Clerselier III, 430 AT II, 158

AU REVEREND PERE MERSENNE.
Réponse aux questions Numeriques proposées
par Monsieur de Sainte Croix.

LETTRE LXXIV.

MON REVEREND PERE,

La premiere question est telle.

Trouver un Trigone qui plus un Trigone Tetragone fasse un Tetragone, et derechef ; Et que de la somme des costez des Tetragones resulte le premier des Trigones ; et de la multiplication d’elle par son milieu, le second. I’ay donné 15. et 120. I’attens que quelqu’un y satisfasse par d’autres nombres, ou qu’il monstre que la chose est impossible.

Ie remarque icy premierement que de la multiplication du premier Trigone par son milieu, il doit resulter un second Trigone, ce qui seroit manifestement impossible, si on n’entendoit parler que de la iuste moitié, et qu’on n’imaginast ces Trigones qu’en nombres entiers. Mais cette difficulté m’est ostée par AT II, 159 l’exemple donné de 15. et 120. à cause que 8. par lequel on multiplie 15. pour produire 120. n’est pas la iuste moitié de 15. Et ainsi ie voy que pour satisfaire au sens de la question, il faut que le premier Trigone soit un nombre impair, et qu’on le multiplie ou par sa plus grande ou par sa plus petite moitié, comme 15. par 8. ou par 7 ; 21. par 11. ou par 10. et ainsi des autres, car par ce moyen il produit tousiours un Trigone. Il est vray que si l’on veut imaginer aussi ces Trigones en nombres rompus, à sçavoir, en les composant de la moitié d’un quarré et de la moitié de sa racine, on peut faire qu’un Trigone estant multiplié par Clerselier III, 431 sa iuste moitié produise un autre Trigone. Ainsi est un Trigone, dont la racine est . Car la moitié de qui est son quarré, plus la moitié de fait , et multipliant ce Trigone par sa iuste moitié, à sçavoir, par , il produit , qui est aussi un Trigone dont la racine est . Car la moitié de qui est son quarré, plus la moitié de fait . Mais on n’imagine ordinaire ment ces Trigones qu’en des nombres entiers, et l’exemple de 15. et de 120. qui seroit faux en cas qu’on considerast les fractions, m’oblige à ne les point icy considerer. Outre cela ie remarque de l’ambiguité au mot, et derechef  ; Car on peut entendre par ce mot qu’il faut trouver un autre Trigone, qui plus le mesme Trigone Tetragone qui a esté joint au Trigone precedent fasse un Tetragone ; ou bien un Trigone, qui plus un autre Trigone Tetragone fasse un Tetragone ; Ou enfin un Trigone, AT II, 160 qui plus le mesme Trigone Tetragone, et derechef un autre Trigone Tetragone fasse un Tetragone. Et bien que l’exemple de 15. et 120. ne s’accorde qu’avec le premier sens, il n’exclut point toutesfois le second ; et le mot, et derechef semble favoriser le troisiéme.

Or pour le premier sens il est facile à demonstrer qu’il est impossible d’en donner aucun autre exemple en nombres entiers, que celuy de 15. et 120. Car on trouve par le calcul que cherchant generalement un nombre qui estant adjoûté à un Trigone Tetragone fasse un Tetragone, et que ce nombre multiplié par sa moitié et adjoûté au mesme Trigone Tetragone fasse derechef un Tetragone, duquel la racine adjoûtée à la racine de l’autre Tetragone soit égal au premier nombre, il faut que la racine quarrée du Trigone Tetragone soit composée de , c’est à dire, de trois moins un nombre quarré divisé par le double de la racine de ce mesme quarré ; au moins si on suppose que ce premier nombre doive estre multiplié par sa plus grande moitié, c’est à dire, par sa iuste moitié plus un demy. Et si on suppose qu’il doive estre multiplié par sa iuste moitié, la racine Clerselier III, 432 quarrée du Trigone Tetragone sera . Et enfin s’il doit estre multiplié par sa iuste moitié moins un demy, elle sera , ce qui ne peut produire aucun nombre entier, que lors qu’on suppose la plus grande moitié, et qu’on fait n égal à l’unité ; Et lors le premier nombre doit estre composé de , qui est 15.

Mais si le sens de la question est qu’on puisse adjoûter au second Trigone un autre Trigone Tetragone AT II, 161 que celuy qu’on aura adjoûté au premier, elle n’est nullement impossible. Et selon la derniere interpretation, à sçavoir, qu’on adjoûte au second Trigone le Trigone Tetragone qu’on aura adjoûté au premier, et derechef un autre Trigone Tetragone, on peut donner des nombres fort courts pour la resoudre, à sçavoir, 45. et 1035. pour les deux Trigones demandez : Car adjoûtant à 45. le Trigone Tetragone 36. il vient 81. qui est quarré, puis adjoûtant à 1035. le mesme 36. et derechef un autre Trigone Tetragone, à sçavoir 225. il vient 1296. qui est quarré, et dont la racine, à sçavoir 36. adjoûtée à 9. qui est la racine de 81. fait 45. et multipliant 45. par 23. qui est sa plus grande moitié, il vient 1035.

On peut aussi trouver des nombres forts courts pour resoudre cette question selon l’autre interpretation, à sçavoir, qu’il faille adjoûter un Trigone Tetragone à un Trigone pour faire un quarré, et derechef un autre Trigone Tetragone à un autre Trigone pour faire aussi un quarré, pourveu qu’on veüille recevoir des nombres rompus pour Trigones Tetragones, non point entant que Trigones, mais en tant que Tetragones ; En sorte que par exemple, soit pris pour un Trigone Tetragone, à cause que la racine Tetragonale est , et que les nombres 3. et 10. sont des Trigones, et ainsi des AT II, 162 autres. Et il n’est pas moins inusité de refuser des nombres rompus pour des Tetragones, qu’il est d’en recevoir pour des Trigones. C’est pourquoy il me semble que les deux Trigones 21. et 231. satisfont entiere Clerselier III, 433 ment à la question proposée. Car si à 21. i’adjoûte 4. que ie nomme , et ainsi i’en fais un Trigone Tetragone en fractions, il vient 25. qui est quarré ; et si à 231. i’adjoûte 25. que ie nomme pour en faire aussi un Trigone Tetragone en fractions, il vient 256. qui est quarré, et sa racine qui est 16. jointe à la racine de 25. fait 21. Et multipliant 21. par sa plus grande moitié qui est 11. il vient 231. Mais si on ne veut point recevoir icy de fractions, on ne peut trouver de nombres si courts pour resoudre cette question ; et pour ce que ie ne sçay pas combien longs pourront estre les premiers qu’on rencontrera, i’aime mieux mettre icy une regle par laquelle on les peut trouver tous, et qui est ie croy la plus simple et la plus aisée qu’on puisse donner pour cét effet, que de m’arrester moy-mesme à faire le calcul qui est necessaire pour les chercher. Voicy donc la regle.

Il faut examiner par ordre tous les Trigones impairs, en ostant par ordre tous les quarrez impairs moindres qu’eux, et plus grands que l’unité, iusqu’à ce qu’on trouve, en divisant le reste du Trigone dont on a osté un quarré par le double de la racine de ce quarré, que le quotient soit un Trigone ; et qu’ostant le double de ce quotient, plus le double de cette racine de la plus grande moitié du premier Trigone, puis multipliant le residu par ce premier Trigone, et luy adjoûtant le quarré du second, il vienne un Trigone AT II, 163 Tetragone ; ou du moins qu’il en vienne un, apres qu’on aura encore adjoûté le premier Trigone à la somme trouvée. Et lors que cela se rencontrera, le Trigone qu’on aura examiné sera le premier des deux qui sont requis pour la solution de la question ; Puis en le multipliant par sa moitié on aura le second ; à sçavoir, en le multipliant par sa plus grande moitié, si l’on a trouvé le Trigone Tetragone de la derniere somme sans y adjoûter le premier Trigone, et en le multipliant par sa plus petite moitié, s’il a fallu l’y adjoûter. Par exemple, i’examine le Trigone 21. duquel i’oste 9. reste 12. que ie divise par 6. le quotient est 2. qui Clerselier III, 434 n’est pas Trigone ; C’est pourquoy il faut passer à un autre, au moins si l’on veut absolument que le premier Trigone soit adjoûté à un Trigone Tetragone en nombres entiers ; mais si on se contente qu’il soit adjoûté à un simple Tetragone, on doit poursuivre et oster le double de 2. qui est 4. plus le double de 3. qui est 6. de la plus grande moitié. qui est 11. et il reste 1. qu’il faut multiplier par 21. et luy adjoûter le quarré de 2. il vient 25. qui n’est pas Trigone Tetragone ; mais à cause qu’il est Tetragone i’apprens par là que si au lieu de Trigones Tetragones, on avoit seulement demandé des Tetragones, les Trigones 21. et 231. satisferoient à la question. De plus, au nombre trouvé 25. i’adjoûte 21. et il vient 46. qui n’est pas Trigone Tetragone, non plus que 25. Mais si au lieu du premier Trigone Tetragone on avoit demandé un simple Tetragone, et qu’au lieu du second on eust demandé un nombre composé d’un Trigone Tetragone qui avec cela fust AT II, 164 Trigone, et des trois differences qui seroient entre ces trois racines, voyant que le nombre 46. a cette propriété, on connoistroit de là que les Trigones 21. et 210. seroient les cherchez ; Car 46. est composé de 36, +5, +3, +2 ; Et 5 est la difference qui est entre 3 et 8, qui sont l’un la racine Trigonale Tetragonale de 36, et l’autre sa racine Trigonale ; 3 est la difference qui est entre 3 et sa racine Tetragonale 6 ; Et 2 est la difference qui est entre 6 et 8. Tout de mesme pour examiner le Trigone 45, i’en oste le quarré 9, reste 36, que ie divise par le double de la racine de 9 qui est 6, et il vient 6 qui est un Trigone ; c’est pourquoy ie poursuis, et de 23 i’oste 6+12, reste 5, que ie multiplie par 45, il vient 225, auquel adjoûtant 36, il vient 261 qui n’est pas Trigone Tetragone, mais qui est composé du precedent Trigone Tetragone qui est 36, et d’un autre Trigone Tetragone qui est 225. De façon qu’il satisfait à la question, en cas que ce soit cela qui est demandé ; Et peut-estre qu’on pourroit examiner tous les nombres iusques à plus de cent chiffres de suitte, avant que de rencontrer un exemple qui fust pareil à celuy-cy, ou au precedent. Ce qui fait voir que chaque nombre Clerselier III, 435 qu’on AT II, 165 examine par cette regle, lors qu’il ne donne pas la solution de la question proposée, donne celle d’un autre de mesme nature, et qui est autant ou plus difficile.

La seconde question est telle.

Trouver un Trirectangle dont chacun des costez soit l’aire d’un Trirectangle. I’ay donné 210. 720. 750. I’attens, etc.

Ou pource qu’il n’y a aucune ambiguité, ie me contenteray de donner d’autres nombres pour la resoudre, à sçavoir, 330. 440. 550. pour les costez du Triangle rectangle. Car 330. est aussi l’aire d’un autre Triangle rectangle, dont les costez sont 11. 60. 61 ; 440. est l’aire d’un autre dont les costez sont . 66.  ; Et 550. est l’aire d’un Triangle rectangle dont les costez sont , , . Que si l’on trouve à redire en ces nombres à cause qu’il y a des fractions, il ne faut que multiplier les trois premiers par 441. et les autres par 21. pour les reduire à des entiers, et on a 145530. 194040. 242550. etc.

La troisiéme question est telle.

Trouver un Barlong, ou Tetragone + sa pleure, et tel que l’aggregat dudit Tetragone, et de son double Tetragone fait un Tetragone, dont sa pleure soit le Barlong ou Tetragone plus sa pleure. I’ay donné 6. I’attens, etc.

Si par un Barlong on entend un vray nombre pronic, AT II, 166 qui ne soit composé que d’un quarré plus sa racine, il ne faut qu’un trait de plume pour monstrer qu’il est impossible d’y satisfaire par aucun autre nombre que par 6. Car posant x pour la pleure on a pour le Barlong ; et il y a équation entre qui est son quarré, et qui est le Tetragone plus son double Tetragone ; Ce qui monstre que x est égal à 2, et ainsi que 2 est necessairement la pleure de ce Barlong. Mais si par un Barlong on entend un quarré plus quelque nombre de ses racines, il Clerselier III, 436 est aisé d’en trouver une infinité, en cherchant seulement un quarré qui soit moindre d’une unité que le double d’un autre ; car l’aggregat des racines de ces deux quarrez est la racine du quarré qui compose le Barlong, et multipliant cét aggregat par la racine du quarré dont le double surpasse l’autre d’une unité, on a sa pleure. Comme, à cause que 49 est moindre d’une unité que 50 qui est le double de 25, 7+5, c’est à dire 12, est la racine du quarré 144, et multipliant 12 par 5, on a 60 pour la pleure, en sorte que 204 est le Barlong requis ; Car 144 plus deux fois 20736 fait un quarré, dont la racine est 204.

La quatriéme question est telle.

Trouver deux nombres, chacun desquels, comme aussi AT II, 167 la somme de leur aggregat ne soit que de trois Tetragones. I’ay donné 3. 11. 14. I’attens, etc.

Pour resoudre cela generalement, il ne faut que prendre deux quarrez impairs, tels qu’on voudra, et à chacun adjoûter le nombre 2, puis les joindre ensemble ; Car on peut demonstrer qu’aucun de ces trois nombres ne sçauroit estre quarré, ny composé de deux quarrez, ny manquer de l’estre de trois. Comme si, puis que 1 et 9 sont desia occupez par l’exemple donné, ie prens les deux quarrez impairs 25 et 49, i’ay 27, 51 et 78 pour les nombres qui satisfont à la question.

La cinquiéme question est telle.

On demande aussi un nombre dont les parties aliquotes fassent le double ; et pource qu’on en a desia trois qui sont 120, 672 et 523776, il est question de trouver le quatriéme, lequel est 1476304896, et il se compose de 3, 11, 43, 127 et 8192 multipliez l’un par l’autre.

Au reste, mon Reverend Pere, ie vous crie mercy, et i’ay les mains si lasses d’écrire cette Lettre, que ie suis contraint Clerselier III, 437 de vous supplier, et de vous conjurer de ne me plus envoyer aucunes questions, de quelque qualité qu’elles puissent estre ; Car, lors que ie les ay, il est mal-aisé que ie m’abstienne de les chercher, principalement si ie sçay qu’elles viennent, comme celles-cy, de AT II, 168 quelque personne de merite ; Et m’estant proposé une estude pour laquelle tout le temps de ma vie, quelque longue qu’elle puisse estre, ne sçauroit suffire, ie ferois tres-mal d’en employer aucune partie à des choses qui n’y servent point. Mais outre cela, pour ce qui est des nombres ie n’ay iamais pretendu d’y rien sçavoir, et ie m’y suis si peu exercé, que ie puis dire avec verité, que bien que i’aye autrefois appris la division et l’extraction de la racine quarrée, il y a toutesfois plus de dix-huit ans que ie ne les sçay plus, et si i’avois besoin de m’en servir, il faudroit que ie les estudiasse dans quelque Livre d’Arithmetique, ou que ie taschasse de les inventer, tout de mesme que si ie ne les avois iamais sceuës.
Ie suis,
MON R. P. Vostre tres-humble et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.