AU REVEREND PERE RECTEUR
du College de Clermont.

LETTRE IV. Version de la precedente

Mon Reverend Pere,
Comme i’ay reconnu de tout temps dans les Peres de vostre Societé une tres-grande bonté et disposition à enseigner, et que ie sçay aussi que vous vous interessez fort en tout ce qui regarde l’utilité publique, i’espere que vostre Reverence ne trouvera pas mauvais si ie prens auiourd’huy la liberté de luy écrire, n’ayant autre dessein que de luy donner une occasion d’user de cette bonté envers moy, et par mesme moyen de veiller à l’utilité du public. C’est pourquoy ie ne luy feray point icy d’excuses, si tout inconnu que peut estre ie luy suis, i’ose bien l’importuner de quelque priere ; mais ie diray seulement que i’ay esté averty qu’on Clerselier III, 55 soutint publiquement, il n’y a pas long-temps, dans vostre College de Paris, certaines Theses, lesquelles à la verité ie n’ay pas veües toutes entieres, mais dont on m’a seulement envoyé les extraits suivans.

De la page II. Comme il ne suffit pas pour expliquer l’action de la Lumiere et des Couleurs sur les yeux, de dire qu’elle procede de la motion ou du mouvement d’une certaine matiere aussi imaginaire que subtile répanduë dans l’air ; De mesme aussi il est inutile de pretendre que par le mouvement de l’air on puisse expliquer assez clairement cette force tout à fait admirable et cette action des sons sur l’oreille.

De la page 15. De vouloir expliquer l’action de la Lumiere et des Couleurs sur les yeux, par le mouvement d’une certaine matiere subtile, répanduë dans les pores de l’air et des autres Cors transparens, que les Cors qu’on nomme Lumineux poussent vers nos yeux, et par le moyen de laquelle ils les touchent et les affectent en plusieurs diverses façons, et ne se pas vouloir servir pour cela des especes intentionelles, c’est en effet guerir une playe par de nouvelles blessures, et prendre plaisir à s’embarrasser dans de nouvelles difficultez sans sortir de ses premieres tenebres ; bref c’est en faisant voir le peu d’éclaircissement qu’on tire de ces especes, monstrer en mesme temps l’inutilité de cette matiere subtile, et découvrant les deffauts de nos Philosophes, ne rien avancer qui vaille mieux.

Ce principe universel des Reflexions, à sçavoir, l’Angle de reflexion est égal à l’Angle d’incidence, semble devoir tirer sa preuve ou son explication d’ailleurs, que de la distinction qui est entre la force qui fait qu’une balle se meut, et sa determination à se mouvoir plûtost vers un costé que vers un autre ; et mesme d’ailleurs que de la division de cette determination, en une qui la porte en bas, et une autre qui la fait aller vers le costé droit ; de toutes lesquelles choses, et autres semblables, si l’on n’adjoûte rien de plus, on conclud manifestement le contraire. Il faut dire le mesme des principes que l’on apporte pour les refractions ; car si quelqu’un vouloit par là entreprendre d’en rendre raison, il verroit que se laissant tromper par son Analyse il concluroit tout le contraire.

Clerselier III, 56 Mais dautant que les opinions que l’on refute dans ces Theses, ne reconnoissent point que ie sçache d’autre autheur que moy, i’ay esté tres-aise d’avoir eu de là occasion de vous prier, comme ie fais tres-instamment, de vouloir prendre la peine de m’avertir de mes erreurs ; et mesme une occasion si juste, qu’il est ce me semble de vostre prudence et de vostre charité de ne me pas refuser. Et certes encore que ie ne sçache ny le nom de celuy qui a composé ces Theses, ny de quelle science il fait particulierement profession, toutesfois il est aisé de conjecturer par ce qu’il traitte, qu’il enseigne la Physique ou les Mathematiques. Et comme ie sçay que tous ceux qui composent vostre Corps, sont tellement unis ensemble, que iamais pas un d’eux ne publie et ne fait aucune chose qui n’ait auparavant receu l’approbation de tous les autres, ce qui fait que ce qui vient de quelqu’un des vostres, a bien plus d’authorité que ce qui ne vient que de quelques particuliers, ce n’est pas sans raison que ie souhaite et que ie me promets d’obtenir de vostre Reverence, ou plûtost de toute vostre Societé, une chose qui a esté publiquement promise par un des Peres de vostre Compagnie. De plus, ie vous declare sinceremenr, que ie ne suis point de ces opiniâtres qui ne veulent iamais demordre de leurs premiers sentimens ; et que ie ne pense pas qu’il y ait personne qui soit plus disposée à enseigner, que ie le suis à apprendre. Ce que i’ay desia assez declaré dans le discours de la Methode qui sert de Preface à mes Essais, dans lequel page 75. i’ay prié en termes exprés tous ceux qui auroient quelques objections à faire contre ce que i’ay écrit, de prendre la peine de me les envoyer. Or entre les choses que i’ay proposées, une des plus considerables est cette matiere subtile, de laquelle sans doute vous avez demonstré l’inutilité en presence de vos écoliers. Ce que i’ay aussi écrit de la reflexion et de la refraction n’est pas des moindres ; mais ie ne fais point de doute que vous ne leur ayez aussi fait voir qu’en cela mesme i’ay esté trompé par mon Analyse. Car ie n’estime pas qu’il puisse entrer dans la pensée, que de si grands hommes voulussent Clerselier III, 57 dans leurs Theses avancer des choses, et qu’ils les osassent mesme promettre à ceux qui assistent à leurs disputes, s’ils ne les sçavoient parfaitement, et s’ils ne les avoient auparavant enseignées à leurs disciples. Mais ie vous prie, que puis qu’on n’a pas trouvé mes opinions indignes d’estre refutées publiquement dans vos Ecoles, vous ne me iugiez pas aussi indigne d’apprendre ce qui a esté dit pour les refuter, et de pouvoir par ce moyen estre encore conté au nombre de vos disciples. Et pour vous convier à examiner avec soin, non seulement ce que vous avez desia agité dans vos Theses, mais aussi le reste de mes Escrits, et à refuter par de bonnes raisons tout ce qui s’y trouvera de contraire à la verité ; Ie ne feindray point de vous dire icy qu’il s’en trouve plusieurs, et mesme des meilleurs Esprits, qui semblent incliner à vouloir suivre mes opinions. C’est pourquoy il importe beaucoup pour le bien commun de la Republique des Lettres de les refuter de bonne heure, si elles se trouvent fausses, poun empescher quelles n’ayent de la suite. Et à dire le vray ie ne pense pas que cela se puisse faire plus commodement que par les Peres de vostre Societé ; car vous avez parmy vous un si grand nombre de sçavants Philosophes, que si chacun d’eux vouloit se donner la peine de me faire seulement une objection, ie ne fais point de doute que toutes ensemble elles ne comprissent tres-aisément toutes celles que les autres me pourroient faire. C’est pourquoy vous me permettrez s’il vous plaist d’attendre cela de vous ; et ie vous confesse qu’il y a desia quelque temps que ie me l’estois promis, non seulement parce que cela me sembloit raisonnable, mais aussi parce que i’en aurois desia prié il y a deux ou trois ans quelques uns des vostres ; et principalement parce qu’ayant autrefois esté instruit prés de neuf ans dans un de vos Colleges, i’ay conceu depuis ma ieunesse tant d’estime, et i’ay encore maintenant tant de respect pour vostre vertu et pour vostre doctrine, que i’aime beaucoup mieux estre repris par vous que par d’autres.
Ie suis, etc.