AUTRE REPLIQUE DE MONSIEUR
de Fermat à Monsieur Clerselier.
Du 16. Iuin 1658.

LETTRE XLVIII.

MONSIEUR,
Nous laissâmes dernierement la balle de Monsieur Descartes en grande peine ; C’est dans la figure de la page 19. de la Dioptrique, où elle faisoit tous ses efforts pour sortir du point B à l’honneur de Monsieur Descartes, mais elle y trouva toutes les issuës fermées en suivant le raisonnement de cét autheur ; et nous ne pouvons mesme luy donner presentement Clerselier III, 227 de secours, si nous ne faisons changer de biais à sa Logique.

Reprenons la figure de la page 15. et supposons que la balle qui va dans la droite AB diminuë sa vitesse de moitié en arrivant au point B. Si elle continuoit dans le mesme milieu, et que le plan CBE ne luy fust point opposé, elle iroit tousiours en ligne droite vers D ; avec cette difference pourtant qu’elle employeroit depuis B iusques à D le double de temps qu’elle avoit mis depuis A iusques à B. Mais si en supposant la mesme diminution de vitesse au point B, nous supposons que le plan CBE impenetrable à la balle se trouve maintenant entre deux, et empesche que la balle ne passe au dessous ; Ie dis qu’elle se refléchira aussi bien à angles égaux, que si la vitesse et le mouvement demeuroit le mesme : Car puisque l’interpretationl’interposition du plan n’empesche que l’une des parties dont la determination est composée, et que celle de gauche à droite demeure la mesme ; donc la balle avancera autant vers la droite qu’elle eust fait au dessous, si le plan n’eust pas empesché sa route. Or si le plan CBE ne faisoit point d’obstacle, la balle qui diminuë sa vitesse de moitié au point B, mettroit le double du temps depuis B iusques à D, qu’elle avoit mis depuis A iusques à B ; Et lors qu’elle seroit au point D, elle auroit avancé vers la droite iusques en E, elle mettroit donc le double du temps à s’avancer depuis B iusques à E, qu’elle auroit fait à s’avancer depuis C iusques à B ; Et il y a mesme raison de AB à BC, que de BD à BE, parce que les angles ABC, DBE sur les deux droites AD et CE sont égaux ; et par consequent les triangles ABC, DBE semblables. Nous pouvons faire le mesme raisonnement au dessus, si du point E nous élevons la perpendiculaire EF, et dire que lors que la balle sera à l’un des points de la circonference, Clerselier III, 228 comme F, elle y aura mis le double du temps qu’elle avoit mis depuis A iusques à B ; puisque le plan que nous supposons maintenant entre deux, ne fait rien de nouveau qu’empescher la determination de haut en bas ; Et partant la determination de gauche à droite sera pour lors marquée par le mesme point E ; Et par consequent comme F B sera à EB, ainsi la droite AB sera à BC ; D’où il suit que les angles ABC, FBE seront toûjours égaux, de quelque maniere et en quelque proportion que la vitesse ou le mouvement changent. Si Monsieur Descartes eust pris garde qu’en quelque maniere que la vitesse change au point B, la reflexion ne laisse pas de se faire à angles égaux, il n’eust pas esté en peine, ny ses amys non plus, de tirer la balle du point B, où ils l’ont veuë malheureusement engagée dans l’exemple de ma derniere Lettre. Il n’eust pas soûtenu que la vitesse venant à changer au point B, la balle ne laisse pas d’avancer vers la droite autant qu’elle faisoit auparavant. Il n’eust pas deduit d’un fondement non seulement incertain, mais encore faux, sa proportion des refractions ; Et enfin il n’eust pas esquivé dans la figure de la page 19. de determiner sous quel angle la balle estant au point B se refléchit vers le point L. Car quoy qu’il paroisse par son discours, et par l’inspection mesme de la figure, qu’il a entendu que cette reflexion se fait à angles égaux, il a laissé un petit scrupule dans l’esprit des Lecteurs, qui peuvent raisonnablement douter si dans l’exemple de Monsieur Descartes la balle diminuë sa vitesse au point B, ou non. Si elle la diminuë, la reflexion ne se pourroit pas faire à angles égaux en suivant le raisonnement de Monsieur Descartes. Que si la balle ne diminuë point sa vitesse au point B, y a-t’il rien de plus contraire aux loix inviolables de la pure Geometrie, qui ne veut point qu’on Clerselier III, 229 puisse aller d’une extreme à l’autre sans passer par tous les degrez du milieu. Or Monsieur Descartes et ses amis soûtiennent que la balle qui est poussée sur l’eau, ou sur la toile, diminuë sa vitesse également en toutes les inclinations, lors qu’elle la traverse, et que cette diminution se fait dés le point B. Comment donc peut-on concevoir que dés le premier angle où elle se refléchit, sa vitesse ne diminuë point du tout, et qu’il n’en puisse pourtant estre pris aucun plus grand, auquel elle ne diminuë d’une certaine quantité qui soit tousiours la mesme ? Ne seroit-il pas plus Geometrique et plus naturel de soûtenir dans le sentiment de Monsieur Descartes, que la diminution de la vitesse se fait inégalement ; Que cette diminution est la plus grande de toutes dans la cheute perpendiculaire d’H vers B, et qu’elle se rend tousiours moindre à mesure que les inclinations varient, iusqu’à ce qu’elle devienne nulle ; Ce que Monsieur Descartes a peut-estre crû arriver lors qu’elle se refléchit. Mais, parce que nous venons de prouver que soit que la vitesse augmente ou qu’elle diminuë au point B, la reflexion ne laisse pas de se faire à angles égaux, nous ne devons pas nous mettre en peine de rechercher plus soigneusement la conduitte secrette dont se sert la nature en affoiblissant la vitesse de la balle ou également ou inégalement à mesure que les inclinations viennent à changer.

Mais que deviendra le raisonnement qui se doit faire au dessous du plan CBE en la page 17. par exemple, il sera le mesme que le precedent ; Car que la vitesse diminuë au point B, ou par la rencontre de la toile, ou par quelqu’autre voye qui vienne d’ailleurs, c’est toute la mesme chose. Et puisque qu’en la figure de la page 17. la balle perce la toile, et qu’au point B la vitesse diminuë de moitié, elle ne peut Clerselier III, 230 iamais avoir la determination vers la droite pareille à celle qu’elle auroit s’il n’y avoit point de toile, et que pourtant la vitesse diminuast de moitié au point B, qu’en continuant tousiours sa route dans la droite ABD. Vous repliquerez ; Mais à ce conte là, la determination de haut en bas ne changeroit pas non plus par la rencontre de la toile ; ie l’avoüe. Et pour oster et éclaircir pleinement cette difficulté, il ne faut que dire que vous ne tirerez iamais autre chose du raisonnement des mouvemens et des determinations composées de Monsieur Descartes, sinon que la reflexion se fait tousiours à angles égaux, et que la penetration du second milieu se doit tousiours faire en ligne droite ; A quoy mesme se rapporte ce que vous dites dans vostre dernier Escrit, que la balle a tousiours une mesme aisance à penetrer le second milieu en toutes sortes d’inclinations. D’où il doit suivre, dans l’application du raisonnement de Monsieur Descartes, qu’en toutes sortes de cas la reflexion se fera à angles égaux, et que la penetration se fera de mesme en tous les cas en ligne droite ; le mouvement de dessous en ligne droite suivant les mesmes loix, et répondant iustement au mouvement de dessus à angles égaux. Mais il n’y aura donc point de refraction, me direz-vous ? ie replique que le mouvement de la balle et la refraction ne se ressemblent que par la comparaison imaginaire de Monsieur Descartes ; Et qu’au pis aller, si le détour de la balle en passant par le second milieu est veritable, il en faut chercher la raison ailleurs que dans la composition des mouvemens, qui ne produira iamais en cette rencontre qu’un cercle Dialectique, de quelque biais que vous le preniez ; Il faudra examiner les principes secrets dont se sert la Nature en produisant la refraction ; Et si celuy que i’ay touché dans ma Lettre à M. de la Chambre ne vous plaist pas, ie souhaitte qu’il vous en vienne un meilleur en l’esprit, et que cette vieille dispute aboutisse enfin à la pleine et entiere découverte de la verité. Ie suis de tout mon cœur,
MONSIEUR,
Vostre tres-humble serviteur, FERMAT.