AT I, 53

RESPONSE DE MR DESCARTES
à Monsieur Ferrier.
D’Amsterdam le 13. Novembre 1629.

Lettre CI.

MONSIEUR,
Vous m’avez fait plaisir de me déduire tout au long vos difficultez sur ce que ie vous avois mandé, et ie tascheray d’y répondre suivant le mesme ordre que vous les proposez. I’ay marqué avec des lettres A, B, C, les points ausquels ie répons, afin que vous les puissiez revoir dans la Lettre que vous m’aviez écrite.

AIe supposois ce que vous dites, que la ligne CD passoit au travers des deux planches ; et pour cela i’avois mis le point D beaucoup plus bas que L, qui est celuy que ie faisois rencontrer entre les deux planches.

BTout ce que ie vous avois écrit n’estoit que pour le verre concave, afin de ne vous pas broüiller du commencement ; Mais ie suis bien-aise que vous l’ayïez rapporté au convexe ; pour lequel toutesfois il faudra de beaucoup plus grandes machines.

CIl est vray qu’il n’y faut point deux planches, s’il vous est plus commode autrement, et ie ne les avois laissées, que pour vous mieux faire entendre ma pensée. Toutesfois vous devez remarquer que le tranchant Pno doit estre en une superficie parfaitement AT I, 54 platte, autrement il ne prendroit pas la figure requise ; Et pour ce que ce tranchant se fait non pas contre la planche V x, lors que la lame nm est appliquée Clerselier III, 570 dessus, mais au dessus vers l’axe AB, et que la piece CD en limant la ligne Pno, pourroit courber la superficie platte Pnom, ie suis d’advis que vous appliquiez donc encore au dessus de la lame nm quelqu’autre piece platte de cuivre ou autre matiere, qui mesme se lime avec la ligne Pno, ou bien qui en ait desia la figure, afin d’empescher que la lame ne se courbe ; Ou si vous l’aimez mieux, il faut appliquer les lames nm au dessous de la planche Vx, et non pas au dessus. (Cecy est pour le verre concave seulemen ; car au convexe, le tranchant de la ligne Pno est contre la planche Vx, et dessus.) Il faut aussi remarquer icy que la lame nm, en quelque façon que vous l’affermissiez sur la ligne Vx, n’y doit pas estre tout à fait immobile, mais qu’il faut que quelque poids ou ressort la presse continuellement contre la lime LD ; Car si elle estoit immobile, et que LD ne s’avançast point aussi vers elle, comme elle ne le doit pas, elle ne pourroit estre taillée.

DToute l’importance est de bien achever la lame nm ; Toutesfois ie croy que si elle n’a esté bien taillée avant la trempe, il seroit presque impossible de la raccommoder par apres ; c’est pourquoy ie vous conseille d’ébaucher mesme les lames nm, avec cette machine. Et ie ne trouve pas qu’il y ait tant de difficulté à changer la piece CD, et en mettre une AT I, 55 autre qui garde la mesme inclination, par le moyen d’un petit modele de cuivre Z, ou ZZ, qui soit taillé selon l’angle de l’inclination, comme Z, ou bien selon son complement, comme ZZ. Car vous devez remarquer qu’il n’est pas necessaire que toute la ligne CD garde cette inclination. Ie vous avois tracé les lignes AB et CD toutes nuës, comme des lignes Mathematiques, pour vous faire mieux comprendre les fondemens de la machine ; Mais vous les pouvez faire tout d’une piece, ou comme vous voudrez, pourveu seulement que la partie qui doit estre taillée en Clerselier III, 571 lime, à sçavoir LD, garde l’inclination requise. Encore que ie sois fort mauvais Peintre, vous entendrez peut-estre bien mes figures.

La premiere est pour le verre concave, où la piece CLYD tourne sur les deux poles A et B, la ligne VX marque la planche que vous avez tracée dans vostre Lettre, laquelle doit estre parallele à l’axe AB, et percée en sorte que YD passe par-dessous ; La ligne LD est ce qui doit estre taillé en lime, pour tailler les lames nm ; et cette ligne LD doit estre affermie aux points L et D, ainsi qu’il vous sera plus commode, ou par des vis, ou autrement. Au reste vous donnerez à LD l’inclination requise par le moyen de vostre triangle ZZ, un costé duquel vous appliquerez sur Clerselier III, 572 la ligne VX, au lieu où est nm, en sorte que l’autre se rapporte iustement contre LD. Vous ferez le mesme avec le triangle Z pour le verre convexe, où il n’y a de difference que pour la grandeur de la machine, laquelle se mesure par la distance qui est entre les lignes AB et VX. Laquelle machine, pour le petit AT I, 56 verre, c’est à dire pour le verre concave, ne doit pas estre de plus de deux ou trois pouces, ny par consequent le demy-diametre de la roüe q, ainsi que ie diray cy-apres ; Et les poles A et B peuvent estre soûtenus sur des pieces qui descendent vers la planche VX. Mais pour le verre convexe, il faut que depuis AB iusques à VX il y ait huit ou dix pieds de distance, au moins pour les plus rares effets : C’est pourquoy les poles A et B doivent estre appuyez au plancher de la chambre où vous travaillerez à quelque poutre qui soit bien ferme ; ie dis bien ferme, car le moindre trem AT I, 57 blement osteroit toute la iustesse de la ligne. Vous pouvez au lieu d’attacher cette seconde machine au plancher de la chambre, la coucher tout du long sur une table, ou sur quelqu’autre chose, et ie croy que son mouvement sera plus assuré en cette sorte ; et il faut que la piece CLYD soit de telle grosseur et de telle matiere qu’elle ne plie en aucune façon. Il n’y a rien à considerer en ces machines que les trois lignes AB, LD, et VX, ou plustost la lame nm posée sur VX, dont la superficie doit estre exactement platte du costé qu’elle doit trancher. Pour tout le reste de la machine, faites-le gros ou petit, droit ou courbé, il n’importe. Or si vous trouvez encore de la difficulté à mettre les pieces LD selon l’inclination requise, i’ay à vous dire pour vous consoler, et afin que vous ne laissiez pas d’ébaucher les lames nm avec ces machines, qu’encore mesme que l’inclination n’y fust pas exactement observée, toutesfois la ligne que vous traceriez seroit sans compa raison plus propre à tailler les verres, que toutes celles que vous sçauriez faire autrement ; et mesme il seroit par apres beaucoup plus aisé de luy donner la vraye figure, que si vous l’aviez ébauchée autrement.

Clerselier III, 573 Ce qu’il y a de plus icy à remarquer, c’est que la piece LD taillée en lime ou autrement, laquelle ie vous ay fait iusques icy considerer comme une ligne simplement, peut estre assez grosse, et taillée en rond comme un cylindre pour le petit verre ; Mais pour le AT I, 58 convexe, elle doit avoir une ligne droite au milieu, comme une areste, plus relevée que le reste, et ses deux costez doivent estre un peu creusez en rond, afin qu’en se mouvant, les costez ne défassent pas la figure qui doit estre donnée seulement par la ligne du milieu, laquelle doit croiser iustement la ligne VX, lors que la machine n’est point remuée ; Et pour ne point faillir vous devez imaginer que l’axe indivisible AB, sur lequel tourne la machine, la ligne VX, ou nm, et cette ligne qui est la plus avancée sur la lime LD, doivent toutes se rencontrer en un mesme plan, lequel vous imaginerez tomber à plomb et à angles droits sur la planche hgKi.

EIe m’estonne que vous n’ayez point trouvé de difficulté à faire que les lames nm puissent tailler la roüe q, estant posées toutes droites sur cette roüe, car de cette sorte elles ne peuvent faire que racler, et non point coupper, comme font les rabots des Menuisiers, le fer desquels est couché de biais, et sans cela ils ne s’en pourroient servir ; Mais il y a moyen de faire aussi des lames nm, lesquelles estant couchées, ainsi que le fer des rabots, auront le mesme effet que les precedentes qui seroient toutes droites. Il faut seulement changer en vos machines l’angle de l’inclination pour la ligne LD, selon la proportion que ie vous écriray à la fin de cette Lettre, si i’en ay le loisir.

FVous devez sçavoir que la roüe qui taille le verre concave Clerselier III, 574 ne le doit toucher que d’une seule ligne, non plus que celle qui taille le convexe, laquelle vous avez AT I, 59 fort bien comprise, sans que ie vous en eusse rien écrit ; or c’est pour cette raison que la roüe q ne doit pas exceder certaine grandeur ; Car vous sçavez que la circonference des petits cercles est plus courbe que celle des grands, comme vous voyez au point F ; Et si la circonference estoit moins courbe que la ligne Pno, ce seroit elle qui donneroit la figure au verre, et non pas Pno ; Et ainsi le verre seroit spherique ; mais il faut qu’elle soit plus courbe que Pno, sans qu’il importe de combien ; Seulement faut-il observer pour sa plus iuste grandeur, que le demy-diametre de la roüe q n’excede pas la hauteur qu’il y a en la premiere machine, depuis la planche VX iusques à l’axe AB, c’est à dire deux ou trois pouces, et qu’il soit plustost un peu moindre. Pour le convexe, faites la roüe grande ou petite, il n’importe pas.

GI’approuve bien que la roüe q soit de telle matiere que vous iugez à propos, et que le tour soit tourné ainsi que vous le trouvez plus commode. Mais il faut remarquer que les mouvemens du tour et de la roüe q ne doivent point estre égaux ; Car au contraire, c’est ce que i’estime un des principaux secrets de tout l’artifice, qu’en rendant l’un plus viste et l’autre plus lent, selon que vous iugerez estre de besoin, vous pourrez perfectionner les figures autant qu’il est possible par la main AT I, 60 d’un homme ; Mais la proportion de ces mouvemens ne se peut avoir que par l’usage, c’est à dire, que fussiez-vous un Ange, vous ne sçauriez si bien faire la premiere année que la seconde ; Seulement puis-ie dire en general, que pour les verres concaves Clerselier III, 575 la roüe doit tourner fort viste, et le tour fort lentement, et au contraire pour les convexes. Il faut aussi remarquer que la roüe q ne puisse varier ny çà ny là en tournant, et toutesfois qu’elle soit libre de descendre à mesure que le verre se taille, et qu’elle le presse tousiours , car autrement elle ne le tailleroit pas. Si vous ne trouvez invention pour cela, i’en trouveray assez.

HLa ligne des verres convexes sera d’une si grande estenduë qu’elle semblera à l’œil estre toute droite ; C’est pourquoy vous ne devez rien craindre pour les difficultez que vous y proposés ; car il n’est quasi pas question de tailler le verre, mais seulement de le polir, à quoy toutesfois ie ne iuge pas l’usage de la roüe moins necessaire que pour les concaves ; Ie veux dire qu’apres même que le verre est tout taillé, comme ie vous l’ay veu polir avec un morceau de cuir ou de bois, ie voudrois que ce cuir mesme, ou ce bois, ou quoy que ce fust, fust une roüe qui eût la figure requise : Car la iustesse de cette figure doit estre si precise, que ie ne doute point qu’encore que le verre eust la figure avant que d’estre poly, toutesfois le polissant apres sans machine, vous la luy pourriez oster. D’où vient que si vous pensiez seulement appliquer contre le verre, une des lames nm, ou plustost un modele taillé par son moyen, tous les défauts qui seroient en la lame nm (car vous ne devez pas esperer qu’il AT I, 61 n’y en ait point) feroient un cercle de fautes, tant au modele qu’au verre ; où au contraire, ce qui est principalement à estimer en la roüe, c’est qu’elle est composée tout autour d’une infinité de lignes Pno toutes diverses, en sorte que ce qu’il peut y avoir de défaut en chacune ne touche le verre qu’en un point, et incontinent il succede une autre ligne qui racommode ce que la precedente a pû gaster ; Et pourveu qu’en toute la superficie de la roüe, il y ait plus de points qui correspondent à la vraye figure, qu’il n’y en aura d’autres, elle donnera la figure exacte au verre, sans luy communiquer aucun de ses défauts ; au lieu que tous les défauts qui sont aux modeles se communiquent au verre. C’est aussi la raison pourquoy Clerselier III, 576 i’avois marqué qu’il faut avoir plusieurs lames nm toutes semblables, et ne se contenter pas d’une seule pour tailler la roüe q, afin que si l’une manque en quelques points, l’autre supplée au défaut. Et il est probable, que se servant ainsi de plusieurs lames tout à la fois, on pourra faire la roüe q en sorte qu’elle approchera fort de la vraye figure, et le verre en approchera encore davantage ; Ce que ie vous mande, afin que vous sçachiez en quoy consiste l’artifice et l’utilité de tous ces mouvemens, qui est, qu’encore qu’il y ait quelque chose à redire en tous vos modeles, c’est à dire, aux lames nm, et à la roüe q, vous ne laisserez pas de pouvoir tailler le verre exactement.

IIl est tres-certain que la vision est tousiours plus distincte, lors qu’on regarde par un petit trou, que lors qu’on regarde par un plus grand ; Mais il n’importe pas tant que le trou soit grand, quand la figure est AT I, 62 exacte, que quand elle ne l’est pas. Et il ne vous faut pas persuader que les verres taillez pour les grandes Lunettes, soient bons pour les Lunettes à puce, il y a bien de la difference ; Car pour celles-cy ils doivent estre taillez des deux costez. Ie vous manderay une autre fois toutes les figures et applications des verres pour toutes sortes de Lunettes, faites-m’en souvenir.

K Encore que les triangles de verre d’un mesme diaphane soient differens, et par consequent qu’ils aient differentes refractions, toutesfois, suivant la methode que ie vous avois donnée, ils vous donneront tous la mesme ligne, pour tailler les verres brûlans. Mais pour ce que ie voy bien que vous avez oublié une partie de ce que ie vous en avois dit à Paris, il faut que ie me frotte un peu le front, et que ie m’efforce de vous en écrire tout au long une bonne fois.

Soit la ligne de vostre quadran AE, le triangle de verre appliqué dessus FGH, de quelque grandeur qu’il puisse estre, pourveu que la ligne GH d’iceluy tombe à angles droits sur AE, afin que le rayon du soleil passant par la pinnule I, aille tout droit iusques à D, sans faire de refraction en entrant dans le verre, mais seulement lors qu’il en sort, à Clerselier III, 577 sçavoir au point D. Remarquez donc la ligne GDF, qui represente l’inclination du verre, dans laquelle se fait la refraction, et le point D, auquel elle est couppée par le rayon du Soleil, et le point A, auquel le rayon du soleil IDA couppe la ligne de vostre quadran. Vous avez donc l’angle ADF. Maintenant du point D, tirez une autre ligne DC, en sorte que l’angle FDC, soit égal à l’angle ADF, et par consequent que tout l’angle ADC soit double de l’angle AT I, 63 ADF ; Et remarquez en quel point cette ligne DC couppera vostre quadran, sçavoir au point C, lequel estant trouvé, prenez la ligne CK égale à CD, et la ligne A L égale AD. Cherchez apres le milieu entre les points K et L, à sçavoir B. Et ayant les trois points ABC, qui vous donnent la proportion qui est entre les lignes AB et BC, vous n’avez plus que faire de tout le reste ; Or cette proportion viendra tousiours semblable, quelque triangle de verre que vous preniez, pourveu qu’ils soient tous d’un mesme diaphane.

Ayant les points ABC, vous pourrez décrire la ligne pour brûler en cette sorte ; Mettez la pointe du compas au centre B, et l’ayant ouvert si peu que vous voudrez, marquez sur la ligne AC deuxles deux points N et O, également distans de B ; Clerselier III, 578 Apres rapportant un pied du compas en A, et l’autre en O, tirez une portion de cercle TOV, et tournant derechef le compas, AT I, 64 un pied en C, et l’autre en N, tirez une autre portion de cercle qui couppe la precedente aux points T et V, par lesquels doit passer vostre ligne, comme aussi par le point B. Vous pouvez ainsi trouver une infinité de points ; Car mettant derechef un pied du compas en B, et l’ouvrant un peu plus que la premiere fois, vous prenez deux autres points également distans de B, à sçavoir P et q. Puis du centre A tirant le cercle xqY, et du centre C le cercle xPY, l’intersection de ces deux cercles vous donne derechef les deux points x et Y, et ainsi à l’infiny ; Et ie croy que c’est là toute la façon dont se sert M. Mydorge. Vous pouvez pratiquer cela sans mettre qu’une fois le pied du compas en chacun des points A, B et C, à sçavoir, si ayant le pied du compas en B, vous prenez les points NO et Pq, et infinis autres ; Puis ayant le pied du compas en A, vous tirez les cercles TOV, xqY, et semblables ; Et apres mettant le compas en C, vous tracez les autres cercles TNV, xPY ; Cecy est le plus court, mais il ne se faut pas méprendre, et marquer l’intersection d’un cercle au lieu de l’autre. Or la ligne ainsi décrite brûlera à la distance qui est depuis A iusques à B.

Que si vous en voulez tracer une qui brûle à une plus grande ou moindre distance, par exemple, à la distance de DE, cherchez EF, qui soit à DE, comme BC est à AB, et l’ayant trouvée, servez-vous des points DEF pour tracer vostre ligne, comme vous avez fait des points ABC, c’est à dire, que si vous avez une fois la proportion qui est entre les lignes AB et BC, par le moyen de vostre quadran, elle vous servira pour AT I, 65 tous les verres d’un mesme diaphane, à quelque distance que vous les veüillez faire brûler. Posons le cas que la ligne AB soit six fois aussi grande que BC, et vous voulez tailler un verre qui brûle à six pouces de distance, faites DE de six pouces, et EF d’un pouce, et décrivez vostre ligne sur les trois points DEF. Clerselier III, 579 Si vous en voulez tailler un qui brûle à six pieds, faites DE de six pieds et EF d’un pied, et ainsi à quelque distance qu’il vous plaira.

Que si vous avez un morceau de verre lequel vous veüillez tailler pour brûler, sans rien perdre de son épaisseur du milieu, ny de son diametre, faites ainsi. Servez-vous de quelque ligne pour brûler que vous ayez desia toute tracée, par exemple, de la ligne hyperbolique EM, et sur la ligne EF marquez EG, qui soit l’épaisseur du milieu de vostre verre, et tirez à angles droits GH, qui soit le demy-diametre du mesme verre AT I, 66 donné ; Puis tirez une ligne qui passe par les points E et H, laquelle couppera la ligne brûlante en quelque endroit, à sçavoir en M ; tirez donc du point M une perpendiculaire ML ; Puis cherchez une ligne qui soit à DE comme GH est à ML, et encore une autre qui soit à EF, comme GH est à ML, et servez-vous de ces deux lignes, au lieu des lignes DE et EF, pour tracer la ligne requise. Par exemple, DE est de six pouces, et GH est double de ML, il faut donc prendre une ligne Clerselier III, 580 de douze pouces, à sçavoir KL ; Puis EF est d’un pouce, prenez donc LM de deux pouces ; Et avec les trois points KLM vous tracerez la ligne requise pour ne rien perdre de vostre verre, et faire qu’il brûle à la distance de la ligne KL. Vous m’avez fait rire de nommer cela un secret ; Ce n’est rien que vous n’eussiez fort aisément trouvé de vous-mesme, si vous eussiez bien entendu ce qui precede ; Et si vous en parlez, ie seray bien-aise que vous disiez que vous l’avez trouvé de vous-mesme, sur ce que ie vous avois dit generalement la façon de tracer la ligne ; et vous pourrez dire que ce n’est rien qu’une regle de trois ; Car vous dites, si la ligne ML me donne DE et EF que me donnera GH, et ainsi vous trouverez KL et LM.

Mais c’est un plus grand secret, ayant les trois points ABC ou DEF, ou autres semblables, de trouver par leur moyen l’angle de l’inclination que doit avoir vostre machine, Et ie ne sçay si quelqu’autre vous le pourroit dire, encore que la pratique n’en soit pas difficile ; Elle est telle. Cherchez le milieu entre les points A et C, à sçavoir G, et d’iceluy tirez un cercle AT I, 67 qui passe par les points A et C, Clerselier III, 581 à sçavoir AHC ; Puis de B, élevez une perpendiculaire BH, qui couppe le cercle au point H, duquel vous tirerez la ligne HG, et l’angle HGB est celuy que vous cherchez, selon lequel il faudra tailler un modele de cuivre Z, pour ajuster l’inclination de vostre machine ; et son complement est HGA, suivant lequel vous taillerez le triangle ZZ, comme i’ay desia dit.

Or tout ce que ie viens de vous dire ne sert que pour tailler les lames nm de telle sorte, qu’elles doivent estre posées toutes droites sur la roüe q ; Mais pour ce qu’en cette façon elles ne feroient que racler, et que ie me persuade que vous vous pourrez beaucoup mieux servir de celles qui seroient couchées comme le fer des Rabots. Considerez la ligne NM appliquée toute droite sur la roüe q, et du point N tirez une autre ligne N2, autant couchée que vous desirez que soit le AT I, 68 fer de vostre Rabot. Puis du point M tirez la ligne M2, en sorte que l’angle NM2 soit droit ; Cela fait, prenez G3 égal à NM, et G5 égal à N2, puis tirez à angles droits 34, qui touche la ligne GH au point 4. Apres tirez la ligne 56, aussi à angles droits, égale et parallele à la ligne 3 4 ; Cela fait, tirez la ligne 6G ; Et l’angle 6G5 est celuy selon lequel vous devez tailler le triangle Z, et 6GA son complement servira pour ZZ. En sorte que si vous vous servez de cette nouvelle inclination en vostre machine, au lieu de la precedente HGC, pour tracer la ligne Pno en la lame nm, cette ligne Pno sera beaucoup plus courbe que l’autre, et la lame estant couchée sur la roüe comme le fer d’un Rabot, elle taillera la mesme figure. Et cecy n’est pas une des moindres parties de l’invention ; Car quand ie vous auray une fois bien fait entendre le rapport que ces diverses inclinations ont les unes aux autres, vous ne pourrez quasi faillir, pourveu que vous vous serviez de ces machines ; encore Clerselier III, 582 mesme que vous trouviez des verres qui ayent plus grande refraction les uns que les autres ; Mais il est impossible d’écrire tout dans une Lettre. Vous pourrez faire veritablement un Rabot de ces lames ainsi couchées, lequel sera taillé en rond par dessous, selon la grosseur de la roüe q.

S’il y a quelque chose en tout cecy que vous n’entendiez point, mandez le moy, et ie n’épargneray pas le papier pour vous répondre ; Au reste, n’esperez pas avec toutes ces machines de faire des merveilles du premier coup ; ie vous en advertis, afin que vous ne vous fondiez pas sur de fausses esperances, et que vous ne vous engagiez point à travailler que vous AT I, 69 ne soyez resolu d’y employer beaucoup de temps ; Mais si vous aviez un an ou deux à vous aiuster de tout ce qui est necessaire ; i’oserois esperer que nous verrions par vostre moyen, s’il y a des animaux dans la Lune.