AT II, 2

A MONSIEUR ***.
Réponse à un Escrit des amis de M. de Fermat.

LETTRE LVII.

Monsieur,
I’admire que l’écrit De Maximis et minimis, qui m’a esté cy-devant envoyé, et qui, comme i’apprens maintenant a esté composé par Monsieur de Fermat, ait trouvé des deffenseurs, mais ie ne voy pas qu’ils l’excusent en aucune façon. Car premierement, ils me font dire une chose à laquelle ie n’ay iamais pensé, afin par apres de la refuter ; à sçavoir, ils supposent que ie parle de tirer une ligne droite du point B, donné en la parabole BDN, sçavoir, la ligne droite BE, rencontrant le Diametre CD au point E, laquelle ligne BE, soit la plus grande de toutes celles qui peuvent estre menées du Clerselier III, 306 mesme point B, pris en la parabole, et couppant le mesme Diametre CD.

Ce sont leurs mots, et ie confesse avec eux que cela est absurde ; mais aussi ay-ie dit toute autre chose, à sçavoir qu’il faut chercher la ligne droite BE, qui rencontre DC au point E, et qui soit la plus grande qu’on puisse tirer du mesme point E, iusques à la parabole. Or il est évident qu’on peut tirer une ligne de ce point E, vers la parabole, qui soit la plus grande de toutes celles qui peuvent estre menées de ce mesme point E iusques à la mesme parabole, à sçavoir, celle qui sera menée au point B, si on suppose qu’elle touche la AT II, 3 parabole en ce point B. Car de dire, par exemple, que EP est plus grande que n’est EB, ce n’est rien dire, à cause que cette ligne P E, n’est pas tirée iusques à la parabole seulement, mais outre la parabole, et elle s’estend au delà, depuis S iusques à P, en sorte qu’il n’y a que sa partie E S qui soit menée iusques à la parabole, et E S est moindre que n’est EB. Ce qui ne sçauroit estre nié par des personnes qui voudront entendre raison, et aussi n’ont-ils rien dit contre cela. En suitte dequoy, i’ay fait voir évidemment que la regle de Monsieur de Fermat, pour trouver Maximam et minimam, est imparfaite, et ie le pourrois encore monstrer par une infinité d’autres exemples, mais la chose n’en vaut pas la peine ; Et ie diray seulement que cette regle estant corrigée comme elle doit estre, le vray moyen de l’appliquer à l’invention des tangentes des lignes courbes, est de chercher ainsi le point E, duquel on puisse tirer une ligne iusques à B, qui soit la plus grande, ou la plus petite qu’on puisse tirer du mesme point E, iusques Clerselier III, 307 à la ligne courbe donnée. Ce que Monsieur de Fermat témoigne n’avoir point sceu, puis qu’il en use d’une AT II, 4 autre façon, en cherchant la tangente de la parabole, à sçavoir, d’une façon en laquelle (pour nommer les choses par leur nom, et sans avoir pour cela aucun dessein de l’offenser) il se trouve un Paralogisme, qui ne peut en aucune façon estre excusé. Ie veux bien pourtant avoüer, que pour appliquer son raisonnement à l’Hyperbole, il ne faut pas seulement substituer Hyperbolen au lieu de Parabolen, mais qu’il y faut outre cela changer un petit mot, qui ne fait rien du tout à la cause, et auquel ie n’ay pas honte de dire que ie n’avois pas fait de reflexion ; Car d’abord i’avois reconnu si évidemment le Paralogisme de cét Escrit, que ie n’avois pas daigné par apres le regarder, et i’ay pensé que l’autheur mesme ne pouroit faire aucune difficulté de le reconnoistre, si-tost qu’il en seroit averty. Ce mot donc est, qu’au lieu de dire, Major erit proportio CD ad DI quam quadrati BC ad quadratum OI, Il faut en parlant de l’Hyperbole, dire seulement, Major erit proportio CD ad DI quam BC ad OI, ou bien Major erit proportio quadrati CD ad quadratum DI, quam quadrati BC ad quadratum OI. D’où tout le reste suit en mesme façon que si on compare les lignes CD et DI aux quarrez de BC et OI. Et AT II, 5 cecy s’estend generalement à toutes les lignes courbes qui sont au monde. Mais afin qu’on ne puisse chercher sur cela aucune excuse, qu’on mette, non pas Hyperbolen, mais Ellipsim ou Circuli circumferentiam, Clerselier III, 308 au lieu de Parabolen, et alors il ne faudra pas changer un seul mot en tout le reste, comme on verra icy manifestement.

AT II, 6 Raisonnement par lequel Monsieur de Fermat prétend trouver la tangente de la Parabole

Sit data parabole BDN, cuius vertex D, diameter DC, et punctum in eâ datum B, ad quod ducenda est recta BE, tangens parabolen, et in puncto E cum diametro concurrens ; Ergo sumendo quodlibet punctum in recta BE, et ab eo ducendo ordinatam OI, à puncto autem B ordinatam BC, major erit proportio CD ad DI, quam quadrati BC, ad quadratum OI. Quia punctum O est extra parabolen. AT II, 8 Sed propter similitudinem triangulorum, ut BC quadratum, ad OI quadratum, ita CE quadratum ad IE quadratum ; Major igitur erit proportio CD, ad DI, quam quadrati CE ad quadratum I E. Cum autem punctum B detur, datur applicata BC ; Ergo punctum C. Datur etiam CD. Sit igitur CD, æqualis D datæ. Ponatur CE esse A. Ponatur CI esse E. Ergo D, ad D–E habebit majorem proportionem quam Aq ad Aq+Eq–A in Ebis. Et ducendo inter se medias et extremas, D in Aq+D in Eq–D AT II, 10 in A in E bis, majus erit quam D in Aq–Aq in E. Adæquentur igitur iuxta superiorem methodum. Demptis itaque communibus, D in Eq–D in A in Ebis, adæquabitur –Aq in E, aut, quod idem est, D in Eq+Aq in E adæquabitur D in A Clerselier III, 309 in Ebis. Omnia dividantur per E.

Ergo D in E+Aq adæquabitur D in A bis. Elidatur D in E. Ergo Aq æquabitur D in A bis. Ideoque A æquabitur D bis. Ergo CE probavimus duplam ipsius CD, quod quidem ita se habet ; Nec fallit unquam methodus.

Application du mesme raisonnement à toutes les lignes courbes, dans lesquelles les segmens du Diametre ont plus grande proportion entre eux (à sçavoir, le plus grand au moindre) que les quarrez des lignes qui leur sont appliquées par ordre.

Sit data ellipsis BDN, cuius vertex D, diameter DC, et punctum in eâ datum B, ad quod ducenda est recta BE, tangens Ellipsim, et in puncto E cum diametro concurrens. Ergo sumendo quodlibet punctum in recta BE, et ab eo ducendo ordinatam OI, à puncto autem B ordinatam Clerselier III, 310 BC, major erit proportio CD ad DI, quam quadrati BC ad quadratum OI, quia punctum O est extra Ellipsim. Sed propter similitudinem triangulorum, ut BC quadratum ad OI quadratum, ita CE quadratum ad IE quadratum. Major igitur erit proportio CD ad DI, quam quadrati CE ad quadratum IE. Cum autem punctum B detur, datur applicata BC ; Ergo punctum C. Datur etiam CD. Sit igitur CD æqualis D datæ. Ponatur CE esse A. Ponatur CI esse E. Ergo D, ad D–E habebit majorem proportionem quam Aq ad Aq+Eq–A in Ebis. Et ducendo inter se medias et extremas, D in Aq+D in Eq–D in A in E bis majus erit quam D in Aq–Aq in E. Adæquentur igitur juxta superiorem methodum. Demptis itaque communibus, D in Eq–D in A in E bis, adæquabitur –Aq in E. Aut quod idem est. D in Eq+Aq in E. Adæquabitur D in A in E bis. Omnia dividantur per E.

Ergo D in E+Aq adæquabitur D in A bis. Elidatur D in E. Ergo Aq æquabitur D in A bis. Ideoque A æquabitur D bis. Ergo CE probavimus duplam ipsius CD, quod nullo modo ita se habet ; Sed semper fallit ista methodus.

AT II, 7 Application du mesme raisonnement à l’Hyperbole, et à toutes les autres lignes courbes.

Sit data hyperbole BDN, cuius vertex D, diameter DC, et punctum in eâ datum B ; ad quod ducenda est recta BE, tangens hyperbolen, et in puncto E cum diametro concurrens ; Ergo sumendo quodlibet punctum in recta BE, et ab eo ducendo ordinatam OI, à puncto autem B ordinatam BC, major erit proportio CD ad DI, quam quadrati BC ad quadratum OI, quia punctum O est extra hyperbolen. Sed propter similitu AT II, 9 dinem triangulorum, ut BC quadratum ad OI quadratum, ita CE quadratum ad IE quadratum ; Major igitur erit proportio CD ad DI quam CE ad IE, cum autem punctum B detur, datur applicata Clerselier III, 311 BC ; Ergo punctum C. Datur etiam CD. Sit igitur CD æqualis D datae. Ponatur CE esse A. Ponatur CI esse E. Ergo D ad D–E habebit majorem proportionem quam A ad A–E. Et ducendo inter se medias et extremas, D in A–D in E, majus erit quam D in A–A in E. Adæquentur igitur iuxta superiorem methodum. Demptis itaque communibus, –D in E adæquabitur –A in E. Aut quod idem est, D in E adæquabitur A in E. Omnia dividantur per E.

Ergo A adæquabitur D, nihilque hic est elidendum. Sed A æquatur D, quod nullo modo ita se habet, etc.

AT II, 10 Si on avoüe que ce raisonnement soit bon pour la Parabole, on doit avoüer aussi qu’il est bon pour l’Ellipse et l’Hyperbole, et pour toutes les autres lignes courbes qui sont au monde, où toutesfois on voit clairement qu’il ne conclud pas la verité. Quant aux autres choses que ces Messieurs disent avoir esté inventées par Monsieur de Fermat, i’en veux croire tout ce qu’il leur plaira ; AT II, 11 Mais n’ayant iamais rien veu de luy que cét écrit De Maximis et minimis, et la copie d’une Lettre dans laquelle il pretendoit refuter le 2. discours de ma Dioptrique, et ayant trouvé en l’un et en l’autre des Paralogismes, ie n’ay pû iuger que sur les pieces qui sont entre mes mains. Cependant ie les supplie de croire que s’il y a quelque animosité particuliere entre AT II, 12 luy et moy, ainsi qu’ils disent, elle est toute entiere de son costé ; Car de ma part ie pense n’avoir aucun sujet de sçavoir mauvais gré à ceux qui se veulent éprouver contre moy, en un combat Clereslier, p. III, 312 où souvent on peut estre vaincu sans infamie. Et voyant que Monsieur de Fermat a des Amis, qui ont grand soin de le deffendre, ie iuge qu’il a des qualitez aimables qui les y convient. Mais i’estime aussi en eux extremement la fidelité qu’ils luy témoignent ; et pource que c’est une vertu qui me semble devoir estre cherie plus qu’aucune autre, cela suffit pour m’obliger à estre leur tres-humble serviteur.

Sur le point que ie fermois ce pacquet i’ay receu une Lettre que Monsieur de Fermat a envoyée au Reverend Pere Mersenne, pour réponse à ce que i’ay cy-devant écrit sur les objections qu’il avoit faites contre le second discours de ma Dioptrique ; et pource que i’ay veu par les premieres lignes, qu’il ne desire pas que son Escrit soit publié, i’ay crû ne devoir pas achever de le lire : Toutesfois ie n’ay pû m’en empescher ; et pour réponse i’assure que ie n’y ay pas trouvé un seul mot qui excuse les fautes que i’avois remarquées en ses objections precedentes, ny qui ait aucune force contre moy ; Mais en chaque article de ce qu’il objecte de nouveau, il fait un nouveau Paralogisme, ou bien corrompt le sens de mes raisons, et monstre ne les pas entendre. Ce que ie m’oblige de faire voir aussi clair que le iour, pourveu qu’il trouve bon que le public, AT II, 13 et la posterité en soit iuge, suivant ce que i’ay mis en la page 75 du discours de ma Methode : Car ie n’ay pas resolu d’abuser tant de mon loisir, que de l’employer à répondre aux objections des particuliers, ny mesme à les lire, sinon entant que les publiant avec mes Réponses, elles serviront pour tous ceux qui pourroient avoir les mesmes doutes, et pour faire mieux connoistre la verité. Quant à ceux qui ont écrit le papier auquel i’ay répondu en cetuy-cy, puis qu’ils ont voulu estre les Advocats de ma partie, en une cause la moins soûtenable de son costé qu’on puisse imaginer, i’espere qu’ils ne voudront pas estre mes iuges, ny ne trouveront pas mauvais que ie les recuse, aussi bien que quelqu’autres de ses amis. Car enfin ie ne connois à Paris que deux personnes, au iugement desquels ie me puisse rapporter en cette matiere, à sçavoir, Monsieur Clerselier III, 313 Mydorge et M. Hardy. Ce n’est pas qu’il n’y en ait sans doute plusieurs autres qui sont tres-capables, mais ils me sont inconnus ; Et pour ceux qui se meslent de médire de ma Geometrie, sans l’entendre, ie les méprise.