Clerselier III, 137

AU R. PERE MERSENNE.
Réponse de M. Hobbes à la Lettre precedente.

LETTRE XXXII. Version de la precedente.

MON REVEREND PERE,
I’ay bien du regret de ce que les difficultez que par vostre ordre ie vous avois proposées dans ma derniere n’ont pû plaire à Monsieur Descartes ; tant parce que ie fais beaucoup d’estime de son Esprit, que parce que ie ne voy encore aucune raison pourquoy ie doive changer ce qu’il reprend en ce que ie vous ay écrit ; Et sans mentir ie me corrigerois fort volontiers de mes fautes, si ie pouvois reconnoistre en quoy ie me suis trompé ; Car iusques icy ie n’ay encore rien donné au public, qui me puisse obliger à les deffendre avec opiniastreté, pour soûtenir par là en quelque façon mon honneur. Toutesfois, afin que l’estime quelle qu’elle soit que vous pouvez faire de moy ne soit point opprimée par l’authorité d’un si grand homme, i’ay crû que ie devois répondre icy, avec toute la clarté et la briéveté qu’il m’est possible, aux objections qu’il vous a faites, selon l’ordre que vous me les avez envoyées.

Vous dites premierement que Monsieur Descartes ne reconnoist point que cét esprit Interne que ie suppose, soit la mesme chose que sa matiere subtile.

A quoy ie répons, que par cét esprit i’ay dit que i’entendois un corps subtil et fluide ; Or ie ne voy pas quelle difference il y a entre un corps subtil et une matiere subtile.

En second lieu, vous apportez les raisons qu’il a de ne le pas reconnoistre, qui sont deux ; la premiere, que ie dis que cét esprit Interne est la cause de la dureté, là où il veut que Clerselier III, 138 sa matiere subtile soit la cause de la mollesse ; la seconde, parce qu’il ne voit pas comment cét esprit, qui de sa nature est tres-mobile, peut estre si bien renfermé dans les corps durs qu’il n’en sorte iamais, ny comment il y entre pour les rendre durs.

Mais ie vous demande mon Reverend Pere (car c’est vous seul que ie tasche maintenant de satisfaire) vous est-il impossible de concevoir que cét esprit fluide et subtil puisse avoir un tel mouvement et si prompt, que ses parties feront plus de resistance, ou cederont moins à nostre attouchement et impulsion, que si ces mesmes parties estoient muës d’une autre façon et moins viste ? Or qu’est-ce qu’un corps dur, sinon celuy dont les parties, quand le tout subsiste, cedent moins à l’effort du corps qui est poussé contre luy ; et un corps mol, sinon celuy dont les parties cedent davantage ? Que si cela est veritable, comme il le peut estre (car i’ay seulement supposé cette diversité de mouvement dans les esprits, comme une chose possible) il s’ensuivra que le mesme corps subtil, ou la mesme matiere subtile, sera la cause de la dureté et de la mollesse, selon qu’elle se mouvra plus ou moins vite, et d’une certaine ou differente façon. Par consequent la premiere raison qu’il allegue pour nier que cét esprit Interne soit la mesme chose que sa matiere subtile, fait plustost voir la volonté que la raison qu’il a de contredire. Quant à la seconde, c’est à sçavoir, qu’il ne voit pas comment cét esprit, qui de sa nature est tres-mobile, peut estre si bien renfermé dans les corps durs qu’il n’en sorte iamais, ny comment il y entre pour les rendre durs, ie dis qu’elle n’est pas non plus suffisante pour le porter à contredire, mais bien pour faire qu’il examine la chose de plus prés et avec plus de soin ; Car ie n’ay pas dit que les corps devenoient durs par l’entrée de ces esprits, ny qu’ils devenoient mols par leur sortie, mais que ces esprits subtils et liquides pouvoient par la vehemence de leur mouvement constituer des corps durs, comme des diamans, et par leur lenteur pouvoient en constituer de mols, comme de l’eau ou de l’air. Or cette Clerselier III, 139 hypothese, qui pour rendre raison de la dureté, suppose dans les corps durs, plus de vehemence dans le mouvement des esprits, que non pas dans les autres, ne me semble pas inferieure à celle de Monsieur Descartes, qui la fait consister dans de certains entrelacemens et entortillemens de ses atomes, par le moyen desquels les parties des corps durs demeurent jointes et attachées les unes aux autres. Car si quelqu’un luy demandoit par quels liens et par quels nœuds les parcelles de ces plus grosses parties qu’il suppose estre dans les corps durs se joignent ensemble, ie m’assure qu’il auroit de la peine à répondre, et qu’il ne pourroit trouver un meilleur moyen pour se demesler d’une semblable question, qu’en supposant un certain mouvement de la matiere subtile dans ces atomes mesmes qu’il dit estre les plus petits.

En troisiéme lieu, vous dites qu’il ne demeure pas d’accord qu’il eust parlé plus clairement, si au lieu de dire la determination, il avoit dit le mouvement determiné, et voici sa raison. Car, dit-il, encore bien que l’on puisse dire que la vitesse de la balle qui va d’A vers B soit composée de deux autres vitesses ; à sçavoir, de celle d’A vers H, et de celle d’A vers C, i’ay crû neantmoins que ie devois m’abstenir de cette façon de parler, de peur que l’on ne vinst à entendre par là, que la quantité de ces vitesses et la proportion de l’une à l’autre, demeure dans le mouvement ainsi composé, ce qui n’est nullement vray. Car si cela estoit, si nous supposions par exemple qu’une balle fust meuë d’A vers la droite avec un degré de vitesse, et de haut en bas pareillement avec un degré, elle parviendra au point B avec deux degrez de vitesse, dans le mesme temps qu’une autre balle qui seroit aussi meuë d’A vers la droite avec un degré de vitesse, et de haut en bas avec deux degrez, parviendra au point G avec trois degrez de vitesse. D’où il s’ensuivroit que la proportion de la ligne AB à la ligne AG seroit comme 2. à 3. laquelle toutesfois est comme 2. à r. 10.

Clerselier III, 140 Ie répons à cela, que puisque Monsieur Descartes confesse qu’on peut dire que la vitesse de la balle qui va d’A vers B est composée de deux autres ; à sçavoir de celle d’A vers H, et de celle d’A vers C, il devoit aussi confesser que cela est vray ; puis qu’il dit luy-mesme qu’un Philosophe ne peut rien dire en bonne Philosophie qui ne le soit. Mais il s’est abstenu de cette façon de parler, parce que de là il semble, dit il, qu’on en peut conclure une chose fausse ; c’est à sçavoir, que la raison de la ligne AB à la ligne AG n’est pas comme 2. à r. 10. mais comme 2. à 3. Toutesfois ie ne voy pas qu’en cela il ait eu raison : Car si c’est à tort qu’on en infere cette fausseté, il ne devoit pas se mettre en peine des Paralogismes dans lesquels les autres pouvoient tomber. Aussi ie ne puis croire que ce soit cela qui l’ait enpesché de s’en servir ; c’est plustost qu’il a crû luy-mesme qu’on en pouvoit veritablement tirer cette consequence ; car on voit en effet qu’il la tire, mais par un faux raisonnement, ainsi que ie vas vous faire voir. Car bien que nous supposions qu’une balle soit meuë d’A vers la droite avec un degré de vitesse, et de haut en bas avec aussi un degré, ce n’est pas à dire qu’elle parvienne en B avec deux degrez de vitesse ; De mesme si elle est meuë vers la droite avec un degré de vitesse, et de haut en bas avec deux degrez, elle ne parviendra pas en G avec trois degrez de vitesse, comme il le pretend ou le suppose. Et pour le prouver, supposons les deux lignes droittes AB, AC inclinées l’une vers l’autre en sorte qu’elles fassent un angle droit ; et que la vitesse d’A vers B soit à la vitesse d’A vers C comme AB est à AC, ces deux vitesses composent la vitesse qui est de B vers C. Ie dis que la vitesse de B vers C, est à la vitesse d’A vers C, ou bien à celle d’A vers B, comme la droitte BC est à la droite AC, ou AB. Maintenant du point A soit menée la ligne AD perpendiculaire à BC, et par le mesme point soit menée la ligne FAE Clerselier III, 141 parallele à la mesme ligne BC ; Puis des points B et C soit abaissées sur FE les perpendiculaires BF, CE ; Puis donc que le mouvement d’A vers B est composé des deux mouvemens d’F vers A, et d’F vers B, le mouvement composé AB ne contribuera pas plus de vitesse au mouvement de B vers C, que luy en peuvent contribuer les deux dont il est composé, à sçavoir FA et FB. Mais celuy de FB ne contribuë rien au mouvement de B vers C, car il est determiné vers le bas, et ne tend point du tout de B vers C. Il n’y a donc que celuy de FA qui sert au mouvement de B vers C. De mesme on prouvera que le mouvement AC ne contribuë au mouvement de D vers C que par celuy d’AE. Mais la vitesse que le mouvement AB tire de celuy d’FA, et par laquelle le mouvement AB contribuë à celuy de B vers C, est à vitesse totale d’AB, comme FA ou BD est à AB. De mesme la vitesse que AC tire d’AE est à la vitesse totale d’AC, comme AE ou DC est à AC. Par consequent les deux vitesses qui contribuent au mouvement de B vers C jointes ensemble, sont à la seule vitesse qui est en AG, ou à celle qui est en AB, comme la toute BC est à la ligne AC ou AB. Et partant en la figure precedente les vitesses d’AB, AG seront entre elles comme les lignes mesmes AB, AG. C’est à dire comme r. 2. à r. 5. ou bien comme r. 4. à r. 10. ou enfin comme 2. à r. 10. et non pas comme 2. à 3. Ce qui monstre que cette absurdité ne suit nullement de cette façon de parler, ainsi que le croyoit Monsieur Descartes. Et par là vous voyez mon Reverend Pere, combien il est facile aux plus sçavans mesme, de tomber quelquefois en Paralogisme, par la trop grande confiance qu’ils ont en leur capacité.

En quatriéme lieu, vous me mandez qu’il dit que ie ne devois pas dire que la terre faisoit perdre la vitesse de la balle, parce qu’il avoit supposé le contraire ; et que cela est contre l’experience ; autrement une balle tombant Clerselier III, 142 perpendiculairement sur la terre iamais ne rejailliroit.

Ie répons que dans ma Lettre ie n’ay point du tout changé ou destruit son hypothese, mais i’ay dit que luy-mesme l’avoit renversée, et partant qu’il n’avoit pas dû s’en servir, (car quant à mon opinion, i’estime que le mouvement ne se peut perdre ou oster, ny partant diminuer.) Mais afin que vous puissiez iuger vous mesme s’il a destruit ou non son hypothese, servons nous de sa figure. Il suppose qu’A se meut vers B, et qu’il va tousiours d’égale vitesse, mais neantmoins qu’il ne suit pas tousiours la mesme determination, c’est à dire que le mobile va tousiours aussi viste, mais qu’il ne va pas tousiours par le mesme chemin, ou par la mesme ligne de direction ; ie luy accorde. De plus il dit que la determination qui fait que le mobile va d’A vers B, est composée de deux autres, dont l’une le porte en bas, à sçavoir d’A vers C, et l’autre vers la droite, ou d’A vers H ; ie luy accorde aussi. De là il croit prouver que le mouvement qui a fait aller la balle d’A iusques à B, la doit apres cela faire aller de B vers F, par l’angle FBE égal à l’angle ABC sans changer ou destruire son hypothese ; et c’est ce que i’ay nié. Car quand la balle qui se meut d’A vers B sera parvenuë au point B, elle doit perdre la determination qu’elle avoit d’aller en bas, c’est à dire d’AH vers CB ; il luy reste donc la determination qu’elle avoit d’aller vers la droite, ou d’AC vers HB ; Or selon luy elle retient tousiours le mesme degré de vitesse qu’elle avoit au commencement, elle ira donc dans le mesme temps au point G de la circonference du cercle AFG. Il a donc dû monstrer que la balle retenant toute la vitesse qu’elle avoit quand elle s’est meuë d’A vers B, il estoit impossible qu’elle allast plus loin dans la determination vers la droite que iusques en E, ce qu’il n’a pû faire sans prendre cette determination d’A vers H, ou vers la droite, pour un mouvement. Aussi y a-t’il de l’apparence qu’il l’a prise pour un mouvement, puisque dans la demonstration qu’il apporte Clerselier III, 143 il luy attribuë de la quantité ; Car la determination ou le chemin que suit la balle n’a point de quantité, sinon entant que selon ce chemin elle décrit une ligne d’une telle ou telle longueur. Or maintenant, si ces deux determinations l’une perpendiculaire et l’autre laterale sont des mouvemens, il est manifeste que quand la balle est parvenuë au point B, elle perd cette partie de son mouvement qui la portoit d’A vers C, et partant apres avoir rencontré la terre au point B, elle va moins viste qu’elle n’alloit auparavant ; ce qui renverse entierement son hypothese. Quant à ce qu’il adjoûte, qu’il est contre l’experience que la terre fasse perdre la vitesse qui portoit la balle en bas, puisque nous voyons que les corps qui tombent perpendiculairement sur la terre rejaillissent aussi perpendiculairement. Ie m’estonne comme il pretend que l’experience nous puisse apprendre, sçavoir si la reflexion qui se fait vers la perpendiculaire vient de ce que le mouvement ne se perd point, ou bien de ce qu’il se restituë par la force du ressort ; car ce mesme effet se peut faire de ces deux manieres. Et ie demeure d’accord que l’experience nous apprend que la reflexion se fait à angles égaux, mais elle ne nous apprend pas par quelle cause.

En cinquiéme lieu, vous dites que Monsieur Descartes demeure volontiers d’accord que la partie de la terre sur laquelle tombe la balle cede tant soit peu, et que l’endroit de la balle qui touche la terre se courbe aussi un peu en dedans, et que l’une et l’autre sçavoir la balle et la terre se restituent en leur premier estat, et que neantmoins il luy semble que cét axiome ; à sçavoir, Ce qui ne cede point à la moindre force ne peut estre emporté par quelque force que ce soit, n’a aucune apparence de vérité.

Réponse ; I’avois pourtant monstré, que si cette moindre force ne fait tant soit peu ceder le corps contre lequel elle heurte, ou qu’elle rencontre, le double de cette mesme force ne sera pas suffisant, à cause que deux fois rien, ce n’est rien ; et ainsi multipliez cette force tant qu’il vous plaira, ce ne sera tousiours rien ; Ce qui sans doute est une demonstration Clerselier III, 144 dont il ne nous a point fait voir le vice. Mais il se contente de dire que cela repugne à l’experience ; parce que si vous mettez dans une balance 100. livres, ces cent livres seront meuës et emportées par 200. livres que vous mettrez de l’autre costé, et ne le seront point par une livre ; Comme si i’avois dit que la moindre force suffit pour mouvoir de sa place non seulement la partie qu’elle heurte et qu’elle touche, mais aussi tout le corps qui est attaché à cette partie. Quand il demeure d’accord que la partie de la terre que rencontre la balle cede quelque peu à son effort, entend-il que toute la terre change de place ? Ie ne le croy pas. Pourquoy donc ne sera ce pas assez pour la preuve de ma proposition, de dire que de mesme que la terre est pressée et enfoncée en partie par l’effort d’une balle qu’on a iettée contre ; de mesme aussi le fleau d’une balance est un peu tiré, et deprimé ou abbaissé en partie, par le poids d’une balle qui y est suspenduë. Et de mesme que la force dont une balle est poussée contre la terre estant multipliée, suffit pour mouvoir toute la terre ; de mesme aussi la force du poids d’une livre, ou d’une balle, ou si voulez mesme d’une plume, estant multipliée, suffit pour enlever le poids de cent livres.

En sixiéme lieu, quant à ce que vous dites, qu’il soûtient que le bond ou le rejaillissement d’une balle, est tousiours plus empesché de ce que la balle et la terre cedent l’une à l’autre, qu’il n’est aidé par leur ressort ; Et que de là l’on peut demonstrer que la reflexion d’une balle, et des autres semblables corps qui ne sont pas tout à fait durs, ne se fait iamais precisement à angles égaux.

Ie répons, que cela est vray à l’égard d’une balle et des autres semblables corps ; parce que non seulement leur vitesse est continuellement diminuée par la pesanteur, mais aussi parce que les corps sur lesquels ils tombent ne recompensent iamais parfaitement la perte de cette vitesse ; c’est pourquoy quand ie me suis servy de l’exemple d’une balle, pour le rapporter à la reflexion que fait la lumiere, ie supposois que son mouvement ne se diminuoit point en allant, et que Clerselier III, 145 celuy qu’elle perdoit à la rencontre du corps qui luy faisoit resistance luy estoit entierement restitué. Mais quant à la lumiere, dont le mouvement n’est point empesché ou diverty, ny par la pesanteur, ny par la legereté, et dont la matiere est tres-mobile, et partant donc tout le mouvement peut tres-aisément estre restitué par le corps qui luy fait resistance, il est evident que l’égalité des angles d’incidence et de reflexion peut aisément estre expliqué par ce ressort des corps.

En septiéme lieu, il dit que c’est vainement et inutilement que i’apporte pour raison de l’égalité des angles de reflexion cette mollesse de la terre, veu principalement que de là il s’ensuivroit que si la terre et la balle estoient si dures qu’elles ne peussent en aucune façon se plier ou courber en dedans, il ne se feroit aucune reflexion ; ce qui est, dit il, incroyable et contre le bon sens.

Ie répons premierement, que ie n’attribuë point la reflexion à la mollesse de la terre, non plus qu’à celle du verre ou de l’acier ; Mais que l’experience m’a appris que plus les corps qui se rencontrent sont durs, et plus forte est la reflexion ; pourveu que leur dureté ne soit pas actuellement infinie (ce qui est impossible) Car si leur dureté n’est pas actuellement infinie, elle cedera à quelque force, et partant aussi à la moindre, comme i’ay monstré cy-devant ; Or les choses dures, plus dures elles sont, et plus fortement elles se restituent, et font ressort, c’est pourquoy la reflexion en est dautant plus grande ou plus forte. Que si quelqu’un vouloit supposer que la dureté fust actuellement infinie (ce que ie tiens impossible) tant de la part du corps qui en rencontre un autre, que de la part de celuy qui est rencontré, iamais personne ne pourra connoistre par experience s’il se feroit reflexion ou non. Car par exemple que le corps qui descend par la ligne AB soit infiniment dur, et que celuy sur lequel il descend, et qu’il rencontre au point B le soit Clerselier III, 146 aussi, quelle raison peut il y avoir pourquoy il ne s’arreste pas en B, ou pourquoy (posé qu’il se puisse rompre) une partie ne se mouvra pas par la ligne BC, et l’autre par la ligne BD. Que s’il tombe obliquement sur CD par la ligne EB, qui empesche (posé qu’il se rompe) qu’une partie, et peut-estre la plus grande, ne s’en aille par BC, et que la moindre aille par BD ; Car de ce que nous voyons que cela se fait autrement, cela peut venir de ce qu’il n’y a point de corps qui soient infiniment durs.

En huitiéme lieu, quant à ce que vous dites qu’il n’approuve pas la distinction que i’ay apportée entre la refraction des corps qui parcourent les deux milieux, comme quand une balle va et passe de l’air dans l’eau, et celle de ceux qui ne les parcourent point, à cause, dit-il, qu’aux uns et aux autres la rarefraction se fait vers le mesme endroit, quand les corps sont de mesme genre.

Ie répons, que ie ne conçois pas bien quels sont les corps qu’il range sous un mesme ou sous un different genre. Pour moy ie conçois deux differentes sortes de propagation du mouvement, quoy que dans un mesme genre de corps. Car par exemple, une balle peut rompre le corps dur qu’elle parcourt, et se faire passage au travers, et alors ie dis que le chemin de la balle se rompt dans le corps dur en s’éloignant de la perpendiculaire ; ou bien la mesme balle peut estre repoussée par la dureté du corps où elle passe, en sorte neantmoins que le mouvement se répand et se continuë successivement dans toute l’épaisseur de ce corps (ainsi que le mouvement se répand dans toute la cloche quand elle est frappée par un marteau, ou bien comme la lumiere se répand quand elle passe dans un corps plus dur que celuy d’où elle venoit) et alors i’ay dit que la refraction se fait vers la perpendiculaire ; Or Monsieur Descartes n’a point refuté cette distinction, et partant ie ne dois point la changer, s’il ne m’apporte quelque raison ou experience au contraire. Car pour les suppositions qu’il avance touchant les paroys des pores par où la lumiere passe, et touchant le plus ou Clerselier III, 147 moins de vitesse dans un corps dur que dans un mol, ou dans un dense que dans un rare (car ie ne sçay pas bien encore lequel des deux ie dois dire, iusques à ce qu’il nous ait donné ses definitions du corps dur et du corps mol, comme aussi celle du dense et du rare, ce qu’il n’a point encore fait dans les Escrits qu’il nous a donnez) elles ne sont rien moins à mon advis que des demonstrations, puis qu’elles n’en suivent pas les regles et la methode.

En neufiéme lieu, vous dites que Monsieur Descartes n’estime pas que i’aye rien dit contre sa demonstration touchant la refraction, laquelle pourtant i’avois condamnée ; et qu’il luy semble que ie n’ay pas pris garde à la difference qui est entre la refraction d’une balle et des autres corps qui tombent ou entrent dans l’eau, et celle de la lumiere.

Ie répons, que i’ay fort bien remarqué cette distinction ; Ie l’ay mesme rapportée et soûtenuë en l’article precedent contre Monsieur Descartes qui l’avoit condamnée. Maintenant, de sçavoir si ie n’ay rien dit contre son explication de la refraction, c’est à vous, mon Reverend Pere à en iuger, vous qui avez ma Lettre entre les mains. Il confesse pourtant que ie luy ay objecté quelque repugnance de son hypothese avec l’experience, et cela n’est pas peu de chose, cependant il n’y répond point. I’ay à la verité observé dans les fleuves, que l’eau alloit plus viste entre les batteaux qu’aux autres lieux où elle est libre, et où elle n’est point empeschée ; Mais cét exemple ne se peut appliquer à nostre question ; parce que dans les fleuves, le mouvement plus rapide de l’eau qui coule entre des batteaux, vient de son élevation, et comme elle est en ces lieux-là plus chargée qu’ailleurs, sa pesanteur luy donne du mouvement et de la vitesse ; Ce qui ne peut arriver à la matiere subtile qui coule dans les pores des corps durs : car il ne se fait là aucune élevation, et cette matiere subtile n’a point de pesanteur. De mesme, quand un corps pesant se meut plus tentement sur un tapis de soye que sur une table de marbre, cela vient de ce que les parties de devant du tapis qui sont élevées, s’opposent au corps Clerselier III, 148 pesant qui les touche et qui les presse, et empeschent le mouvement du tout, à cause de l’union et de la consistence de ses parties ; mais cela ne peut arriver à la matiere subtile qui est fort fluide, et qui n’a point de pesanteur ; Adjoûtez à cela qu’un corps plat se meut plus facilement sur un tapis de soye, du sens que ses petits poils sont couchez, que de l’autre, pourveu que l’extremité du corps qui est meu soit tant soit peu élevée au dessus de l’extremité du tapis, et que ses petits poils ne fassent point d’effort pour se restituer en leur situation ; Tous lesquels empeschemens ne se rencontrent point dans le mouvement de la matiere subtile lors qu’elle coule dans les pores des corps durs.

En dixiéme lieu, Monsieur Descartes se plaint, dites-vous, que ie luy veux faire accroire qu’il a imputé toute la perte de la vitesse au mouvement d’en bas, là où au contraire il a tousiours tres-constamment dit que cette perte se doit imputer à tout le mouvement consideré simplement.

Réponse ; I’avoüe qu’il a dit en termes exprés qu’il falloit imputer cette perte à tout le mouvement. Mais ayant dit dans le premier exemple qu’il a apporté, que la seule determination perpendiculaire, et non la laterale ou vers la droite, estoit diminuée par la rencontre de la toile ; Il a dit par consequent que tout le mouvement perpendiculaire estoit diminué : Car la determination ne le peut estre, si par elle l’on n’entend le mouvement. Par consequent il n’a pas tousiours constamment dit que la perte du mouvement se devoit imputer à tout le mouvement simplement pris. Si donc il se trouve avoir dit l’une et l’autre de ces deux choses contradictoires, il ne doit pas trouver mauvais si ie luy en attribuë l’une ; et ce n’est point luy rien imposer, ou attribuer à faux. De plus, s’il impute toute la perte de la vitesse à tout le mouvement, et s’il n’en impute aucune au mouvement lateral ou vers la droite, il faut par necessité qu’il impute toute cette perte au seul mouvement perpendiculaire.

Vous voyez si ie ne me trompe, mon R. P. par toutes ces réponses, qu’il ne m’a pas esté difficile de répondre clairement Clerselier III, 149 et briévement neantmoins à toutes ses objections ; D’où il est manifeste que cét homme sçavant et qui a beaucoup d’esprit, soit par negligence ou par prevention, n’a pas donné assez d’attention aux choses que i’avois écrites ; Ie veux bien pourtant que vous luy fassiez voir le reste du contenu en cette mesme Lettre, qui concerne la refraction ; car il verra par là que le Parallelogramme dont ie me suis servy pour expliquer la refraction de la balle, n’appartient point du tout à la refraction de la lumiere, comme il s’imagine. Pour ce qui est de cette demonstration de mon amy, si elle ne s’est perduë par l’accident que vous sçavez, i’espere l’avoir la semaine prochaine, si ie l’ay ie vous la feray voir, et ie n’empescheray point aussi que Monsieur Descartes ne la voye. I’admire la force de son esprit, mais ie souhaitterois qu’il apportast aux choses un peu plus de diligence ; Et si par vostre moyen i’estois si heureux qu’il la voulust employer à lire mes ouvrages, il n’y a personne à la censure de qui ie voulusse plus volontiers les soûmettre.
Ie suis,