AT V, 64

A MADAME ELIZABETH, PRINCESSE PALATINE, etc.

LETTRE XXI.

MADAME,
Mon voyage ne pouvoit estre accompagné d’aucun malheur, puis que i’ay este si heureux en le faisant, que d’estre en la souvenance de vostre Altesse, la tres-favorable Lettre qui m’en donne des marques est la AT V, 65 chose la plus precieuse que ie pûsse recevoir en ce païs. Elle m’auroit entierement rendu heureux, si elle ne m’avoit appris que la maladie qu’avoit vostre Altesse auparavant que ie partisse de la Haye, luy a encore laissé quelques restes d’indisposition en l’estomac. Les remedes qu’elle a choisis, à sçavoir la diete et l’exercice, sont à mon avis les meilleurs de tous ; apres toutesfois ceux de l’Ame, qui a sans doute beaucoup de force sur le corps, ainsi que monstrent les grands changemens que la colere, la crainte, et les autres passions excitent en luy. Mais ce n’est pas directement par sa volonté qu’elle conduit les esprits dans les lieux où ils peuvent estre utiles ou nuisibles, c’est seulement en voulant ou pensant à quelqu’autre chose. Car la construction de notre corps est telle, que certains mouvemens suivent en luy naturellement de certaines pensées ; comme on voit que la rougeur du visage suit de la honte, les larmes de la compassion, et le ris de la joye ; Et ie ne sçache point de pensée plus propre pour la conservation de la santé, Clerselier I, 69 que celle qui consiste en une forte persuasion, et ferme creance, que l’architecture de nos corps est si bonne, que lors qu’on est une fois sain, on ne peut pas aisement tomber malade, si ce n’est qu’on fasse quel que excez notable, ou bien que l’air ou les autres causes exterieures nous nuisent ; et qu’ayant une maladie, on peut aisement se remettre par la seule force de la nature, principalement lors qu’on est encore ieune. Cette persuasion est sans doute beaucoup plus vraye et plus raisonnable, que celle de certaines gens, qui sur le raport d’un AT V, 66 Astrologue ou d’un Medecin se font acroire qu’ils doivent mourir en certain temps, et par cela seul deviennent malades, et mesme en meurent assez souvent, ainsi que i’ay vû arriver à diverses personnes. Mais ie ne pourrois manquer d’estre extremement triste, si ie pensois que l’indisposition de vostre Altesse durast encore, i’ayme mieux esperer qu’elle est toute passée ; et toutefois le desir d’en estre certain me fait avoir des passions extrémes de retourner en Holande. Ie me propose de partir d’icy dans quatre ou cinq iours pour passer en Poictou et en Bretagne, où sont les affaires qui m’ont amené ; mais si-tost que ie les auray pû mettre un peu en ordre, ie ne souhaite rien tant que de retourner vers les lieux, où i’ay esté si heureux que d’avoir l’honneur de parler quelquefois à vostre Altesse : Car bien qu’il y ait icy beaucoup de personnes que i’honore et estime, ie n’y ay toutesfois encore rien vû qui me puisse arrester. Et ie suis au delà de tout ce que ie puis dire, etc.