AT IV, 486 MADAME,
I’ay lû le Livre dont vostre Altesse m’a commandé de luy écrire mon opinion, et i’y trouve plusieurs preceptes qui me semblent fort bons ; comme entr’autres aux 19. et 20. chapitres ; Qu’un Prince doit tousiours éviter la haine et le mépris de ses sujets, et que l’amour du peuple vaut mieux que les forteresses. Mais il y en a aussi plusieurs autres que ie ne sçaurois aprouver : Et ie croy que ce en quoy l’Auteur a le plus manqué, est, qu’il n’a pas mis assez de distinction entre les Princes qui ont acquis un Estat par des voyes iustes, et ceux qui l’ont usurpé par des moyens illegitimes ; et qu’il a donné à tous generalement, les preceptes qui ne sont propres qu’à ces derniers. Car comme Clerselier I, 51 en bastissant une maison dont les fondemens sont si mauvais qu’ils ne sçauroient soutenir des murailles hautes et épaisses, on est obligé de les faire foibles et basses ; Ainsi ceux qui ont commencé à s’établir par des crimes, sont ordinairement contrains de continuer à commettre des crimes, et ne se pourroient maintenir s’ils vouloient estre vertueux. C’est au regard de tels Princes qu’il a pû dire au chapitre 3.
les pratiquent les estiment tels ; car la justice entre les Souverains a d’autres limites qu’entre les particuliers ; et il semble qu’en ces rencontres Dieu donne le droit à ceux ausquels il donne la force ; mais les plus justes actions deviennent injustes, quand ceux qui les font les pensent telles. On doit aussi distinguer entre les sujets, les amis AT IV, 488
ou alliez, et les ennemis ; Car au regard de ces derniers on a quasi permission de tout faire, pourvû qu’on en tire quelque avantage pour soy ou pour ses sujets,
foy. Et bien qu’il soit bon d’avoir amitié avec la pluspart de ses voisins, ie croy neantmoins que le meilleur est de n’avoir point Clerselier I, 53
d’étroites alliances qu’avec ceux qui sont moins puissans ; Car quel que fidelité qu’on se propose d’avoir, on ne doit pas attendre la pareille des autres, mais faire son conte qu’on en sera trompé, toutes les fois qu’ils y trouveront leur avantage ; Et ceux qui sont plus puissans l’y peuvent trouver quand ils veulent, mais non pas ceux qui le sont moins. Pour ce qui est des sujets, il y en a de deux sortes, à sçavoir les grands, et le peuple. Ie comprens sous le nom de Grands, tous ceux qui peuvent former des partis contre le Prince, de la fidelité desquels il doit estre tres assuré, où s’il ne l’est pas, tous les politiques sont d’accord qu’il doit employer tous ses soins à les abaisser, et qu’entant qu’ils sont enclins à broüiller l’Estat, il ne les doit considerer que comme ennemis. Mais pour ses autres sujets, il doit sur tout éviter leur haine et leur mépris ; ce que ie croy qu’il peut tousiours faire, pourvû qu’il observe exactement la justice à leur mode (c’est à dire suivant les loix ausquelles ils sont accoutumez) sans estre trop rigoureux aux punitions, ny trop indulgent aux graces, et qu’il ne se remette pas de tout à ses Ministres, mais que leur laissant seulement la charge des condamnations plus odieuses, il témoigne avoir luy-mesme le soin de tout le reste ; Puis aussi qu’il retienne tellement sa dignité, qu’il ne quitte rien des honneurs et des deferances que le peuple croit luy estre deües, mais qu’il n’en demande point davantage, et qu’il ne fasse paroistre en public que ses plus serieuses actions, où celles qui AT IV, 490
peuvent estre aprouvées de tous, reservant à prendre ses plaisirs en particulier, sans que ce soit iamais au dépens de personne. Et enfin qu’il soit immuable et inflexible non pas aux premiers desseins qu’il aura formez en soy-mesme : Car dautant qu’il ne peut avoir l’œil par tout, il est necessaire qu’il demande conseil, et entende les raisons de plusieurs, avant que de se resoudre ; mais qu’il soit inflexible touchant les choses qu’il aura témoigné voir resoluës, encore mesme qu’elles luy fussent nuisibles ; Car mal-aisement le peuvent-elles estre tant, que seroit la Clerselier I, 54
reputation d’estre leger et variable. Ainsi ie desaprouve la maxime du chapitre 15.
qui leur donnent de l’envie, leur donnent aussi de la crainte ; c’est pourquoy iamais on ne doit s’abstenir de bien faire, pour éviter cette sorte de haine ; Et il n’y en a point qui leur puisse nuire, que celle qui vient de l’injustice ou de l’arrogance que le peuple iuge estre en eux. Car on voit mesme que ceux qui ont esté condamnez à la mort, n’ont point coutume de haïr leurleurs juges, quand ils pensent l’avoir meritée, et on soufre aussi avec patience les maux qu’on n’a point meritez, quand on croit que le Prince de qui on les reçoit, est en quelque façon contraint de les faire, et qu’il en a du deplaisir ; pour ce qu’on estime qu’il est iuste qu’il prefere l’utilité publique à celle des particuliers. Il y a seulement de la difficulté lors qu’on est obligé de satisfaire à deux partis qui jugent differemment de ce qui est iuste, comme lors que les Empereurs Romains avoient à contenter les Citoyens et les Soldats ; auquel cas il est raisonnable d’accorder quelque chose aux uns et aux autres, et on ne doit pas entreprendre de faire Clerselier I, 55
venir tout d’un coup à la raison, ceux qui ne sont pas acoutumez de l’entendre ; mais il faut tascher peu à peu, soit par des écrits publics, soit par les voix des Predicateurs, soit par tels autres moyens à la leur faire conçevoir : Car enfin le peuple soufre tout ce qu’on luy peut persuader estre juste, et s’offense de tout ce qu’il imagine d’estre injuste. Et l’arrogance des Princes, c’est à dire, l’usurpation de quelque autorité, de quelques droits, ou de quelques honneurs qu’il croit ne leur estre point dûs, ne luy est odieuse, que pource qu’il la considere comme une espece d’injustice. AT IV, 402
Au reste, ie ne suis pas aussi de l’opinion de cét Auteur en ce qu’il dit en sa Preface ;
qu’on voit arriver. Tout ce que i’estime le plus inévitable sont les maladies du corps, desquelles ie prie AT IV, 493
Dieu qu’il vous preserve ; et ie suis avec toute la devotion que ie puis avoir, etc.