AT I, 486

AU REVEREND PERE MERSENNE,
au sujet du livre De Maximis et minimis de Monsieur de Fermat.

LETTRE LVI.

MON REVEREND PERE,
Ie serois bien-aise de ne rien dire de l’Escrit que vous m’avez envoyé, parce que ie n’en sçaurois parler autant que ie voudrois à l’avantage de celuy qui l’a composé. Mais à cause que ie reconnois que c’est celuy-là mesme, qui avoit cy-devant entrepris de refuter ma Dioptrique, et que vous me mandez qu’il a envoyé cecy apres avoir lû ma Geometrie, et s’estonnant de ce que ie n’avois point trouvé la mesme chose, c’est-à-en concurrence, et de monstrer qu’il sçait en cela plus que moy ; puis aussi, à cause que i’apprens par vos Lettres qu’il a la reputation d’estre fort sçavant en Geometrie, ie croy estre obligé de luy répondre. Premierement donc, ie trouve manifestement de l’erreur en sa regle, et encore plus en l’exemple qu’il en donne, pour trouver les tangentes de la parabole. Ce que ie prouve en cette sorte. Soit BDN la parabole donnée, dont DC est le Diametre, et que du point donné B, il faille tirer la ligne droite BE, qui rencontre DC au point E, et qui soit la plus grande qu’on puisse tirer du mesme point E iusques à la parabole. Clerselier III, 301 Clerselier III, 301 (béquet) Sic enim proponitur quærenda maxima. Sa regle dit, Statuatur quilibet quæstionis terminus esse A, Ie prens donc EC pour A, ainsi qu’il a fait ; et inveniatur maxima (à sçavoir BE) in terminis sub A, gradu, utlibet involutis. Ce qui ne se peut faire mieux qu’en cette façon ; Que BC, soit B, le quarré de BE sera Aq+Bq, à cause de l’angle droit BCE. Ponatur rursum idem terminus qui prius, esse A+E. A sçavoir, ie fais que EC est A+E ; (ou bien suivant son exemple A-E, car l’un revient à l’autre) Iterumque inveniatur maxima (à sçavoir BE) in terminis, sub A, et E, gradibus, ut libet AT I, 488 coefficientibus. Ce qui ne se peut mieux faire qu’en cette sorte. Posons que CD ait esté cy-devant D, lors que BC estoit B, et le costé droit de la parabole sera à cause qu’il est à BC, la ligne appliquée par ordre, comme BC est à CD, le segment du Diamettre auquel elle est appliquée. C’est pourquoy maintenant que CE, est A+E, DC est D+E ; et le quarré de BC, est , qui estant adjoûté au quarré de CE, qui est Aq+A in Ebis+Eq, il fait le quarré de BE. Adæquentur duo Homogenea maximè æqualia. C’est à dire que Aq+Bq soit posé égal à . Et demptis communibus Il reste égal à rien. Applicentur ad E, etc. Il vient . Elidatur E, Il reste égal à rien. Ce qui ne donne point la valeur de la ligne A, comme assure l’autheur, et par consequent sa regle est fausse.

Clerselier III, 302 Mais il se méconte bien encore plus en l’exemple de la mesme parabole, dont il tasche de trouver la tangente. Car outre qu’il ne suit nullement sa regle, comme il paroist assez de ce que son calcul ne se rapporte point à celuy que ie viens de faire, il use d’un raisonnement qui est tel, que si seulement au lieu AT I, 489 de Parabole et Parabolen, on met par tout en son discours Hyperbole et Hyperbolen, ou le nom de quelque ligne courbe, telle que ce puisse estre, sans y changer au reste un seul mot, le tout suivra en mesme façon, qu’il fait touchant la parabole, iusques à ces mots : Ergo probavimus CE, duplam ipsius CD, quod quidem ita se habet ; Nec unquam, fallit methodus. Au lieu desquels on peut mettre : Non ideo sequitur CE, duplam esse ipsius CD, nec unquam ita se habet alibi quam in parabole, ubi casu, et non ex vi præmissarum, verum concluditur ; semperque fallit ista methodus. Si cét Autheur s’est estonné de ce que ie n’ay point mis de telles regles en ma Geometrie, i’ay beaucoup plus de raison de m’estonner, de ce qu’il a voulu entrer en lice avec de si mauvaises armes. Mais ie veux bien luy donner encore le temps de remonter à cheval, et de prendre toutes les meilleures qu’il eust pû choisir pour ce combat ; qui sont, que si on change quelques mots de la regle qu’il propose, pour trouver Maximam et minimam, on la peut rendre vraye, et est assez bonne. Ce que ie ne pourrois neantmoins icy dire, si ie ne l’avois sceu dés auparavant que de voir son Escrit ; Car estant tel qu’il est, il m’eust plustost empesché de la trouver, qu’il ne m’y eust aidé ; Mais quand ie l’aurois ignorée ; et que luy l’auroit parfaitement sceuë, il ne me semble pas qu’il eust eu pour cela aucune raison de la comparer avec celle qui est en ma Geometrie, touchant le mesme sujet. Car premierement la sienne AT I, 490 (c’est à dire, celle qu’il a eu envie de trouver) est telle, que sans industrie et par hazard, on peut aisément tomber dans le chemin qu’il faut tenir pour la rencontrer, lequel n’est autre chose qu’une fausse position fondée sur la façon de demonstrer, qui reduit à l’impossible, et qui est la moins estimée et la moins Clerselier III, 303 ingenieuse de toutes celles dont on se sert en Mathematique ; Au lieu que la mienne est tirée d’une connoissance de la nature des Equations, qui n’a iamais esté, que ie sçache, assez expliquée ailleurs, que dans le troisiéme Livre de ma Geometrie. De sorte qu’elle n’eust sceu estre inventée par une personne qui auroit ignoré le fonds de l’Algebre ; Et elle suit la plus noble façon de demonstrer, qui puisse estre, à sçavoir, celle qu’on nomme à priori. Puis outre cela, sa regle pretenduë n’est pas universelle comme il luy semble, et elle ne se peut estendre à aucune des questions qui sont un peu difficiles, mais seulement aux plus aisées, ainsi qu’il pourra éprouver, si apres l’avoir mieux digerée il tasche de s’en servir pour trouver les tangentes, par exemple, de la ligne courbe BDN, que ie suppose estre telle, qu’en quelque lieu de sa circonference qu’on prenne le point B, ayant tiré la perpendiculaire BC, les deux cubes des deux lignes BC, et CD, soient ensemble égaux au parallelipipede des deux AT I, 491 mesmes lignes BC, CD, et de la ligne donnée P, (à sçavoir, si P est 9. et que CD soit 2. BC sera 4. pource que les cubes de deux et de quatre qui font 8. et 64. font 72. et que le parallelipipede composé de 9. 2. et 4. est aussi 72.) car elle ne se peut appliquer, ny à cét exemple, ny aux autres qui sont plus difficiles ; Au lieu que la mienne s’estend generalement à tous ceux qui peuvent tomber sous l’examen de la Geometrie ; Non seulement en ce qui regarde les tangentes des lignes courbes ; Mais il est aussi fort aisé de l’appliquer à trouver Maximas et minimas, en toute autre sorte de Problemes.

De façon, que s’il l’avoit assez bien comprise, il n’auroit pas dit, apres l’avoir leuë, que i’ay obmis cette matiere en ma Geometrie. Il est vray toutesfois que ie n’y ay point mis ces Clerselier III, 304 termes De Maximis et minimis, dont la raison est, qu’ils ne sont connus que par ce qu’Apollonius en a fait l’argument de son cinquiéme Livre, et que mon dessein n’a point esté de m’arrester à expliquer aucune chose, de ce que quelques Autheurs ont desia sceu ; ny de reparer les Livres perdus d’Appollonius, comme Viete, Snellius, Marinus Ghetaldus, etc. Mais seulement de passer au de là de tous costez, comme i’ay assez fait voir en commençant par une question que Pappus témoigne n’avoir pû estre trouvée par aucun des anciens. Et par mesme AT I, 492 moyen en composant et determinant tous les lieux solides, ce qu’Appollonius cherchoit encore ; Puis en reduisant par ordre toutes les lignes courbes, la pluspart desquelles n’avoient pas mesme esté imaginées, et donnant des exemples de la façon dont on peut trouver toutes leurs proprietez ; Puis enfin, en construisant non seulement tous les Problemes solides, mais aussi tous ceux qui vont au sursolide, ou au quarré de cube. Et par mesme moyen enseignant à les construire en une infinité de diverses façons. D’où l’on peut aussi apprendre à deguiser en mille sortes la regle que i’ay donnée pour trouver les tangentes, comme si c’estoit autant de regles differentes. Mais i’ose dire qu’on n’en peut trouver aucune, si bonne et si generale que la mienne, qui soit tirée d’un autre fondement. Au reste, encore que i’aie écrit que ce Probleme pour trouver les tangentes fust le plus beau et le plus utile que ie sceusse, il faut remarquer que ie n’ay pas dit pour cela qu’il fust le plus difficile, comme il est manifeste, que ceux que i’ay mis en suitte, touchant les figures des verres brulans, lesquels le présupposent, le sont davantage. De façon que ceux qui ont envie de faire paroistre qu’ils sçavent autant de Geometrie que i’en ay écrit, ne doivent pas se contenter de chercher ce Probleme par d’autres moyens que i’ay fait, mais ils devroient plustost s’exercer à AT I, 493 composer tous les lieux sursolides, ainsi que i’ay composé les solides, et à expliquer la figure des verres brûlans, lors que l’une de leurs superficies est une partie de Sphere, ou de Conoïde donnée, Clerselier III, 305 ainsi que i’ay expliqué la façon d’en faire, qui ayent l’une de leurs superficies autant concave ou convexe qu’on veut ; Et enfin à construire tous les Problemes qui montent au quarré de quarré de quarré, ou au cube du cube, comme i’ay construit tous ceux qui montent au quarré du cube. Et apres qu’ils auront trouvé tout cela, ie pretens encore qu’ils m’en devront sçavoir gré, au moins s’ils se sont servis à cét effet de ma Geometrie, à cause qu’elle contient le chemin qu’il faut tenir pour y parvenir ; Et que si mesme ils ne s’en sont point servis, ils ne doivent pas pour cela prétendre aucun avantage par dessus moy, dautant qu’il n’y a aucune de ces choses, que ie ne trouve autant qu’elle est trouvable, lors que ie voudray prendre la peine d’en faire le calcul. Mais ie croy pouvoir employer mon temps plus utilement à d’autres choses.
Ie suis,