AT V, 197

A MADAME ELIZABETH, PRINCESSE PALATINE, etc.

LETTRE XLI.

MADAME,
Encore que ie sçache bien que le lieu et la condition ou ie suis, ne me sçauroient donner aucune occasion AT V, 198 d’estre utile au service de vostre Altesse, ie ne satisferois pas à Clerselier I, 134 mon devoir, ny à mon zele, si apres estre arrivé en une nouvelle demeure, ie manquois à vous renouveller les offres de ma tres-humble obeïssance. Ie me suis rencontré icy en une conjoncture d’affaires, que toute la prudence humaine n’eust sceu prevoir. Le Parlement joint avec les autres Cours Souveraines s’assemblent maintenant tous les iours, pour deliberer touchant quelques ordres qu’ils pretendent devoir estre mis au maniment des finances, et cela se fait à present avec la permission de la Reine, en sorte qu’il y a de l’apparence que l’affaire tirera de longue ; mais il est mal-aisé de iuger ce qui en reüssira. On dit qu’ils se proposent de trouver de l’argent suffisamment pour continuer la guerre, et entretenir de grandes armées, sans pour cela fouler le peuple ; s’ils prennent ce biais, ie me persuade que ce sera le moyen de venir enfin à une paix generale. Mais en attendant que cela soit, i’eusse bien fait de me tenir au païs où la paix est déja ; Et si ces orages ne se dissipent bien-tost, ie me propose de retourner vers Egmond dans six semaines ou deux mois, et de m’y arrester iusques à ce que le Ciel de France soit plus serain. Cependant me tenant comme ie fais un pied en un pays, et l’autre en un autre, ie trouve ma condition tres heureuse, en ce qu’elle est libre ; Et ie croy que ceux qui sont en grande fortune different davantage des autres ; en ce que les deplaisirs qui leur arrivent, leur sont plus sensibles, que non pas en ce qu’ils jouïssent de plus de AT V, 199 plaisirs à cause que tous les contentemens qu’ils peuvent avoir, leur estant ordinaires, ne les touchent pas tant que les afflictions, qui ne leur viennent que lors qu’ils s’y attendent le moins, et qu’ils n’y sont aucunement preparez ; ce qui doit servir de consolation à ceux que la fortune a accoutumez à ses disgraces. Ie voudrois qu’elle fust aussi obeïssante à tous vos desirs, que ie seray toute ma vie, etc.