AT III, 594

A UN REVEREND PERE IESUITE.

LETTRE CXVI.

MON REVEREND PERE,
Ie ne me souviens point que iamais personne m’ait dit que vous aviez dessein de censurer mes écrits, et ie n’en ay eu aussi aucune opinion ; car ie ne suis pas d’humeur à m’imaginer des choses dont ie n’ay point AT III, 595 de preuves, principalement de celles qui me pourroient estre déplaisantes, comme ie vous avouë que seroit celle-là, pour ce que vous ayant en tres-grande estime, ie ne pourrois penser que vous eussiez dessein de me blasmer, que ie ne crûsse par mesme moyen le meriter ; et bien que ie ne doute point que ce que i’ay écrit ne contienne plusieurs fautes, ie me suis toutesfois persuadé qu’il contenoit aussi quelques veritez, qui donneroient sujet aux esprits de la trempe du vostre, et qui Clerselier I, 527 auroient autant de franchise que vous, d’en excuser les défauts. Ce que ie me suis persuadé de telle sorte, qu’en écrivant il y a quatre ou cinq mois au R. P. Charlet, touchant les objections du P. Bourdin ; Ie le priay, si ces occupations ne luy permettoient qu’il examinast luy-mesme les pieces de mon procés, qu’il vons en voulust croire, vous et vos semblables, plutost que les semblables de mon adversaire, et ne nommant que vous en ce lieu-là, il me semble que ie monstrois assez, que vous estes celuy de tous ceux de vostre Compagnie que i’ay l’honneur de connoistre, duquel i’ay esperé le plus favorable iugement. Il y a quatre ou cinq ans que vous me fistes l’honneur de m’écrire une lettre qui me donna cette esperance, et i’ay esté maintenant ravy d’en recevoir une seconde qui me la confirme ; Ie vous supplie tres-humblement de croire, que ce n’a esté qu’avec une tres-grande repugnance que i’ay répondu à ces septiémes objections qui precedent ma lettre au R. P. Dinet, AT III, 596 laquelle vous avez veuë ; et il m’y a fallu employer la mesme resolution, qu’à me faire couper un bras, ou une jambe, si i’y avois quelque mal auquel ie ne sceusse point de remede plus doux ; car i’ay tousiours eu une grande veneration et affection pour vostre Compagnie ; mais ayans sceu le peu d’estime qu’on avoit fait de mes écrits, en des disputes publiques à Paris, il y a deux ans ; et voyant que nonobstant les tres-humbles prieres que i’avois faites, qu’on me voulust avertir de mes fautes, si on les connoissoit, afin que ie les corrigeasse, plutost que de les blasmer en mon absence, et sans m’ouïr, on continuoit à les mépriser d’une façon qui pourroit me rendre ridicule, auprés de ceux qui ne me connoissent pas, ie n’ay pû imaginer de meilleur remede, que celuy dont ie me suis servy. Ie me tiens extremement obligé au R. P. Dinet, de la franchise et de la prudence qu’il a témoignée en cette occasion, et ie ne me promets pas moins de faveur du R. P. Filleau, qui luy a succedé, bien que ie n’aye point eu ci-devant l’honneur de le connoistre ; car ie sçay que ce ne sont que les plus éminens Clerselier I, 528 en prudence et vertu, qu’on a coutume de choisir pour la charge qu’il a. Ie crains seulement que mon adversaire n’ait des amis à Paris, qui fassent entendre la chose aux Superieurs, d’autre façon qu’elle n’est. Ie souhaitterois pour ce sujet, que vous y fussiez plutost qu’à Orleans ; car ie m’assure que vous me les rendriez favorables. Ie ne sçaurois trouver estrange que AT III, 597 plusieurs n’entendent pas mes Meditations, puisque mesme Monsieur de Beaune y a de la difficulté ; car i’estime extremement son esprit ; et encore qu’on les entendist, ie croirois estre injuste, si ie desirois qu’on les approuvast, avant qu’on sçache comment elles seront receuës du public ; ou bien qu’on se declarast pour ma Philosophie, avant que de l’avoir toute vûë, et entenduë. Ce n’est pas cette faveur-là que ie demande, mais seulement qu’on s’abstienne de blasmer ce qu’on n’entend pas ; et si on a quelque chose à dire contre mes ééritsécrits, ou contre moy, qu’on me la veüille dire à moy-mesme, plutost que d’en médire en mon absence, et y employer des moyens, qui ne peuvent tourner qu’à la honte et à la confusion de ceux qui s’en servent.

AT IV, 348 Pour ce qui est de la distinction entre l’essence et l’existence, ie ne me souviens pas du lieu ou j’en ay parlé ; mais ie distingue Inter Modos proprié dictos, et Attributa sine quibus res quarum sunt attributa esse non AT IV, 349 possunt ; sive inter modos rerum ipsarum, et modos cogitandi, (Pardonnez–moy si ie change icy de langue, pour tascher de m’exprimer mieux) Ita figura et motus sunt modi propriè dicti substantiae Corporeæ, quia idem corpus potest existere, nunc cum hac figura, nunc cum alia ; nunc cum motu, nunc sine motu, quamvis ex adverso neque hæc figura, neque hic motus, possint esse sine hoc corpore ; Ita amor, odium, affirmatio, dubitatio, etc. sunt veri modi in mente ; existentia autem, duratio, magnitudo, numerus, et universalia omnia, non mihi videntur esse modi propriè dicti, ut neque etiam in Deo iustitia, misericordia, etc. Sed latiori vocabulo dicuntur Attributa, sive modi cogitandi, quia intelligimus quidem alio modo rei alicuius essentiam, abstrahendo ab hoc, quod Clerselier I, 529 existat, vel non existat, et alio, considerando ipsam ut existentem ; sed res ipsa sine existentiâ suâ esse non potest extra nostram cogitationem, ut neque etiam sine sua duratione, vel sua magnitudine, etc. Atque ideo dico quidem figuram, et alios similes modos, distingui propriè modaliter à substantia cuius sunt modi, sed inter alia attributa esse minorem distinctionem, quæ nonnisi latè usurpando nomen modi, vocari potest Modalis ut illam vocavi in fine meæ responionis ad primas objectiones, et melius fortè dicetur Formalis ; sed ad confusionem evitandam, in prima parte meæ Philosophiæ, articulo 60. in qua de ipsa expressè ago, illam voco distinctionem Rationis (nempe rationis Ratiocinatæ ;) et quia nullam agnosco rationis Ratiocenantis, hoc est, quæ non habeat fundamentum in rebus (neque enim quicquam possumus cogitare absque fundamento) idcirco in illo articulo verbum Ratiocinatæ non addo. Nihil autem aliud AT IV, 350 mihi videtur in hac materia parere difficultatem, nisi quod non satis distinguamus res extra cogitationem nostram existentes, à rerum ideis, quæ sunt in nostra cogitatione : Ita cum cogito essentiam trianguli, et existentiam eiusdem trianguli, duæ istæ cogitationes, quatenus sunt cogitationes, etiam objectivè sumptæ, modaliter differunt, strictè sumendo nomen modi ; sed non idem est de triangulo extra cogitationem existente, in quo manifestum mihi videtur, essentiam et existentiam nullo modo distingui ; et idem est de omnibus universalibus ; ut cum dico, petrus est homo, cogitatio quidem quâ cogito petrum, differt modaliter ab ea quâ cogito hominem, sed in ipso petro nihil aliud est esse hominem, quam esse petrum, etc. Sic igitur pono tantum tres distinctiones ; Realem, quæ est inter duas substantias ; Modalem, et Formalem, sive rationis ratiocinatæ ; quæ tamen tres, si opponantur distinctioni rationis Ratiocinantis, dici possunt Reales, et hoc sensu, dici poterit essentia, realiter distingui ab existentiâ ; Ut etiam, cum per essentiam intelligemus rem, pro ut est objectivè in intellectu, per existentiam vero rem eandem, pro ut est extra intellectum, manifestum est illa duo realiter distingui. Ainsi quasi toutes les controverses de la Philosophie, ne viennent que de ce qu’on ne s’entend pas bien les uns les autres. Excusez Clerselier I, 530 si ce discours est trop confus, le Messager va partir, et ne me donne le temps que d’ajouter icy, que ie me tiens extremement vostre obligé, de la souvenance que vous avez de moy ; et que ie suis, etc.