AU R. P. MERSENNE.

LETTRE IX. Version de la precedente.

Mon Reverend Pere,
Puis que les Lettres que i’avois écrites au Reverend Pere Recteur du College de Clermont ne luy ont pas encore esté renduës, mais qu’elles ont esté laissées entre les mains de vostre Reverence par M. Mydoge, dans la pensée peut-estre qu’il avoit d’aller aux champs, il est important que ie vous fasse sçavoir icy le dessein que i’ay eu en les écrivant ; Clerselier III, 71 Car i’estime que ce qui a empesché ce prudent et fidele amy à qui ie les avois envoyées de les rendre à leur adresse, a esté la crainte qu’il a eu que tous les Peres de cette Societé ne se soulevassent contre moy, et que ie ne fusse pas assez fort pour soûtenir le choc de tant d’adversaires ; Mais tant s’en faut que i’aye sujet de rien apprehender de ce costé là, qu’au contraire ie ne desire rien tant que de m’acquerir par là leur bien-veillance, et i’ay mesme sujet de l’esperer. Car autant que ie les ay pû connoistre, il m’a tousiours semblé qu’ils sont bien aises d’avoir à faire avec des personnes d’un esprit docile, et que iamais ils ne refusent de leur faire part de ce qu’ils sçavent. Or dans la Lettre que i’ay écrite au R. Pere Recteur, ie ne temoigne rien tant que le grand desir que i’ay d’apprendre, et mesme d’apprendre d’eux plustost que d’aucun autre, parce qu’ils ont esté autresfois mes Maîtres, et que comme tels ie les aime et les respecte encore. Et ie n’apprehende pas qu’ils croyent que i’use icy de dissimulation, parce que i’ay tousiours témoigné par ma façon de vivre, que i’avois un respect et une veneration toute particuliere pour eux, et que ie n’avois rien tant à cœur que de m’instruire. Ie ne crains pas aussi qu’ils me blasment de ce que i’ay plustost addressé ma Lettre au R. Pere Recteur qu’à l’autheur de ces Theses qui m’ont donné occasion de leur écrire ; Car premierement ie ne le connoissois point, et pour dire la verité, ie ne sçavois point qu’il fust remply du zele qu’on dit qu’il a pour la charité Chrestienne. Car i’ay prié en termes si exprez dans mon discours de la Methode tous ceux qui trouveroient quelques erreurs à reprendre dans mes Escrits, de me faire la faveur de me les monstrer ; et i’ay ce me semble témoigné si ouvertement qu’on me trouveroit tousiours prest de les corriger, que ie n’ay pas crû qu’il y en eust aucun, qui fist profession d’une vie Religieuse, qui aimast mieux en mon absence me condamner d’erreur devant les autres, que de me les monstrer à moy-mesme, de la charité duquel il ne me fust au moins permis de douter. Et ie ne pense pas que pour cela les autres Peres de la Clerselier III, 72 Societé se puissent fascher contre moy, car ie ne me suis plaint de luy en aucune façon dans mes Lettres ; et tout le monde sçait qu’il n’y eût iamais de Cors si sain, qui n’eût quelquefois quelque partie un peu malade. Enfin i’ay toûjours esperé que ie recevrois des objections en bien plus grand nombre, de bien plus fortes, et bien plus solides, de toute sa Compagnie que de luy seul ; Et ie ne pense pas qu’ils blasment en cela le desir que i’ay d’apprendre le plus de choses et les meilleurs qu’il m’est possible. Ie ne crains pas aussi que peut-estre ils ne trouvent rien dans mes Escrits qu’ils puissent solidement refuter, et que pour cela ils me veüillent du mal, comme si ie les avais invité à entreprendre une chose dont ie croyrois qu’ils ne pourroient iamais venir à bout : Car ie n’ose pas tant me promettre de mes inventions, que de croire qu’elles soient exemptes de faute ; Et mesme quand cela seroit, tant s’en faut que ie creusse meriter pour cela la colere ou la haine de personnes si Religieuses, et si devoüées à la deffense de la verité, qu’au contraire ie croyrois plustost avoir merité par là leur amitié et bien-veillance. C’est pourquoy ie ne voy rien qui puisse empescher que ces Lettres ne soient renduës au R. Pere Recteur : Et mesme depuis qu’elles sont écrites, il n’est rien survenu de nouveau, qui me donne auiourd’huy moins de sujet qu’auparavant de souhaiter qu’elles luy soient renduës ; Au contraire, depuis que i’ay sceu que cette belle velitation, à laquelle i’ay répondu, venoit du mesme autheur que les Theses, et que i’ay icy un témoin auriculaire et oculaire, qui m’a dit avoir esté present quand elle fut recitée en plaine assemblée d’un ton declamatoire, et que là, sous la personne d’un Anonyme, mais que tout le monde presque connoissoit, i’y fus un peu mal mené ; et qu’on y proposa plusieurs choses pour miennes, que ie n’ay pourtant iamais écrites, qu’on disoit estre de monstres d’opinion ; depuis dis-ie que par là i’ay surpris l’autheur de ces Theses dans une cavillation tres-manifeste, et tout à fait inexcusable, pour ne rien dire de plus, si ie n’avois desia envoyé mes premieres Lettres, ie croyrois qu’il seroit de mon devoir d’en écrire de Clerselier III, 73 nouvelles, pour avertir ses Superieurs d’un procedé, qui selon mon iugement est peu digne d’une telle Societé. Car il n’y a personne qui puisse connoistre mieux que moy ce qu’il m’a attribué à faux ; Et il est de leur interest de sçavoir les mauvais moyens qu’il a tenus pour obscurcir la verité, et pour attaquer la reputation d’un homme qui n’a iamais desobligé ny luy ny les siens en quoy que ce soit. Et pour ce qui est de la réponse que i’ay receuë n’agueres comme de leur part ; à sçavoir que ces Theses ont esté faites par le P. B. seul, sans l’avis d’aucun de leurs Peres, mais qu’il n’avoit eu en cela aucun dessein de m’offenser, et enfin que dans six mois il pourroit écrire quelque chose qu’il ne mettroit point au iour que ie ne l’eusse veuë ; C’est cela mesme qui fait que ie desire davantage qu’on fasse tenir au R. P. Recteur les Lettres que ie luy ay cy-devant écrites ; parce qu’il verra par là qu’il n’est point question de tout cela. Car ie ne me suis point informé si le Pere B. avoit communiqué son dessein aux autres, pource que ie n’ay point crû que cela fist rien à l’affaire ; et apres avoir veu sa velitation, ie croyrois leur faire grand tort, si i’en avois le moindre soupçon ; mais seulement i’ay pris de là occasion de les inviter tous le plus civilement que i’ay pû à examiner mes Escrits. Ie ne me suis point aussi informé s’il avoit eu dessein de m’offenser ; Car ie ne suis nullement de ceux qui s’offensent de ce qu’on refute leurs opinions ; au contraire ie me tiendray tousiours tres-obligé à ceux qui tout de bon et sans chicaner entreprendront de les impugner ; Et si quelqu’un me faisoit la faveur de me monstrer quelque chose en quoy ie me fusse trompé, il ne pourroit m’obliger davantage. Et mesme ceux qui tascheront par leurs Sophismes et cavillations de combattre mes opinions, pourront s’assurer, que si ie ne fais pas grand conte d’eux, au moins ie ne m’en tiendray point offensé ; Car par là ils en confirmeront la verité ; et plus ils feront paroistre d’envie, plus i’auray sujet de croire qu’ils m’estiment, ou qu’ils me craignent. Et enfin ie ne me mettrois pas fort en peine de voir l’écrit du P. B. si c’estoit de luy seul qu’il dût venir ; car Clerselier III, 74 ie le dis hardimenta, pres avoir veu sa Velitation, où il paroist manifestement qu’il n’a eu aucun soin de rechercher la verité, mais où il est tres-constant qu’il m’attribuë des opinions que ie n’ay iamais pensées ny écrites, ie pense avoir droit de ne pas beaucoup estimer tout ce qui ne viendra que de luy seul, et de le iuger indigne qu’on le lise et qu’on y réponde. Mais apres que le Reverend Pere Recteur aura receu mes Lettres, i’attendray avec impatience, et verray mesme avec plaisir et estime, tout ce que non seulement le Reverend Pere B. mais aussi les autres Peres de sa Societé écriront contre mes opinions ; Car pour lors ie seray assuré, que quoy que ce soit, et quelque nom qu’un tel écrit porte, ce ne sera pas l’ouvrage d’un seul, mais qu’il aura esté composé, examiné, et corrigé par plusieurs des plus doctes et des plus sages de sa Compagnie ; Et par consequent qu’il ne contiendra aucunes Cavillations, aucuns Sophismes, aucunes invectives, ny aucun discours inutile, mais seulement de bonnes et solides raisons ; Et qu’on n’y aura omis pas un des argumens qu’on peut legitimement apporter contre moy ; En sorte que par ce seul écrit i’auray sujet d’esperer de pouvoir estre délivré de toutes mes erreurs ; Et mesme si dans le grand nombre des choses que i’ay écrites et expliquées, il y en avoit quelqu’une qui ne s’y trouvast point refutée, i’auray lieu de croire qu’elle ne le peut estre par personne, et partant qu’elle est entierement vraye et indubitable. Car les choses que i’ay écrites sont telles, que n’étant appuyées que sur des raisons Mathematiques, ou sur des experiences certaines, elles ne peuvent rien contenir de faux, qu’il ne soit tres-facile à des personnes si pleines d’esprit et si sçavantes de le refuter par une demonstration tres-evidente ; Et ils ne negligeront pas comme i’espere de les examiner, quoy que ie les aye prouvées par des raisons Mathematiques, et que faisant distinction entre la Mathematique et la Philosophie, ils fassent une plus ouverte profession de celle-cy que de l’autre ; Car i’ay traitté de plusieurs choses qu’on n’a coustume de traitter qu’en Philosophie, Clerselier III, 75 comme entr’autres de tous les Metéores ; et ie pense qu’on ne sçauroit rien souhaiter de plus en une matiere de Philosophie, que d’en pouvoir donner une demonstration Mathematique. Or encore que ie me sois peut-estre trompé en beaucoup de choses, ie ne pense pas toutesfois m’estre trompé en tout. Ie ne me mocque point, mes ennemis mesme avoüent tous d’un commun accord que ie ne suis pas tout à fait ignorant dans les Mathematiques, quoy que dans les autres choses ils taschent autant qu’ils peuvent de décrier ce que mes amis disent de moy. Mais si toute ma Mathematique ne m’a point trompé, et si par son moyen i’ay seulement découvert la verité dans une ou deux questions de Philosophie, ie puis pretendre quelque part aux bonnes graces de ces Reverends Peres, qui employent une bonne partie de leur temps à une si utile recherche. Et encore qu’il n’y en eust aucune où ie ne me fusse trompé, ils ne pourront toutesfois s’empescher de me vouloir du bien, et de loüer mon entreprise, qui ne tend qu’à rechercher la verité avec candeur, et à satisfaire au desir que i’ay de m’instruire sans opiniastreté. Enfin puisque ma Réponse à la Velitation du Reverend Pere B. luy a esté non seulement monstrée, mais aussi au R. Pere Phelippeaux, les autres Peres de la Societé ne peuvent pas maintenant ignorer ce qu’elle contient ; Et ie me souviens que i’ay fait mention des Lettres que i’avois écrites au R. Pere Recteur, en sorte qu’il peut avoir sujet de s’estonner de ne les avoir point encore receuës, et mesme aussi de l’interpreter à mal, à cause que i’ay répondu assez librement à cette Velitation, ne me doutant point qu’elle vinst d’aucun des Peres de cette Societé. Et certes on ne m’a point en cela fait de plaisir, de leur avoir monstré une Réponse qui ne sçauroit leur estre fort agreable, et de ne leur avoir pas monstré mes Lettres par lesquelles ie taschois de me concilier leur bien-veillance. C’est pourquoy ie prie tres-instamment vostre Reverence, de faire rendre au plustost ces Lettres au R. Pere Recteur, ou mesme si elle n’y a point de repugnance de prendre elle-mesme la Clerselier III, 76 peine de les luy porter, et en mesme temps aussi de luy faire voir la presente, afin qu’il connoisse dautant mieux ce qui m’a porté à luy écrire, et combien i’ay de respect et de soûmission pour toute sa Societé.