se decroysent point à la sortie, mais qu’ils aillent vers l’œil en mesme façon que s’ils venoient d’vn obiet qui fust plus grand, ou plus proche. Comme si le tuyau HF est rempli d’vn verre tout solide, dont la superficie GHI soit de telle figure, qu’elle face que tous les rayons qui vienent du point X, estant dans le verre tendent vers S ; et que son autre superficie KM les plie de rechef en telle sorte, qu’ils tendent delà vers l’œil en mesme façon que s’ils venoient Maire, p. 82
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du point x, que ie suppose en tel lieu, que les lignes xC, et CS, ont entre elles mesme proportion que XH, et HS ; ceux qui viendront du point V les croyseront necessairement en la superficie GHI, de façon que se trouuant desia esloignés d’eus lors qu’ils seront à l’autre bout du tuyau, la superficie KM ne les en pourra pas rapprocher, principalement si elle est concaue, ainsi que ie la suppose, mais elle les renuoyra vers l’œil, à peu prés en mesme sorte que s’ils venoient du point y. au moyen de quoy ils formeront l’image RST d’autant plus grande, que le tuyau sera plus long. Et il ne sera point besoin, pour determiner AT VI, 159 les figures des cors transparents dont on voudra se seruir à cet effect, de sçauoir exactement quelle est celle de la superficie BCD.

Mais pour ce qu’il y auroit de rechef de l’incommodité à trouuer des verres ou autres tels cors qui fussent assés espais pour remplir tout le tuyau HF, et assés clairs et transparens pour n’empescher Maire, p. 83
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point pour cela le passage de la lumiere : on pourra laisser vuide tout le dedans de ce tuyau, et mettre seulement deux verres à ses deux bouts, qui facent le mesme effet que ie vien de dire que les deux superficies GHI et KLM deuoient faire. Et c’est sur cecy seul qu’est fondée toute l’inuention de ces lunetes composées de deux verres mis aus deux bouts d’vn tuyau, qui m’ont donné occasion d’escrire ce Traite.

Pour la troisiesme condition qui est requise à la perfection de la veuë de la part des organes exterieurs, à sçauoir, que les actions qui meuuent chasque filet du nerf optique, ne soient ny trop fortes ny trop foibles, la nature y a fort bien pourvû, en nous donnant le pouuoir d’estrecir et d’eslargir les prunelles de nos yeux. Mais elle a AT VI, 160 encore laissé à l’art quelque chose à y adiouster. Car premierement lors que ces Actions sont si fortes, qu’on ne peut assés estrecir les prunelles pour les souffrir, comme lors qu’on veut regarder le soleil, il est aysé d’y apporter remede en se mettant contre l’œil quelque cors noir, dans lequel il n’y ait qu’vn trou fort estroit, qui face l’office de la prunelle ; ou bien en regardant au trauers d’vn crespe, ou de quelqu’autre tel cors vn peu obscur, et qui ne laisse entrer en l’œil qu’autant de rayons de chasque partie de l’obiet, qu’il en est besoin pour mouuoir le nerf optique sans le blesser. Et lors que tout au contraire ses actions sont trop foibles pour estre senties, nous pouuons les rendre plus fortes, au moins quand les obiets sont accessibles, en les exposant aux rayons du soleil, tellement ramassés par l’ayde d’vn miroir ou verre bruslant, qu’ils ayent le plus de force Maire, p. 84
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qu’ils puissent auoir pour les illuminer sans les corrompre.

Puis outre cela, lors qu’on se sert des lunetes dont nous venons de parler, d’autant qu’elles rendent la prunelle inutile, et que c’est l’ouuerture par où elles reçoiuent la lumiere de dehors qui fait son office, c’est elle aussy qu’on doit eslargir ou estrecir, selon qu’on veut rendre la vision plus forte ou plus foible. Et il est à remarquer, que si on ne faisoit point cette ouuerture plus large qu’est la prunelle, les rayons agiroient moins fort contre chasque partie du fonds de l’œil, que si on ne se seruoit point de lunetes : et ce en mesme proportion, que les images qu’ils y formeroient seroient plus grandes : sans conter ce que les superficies des verres interposés ostent de leur force. AT VI, 161 Mais on peut la rendre beaucoup plus large, et ce d’autant plus, que le verre qui redresse les rayons, est situé plus proche du point vers lequel celuy qui les a pliés les faisoit tendre. Comme si le verre GgHi fait que tous les rayons qui vienent du point qu’on veut regarder tendent vers S, et qu’ils soient redressés par le verre KLM, en sorte que de là de la ils tendent paralleles vers l’œil : pour trouuer la plus grande largeur que puisse auoir l’ouuerture du tuyau, il faut faire la distance, qui est entre les points K et M, esgale au diametre de la prunelle ; puis tirant du point S deus lignes droites qui passent par K et M, à sçauoir SK, qu’il faut prolonger iusques à g ; et SM, iusques ài ; on aura gi, pour le diametre qu’on cherchoit. Car il est manifeste que si on la faisoit plus grande, il n’entreroit point pour cela dans l’œil plus de rayons du point vers lequel Maire, p. 85
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on dresse sa veuë, et que pour ceux qui y viendroient de plus des autres lieus, ne pouuans ayder à la vision, ils ne feroient que la rendre plus confuse. Mais si au lieu du verre KLM, on se sert de klm, qui à cause de sa figure doit estre mis plus proche du point S, on prendra de rechef la distance entre les points k et m esgale au diametre de la prunelle ; puis tirant les lignes droites SlkG, et SmI, on aura GI, pour le diametre de l’ouuerture cherchée, AT VI, 162 qui comme vous voyés est plus grand que gi, en mesme proportion que la ligne SL surpasse Sl. Et si cette ligne Sl n’est pas plus grande que le diametre de l’œil, la vision sera aussy forte à peu prés, et aussy claire, que si on ne se seruoit point de lunetes, et que les obiets fussent en recõpense plus proches qu’ils ne sont, d’autant qu’ils paroissent plus grands. En sorte que si la longeur du tuyau fait, par exemple, que l’image d’vn obiet esloigné de trente lieues se forme aussy grande dans l’œil, que s’il n’estoit esloigné que de trente pas ; la largeur de son entrée estant telle que ie viens de la determiner, fera que cet obiet se verra aussy clairement, que si, n’en estant veritablement esloigné Maire, p. 86
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que de trente pas, on le regardoit sans lunetes. Et si on peut faire cette distance entre les points S et lencore moindre, la vision sera encore plus claire.

Mais cecy ne sert principalement que pour les obiets inaccessibles ; car pour ceus qui sont accessibles l’ouuerture du tuyau peut estre d’autant plus estroite qu’on les en aproche d’auantage, sans pour cela que la vision en soit moins claire. Comme vous voyés qu’il n’entre pas moins de rayons du point X dans le petit verre gi, que dans le grand GI. Et enfin elle ne peut estre plus large que les verres qu’on y applique, lesquels à cause de leurs figures ne doiuent point exceder certaine grandeur, que ie determineray cyapres.

Que si quelquefois la lumiere qui vient des obiets est trop forte, il sera bien aysé de l’affoiblir, en couurant tout autour les extremités du verre qui est à AT VI, 163 l’entrée du tuyau : ce qui vaudra mieus que de mettre audeuant quelques autres verres plus troubles ou colorés, ainsi que plusieurs ont coustume de faire pour regarder le soleil : car plus cette entrée sera estroite, plus la vision sera distincte. ainsi qu’il a esté dit cydessus de la prunelle. Et mesme il faut obseruer, qu’il sera mieux de couurir le verre par le dehors que par le dedans, afin que les reflexions, qui se pouroient faire sur les bords de sa superficie, n’enuoyent vers l’œil aucuns rayons : car ces rayons ne seruans point à la vision, y pouroient nuire.

Il n’y a plus qu’vne condition qui soit desirée de la part des organes exterieurs, qui est de faire qu’on aperçoiue Maire, p. 87
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le plus d’obiets qu’il est possible en mesme temps. Et il est à remarquer qu’elle n’est aucunement requise pour la perfection de voir mieux ; mais seulement pour la commodité de voir plus ; estet mesme qu’il est impossible de voir plus d’vn seul obiet à la fois distinctement : en sorte que cette commodité, d’en voir cependant confusement plusieurs autres, n’est principalement vtile, qu’afin de sçauoir vers quel costé il faudra par aprés tourner ses yeux, pour regarder celuy d’entre eux qu’on voudra mieux considerer. Et c’est à quoy la nature a tellement pourvû, qu’il est impossible à l’art d’y adiouster aucune chose : mesme tout au contraire, d’autant plus que par le moyen de quelques lunetes on augmente la grandeur des lineamens de l’image qui s’imprime au fonds de l’œil ; d’autant fait on qu’elle represente moins d’obiets : à cause que l’espace qu’elle occupe ne peut aucunement estre augmenté, si ce n’est peut estre de fort peu en la renuersant, AT VI, 164 ce que ie iuge estre à reietter pour d’autres raisons. Mais il est aysé, si les obiets sont accessibles, de mettre celuy qu’on veut regarder en l’endroit où il peut estre vû le plus distinctement au trauers de la lunete ; et s’ils sont inaccessibles, de mettre la lunete sur vne machine, qui serue à la tourner facilement vers tel endroit determiné qu’on voudra. Et ainsi il ne nous manquera rien de ce qui rend le plus cette quatriesme condition considerable.

Au reste, afin que ie n’obmette icy aucune chose, i’ay encore à vous auertir, que les defauts de l’œil, qui consistent en ce qu’on ne peut assés changer la figure de l’humeur cristaline, ou bien la grandeur de la prunelle, se Maire, p. 88
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peuuent peu à peu diminuer et corriger par l’vsage ; à cause que cette humeur cristaline, et la peau qui contient cette prunelle, estant de vrais muscles, leurs fonctions se facilitent et s’augmentent lors qu’on les exerce ; ainsi que celles de tous les autres muscles de nostre cors. Et c’est ainsi que les chasseurs et les matelots en s’exerçant à regarder des obiets fort esloignés ; et les graueurs ou autres artisans, qui font des ouurages fort subtils, à en regarder de fort proches ; acquerent ordinairement la puissance des les voir plus distinctement que les autres hommes. Et c’est ainsi aussy, que ces Indiens qu’on dit auoir pû fixement regarder le soleil, sans que leur veuë en fust offusquée, auoient deu sans doute auparauant, en regardant souuent des obiets fort esclatans, accoustumer peu à peu leurs prunelles à s’estrecir plus que les nostres. Mais ces choses apartienent plustost à la Medecine, dont la fin est de remedier aus defauts de AT VI, 165 la veuë par la correction des organes naturels, que non pas à la Dioptrique, dont la fin n’est que de remedier aus mesmes defauts par l’application de quelques autres organes artificiels.