AT II, 15

A MONSIEUR MIDORGE,
Réponse à la replique de Monsieur de Fermat, au
sujet de la Dioptrique.

LETTRE XLII.

MONSIEUR,
I’ay appris du Reverend Pere Mersenne que vous avez il y a quelque temps soûtenu mon party en sa presence ; et l’affection que vous m’avez tousiours témoignée m’assure que vous faites le semblable en toutes les occasions, lesquelles Clerselier III, 193 ne manquent pas sans doute d’estre frequentes ; car i’apprens qu’on me met souvent sur le tapis en bonne compagnie. Ie ne veux pas m’estendre icy sur les complimens pour vous remercier ; car mes paroles ne pourroient égaler mon ressentiment. Mais ie veux faire comme ceux qui ont coustume d’emprunter de l’argent ; ils s’adressent tousiours AT II, 16 plus librement à ceux à qui ils doivent desia, qu’ils ne font à d’autres, et ainsi vous estant desia tres obligé, ie me veux obliger à vous encore davantage, en vous suppliant de voir les pieces d’un petit procez de Mathematique que i’ay contre Monsieur de Fermat, et d’en iuger, non point en me favorisant, mais tout à fait selon la justice et la verité ; Il est vray que i’ay aussi à vous prier outre cela, de faire sçavoir vostre iugement à tous ceux qui en auront oüy parler, et c’est ce que ie tiendray pour une tres-grande faveur. La premiere des pieces que ie vous prie de voir, est une Lettre de Monsieur de Fermat au Pere Mersenne, où il refute ma Dioptrique. La seconde est ma réponse à cette Lettre, dont ie vous envoye la copie. La troisiéme est un Escrit Latin de Monsieur de Fermat De Maximis et minimis, qu’il m’a fait envoyer, pour monstrer que i’avois oublié cette matiere en ma Geometrie, et aussi qu’il avoit une façon pour trouver les tangentes des lignes courbes, meilleure que celle que i’ay donnée. La quatriéme est ma réponse à cét Escrit. La cinquiéme est un Escrit de quelques amis de Monsieur de Fermat, qui repliquent pour luy à ma réponse. La sixiéme est ma réponse à ses amis, laquelle ie vous envoye en ce pacquet, et ie vous prie d’en retenir une Copie avant que l’Original leur soit mis entre les mains par le Reverend Pere Mersenne. La septiéme AT II, 17 est une replique de Monsieur de Fermat à ma premiere réponse touchant ma Dioptrique. Le Reverend Pere Mersenne vous fournira toutes celles de ces pieces que ie ne vous envoye pas, ou bien s’il luy en manque quelques-unes, ie vous les envoyeray si-tost que i’en auray avis, afin que mon procez soit tout instruit. Au reste, afin que vous puissiez plus commodément remarquer les Clerselier III, 194 fautes de la derniere Lettre de Monsieur de Fermat, à laquelle ie n’ay pas voulu répondre, pour la cause que vous verrez, ie mettray icy les principales. Premierement, où il dit que i’ay accommodé mon Medium à ma conclusion, et qu’il me seroit mal-aisé de prouver que la division des determinations dont ie me sers est celle qu’il faut prendre, d’où il passe incontinent à d’autres matieres, il monstre n’avoir point eu du tout dequoy répondre à ma premiere Lettre, en laquelle i’ay clairement prouvé ce qu’il demande, en faisant voir qu’il ne faut pas considerer la ligne tirée de travers par son imagination, mais la parallele et la perpendiculaire de la superficie où se fait la reflexion pour la division de ces determinations.

En l’article qui commence, Ie remarque d’abord, il veut que i’aye supposé telle difference entre la determination à se mouvoir çà ou là, et la vitesse, qu’elles ne se trouvent pas ensemble, ny ne puissent estre diminuées AT II, 18 par une mesme cause, à sçavoir, par la toile CBE ; ce qui est contre mon sens, et contre la verité ; veu mesme que cette determination ne peut estre sans quelque vitesse ; Bien qu’une mesme vitesse puisse avoir diverses determinations, et une mesme determination estre jointe à diverses vitesses.

En l’article suivant, il y a un Sophisme, ou ce qui est le mesme en matiere de demonstration, un Paralogisme, en ces mots, Elle avance à proportion moins vers BG que vers BE, donc elle avance à proportion davantage vers BE que vers BG. Il coule ce mot de proportion, qui n’est point du tout en mon Escrit, pour se tromper ; Et de ce que, puis qu’elle avance moins vers BG que vers BE à proportion, (c’est à dire, en comparant seulement BG et BE l’une à l’autre) elle avance aussi davantage à proportion vers BE, que vers BG, il conclud Clerselier III, 195 qu’il est vray, absolument parlant, qu’elle avance plus vers BE qu’elle ne faisoit auparavant.

Un peu apres, où il dit ces mots, Voyez comme il retombe en sa premiere faute. C’est luy-mesme qui retombe en la sienne, voulant que la distinction qui est entre la determination, et la vitesse ou la force du mouvement, empesche que l’une et l’autre ne puisse estre changée par la mesme cause. Et il fait un Paralogisme AT II, 19 en ces mots, Puisque la balle ne perd rien de sa determination à la vitesse, ce qu’il n’emprunte nullement de moy, veu que ie ne dis rien de semblable en aucun lieu ; et sa faute est dautant plus grande qu’il m’accuse de faire un Paralogisme en le faisant.

Tout ce qui suit apres, n’est que pour preparer le Lecteur à recevoir un autre Paralogisme, qui consiste, en ce qu’il parle de la composition du mouvement, en deux divers sens, et infere de l’un ce qu’il a prouvé de l’autre. A sçavoir, au premier sens, il n’y a proprement que la determination de ce mouvement qui soit composée, et sa vitesse ne l’est pas, sinon entant qu’elle accompagne cette determination, comme on voit en la seconde figure, que faisant AB égal à NA, et aussi à BN, ce mouvement composé, qui va d’A vers B, n’est ny plus ny moins viste que chacun des deux simples, qui vont, l’un d’A vers N, et l’autre d’A vers C, en mesme temps ; et ainsi on ne peut dire que ce soit sa vitesse qui est composée, mais seulement que c’est sa determination, d’aller d’A vers B, qui est composée Clerselier III, 196 de deux, qui sont l’une d’aller d’A vers N, et l’autre d’A vers C ; Et cependant la vitesse du mouvement d’A vers B peut estre ou égale, ou plus grande, AT II, 20 ou moindre, selon que l’angle CAN, est, ou de 120 degrez, ou plus aigu, ou plus obtus ; Non pource qu’elle est composée de celle des deux autres mouvemens, mais entant qu’elle doit accompagner la determination composée, et s’accommoder à elle. Au lieu qu’en son second sens, qui est le mien, en la figure de la page 20, il n’y a que la vitesse du mouvement qui se compose, à sçavoir, elle se compose de celle qu’avoit la balle en venant d’A vers B (car elle dure encore de B vers D) et de celle que la raquette qui la pousse au point B luy adjoûte. De façon que c’est icy la vitesse seule qui suit les loix de la composition, et non pas la determination, laquelle est obligée de changer en diverses façons, selon qu’il est requis afin qu’elle s’accommode à la vitesse. Et la force de ma demonstration consiste en cela, que i’infere qu’elle doit estre la determination, de ce qu’elle ne sçauroit se trouver autre que telle que ie l’explique, pour se rapporter à la vitesse, ou pour mieux dire à la force qui la commence en B. Mais son Paralogisme consiste en ce qu’il conclud, touchant la composition de la vitesse, apres n’avoir rien prouvé que touchant la composition de la determination, nommant l’une et l’autre composition du mouvement.

Et il continuë ce Paralogisme iusques à la fin, où il conclud que le mouvement composé sur BI (c’est à dire AT II, 21 duquel la vitesse est composée) n’est pas tousiours également viste, lors que l’angle GBD, compris sous les lignes de direction des deux forces (c’est à dire, sous les lignes qui marquent comment se compose la determination de ces deux forces) est changé. Tirant cette conclusion, de ce qu’il a auparavant prouvé, touchant le mouvement duquel la determination est composée, et non la vitesse, que la vitesse change, quand l’angle change. Mais vous sçaurez mieux voir ses fautes que moy, et s’il reste quelque difficulté en tout cecy, que ie n’aye pas assez expliquée, vous m’obligerez, s’il vous plaist de m’en avertir.

Clerselier III, 197 En ma réponse à son Escrit, De Maximis et minimis, ie n’ay pas voulu dire particulierement où estoit la faute de sa regle, ny celle de son exemple, pour trouver la tangente de la parabole, tant pour éprouver s’il les pourroit corriger de luy-mesme, que pource que i’ay crû qu’il ne trouveroit pas bon d’estre instruit par moy. Mais vous verrez que la faute de sa regle consiste principalement en ces mots : In terminis sub A et E gradibus ut libet coefficientibus. Ce qui ne vaut rien, comme il se voit par l’exemple que i’ay donné, touchant la parabole. Mais au lieu de ut libet, il faudroit mettre viis a prioribus diversis, ou bien per diversum medium, ou quelque chose de semblable, et alors elle seroit assez bonne, et serviroit en ce mesme exemple que i’ay donné pour la refuter. Il y auroit bien toutesfois encore quelqu’autre chose à y changer, mais qui AT II, 22 n’est pas de si grande importance ; car celle-cy est la piece la plus necessaire de toute la regle ; en sorte que l’ayant mise, il monstre n’estre pas encore fort versé en l’Analyse, ou du moins n’y sçavoir encore rien de ferme et de solide. Pour sa faute en l’exemple où il cherche la tangente de la parabole, elle est extrémement grossiere ; Car il n’y met rien du tout qui determine la parabole, plustost que toute autre ligne que se puisse estre, sinon que Major est proportio c d ad d i quam quadrati b c ad quadratum o i, ce qui est autant ou plus vray en l’Ellipse, qu’en la parabole etc. Ie vous prie que Monsieur Hardy ait aussi la communication des pieces de mon procez. Et ie ne desire point qu’elles soient cachées à aucun autre de ceux qui auront envie de les voir ; Mais deux des amis de Monsieur de Fermat s’estant meslez de soûtenir sa cause, ie me suis promis que vous n’auriez pas desagreable que ie vous employasse tous deux pour la mienne. Au reste, permettez moy que ie vous demande comment vous gouvernez ma Geometrie, ie crains bien que la difficulté des calculs ne vous en dégouste d’abord, mais il ne faut que peu de iours pour la surmonter, et par apres on les trouve beaucoup plus courts, et plus commodes que ceux de Viete. On doit aussi lire le Clerselier III, 198 troisiéme Livre avant le second, à cause qu’il est beaucoup plus aisé. Si vous desirez que ie vous envoye quelques addresses particulieres touchant le AT II, 23 calcul, i’ay icy un amy qui s’offre de les écrire, et ie m’y offrirois bien aussi, mais i’en suis moins capable que luy, à cause que ie ne sçay pas si bien remarquer en quoy on peut trouver de la difficulté. Ie suis,