Clerselier I, 70 AT IV, 624

A MADAME ELIZABETH, PRINCESSE PALATINE, etc.

LETTRE XXII.

MADAME,
La satisfaction que i’aprens que vostre Altesse reçoit au lieu où elle est, fait que ie n’ose souhaiter son retour, bien que i’aye beaucoup de peine à m’en empescher, principalement à cette heure que ie me trouve à la Haye ; Et pour ce que ie remarque par vostre Lettre du 21. Février qu’on ne vous doit point attendre icy avant la fin de l’Esté, ie me propose de faire un voyage en France pour mes affaires particulieres, avec dessein de revenir vers l’Hyver ; Et ie ne partiray point de deux mois, afin que ie puisse auparavant avoir l’honneur de recevoir les commandemens de vostre Altesse, lesquels auront tousiours plus de pouvoir sur moy qu’aucun autre chose qui soit au monde. Ie loüe Dieu de ce que vous avez maintenant une AT IV, 625 parfaite santé ; mais ie vous supplie de me pardonner si i’ose contredire à vostre opinion, touchant ce qui est de ne point user de remedes, pour ce que le mal que vous aviez aux mains est passé ; car il est à craindre aussi bien pour vostre Altesse, que pour Madame vostre Sœur, que les humeurs qui se purgeoient en cette façon ayent esté arrestées par le froid de la saison, et qu’au Printemps elles ne ramenent le mesme mal, ou vous mettent en danger de quelqu’autre maladie, si vous n’y remediez par une bonne diete, n’usant que de viandes et de breuvages qui rafraichissent le sang, et qui purgent sans aucun effort. Car pour les drogues, soit des Apoticaires, soit des Empyriques, ie les ay en si mau Clerselier I, 71 vaise estime, que ie n’oserois iamais conseiller à personne de s’en servir. Ie ne sçay ce que ie puis avoir écrit à vostre Altesse touchant le livré de Regius, qui vous donne occasion de vouloir sçavoir ce que i’y ay observé, peut-estre que ie n’en ay pas dit mon opinion, afin de ne pas prevenir vostre jugement, en cas que vous eussiez déja le Livre ; mais puis que i’aprens que vous ne l’avez point encore, ie vous diray icy ingenuëment, que ie n’estime pas qu’il merite que vostre Altesse se donne la peine de le lire. Il ne contient rien touchant la Physique sinon mes assertions mises en mauvais ordre, et sans leurs vrayes preuves, en sorte qu’elles paroissent paradoxes ; et que ce qui est mis au commencement ne peut estre prouvé que par ce qui est vers la fin. Il n’y a inseré presque rien du tout qui soit AT IV, 626 de luy, et peu de choses de ce que ie n’ay point fait imprimer ; mais il n’a pas laissé de manquer à ce qu’il me devoit, en ce que faisant profession d’amitié avec moy, et sçachant bien que ie ne desirois point que ce que j’avois écrit touchant la des cription de l’animal fust divulgué, iusques-là que ie n’avois pas voulu luy monstrer, et m’en estois excusé, sur ce qu’il ne se pourroit empescher d’en parler à ses disciples s’il l’avoit vû, il n’a pas laissé de s’en aproprier plusieurs choses, et ayant trouvé moyen d’en avoir copie sans mon sceu, il en a particulierement transcrit tout l’endroit ou ie parle du mouvement des muscles, et où ie considere par exemple deux des muscles qui meuvent l’œil, dequoy il a deux ou trois pages, qu’il a repetées deux fois de mot à mot en son livre, tant cela luy a plû ; Et toutesfois il n’a pas entendu ce qu’il écrivoit, car il en a obmis le principal, qui est que les esprits animaux qui coulent du cerveau dans les muscles, ne peuvent retourner par les mesmes conduits par où ils viennent, sans laquelle observation tout ce qu’il écrit ne vaut rien ; Et pource qu’il n’avoit pas ma figure, il en a fait une qui monstre clairement son ignorance. On m’a dit qu’il a encore à present un autre livre de Medecine sous la presse, où ie m’attens qu’il aura mis tout le reste de mon écrit, Clerselier I, 72 selon qu’il aura pû le digerer. Il en eust sans doute pris beaucoup d’autres choses, mais i’ay sceu qu’il n’en avoit eu une copie que lors que son livre s’achevoit d’imprimer. AT IV, 627 Mais comme il suit aveuglement ce qu’il croit estre de mes opinions, en tout ce qui regarde la Physique ou la Medecine, encore mesme qu’il ne les entende pas ; ainsi il y contredit aveuglement, en tout ce qui regarde la Metaphysique, dequoy ie l’avois prié de n’en rien écrire, pour ce que cela ne sert point à son sujet, et que i’estois assuré qu’il ne pouvoit en rien écrire qui ne fust mal. Mais ie n’ay rien obtenu de luy, sinon que n’ayant pas dessein de me satisfaire en cela, il ne s’est plus soucié de me desobliger aussi en autre chose. Ie ne lairray pas de porter demain à Mademoiselle la P. S. un exemplaire de son livre, dont le titre est Henrici Regij fundamenta Physices, avec un autre petit livre de mon bon amy Monsieur de Hogelande, qui a fait tout le contraire de Regius, en ce que Regius n’a rien écrit qui ne soit pris de moy, et qui ne soit avec cela contre moy, au lieu que l’autre n’a rien écrit qui soit proprement de moy, (car ie ne croy pas mesme qu’il ait iamais bien lû mes écrits) et toutesfois il n’a rien qui ne soit pour moy, en ce qu’il a suivy les AT IV, 628 mesmes principes. Ie prieray Mad. L. de faire joindre ces deux livres, qui ne sont pas gros, avec les premiers paquets qu’il luy plaira envoyer par Hambourg, à quoy ie joindray la version Françoise de mes Meditations, si ie les puis avoir avant que de partir d’icy, car il y a desia assez long-temps qu’on m’a mandé que l’impression en est achevée. Ie suis, etc.