Clerselier I, 49 AT IV, 413

A MADAME ELIZABETH,
PRINCESSE PALATINE, etc.

LETTRE XII.

AT IV, 414 MADAME,
L’occasion que i’ay de donner cette Lettre à Monsieur de Beclin qui m’est tres-intime amy, et à qui ie me fie autant qu’à moy-mesme, est cause que je prens la liberté de m’y confesser d’une faute tres-signalée que i’ay commise dans le traité des Passions, en ce que pour flater ma negligence, i’y ay mis au nombre des émotions de l’Ame qui sont excusables, une ie ne sçay quelle langueur qui nous empesche quelquefois de mettre en execution les choses qui ont esté approuvées par nostre jugement : Et ce qui m’a donné le plus de scrupule en cecy, est que ie me souviens que vostre Altesse a particulierement remarqué cét endroit, comme témoignant n’en pas desaprouver la pratique, en un sujet où ie ne puis voir qu’elle soit utile. I’avoüe bien qu’on a grande raison de prendre du temps pour deliberer, avant que d’entreprendre les choses qui sont d’importance ; mais lors qu’une affaire est commencée, et qu’on est d’accord du principal, ie ne voy pas qu’on ait aucun profit de chercher des delais en disputant pour les conditions. Car si l’affaire nonobstant cela reussit, tous les petits avan AT IV, 415 tages qu’on aura peut-estre acquis par ce moyen, ne servent pas tant, que peut nuire le degoust que causent ordinairement ces delais ; et si elle ne reüssit pas, tout cela ne sert qu’à faire sçavoir au monde qu’on a eu des desseins qui ont manqué : Outre qu’il arrive bien plus souvent, lors que l’affaire qu’on entreprend est fort bonne, Clerselier I, 50 que pendant qu’on en differe l’execution elle s’échape, que non pas lors qu’elle est mauvaise. C’est pourquoy ie me persuade que la resolution et la promptitude sont des vertus tres necessaires pour les affaires déja commencées ; Et l’on n’a pas sujet de craindre ce qu’on ignore, car souvent les choses qu’on a le plus apprehendées avant que de les connoistre, se trouvent meilleures que celles qu’on a desirées : Ainsi le meilleur est en cela de se fier à la providence Divine, et de se laisser conduire par elle. Ie m’assure que vostre Altesse entend fort bien ma pensée, encore que ie l’explique fort mal, et qu’elle pardonne au zele extréme qui m’oblige d’écrire cecy, car ie suis, autant que ie puis estre, etc.