AT IV, 188 Clerselier I, 150 (béquet)

A UN SEIGNEUR

LETTRE LII.

MONSIEUR,
Si i’avois autant d’esprit et de sçavoir, que i’ay de zele pour le service de vostre Excellence, ie ne manquerois AT IV, 189 pas de répondre exactement aux questions que vous m’avez fait l’honneur de me proposer ; Et mesme encore que ie craigne de n’avoir point assez d’esprit ny de connoissance pour cét effet, l’abondance du zele ne laisse pas de m’obliger à l’entreprendre. Mais avec vostre permission ie commenceray par la seconde difficulté, touchant la cause du chaud et du froid dans les animaux ; pource qu’apres l’avoir examinée, et en suite la troisiéme et la quatriéme, ie pourray plus commodement parler de la premiere. Il me semble que toute la chaleur des animaux consiste en ce qu’ils ont dans le cœur une espece de feu qui est sans lumiere, semblable à celuy qui s’excite dans l’eau forte, lors qu’on Clerselier I, 151 met dedans assez grande quantité de poudre d’acier, et à celuy de toutes les fermentations. Ce feu est entretenu par le sang qui coule à tous momens dans le cœur, suivant la Circulation qu’Hervæus Medecin Anglois a tres-heureusement découverte ; Et apres que ce sang s’est échaufé et rarefié dans le cœur, il coule de là promtement par les arteres en toutes les autres parties du corps, lesquelles il échaufe par ce moyen. Or on peut dire en quelque sens que cette chaleur est plus grande l’Esté que l’Hyver, pource que sa cause n’est pas moindre dans le cœur, et que le sang qui s’y échaufe n’est pas tant refroidy par l’air de dehors. Mais on peut dire aussi qu’elle est plus grande en Hyver, ce qui fait qu’on a pour lors meilleur appetit, et qu’on digere mieux les viandes ; Et la raison en est, que les parties du sang qui ont le plus de chaleur, à sçavoir les plus subtiles et les plus agitées, ne s’évaporent AT IV, 190 pas si facilement en hyver par les pores de la peau, qui sont alors resserrez par le froid, qu’elles font en Esté : c’est pourquoy elles vont en plus grande abondance dans l’estomac ou elles aident à la coction des viandes.

La troisiéme question est touchant le froid de la fiévre, lequel ie croy ne venir d’autre chose, sinon que la fiévre est causée, de ce qu’il s’amasse une humeur corrompuë dans le mezentaire, ou en quelqu’autre partie du corps, laquelle humeur au bout d’un, ou deux, ou trois iours, (qui est un temps dont elle a besoin pour la meurir et rendre fluide, à raison dequoy la fiévre est ou quotidienne, ou tierce, ou quarte) coule dans les veines, et ainsi se mélant parmy le sang, et allant avec luy dans le cœur, elle empesche qu’il ne s’y puisse tant échaufer et dilater que de coutume, ny par consequent porter tant de chaleur au reste du corps ; ce qui est cause du tremblement qu’on sent pour lors. Mais cela n’arrive qu’au commencement de l’accez : Car comme le bois verd qui éteint le feu lors que d’abord il y est mis, rend une flame plus ardente que l’autre bois, apres qu’il est bien embrasé ; ainsi apres que cette Clerselier I, 152 humeur corrompuë a esté meslée quelque temps parmy le sang, elle s’échaufe et se dilate davantage que luy dans le cœur ; ce qui fait la chaleur de l’accez, lequel dure iusqu’à ce que toute cette humeur corrompuë soit évaporée, ou reduite à la constitution naturelle du sang. Or la fiévre cesseroit tousiours à la fin de l’accez, si on pouvoit empescher qu’il ne revint d’autre humeur en la place ou s’est corrompuë la premiere ; AT IV, 191 et pource qu’il peut y avoir une infinité de divers moyens pour empescher cela, mais qui ne reüssissent pas tousiours, cela fait que la fiévre peut-estre guerrie par une infinité de divers remedes, et que neantmoins tous les remedes sont incertains.

La quatriéme et derniere question est touchant les Esprits animaux et vitaux, et ce qui s’évapore par transpiration ; A quoy il m’est aisé de répondre, en suposant que le sang se dilate dans le cœur ainsi que ie viens de dire, et que i’ay autrefois expliqué assez au long dans le discours de la Methode. Car ce que les Medecins nomment les Esprits vitaux, n’est autre chose que le sang contenu dans les arteres, qui ne differe point de celuy des veines, sinon en ce qu’il est plus rare et plus chaud, à cause qu’il vient d’estre échaufé et dilaté dans le cœur. Et ce qu’ils nomment les esprits animaux, n’est autre chose que les plus vives et plus subtiles parties de ce sang, qui se sont separées des plus grossieres, en se criblant dans les petites branches des arteres carotides, et qui sont passées de là dans le cerveau, d’où elles se répandent par les nerfs en tous les muscles. Enfin tout ce qui sort du corps par transpiration insensible, n’est aussi autre chose que des parties du sang qui sont assez subtiles pour passer par les pores du corps en s’evaporant ; Et le mesme sang est échaufé et rarefié tant de fois en passant et repassant dans le cœur, suivant ce qu’enseigne la doctrine de la Circulation, qu’il n’y a aucune de ses parties, qui ne soit enfin renduë assez subtile pour s’evaporer en cette façon.

AT IV, 192 Ie reviens à la premiere question qui est cause du sommeil, Clerselier I, 153 laquelle ie croy consister, en ce que tout de mesme que nous voyons quelquesfois que les voiles des navires se rident, à cause que le vent n’a pas assez de force pour les remplir ; Ainsi les esprits animaux qui viennent du cœur, ne sont pas tousiours assez abondans pour remplir la moële du cerveau, et tenir tous ses pores ouverts ; ce qui fait alors le sommeil : Car les pores du cerveau estant fermez on n’a plus l’usage des sens, si ce n’est que quelque violente agitation excite les esprits à les ouvrir. Or l’opium, le pavot, et les autres drogues qui causent le sommeil, font que le cœur envoye moins d’esprits vers le cerveau ; Et l’on peut facilement, en suitte de cecy, rendre raison de toutes les autres causes qu’on trouve par experience exciter ou empescher le sommeil. Mais i’ay peur que la longueur de cette lettre ne l’excite : c’est pourquoy ie n’y adjouteray autre chose, sinon que ie ne seray iamais endormy lors que ie croiray pouvoir faire ou écrire quelque chose qui soit agreable à vostre Excellence, de laquelle ie suis, etc.