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2001

La production éditoriale à Jumièges vers le milieu du Xe siècle

The Scriptorium of Jumièges in the Middle of the Tenth Century
Jacques Le Maho

Résumés

Le monastère de Jumièges fut restauré en 942 par le duc Guillaume Longue-Epée. À la mort de ce dernier, Louis IV d’Outremer assumant la régence du duché, l’abbaye dut faire face à l’hostilité des agents du roi. C’est probablement à cette époque qu’y furent composés quatres textes, destinés à soutenir les intérêts de Jumièges : la Vie de saint Aycadre, la Vie de saint Hugues, une Vie de Guillaume Longue-Epée (aujourd’hui perdue) et enfin la célèbre Complainte sur la mort du duc. En l’état actuel des connaissances, ces quatre œuvres seraient les plus anciennes productions littéraires réalisées en Normandie après 911.

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Texte intégral

Première partie : les vies des saints Aycadre et Hugues

  • 1 Fauroux, Marie, Recueil des actes des ducs de Normandie, Mémoires de la Société des Antiquaires de (...)

1L’abbaye de Jumièges fut le second établissement monastique de la province à renaître après le traité de Saint-Clair-Epte, le premier étant Saint-Ouen de Rouen, vraisemblablement restauré en 9181. De nombreux travaux ont été déjà consacrés aux écrits issus de son scriptorium. Il nous est cependant apparu que les éléments les plus anciens de cette production restaient à identifier. C’est ce à quoi nous allons consacrer la présente étude, en essayant de dégager l’apport de ces textes à l’histoire de la Normandie du Xe siècle.

Le contexte historique : Jumièges des premières incursions normandes à l’an Mille

  • 2 Annales fontanellenses priores, éd. Jean Laporte, Mélanges de la Société de l’Histoire de Normandie(...)
  • 3 Vernier, Jules-Joseph, Chartes de l’abbaye de Jumièges (v. 825-1204), Rouen-Paris, Société de l’His (...)
  • 4 Duft, Jean, « Le ‘presbyter de Gimedia’ apporte son antiphonaire à Saint-Gall », in Jumièges. Congr (...)
  • 5 Le Maho, Jacques, Rouen et les Vikings… (en préparation).
  • 6 Les annales de l’abbaye Saint-Pierre de Jumièges, éd. Jean Laporte, Rouen, Lecerf, 1954, p. 83.

2Selon les annales de Fontenelle, le monastère fut brûlé par les Normands lors de leur premier raid sur la basse Seine, le 24 mai 8412. On ne sait combien de temps les moines purent demeurer ensuite dans leur abbaye. En faveur de l’hypothèse d’un maintien de la vie monastique à Jumièges jusqu’en 862, on a parfois invoqué un acte pour l’abbé Gosselin. Mais cet acte concerne des biens de la mense abbatiale ; il ne saurait donc nous renseigner sur le sort des religieux3. Le témoignage de Notker le Bègue au sujet de la fuite à Saint-Gall d’un « prêtre» de Jumièges laisserait plutôt supposer que l’évacuation eut lieu dès la fin des années 850 ou le début des années 860, ce qui la situerait à peu près en même temps que l’exode des moines de Fontenelle, daté de 8584. On ignore tout du sort de la communauté jusqu’au dernier quart du IXe siècle. Divers indices suggèrent son passage à Sainte-Colombe de Sens au début des années 8805. À la fin du siècle, elle semble définitivement fixée à Haspres (Nord) dans le Cambrésis, avec les reliques de saint Aycadre (fin VIIe siècle), second abbé de Jumièges, et de saint Hugues ( c. 732), autre abbé de ce monastère. Ces deux corps saints n’allaient jamais revenir à Jumièges6.

  • 7 Le Maho, Jacques, « Un exode de reliques dans les pays de la Basse Seine à la fin du IXe siècle», B (...)
  • 8 Le Maho, Jacques, Rouen et les Vikings… (en préparation).
  • 9 The Gesta Normannorum Ducum of William of Jumièges, éd. Elisabeth Van Houts, t. 1, Oxford, Clarendo (...)

3En 890, trois groupes monastiques fuyant le Cotentin à la suite de l’attaque des Normands sur Saint-Lô trouvèrent un refuge provisoire dans les dépendances portuaires de l’abbaye7. Ils ne semblent pas y avoir séjourné plus de quelques années ; avant la fin du IXe siècle semble-t-il, le groupe installé dans le port de Saint-Paul (comm. Duclair) repartit en direction du Vexin, pour se fixer définitivement à Saint-Clair-sur-Epte8. Une obscurité totale règne ensuite sur le sort du site de Jumièges jusqu’au principat de Guillaume Longue-Epée (v. 927-942). Selon une tradition rapportée par Guillaume de Jumièges, les ruines étaient alors à l’abandon, avec pour seuls occupants deux chapelains, Gondouin et Baudouin, que les moines d’Haspres avaient envoyés pour veiller sur le site. C’est après avoir reçu un jour l’hospitalité de ces deux religieux et découvert l’importance de l’ancienne abbaye que le duc Guillaume aurait fait le vœu d’y ranimer la vie monastique9.

  • 10 Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actis primorum Normanniae Ducum, éd. Jules Lair, Caen (M.S.A. (...)
  • 11 Lemarignier, Jean-François, « Jumièges et le monachisme occidental au haut Moyen Age (VIIe-XIe s.)  (...)
  • 12 Lambert, Jean, « Les calendriers de Jumièges », in Jumièges. Congrès scientifique du XIIIe centenai (...)
  • 13 Fauroux, Marie, Recueil…, n˚ 36.
  • 14 « Maceriis in sua soliditate in sullime porrectis » (GND, éd. Elisabeth Van Houts, p. 20) ; « Sanc (...)
  • 15 Le Maho, Jacques, L’abbaye de Jumièges, Editions du patrimoine, Paris, 2001, p. 50-51 ; voir égalem (...)

4Des liens dynastiques venaient de se nouer entre la Normandie et le Poitou par le mariage de la sœur de Guillaume Longue-Epée, Gerloc/Adèle, avec Guillaume Tête-d’Etoupe, comte de Poitiers. Il se trouve d’autre part que la famille de ce dernier avait fait récemment de l’abbaye Saint-Cyprien de Poitiers son principal sanctuaire dynastique. Ce fut donc à Martin, abbé de Saint-Cyprien, que le duc de Normandie confia la restauration de Jumièges10. On ignore la date exacte de l’arrivée de Martin en Normandie. Cependant, Jean-François Lemarignier a montré qu’elle peut difficilement être antérieure au passage de Martin à Saint- Jean d’Angély, où il fut nommé abbé le 7 janvier 94211. Comme, d’autre part, le plus ancien calendrier de Jumièges place au 5 avril la consécration du maître-autel de l’église Saint-Pierre12, on pourrait situer l’arrivée de Martin vers le mois de mars de la même année. Martin s’installa à Jumièges avec douze de ses moines de Saint-Cyprien. Le duc leur constitua une petite dotation foncière, restituant plusieurs domaines de l’abbaye prénormande13. Il aida à la reconstruction d’une partie des bâtiments conventuels et à la restauration de l’église Saint-Pierre ; cette dernière ayant gardé toute son élévation d’origine, on n’eut qu’à la remettre hors d’eau14. Ces dernières précisions fournies par Guillaume de Jumièges ont été récemment confirmées par l’analyse archéologique. Il s’avère en effet que l’église Saint-Pierre a conservé d’importants éléments de l’époque prénormande, datables de la fin du VIIIe ou du début du IXsiècle15.

  • 16 Les annales de l’abbaye Saint-Pierre de Jumièges, éd. Jean Laporte, Rouen, 1954, p. 84.
  • 17 Laporte, Jean, « Les listes abbatiales de Jumièges », in Jumièges. Congrès scientifique du XIIIe ce (...)
  • 18 Sur le détail événementiel de cette période, renvoyons une fois pour toutes à l’ouvrage de Philipp (...)
  • 19 Dudon de Saint-Quentin, éd. Jules Lair, p. 248-249.
  • 20 GND, éd. Elisabeth Van Houts, p. 110-111.
  • 21 Voir notre étude à paraître sur les « Tours et entrées occidentales des églises de la basse vallée (...)
  • 22 Le Maho, Jacques, « Transports de matériaux de construction dans la région de la basse Seine au hau (...)
  • 23 GND, éd. Elisabeth Van Houts, p. 102.

5L’assassinat de Guillaume Longue-Epée le 17 décembre 942 porta un coup d’arrêt au nouvel essor de l’établissement. Selon les annales de l’abbaye, Martin serait rentré à Poitiers après la mort du duc16. La crosse de Jumièges fut alors confiée à l’abbé Annon, que les listes abbatiales donnent comme second abbé après la restauration17. Dès son entrée en fonction, ce dernier dut faire face à une situation de crise. Sous prétexte d’organiser la régence du duché – le prince Richard n’était pas en âge de gouverner – le roi Louis IV entra à Rouen, plaça le jeune prince sous sa tutelle avant de l’emmener à Laon. Les membres de l’entourage du duc furent écartés et les principaux postes de commande furent confiés aux fidèles du roi18. À Rouen, Louis accorda à un certain Raoul la Tourte les pleins pouvoirs sur l’administration des domaines. Ce personnage allait laisser dans le pays le souvenir d’un collecteur d’impôts particulièrement rapace19. À Jumièges, se montrant « pire que les païens », il aurait donné l’ordre d’abattre les restes de l’église Notre-Dame afin d’approvisionner en pierres le chantier de restauration des murailles de Rouen. Selon Guillaume de Jumièges à qui nous devons la connaissance de ces faits, un clerc du nom de Clément réussit à sauver les deux tours de l’église en les rachetant aux démolisseurs20. L’anecdote a de bonnes chances, là encore, d’être authentique. Les deux tours en question étaient probablement deux grandes turres du type de celles de l’abbatiale carolingienne de Saint-Riquier, implantées chacune à une croisée de transept21. Les démolitions auraient donc principalement porté sur la nef, ce que tendrait à confirmer la présence à Duclair, localité voisine, d’un groupe de chapiteaux mérovingiens et de colonnes de marbre en réemploi, éléments provenant selon toute vraisemblance de Jumièges22. L’anecdote est en tout cas révélatrice de la tension qui dut exister entre les moines et les agents royaux durant les trois années de la régence de Louis IV à Rouen (943-945). On devine sans peine les causes de ce climat d’hostilité. Oeuvre principale de Guillaume Longue-Epée, la restauration de l’abbaye de Jumièges portait témoignage de la grandeur et de la piété du duc normand disparu. Selon une tradition évoquée dans plusieurs sources – nous y reviendrons –, Guillaume aurait même songé un moment à y prendre l’habit monastique. Politiquement, le roi Louis n’avait donc aucun intérêt à faire preuve d’une sollicitude particulière à l’égard des moines de Jumièges. À en juger par les traces qu’elle allait laisser dans l’historiographie, toute la propagande française de l’époque devait en effet être axée sur les thèmes suivants : descendant des païens qui avaient mis naguère le royaume à feu et à sang, Guillaume Longue-Epée n’avait pas valu mieux que ses ancêtres ; fils de sa concubine à la mode danoise, Sprota, le jeune Richard ne pouvait prétendre à la succession23.

  • 24 Fauroux, Marie, Recueil…, n˚ 53.
  • 25 Dumas, Françoise, Le trésor de Fécamp et le monnayage en Francie occidentale pendant la seconde moi (...)
  • 26 Sur l’archevêque Hugues, cf. Musset, Lucien, « Aux origines d’une classe dirigeante : les Tosny, g (...)
  • 27 Recueil des Actes de Louis IV, roi de France (936-954), éd. Maurice Prou et Philippe Lauer, Paris ( (...)
  • 28 Les Annales de Flodoard, éd. Philippe Lauer, Paris, 1906, p. 88.
  • 29 Ce point fera l’objet d’une étude détaillée dans notre ouvrage en préparation, Rouen et les Viking (...)
  • 30 Vita S. Chrothildis, éd. Bruno Krusch, M.G.H., Scriptores rerum merovingicarium, t. II, p. 347 ; su (...)

6L’hostilité des Français à l’égard de Jumièges durant la période de la régence contraste avec les faveurs qu’ils accordèrent dans le même temps à Saint-Ouen de Rouen. Il est frappant de constater que le seul bienfaiteur connu de l’abbaye rouennaise dans les années 943-945 est ce même Raoul la Tourte, fondé de pouvoir du roi Louis IV, dont nous venons d’évoquer les exactions contre les moines de Jumièges. La donation de Raoul la Tourte portait sur de vastes terrains à l’est de la ville24. Il faut probablement rapporter à la même période la concession à Saint-Ouen du droit de monnaie qui est à l’origine de l’émission d’une petite série de deniers d’argent à la légende SANCTE AUDOENI. Leur type est très voisin de celui des deniers frappés à Rouen au nom du roi Louis IV entre 943 et 945, et, comme ces derniers, ils correspondent à un monnayage éphémère : l’émission ne semble pas s’être poursuivie au-delà du milieu du Xe siècle25. De surcroît, il n’existe aucun autre exemple, dans toute l’histoire du duché, de dévolution d’un droit de monnaie à un établissement monastique. La concession a donc de bonnes chances d’être d’origine royale plutôt que ducale, ce qui nous renvoie là encore à la période de régence du roi Louis IV à Rouen. On comprendrait aisément le motif de ce geste du souverain en faveur de l’abbaye rouennaise. Celle-ci avait alors à sa tête l’archevêque de Rouen en personne, Hugues, d’origine française, ancien moine de Saint-Denis, récemment installé au siège de Rouen (en 942)26. En lui accordant dons et privilèges, comme il le fit par exemple en 943 pour l’archevêque de Tours lors de la restauration du monastère de Saint-Julien27, le roi se ménageait un précieux allié à Rouen, car le soutien de l’archevêque lui était indispensable pour obtenir le ralliement des milieux francs et chrétiens de la ville. À Évreux, c’est grâce au concours de la « partie chrétienne de la population », nous dit Flodoard, qu’Hugues le Grand put prendre possession de la ville en 94428. Il est possible enfin qu’au droit de monnayage ait été joint un privilège d’immunité : un vaste enclos fossoyé de forme ovalaire a existé autour du monastère de Saint-Ouen avant le XIIe siècle, marquant peut-être, comme le fossé de l’abbaye royale de Saint-Denis, le périmètre du bourg monastique sous franchise29. Une légende attribuant les origines du monastère de Saint-Ouen à l’évêque saint Denis, légende qui n’est pas antérieure au Xe siècle et dont l’origine est évidemment française, constitue un autre point de similitude avec la grande abbaye royale30. Tout se passe donc comme si l’abbé-archevêque Hugues avait profité du soutien du roi pour essayer de transformer Saint-Ouen de Rouen en une sorte de petit Saint-Denis, à l’image du monastère dont il était lui-même issu.

  • 31 Lauer, Philippe, Le règne de Louis IV d’Outremer, p. 120-124.
  • 32 Sans faire référence à ces événements, l’historien anonyme de Jumièges du XVIIIe s. situe le dépar (...)
  • 33 Orderic Vital, Histoire ecclésiastique, éd. Marjorie Chibnall, t. 3, p. 328 et suiv. Il n’est pas d (...)
  • 34 Voir ci-dessous notre analyse du manuscrit 1378 de Rouen.
  • 35 Laporte, Jean, « Les listes abbatiales de Jumièges », p. 455-456. Dans cette étude, l’auteur tente (...)

7Après la mort de Guillaume Longue-Epée, le roi Louis et Hugues le Grand, duc des Francs, s’étaient entendus pour le partage de la Normandie. Mais cet accord de circonstance fut rompu en 94431. Le fait n’est peut-être pas étranger au départ d’Annon pour Saint-Mesmin de Micy dans le suburbium d’Orléans, où il alla rejoindre les siens, et, peut-on penser, se mettre sous la protection d’Hugues le Grand32. C’est dans cette même ville d’Orléans, rappelons-le au passage, que le duc des Francs aurait transféré le corps de saint Evroul, enlevé de l’abbaye d’Ouche lors du retrait de ses troupes de basse Normandie en 944/533. Annon demeura à Micy jusqu’à sa mort en 973, gardant l’abbatiat de Jumièges, semble-t-il, mais se contentant d’administrer de loin cette maison34. Après lui s’ouvre une période très obscure pour laquelle nous n’avons plus aucun nom d’abbé dûment attesté avant Roderic, en poste dans les années 990, et dont les annales de l’abbaye placent le décès en l’an Mille35.

Les Vies des saints Aycadre et Hugues

  • 36 De s. Aichardo abbate gemmeticensi in Normannia, Acta Sanctorum, 15 sept., sept. V, p. 80-102. Van (...)
  • 37 Van Der Straeten, Joseph, ibid. ; du même, « L’auteur des Vies de s. Hugues et de s. Aycadre », Ana (...)

8Les deux abbés mérovingiens dont les corps avaient été transportés par les moines de Jumièges dans leur refuge d’Haspres ont fait l’objet de la rédaction de plusieurs Vitae. Nous ne nous occuperons ici que des deux plus anciennes, l’une et l’autre anonymes, celle éditée dans les Acta Sanctorum pour saint Aycadre, celle publiée en 1969 par Joseph Van der Straeten dans les Analecta Bollandiana pour saint Hugues36. Toutes deux figurent dans un même manuscrit de la bibliothèque de Rouen (ms 1377). Les analyses de Joseph Van der Straeten et celles toutes récentes de John Howe sur ces Vitae nous dispenseront de revenir sur de nombreux points37. Cependant, disons d’emblée que nous aboutissons parfois à des conclusions différentes, notamment sur deux points essentiels, la date et le lieu de rédaction des deux Vitae en question.

9Résumons d’abord le contenu de ces textes, tous deux très copieux. La biographie de saint Aycadre fait naître le futur abbé de Jumièges dans le suburbium de Poitiers, du noble Anschaire et d’une certaine Ermena. Il a pour précepteur Ansfred, moine de Saint-Hilaire de Poitiers (§ 1). Au terme de brillantes études (§ 2), il se fait moine à Ansion (Saint-Jouin de Marnes), puis, avec l’aide d’Ansoald évêque de Poitiers, il fonde un monastère à Quinçay (Saint-Benoît de Quinçay), sur une propriété donnée par ses parents (§ 4-8). Cette fondation est placée sous la tutelle de saint Philibert, abbé de Jumièges. Ce dernier, aux prises avec le maire du palais Ebroïn, envisage de se retirer auprès d’Ansoald et pense à Aycadre pour sa succession à Jumièges. Il en fait part à l’intéressé par l’intermédiaire de deux messagers, Sidonius et Predo, puis il se rend lui-même à Quinçay en compagnie d’Ansoald (§ 14-25). Aycadre accepte la proposition de Philibert. Quand ce dernier décide de s’exiler au diocèse de Poitiers, y fondant le monastère d’Herio (Noirmoutier), Aycadre quitte Quinçay pour prendre la direction de Jumièges (§ 39). Commence alors la seconde partie de la Vita. Hormis la mention de l’entrée au monastère d’un certain Astase, donateur du domaine de Tourtenay en Poitou (§ 47), cette seconde partie n’est que la relation d’une série de miracles survenus du vivant de l’abbé : celui-ci est un jour entouré d’une vive lumière (§ 49), il chasse plusieurs fois un démon qui hantait l’abbaye ; un ange l’avertit de la fin prochaine de la moitié de la communauté (§ 56-60) ; pas moins de 445 religieux meurent, leurs corps sont enterrés dans des sarcophages au cimetière de l’abbaye (§ 64). Aycadre les y rejoindra bientôt (§ 71).

10Selon la Vita prima Hugonis, Hugues est le fils de Charlemagne et d’Anstrude, fille de Tassilon, duc de Bavière (§ 1). Il fait ses premières études à l’abbaye de Saint-Denis, puis il est ramené à l’école palatine (§ 5). Son père lui confie les abbatiats de Rebais et de la Croix-Saint-Leufroy (§ 8). Il entreprend un voyage à Rome et rencontre le pape Léon, qui lui administre la tonsure et le diaconat ; dès lors, devant le pontife, il fait vœu d’entrer un jour à Jumièges (§ 9-12). Alors qu’il est de retour au palais de Trèves, on apprend la nouvelle des décès des évêques de Rouen et de Metz (§ 15-18). Charlemagne obtient que ses deux fils Hugues et Drogon soient nommés à ces sièges, le premier à Rouen et le second à Metz (§ 20). Installé dans son diocèse, Hugues reconstruit des églises, réunit des synodes, reçoit à sa table pauvres et nécessiteux, guérit des paralytiques, mène une vie frugale et fait parfois de longs séjours de recueillement à l’abbaye de Jumièges (§ 22-28). Un jour, effrayé de ses responsabilités à la suite de l’audition d’un passage de l’Evangile, il résigne sa charge d’archevêque pour entrer à Jumièges comme simple moine et fait don de plusieurs domaines à cet établissement (§ 29-30). Après neuf ans de vie ascétique, il y meurt un 9 avril, âgé de 74 ans (§ 31).

11Au fil de la lecture de ces textes, riches l’un et l’autre en détails de toute sorte – lieux, noms de personnages secondaires, périodicité exprimée en nombre d’années, etc. – on ne peut manquer d’être saisi d’un doute.

  • 38 Laporte, Jean, « Légendes de Jumièges », in Jumièges. Congrès scientifique du XIIIe centenaire, t.  (...)
  • 39 Le Maho, Jacques, « Les origines de l’abbaye de Fécamp, de l’histoire à la légende », in De l’histo (...)

12Manifestement, l’auteur de la Vie de saint Aycadre ne connaît rien de son personnage. Toute sa première partie est construite à partir d’éléments empruntés, parfois mot-à-mot, à la Vie de saint Philibert. L’auteur lui-même ne se cache pas d’avoir utilisé cette source : à la fin de sa première partie, il la cite à l’appui d’un de ses dires et invite le lecteur à s’y reporter s’il veut en savoir plus sur saint Philibert (§ 39). C’est dans ce texte que notre hagiographe a trouvé le lien entre Aycadre et l’abbaye poitevine de Quinçay, l’histoire des démêlés de Philibert avec Ebroïn et de la fondation d’Herio, sans compter certains détails curieux comme la présence de fenêtres vitrées au dortoir de Jumièges (§ 50), ou encore les dimensions exceptionnelles de ce bâtiment au temps de Philibert (§ 39). Plusieurs personnages de la Vita Philiberti retrouvent un second rôle dans la biographie d’Aycadre. C’est le cas de l’évêque de Poitiers Ansoald, auquel est attribué (probablement à tort) un rôle dans la fondation de Quinçay (§ 8-9), et chose plus surprenante, du cellerier de Noirmoutier Sidonius, devenu sous la plume de notre auteur émissaire de l’abbé de Jumièges auprès de saint Aycadre (§ 15). Le manque d’informations de l’hagiographe est encore plus flagrant dans la seconde partie de la Vie consacrée à l’abbatiat d’Aycadre à Jumièges. Les miracula qui forment l’essentiel de sa matière ne sont visiblement là que pour meubler. L’un d’entre eux – l’apparition d’un halo de lumière autour d’Aycadre (§ 49) – est la copie exacte d’un miracle de saint Philibert. Une seule de ces légendes, celle de la mort subite des 445 moines, semble véritablement originale. Mais dom Laporte n’y voit, avec raison nous semble-t-il, que l’émanation d’une tradition tardive, liée à la redécouverte de sarcophages enfouis en grand nombre sous la cour du cloître38. Des légendes assez proches, en rapport elles aussi avec la présence d’anciennes nécropoles monastiques, sont attestées à Fécamp et à Saint-Évroult39. Il resterait à savoir d’où l’hagiographe tient toutes les informations qu’il prétend détenir sur le lieu de naissance d’Aycadre, les noms de ses parents, de son précepteur, du donateur de Tourtenay ; nous y reviendrons.

  • 40 Gesta sanctorum Patrum fontanellensis coenobii, éd. Fernand Lohier et Jean Laporte, SHN, Rouen-Pari (...)
  • 41 Van Der Straeten, Joseph, « Vie inédite de s. Hugues », p. 229.
  • 42 ibid., p. 226.
  • 43 Vita IIa S. Audoeni, éd. Guillelmus Cuperus, Acta Sanctorum, Aug. IV, p. 810-819.
  • 44 Ibid. p. 811-812 et 816.
  • 45 Ibid, p. 814-817.
  • 46 Vernier, Jules-Joseph, Chartes de l’abbaye de Jumièges (v. 825 à 1204), SHN, t. 1, 1916, n˚ III, p. (...)
  • 47 Situé dans la basse vallée de la Seulles à l’est de Bayeux, le domaine d’Amblie est voisin de Vien (...)

13Pour juger la valeur de la Vita Hugonis, nous avons la chance de disposer de quelques éléments biographiques de très bon aloi dans la notice que consacrent à ce personnage les Gesta Abbatum de Fontenelle, rédigés peu après 83040. Le rapprochement est accablant pour notre hagiographe. Non seulement ce dernier ignore qu’Hugues avait détenu, outre l’évêché de Rouen, ceux de Bayeux et de Paris ainsi que l’abbatiat de Fontenelle, mais, chose plus étonnante encore, il ignore qu’Hugues avait été abbé de Jumièges et non simple moine dans cette abbaye. Il en fait un fils de Charlemagne alors que le véritable Hugues était né à la fin du VIIe siècle, de Drogon, fils de Pépin II de Herstal, et d’Adeltrude, fille du maire du palais Berthaire. Nous avons donc affaire à une biographie entièrement inventée. Les sources utilisées pour la composition de ce roman hagiographique – laissons pour l’instant de côté les emprunts aux textes religieux et aux auteurs classiques – semblent avoir été plus nombreuses que pour la Vie de saint Aycadre. Pour l’évocation de la figure de Charlemagne, l’auteur se réfère explicitement aux Gesta Domni et Magni Regis Karoli, sans doute la Vie écrite par Eginhard (§ 1)41. C’est là qu’il a trouvé les éléments pour forger l’histoire de Tassilon de Bavière et de son fils Théodon, tous deux censés avoir connu l’exil au monastère de Jumièges (§ 1-2). Si la sentence d’exil prononcée contre les princes de Bavière est un fait authentique, leur internement à Jumièges n’est cependant confirmé par aucun témoignage contemporain, et qui plus est, l’information est contredite par plusieurs sources situant leur exil dans des monastères de Germanie. Contrairement à l’éditeur42, nous avons par conséquent de sérieux doutes sur la véracité de cette anecdote. L’intérêt de l’hagiographe pour les calendriers (§ 20, 28, etc.) et d’une manière plus générale pour la chronologie – il cite même une date, d’ailleurs erronée (§ 19) – laisse supposer une certaine fréquentation des sources annalistiques et des livres de comput. Il est également fort probable que l’auteur ait eu recours à la Vita secunda de saint Ouen, du début du IXe siècle43. Ce texte évoque en effet les fondations de Rebais et de la Croix-Saint-Ouen, et ce sont ces deux mêmes abbayes, comme par hasard, dont Hugues aurait tenu la crosse44. C’est sans doute aussi à la Vie de saint Ouen que notre auteur a emprunté l’idée du voyage d’Hugues à Rome, celles de ses donations aux abbayes d’hommes et de femmes (§ 23-24), de la guérison de paralytiques, celle enfin de la nomination simultanée d’Hugues et de Drogon aux évêchés de Rouen et de Metz : cette dernière anecdote offre un parallélisme exact avec l’histoire de la nomination de saint Ouen et de saint Eloi aux sièges de Rouen et de Noyon, telle qu’elle est racontée dans la Vita Audoeni45. Pour la liste des domaines prétendument donnés par saint Hugues à l’abbaye de Jumièges (§ 29), l’hagiographe s’est servi – en le complétant par des indications fantaisistes de pagi – d’un diplôme de Charles le Chauve de 849 pour Jumièges confirmant les biens de la mense conventuelle46. Un seul nom ne se retrouve pas dans la copie du XIe siècle qui nous a été conservée de ce diplôme, celui d’Amlidum (prob. Amblie, Calvados) ; mais ceci pourrait aisément s’expliquer par une omission du transcripteur47. Enfin, nous verrons plus loin quel parti l’auteur a su tirer, pour sa fiction, d’un diplôme de Louis le Pieux conservé dans les archives de l’abbaye. Une fois tous les éléments du récit passés au crible, il ne reste plus guère que deux informations véridiques, en tout cas vérifiables : Hugues fut bien évêque de Rouen (passons sur le titre anachronique d’archevêque), et la date de sa mort se situe bien autour du 9 avril (les Gesta de Fontenelle la placent au 8 du même mois). Selon toute vraisemblance, ces deux données proviennent d’un obituaire ou d’un catalogue épiscopal de Rouen.

La date des Vitae

  • 48 Van Der Straeten, Joseph, « L’auteur des Vies de s. Hugues et de s. Aycadre », p. 63-73.
  • 49 Ibid., p. 64-69.
  • 50 Howe, John, « The Hagiography of Jumièges… », p. 124.
  • 51 Van Der Straeten, Joseph, « L’auteur des Vies… », p. 69.

14Dans une étude publiée en 1970, Joseph Van der Straeten a montré, de manière selon nous définitive, que les deux Vitae sont l’œuvre d’un seul et même auteur48. Les concordances de grammaire, d’expressions et de vocabulaire sont beaucoup trop nombreuses pour être purement fortuites, avec cependant assez de variantes pour exclure l’éventualité qu’un texte ait été dépendant de l’autre ; renvoyons une fois pour toutes au tableau analytique publié par l’éditeur de la Vita Hugonis49. Les similitudes ne sont pas seulement formelles. Des deux côtés, on trouve en effet la même abondance de références bibliques. Le découpage des chapitres et la formulation des titres de l’index sont très similaires50. En dehors des thèmes communs à toutes les productions hagiographiques, des évocations récurrentes laissent entrevoir les goûts et les préoccupations personnelles de l’auteur, et ce sont les mêmes de part et d’autre. C’est d’abord un intérêt très marqué pour la vie intellectuelle. De longs développements sont consacrés à la formation scolaire d’Aycadre et d’Hugues, et l’auteur insiste volontiers sur le savoir et l’érudition des deux personnages ; c’est principalement à ces qualités, laisse-t-il entendre, qu’ils doivent d’avoir été élevés l’un et l’autre au poste d’abbé. Plus singulière, et donc plus révélatrice encore, est la place réservée dans les deux récits aux repas et aux banquets. L’auteur s’attarde avec complaisance à l’évocation de ces instants conviviaux. Les prétextes sont nombreux : la dédicace de Notre-Dame de Quinçay, la rencontre d’Aycadre et de saint Philibert, la rencontre d’Hugues et du pape, une réception au palais, un synode, une fête organisée par l’évêque de Rouen en l’honneur de la population, sa réception par les chanoines. Au total, Joseph van der Straeten ne dénombre pas moins de huit occurrences relatives à la refectio corporis dans chacun des deux textes51.

  • 52 Van Der Straeten, Joseph, « Vie inédite de s. Hugues », p. 224-229 ; du même, « L’auteur des Vies…  (...)
  • 53 Les annales de l’abbaye Saint-Pierre de Jumièges, éd. Jean Laporte, Rouen, 1954, p. 83.
  • 54 Howe, John, « The Hagiography of Jumièges… », p. 124.

15Il s’agit maintenant d’essayer de situer la date et le lieu de leur rédaction. Incontestablement, il faut orienter les recherches vers le milieu monastique : très nombreuses sont de part et d’autre les allusions ou les références à la règle de saint Benoît. Selon Joseph Van der Straeten, les deux Vitae auraient été composées vers la fin du IXe siècle à Haspres, refuge des moines de Jumièges au temps des invasions normandes52. Cette opinion est fondée sur les arguments suivants. C’est à Haspres que furent transportés les corps des saints Aycadre et Hugues ; de l’aveu même du rédacteur des annales de l’abbaye de Jumièges au XIIe siècle, ils s’y trouvaient encore à cette époque, accomplissant de nombreux miracles53. Les Vitae étant entièrement déconnectées de la tradition de Jumièges, il conviendrait de placer leur rédaction après le milieu du IXe siècle. En revanche, le manuscrit le plus ancien contenant ces deux Vies (BM Rouen 1377) serait d’une écriture de la fin du IXe siècle. D’après Joseph Van der Straeten, c’est donc à ce moment qu’auraient été composés nos textes hagiographiques. L’objectif de leur rédacteur aurait été de célébrer les vertus des deux saints de Jumièges dont les corps reposaient à Haspres, afin de promouvoir le culte local de ces reliques. Dans sa récente recension des sources hagiographiques de Jumièges, John Howe se prononce lui aussi pour une rédaction dans la seconde moitié du IXe siècle, mais en donnant la préférence à une date assez proche du départ des moines, en tout cas antérieure à leur arrivée à Haspres54.

  • 55 Avril, François, Manuscrits normands XIe-XIIe siècles, catalogue de l’exposition de la bibliothèque (...)

16Or, ces deux thèses soulèvent à notre avis plusieurs objections de fond. On ne saurait contester que les deux textes aient été rédigés après le départ des moines de Jumièges (lequel intervint sans doute, rappelons-le, vers 860). Mais il est tout de même difficile de croire qu’au cours des années suivantes, la tradition de cette maison se soit soudain perdue au point que les dépositaires du corps de saint Hugues aient cru détenir les reliques d’un simple moine, en ignorant qu’il s’agissait d’un de leurs anciens abbés. La Vita Hugonis fut donc certainement rédigée beaucoup plus tard que ne le pense John Howe. Quant à la thèse d’une rédaction à Haspres, on peut lui opposer au moins deux arguments. D’une part, aucune des deux Vitae ne fait mention de la translation des reliques, et ce silence est difficilement compréhensible si l’on considère qu’elles furent composées dans le refuge du Cambrésis. D’autre part, on n’y trouve aucune relation de miracle post mortem, ce qui cadre mal également avec l’hypothèse de textes rédigés pour susciter le développement d’un pèlerinage autour des corps saints. Plus gênant encore, il est dit très clairement à la fin de la Vita Aichardi que les corps des deux saints reposent depuis toujours au cimetière de l’abbaye de Jumièges (§ 65). Il faut donc se rendre à l’évidence : les textes ont été composés non pas à Haspres, mais à Jumièges même. Par voie de conséquence, et puisque le monastère de la basse Seine ne fut restauré que dans le second tiers du Xe siècle, il faut nécessairement envisager une date de rédaction plus tardive. Reste un point capital, la datation du manuscrit 1377 de Rouen. En le situant à la fin du IXe siècle, Joseph Van der Straeten, et, à sa suite, John Howe, s’en sont remis au seul jugement des paléographes. Or, dans une notice publiée en 1975, François Avril a montré que si l’écriture de ce manuscrit est bien de tradition carolingienne, sa décoration « pourrait indiquer une date un peu plus récente, second quart ou même milieu du Xe siècle, les initiales ornées n’offrant qu’un reflet abâtardi de celles de l’époque carolingienne… Il s’agirait dans ce cas d’une des toutes premières réalisations issues du scriptorium de Jumièges après sa restauration »55.

  • 56 Nous remercions le frère Pascal Pradié, de l’abbaye de Saint-Wandrille, d’avoir effectué pour nous (...)
  • 57 Voir par exemple les Annales Bertiniani, éd. G. Waitz, M.G.H. Scriptores II, Script. in us. schol.(...)
  • 58 Vernier, Jules-Joseph, Chartes de l’abbaye de Jumièges, n˚ II, p. 2-5 ; autre édition par Levillain(...)
  • 59 Voir ci-dessus, note 46.
  • 60 Rouen, Bibl. mun., ms 1378  ; Dudon de Saint-Quentin, éd. Jules Lair, p. 171.

17Une relecture attentive des deux Vitae permet de réunir de nombreux éléments en faveur de l’hypothèse avancée par François Avril. Du point de vue lexicologique, on notera les occurrences de certains mots comme archipraesul, conscolastici (Vie de s. Hugues) ou commilitones (Vie de s. Aycadre) : ces termes évoquent davantage le Xe siècle que le siècle précédent56. Mais il est des indications chronologiques beaucoup plus précises. Dans la Vie de saint Aycadre, ces éléments sautent aux yeux, et il est étonnant que personne n’en ait encore jamais tiré les conséquences. Seul en effet un auteur parfaitement informé de l’histoire et de la géographie poitevines, comme c’était le cas des moines de Saint-Cyprien de Poitiers appelés à Jumièges par le duc de Normandie, a pu écrire cette Vita. L’auteur connaît manifestement très bien Poitiers et sa famille comtale. Comme par hasard, Aycadre naît au suburbium de cette ville, donc en un lieu tout proche de Saint-Cyprien (§ 1). Le nom de sa mère, Ermena, est un emprunt à peine déguisé au nom d’un comte de Poitiers du temps de Charles le Chauve, Ermenon57. C’est au sein de familles chrétiennes résidant à Poitiers que saint Aycadre a recruté ses premiers moines de Quinçay (§ 13). L’auteur connaît bien Saint-Hilaire, et il ne lui a sans doute pas été difficile de trouver, parmi tous les maîtres qui s’illustrèrent dans cette maison, un nom plausible pour le précepteur d’Aycadre. Il connaît le monastère d’Ansion (§ 4). Du monastère de Quinçay, il sait apparemment plus de choses que n’en dit la Vita Philiberti : il sait que ce monastère se trouve tout près de Poitiers (§ 38) et qu’il possède une église dédiée à Notre Dame (§ 8 à 10). La connaissance intime que l’auteur a du Poitou et de son histoire lui a donc été d’un grand secours pour donner une apparence d’historicité à la première partie de la Vita. Mais il y a plus. À l’exception d’un diplôme général d’immunité de Louis le Pieux, document dont il a certainement existé plusieurs copies, le seul acte subsistant des archives de Jumièges antérieures à l’incendie du 24 mai 841 concerne un domaine du Poitou, la villa de Tourtenay. Il s’agit d’une restitution de Pépin d’Aquitaine, datée du 23 avril 838, et même si nous n’en avons plus qu’une copie du XIe siècle, l’authenticité de l’acte original semble hors de tout soupçon58. Comment expliquer sa présence dans les archives de Jumièges, sinon en admettant qu’il fit partie des documents ramenés du Poitou par les moines de Saint-Cyprien lors de leur installation dans l’abbaye de la basse Seine ? Or, il est certain que l’auteur de la Vie d’Aycadre a connu le diplôme de Tourtenay. C’est à partir de ce document que, avec un sens de l’extrapolation qui ne nous étonne plus guère de sa part, il a imaginé l’histoire de ce noble personnage du nom d’Astase, venu du Poitou pour se faire moine à Jumièges, apportant en dot la terre de Tourtenay (§ 47). Le diplôme de Pépin n’en dit pas tant, mais il est clair que notre auteur n’a pu s’empêcher de broder sur ce document, comme il le fait dans la Vita Hugonis avec le diplôme de 849 en attribuant de façon non moins arbitraire à saint Hugues la donation de plusieurs villae figurant sur cette liste sommaire des propriétés de l’abbaye59. D’une manière plus générale, les longues digressions sur la période poitevine de la vie de saint Aycadre montrent combien l’auteur est enchanté d’avoir à rédiger la biographie d’un ancien compatriote. Il ne faut pas y voir seulement la preuve de sa dévotion personnelle à la mémoire de cet abbé. Officiellement, c’est en effet sous le patronage de saint Aycadre que les moines poitevins de Jumièges placèrent le monastère restauré : dans le prologue de la Vita, Aycadre est explicitement désigné comme pater noster (patronus noster dans le ms 1378 de Rouen), il est appelé « notre abbé » dans l’index qui suit, et aux environs de l’an Mille, Dudon de Saint-Quentin parle de l’abbaye « Saint-Pierre et Saint-Aycadre » de Jumièges60.

  • 61 Sur cet amphithéâtre et sa fréquentation par les prostituées de la ville, voir la Vita metrica S. (...)
  • 62 Recueil des Actes de Louis IV, roi de France, op. cit., p. 47.

18On ne s’étonnera pas de ne trouver aucune référence directe à l’Aquitaine dans la Vita Hugonis. À deux reprises, cependant, la narration laisse entrevoir la bonne connaissance que l’auteur a de la vie urbaine, ce qui s’explique aisément s’il a vécu longtemps à Poitiers. À propos de faits censés s’être passés à Rouen, l’hagiographe nous parle d’un afflux de pauvres dans la ville, phénomène se reproduisant chaque année, précise-t-il, in aestivo tempore, quo solent pauperibus alimenta deficere. Ce sont sûrement des scènes dont il a été maintes fois le témoin avant son arrivée en Normandie (§ 28). Un autre passage concerne le lupanar qu’Hugues est censé avoir fermé à Rouen. L’hagiographe précise que l’endroit resta longtemps désert par la suite, laissant ainsi entendre que de son temps, il était de nouveau habité (§ 22). Le site auquel pensait notre auteur était probablement un de ces monuments antiques qui s’élevaient dans les suburbia des cités et servaient fréquemment, notamment les amphithéâtres, de lieu de rendez-vous aux prostituées. C’était effectivement le cas des ruines de l’amphithéâtre de Rouen, mais l’histoire de ce site de la capitale normande cadre mal avec ce que l’auteur nous dit d’un repeuplement récent du quartier61. À Poitiers en revanche, il se trouve que l’amphithéâtre romain était situé dans un quartier de la zone hors-les-murs – le faubourg Saint-Hilaire – dont nous savons justement de source sûre qu’il fut repeuplé peu avant 94262.

19Au total, il ne semble pas douteux que les deux Vitae sont bien l’œuvre d’un des religieux de Poitiers venus rétablir la vie monastique à Jumièges. Dès lors, on comprend mieux le manque d’informations de l’auteur sur ses personnages, et aussi l’étrange atmosphère qui se dégage de la seconde partie de la Vie de saint Aycadre : à travers ces apparitions nocturnes de fantômes autour du dortoir, ces phénomènes mystérieux, l’histoire de l’arbre hanté (§ 43), les discours de l’abbé exhortant ses frères à ne pas se laisser troubler par ces manifestations diaboliques, on pense aux premiers effrois des nouveaux occupants dans le cadre impressionnant du grand monastère en ruines. De même s’éclaire le sens des mots « Nam ut fama credibilis eiusdem loci testabatur » par lesquels, dans la Vie de saint Aycadre, l’auteur signale une tradition orale recueillie à Jumièges (§ 39). On voit mal comment cette remarque eut pu être formulée par un moine issu de la communauté primitive en exil au pays de Cambrai. En revanche, elle n’a rien de surprenant de la part d’un étranger récemment arrivé dans le monastère normand, et qui vient de découvrir une partie de l’histoire du site à travers les témoignages des habitants. En ce qui concerne enfin, à un niveau moins anecdotique, les courants d’idées sous-jacents à la Vita Hugonis, il y aurait beaucoup à dire sur le long développement que l’auteur consacre à l’audience privée accordée par le pape Léon à saint Hugues (§ 12). Le lien direct et personnel qui s’établit alors entre le pontife et le futur moine de Jumièges – il n’est pas question ici, notons-le, du futur évêque de Rouen – est clairement de type clunisien. Comment ne pas mettre ce passage en rapport avec la propagation de la doctrine de Cluny en Aquitaine au cours des premières décennies du Xe siècle ? Il résulte de toutes ces observations très concordantes que les Vitae ne peuvent être antérieures à 942, date de l’arrivée des moines de Poitiers à Jumièges. En revanche, nos textes ne sauraient être très postérieurs au milieu du Xe siècle. L’écriture du manuscrit 1377 de Rouen indique en effet, pour reprendre une nouvelle fois la formule de François Avril, que nous sommes en présence d’une des toutes premières réalisations du scriptorium de l’abbaye après la restauration.

L’auteur des Vitae et son but éditorial

  • 63 Van Der Straeten, Joseph, « Vie inédite de s. Hugues… », p. 231.
  • 64 Ibid ., p. 229.

20Essayons de cerner de plus près la personnalité de l’hagiographe. Incontestablement, c’est un fin lettré. Comme le montre Joseph Van der Straeten, son style n’est pas irréprochable et sa syntaxe est souvent défectueuse63. Mais il a des prétentions littéraires, il se plaît à citer ses sources et sa culture est assez vaste. Il use avec abondance d’une phraséologie biblique et d’emprunts aux Psaumes. Dans la Vita Hugonis, il cite deux fois Grégoire le Grand, une fois dans les Moralia et la seconde fois dans les Lettres. Il fait un emprunt au De Joseph Patriarcha de saint Ambroise. Il se pique de connaître les auteurs classiques, Démosthène, Cicéron, Varron, et fait même mention du poète grec lyrique du VIIe siècle Arion64. Enfin, nous avons déjà dit son intérêt marqué pour tout ce qui concerne l’enseignement. En raison de ce dernier trait, Joseph Van der Straeten verrait volontiers dans notre homme un écolâtre. Il nous semble cependant que cette hypothèse ne suffit pas à rendre compte de toutes les caractéristiques du personnage. L’une d’entre elles est son excellente connaissance des choses de la cour : il sait dépeindre avec force détails la tenue des plaids et des conseils royaux, les réceptions au palais et les usages à respecter en présence du roi (V. Hugonis, 8). À n’en pas douter, notre hagiographe est habitué à la fréquentation des grands de ce monde, et il ne dédaigne pas de le montrer. Il connaît également très bien le cérémonial et le fonctionnement des synodes et des assemblées provinciales : qu’on en juge par la minutie avec laquelle il décrit, par exemple, le déroulement du synode présidé à Rouen par saint Hugues (§ 20). La place particulière qu’il accorde dans ses récits aux consultations préalables à toute décision importante, la manière dont il décrit cette sorte d’examen de passage auquel est soumis Hugues avant sa nomination aux abbatiats de Rebais et de la Croix (§ 8) semblent bien procéder d’expériences vécues. Enfin, et c’est peut-être le trait le plus révélateur, le discours s’apparente souvent à une véritable homélie, par son contenu même (exhortations spirituelles d’Aycadre à ses frères, § 61 et suiv.), par son style volontiers solennel et déclamatoire (voir notamment le préambule de la Vita Hugonis), sans compter les Amen et Per Dominum nostrum qui concluent chaque incidence pieuse. En un mot, tout semble bien désigner l’auteur des deux Vitae comme un abbé.

21Il resterait à savoir lequel, des abbés Martin et Annon qui se succédèrent à Jumièges au cours du second quart du Xe siècle, serait le mieux placé pour être l’auteur de ces œuvres. Sans exclure totalement l’hypothèse d’une rédaction par le premier abbé après la restauration, cette éventualité apparaît a priori comme la moins probable. Rappelons que Martin ne fit que passer à Jumièges. Si nous adoptons la chronologie de Jean-François Lemarignier, en l’affinant par les indications du premier bréviaire de l’abbaye – ce qui place l’abbatiat de Martin entre les environs de mars 942 et la mi-décembre de la même année –, force est d’admettre qu’il eut tout juste le temps de restaurer l’église Saint-Pierre pour le culte, d’installer et d’organiser la nouvelle communauté. Les Vitae ont donc de très bonnes chances d’avoir été écrites par son successeur Annon (942–973), et plus précisément, puisque les deux textes ont été rédigés à Jumièges, durant la période qui précéda le départ d’Annon pour Saint-Mesmin de Micy, c’est-à-dire dans les années 942-944. La précision chronologique est d’importance, car ces années correspondent comme on l’a vu à une période difficile pour Jumièges, et c’est peut-être justement dans ce contexte de crise qu’il faut rechercher les raisons de la publication des deux Vitae en question.

  • 65 Notons le silence très révélateur de la Vita Aichardi du XIe siècle au sujet du lieu où reposent l (...)

22Il est clair qu’en écrivant les biographies des saints Aycadre et Hugues, le but du rédacteur n’est pas de promouvoir le culte de leurs reliques. À l’avant-dernier chapitre de la Vita Aichardi, il affirme que les corps des deux saints reposent avec beaucoup d’autres dans le cimetière de l’abbaye, mais sans préciser davantage, et pour cause. En réalité, les corps se trouvent à Haspres. L’ignore-t-il ? En admettant que l’auteur soit en l’occurrence de bonne foi, on peut en tout cas imaginer son embarras s’il lui eut fallu désigner, parmi les innombrables sépultures du cloître, les tombes de nos deux abbés ; rien n’indique d’ailleurs que les moines de Jumièges aient jamais effectué des recherches en ce sens65. À supposer, dans l’hypothèse inverse, que l’affirmation de notre hagiographe soit un pieux mensonge, le simple fait de déclarer que les corps entiers reposent à Jumièges le prive de la possibilité de les réclamer aux moines d’Haspres. Ce n’est donc pas non plus dans cette intention que les Vitae ont été écrites. En revanche, on relève à la fin du chapitre précité de la Vita Aichardi une phrase susceptible de nous mettre sur une piste : quorum (sanctorum) interventu omnium nos petimus a cunctis protegi inimicorum temptationibus et defendi periculis (§ 64). Si cette prière finale a bien été rédigée, comme le reste de la Vita, au cours de la période 942-944, il faut très probablement y voir une allusion aux menaces qui pesaient alors sur le monastère de Jumièges. Les « entreprises des ennemis » seraient celles des agents du roi Louis IV d’Outremer et de ses alliés rouennais, tous ligués contre Jumièges, haut lieu du souvenir du duc assassiné en 942. Les « périls » seraient ceux, bien réels, auxquels se trouva ainsi exposée la petite communauté poitevine résidant à Jumièges : à peine restauré, le monastère était bel et bien menacé de disparaître à nouveau. Dans ces conditions, on peut se demander si la publication des Vitae de saint Aycadre et de saint Hugues par l’abbé de Jumièges ne répondait pas au souci d’assurer la défense de son établissement contre la propagande française. Cette grille de lecture n’est peut-être pas la seule envisageable, mais elle aurait le grand avantage de donner une signification à des textes dont, dans toute autre hypothèse, on parvient mal à saisir les motivations.

23À travers la Vie de saint Aycadre tout d’abord, il est difficile de ne pas voir une évocation de la propre histoire de l’abbé Martin, prédécesseur d’Annon à Jumièges. L’auteur n’a eu qu’à transposer au temps d’Aycadre les événements qu’il a lui-même vécus tout récemment au côté de l’abbé de Saint-Cyprien : l’envoi de messagers dans le Poitou, les discussions, le départ de la cité de Poitiers, le voyage de sept jours jusqu’à Jumièges (§ 39). Son long récit de l’installation d’Aycadre à Quinçay, depuis les travaux de construction avec l’aide de cooperatores jusqu’aux cérémonies de la consécration de l’église, a également la saveur d’authenticité de choses vues. Les premiers moines de Quinçay sont au nombre de quinze, pratiquement le même chiffre qu’à Jumièges lors de la restauration (§ 13). Le rapprochement entre Aycadre et Martin est suggéré de manière plus transparente encore lorsque notre auteur dit que les contemporains d’Aycadre auraient pu lui donner le surnom de rudis Martinus (pur saint Martin) : à coup sûr, c’est le surnom que les moines de Saint-Cyprien avaient donné à leur propre abbé (§ 1). Le message est donc très clair : en appelant Martin à Jumièges comme saint Philibert y avait jadis appelé le poitevin Aycadre, le duc Guillaume Longue-Epée n’avait fait que rééditer un précédent illustre. La Vie de saint Aycadre fonde ainsi sur une base historique indiscutable la présence des moines de Poitiers dans l’abbaye normande. Qui, dans ces conditions, oserait les renvoyer dans leur pays ? On notera aussi l’étrange insistance avec laquelle l’hagiographe souligne le respect par saint Aycadre des prérogatives de l’évêque local lors de la consécration de l’abbatiale de Quinçay : « canones non ignorabat ; legerat enim ut ne quis in alicujus episcopio ecclesiam construeret, altare erigeret sine licentia sui episcopi » (§ 8). Sur ce point également, les moines poitevins de Jumièges étaient donc à l’abri de toute critique  : la consécration du maître-autel de Saint-Pierre de Jumièges – sans doute célébrée, comme l’on l’a vu, le 5 avril 942 – avait été faite dans le strict respect des règles canoniques.

24Avec la Vita de saint Hugues, l’hagiographe joue sur un autre registre, mais le contenu n’en est pas moins nettement ciblé. À l’adresse de ses adversaires du parti de Louis IV d’Outremer, l’auteur signale qu’Hugues était le propre fils du plus illustre représentant de la dynastie carolingienne, Charlemagne lui-même (§ 1). C’est de ce dernier qu’Hugues avait reçu les abbayes de Rebais et de la Croix (§ 8). Son choix d’entrer un jour à Jumièges avait reçu la caution du pape Léon en personne, le pontife du couronnement impérial, qui l’avait reçu comme un fils adoptif (§ 12). C’est en présence du « glorieux roi » Louis le Pieux, autre fils de Charlemagne, qu’Hugues avait fait ses dons de « fiscs » au monastère (§ 29). Si Louis IV s’avisait de toucher à Jumièges, ce serait par conséquent faire une grave offense à la mémoire de ses prestigieux ancêtres. D’autres passages semblent bien s’adresser plus particulièrement au métropolitain de Rouen. Comme on l’a vu, l’archevêché était alors tenu par un nommé Hugues, ancien moine de Saint-Denis. Ecrivant l’histoire d’un de ses prédécesseurs, et qui plus est d’un homonyme – issu lui aussi, comme par hasard, de l’école de Saint-Denis (§ 4) –, l’auteur de la Vita Hugonis administre une véritable leçon à son archevêque en le mettant en présence du modèle à suivre. Saint Hugues n’avait jamais été aussi grand que dans son renoncement aux honneurs (§ 27). Sa générosité était sans limites. Lorsque saint Hugues siégeait à Rouen, il était plein de sollicitude pour les monastères de la région (sancta monasteria in vicina posita). Il veillait constamment à ce que les moines ne manquent de rien et soient déchargés de tout souci matériel. Ainsi, précise-t-il, ces derniers pouvaient consacrer tout leur temps à de saintes oraisons pro animabus fidelium et regia incolomitate simulque pro statu sanctae Dei ecclesiae et trium ordinum stabilitate (§ 27). Replacés dans le contexte des années 942-944, ces propos de l’abbé de Jumièges ne sont nullement innocents. Comme nous le verrons dans la seconde partie de notre étude, la protestation de fidélité au roi Louis IV et le souci de la « stabilité des trois ordres » sont précisément deux des principaux thèmes du Planctus sur la mort de Guillaume Longue-Epée, et cette œuvre fut écrite à Jumièges durant la même période. Le message, éminemment politique, semble bien être le suivant : l’abbaye de Jumièges mérite d’être aidée et soutenue ; non seulement cet établissement n’est pas un foyer de division comme d’aucuns le prétendent, mais on y prie pour tous les fidèles de la sainte Eglise, on y professe une grande loyauté envers la personne du souverain et un attachement tout particulier à la concorde sociale.

  • 66 Fauroux, Marie, Recueil…, n˚ 53.
  • 67 Vita IIa S. Audoeni, p. 816.

25En ce qui concerne les rapports entre Jumièges et l’archevêque, les non-dits sont également révélateurs. Rappelons qu’à l’époque de la restauration de Jumièges, le métropolitain tenait la crosse de Saint-Ouen. Cette abbaye rouennaise était alors le seul autre établissement monastique en activité en Haute-Normandie. Elle bénéficia elle aussi de dons et de restitutions de Guillaume Longue-Epée66. On aurait donc pu s’attendre à voir Jumièges et Saint-Ouen unis par un lien de confraternité monastique. Le moins que l’on puisse dire, cependant, est que rien de tel ne transparaît dans nos deux textes. Puisque l’auteur a lu la Vita secunda Audoeni et qu’il se montre si habile à tirer parti du moindre détail de ses sources, il lui eut été facile d’y trouver de quoi rendre hommage, au moins en un mot, à la mémoire de saint Ouen. Or, il évite visiblement de parler du grand évêque mérovingien. Il aurait eu maintes fois l’occasion de le faire dans la Vita de ce successeur de saint Ouen que fut l’évêque Hugues. Mais du monastère de Rebais – la première fondation de saint Ouen – il nous dit seulement que c’est le lieu de la sépulture de saint Agile (§ 8)  ; du monastère de la Croix au diocèse d’Évreux, il se contente de mentionner le nom du premier abbé Leufroy (ibid.), feignant ainsi d’ignorer le rôle majeur que l’évêque de Rouen avait joué dans les origines de cet établissement, et qu’évoque longuement la Vita Audoeni67. Le nom de saint Ouen n’apparaît pas davantage dans la Vita Aichardi, et ce silence est d’autant plus remarquable que saint Ouen était un contemporain d’Aycadre, ce que l’auteur ne peut ignorer après avoir lu la Vita Philiberti. Par contraste, l’évêque Ansoald de Poitiers est sans cesse montré aux côtés d’Aycadre dans la période de l’abbatiat de ce dernier à Quinçay ; au dire de l’hagiographe, il l’aurait même accompagné jusqu’à Jumièges (§ 39). On est donc en droit de penser que ces omissions sont sinon franchement délibérées, du moins révélatrices des sentiments de l’auteur à l’égard de l’abbaye rouennaise. Ayant joué la carte d’un ralliement sans réserve au roi de France dès la mort de Guillaume Longue-Epée, Saint-Ouen se situait politiquement dans le camp adverse. On imagine donc sans peine ce que pouvait ressentir l’abbé de Jumièges en voyant les faveurs exceptionnelles accordées par Louis IV à cet établissement rival.

Conclusion

26Au terme de cette analyse des deux Vitae de Jumièges, il nous semble que celle-ci apporte quelques lueurs nouvelles, non seulement sur l’histoire des années troubles de la régence rouennaise de Louis IV d’Outremer, mais aussi sur celle de la renaissance culturelle de la Normandie après 911.

  • 68 Dudon de Saint-Quentin, éd. Jules Lair, p. 256.
  • 69 Voir ci-dessus, n. 30. C’est évidemment au même Hugues qu’Adson devait ses informations sur l’hist (...)
  • 70 ranslationes S. Dadonis vel Audoeni episcopi, Acta Sanctorum, Août, t. 4, p. 823.

27Elle met d’abord en relief l’importance de l’enjeu politique que représenta la survie de la fondation de Guillaume Longue-Epée après l’entrée de Louis IV d’Outremer à Rouen. L’abbé Annon de Jumièges se révéla en la circonstance, dans le registre intellectuel qui était le sien, un défenseur actif de la cause normande. Quant au rôle joué par Saint-Ouen durant cette période, il permet peut-être de mieux comprendre les liens étranges qui subsistèrent entre cette abbaye et les milieux français après l’éviction du roi Louis IV. L’établissement se vit probablement retirer le droit de monnaie qui lui avait été accordé par le souverain – les émissions semblent bien cesser, comme on l’a vu, dès le milieu du Xe siècle –, mais lorsqu’en 946 la cité de Rouen fut assiégée par l’armée impériale envoyée par les Français contre la capitale normande, les clercs de Saint-Ouen reçurent dans leur abbaye suburbaine l’empereur Otton68. Peu après 956, l’abbé Adson de Montier-en-Der reprit dans sa Vita secunda de sainte Clotilde, écrite pour la reine Gerberge, veuve de Louis IV, la légende française de la fondation de Saint-Ouen par saint Denis ; l’idée lui en fut certainement suggérée par l’archevêque Hugues de Rouen, en contact avec les milieux rémois à la faveur de ses séjours à Braine-sur-Vesle69. La crosse de Saint-Ouen fut finalement retirée à Hugues pour être confiée à un abbé régulier (c. 960-970 ?), mais ensuite, une sorte de psychose régna pendant quelque temps dans l’abbaye au sujet d’un possible mauvais coup des Français : vers les années 980, on soupçonna deux moines français d’une tentative de vol du corps de saint Ouen70.

  • 71 Sauvage, Eugène-Paul, Vita S. Audoeni, Analecta Bollandiana, 1886, t. 5, p. 67-146 (l’éditeur la da (...)

28On n’a conservé aucun ouvrage issu de façon certaine du scriptorium de Saint- Ouen de Rouen pour la période qui suit la restauration de cette maison en 918. Il subsiste bien une Vita Audoeni susceptible de dater du début du Xe siècle, mais plusieurs indices, notamment certaines notations géographiques ainsi que des correspondances avec une Vie de saint Marcoul rédigée dans le Laonnais, laissent supposer qu’elle fut écrite à Condé-sur-Aisne, donc avant le retour du corps de saint Ouen à Rouen71. La cathédrale de Rouen n’a pas laissé davantage d’écrit pour la période des deux premiers ducs. On mesure ainsi toute l’importance de l’identification des Vitae des saints Aycadre et Hugues en matière de sources. Non seulement elle enrichit l’histoire normande de deux nouveaux textes du Xe siècle, très copieux et de surcroît précisément datés, mais en l’état actuel de nos connaissances, ceux-ci représenteraient les plus anciennes narrations composées dans le duché après 911. Leur intérêt est d’autant plus grand qu’il s’agit d’œuvres entièrement originales et non, comme c’est souvent le cas chez les hagiographes de la fin de l’époque carolingienne, d’adaptations ou de réécritures. En d’autres termes, ces textes révèlent un véritable auteur, probablement l’abbé Annon. Ce dernier serait à ajouter à la liste déjà longue des abbés hagiographes du Xe siècle, illustrée notamment par les noms célèbres entre tous d’Odon de Cluny (942), d’Adson de Montier-en-Der (992) et, à la fin du siècle, d’Abbon de Fleury.

  • 72 Dom Jean Laporte, par exemple, jugeait insignifiant l’apport intellectuel des moines de Saint-Cypr (...)
  • 73 Nortier-Marchand, Geneviève, « La bibliothèque de Jumièges au Moyen-Age », in Jumièges, Congrès sci (...)
  • 74 Rouen, Bibl. mun., Y. 1.
  • 75 Cordoliani, Alfred, « Le plus ancien manuscrit de comput ecclésiastique du fonds de Jumièges », dan (...)

29Au foyer culturel que fut l’abbaye de Jumièges dans le second quart du Xe siècle, l’identification de ces deux Vitae restitue du même coup une importance que l’on avait peut-être eu parfois tendance à sous-estimer72. Sa bibliothèque, une des toutes premières de la province à avoir été reconstituées, n’était évidemment pas de taille à se mesurer à celles de la région de la Loire par exemple, mais elle n’était sans doute pas pour autant négligeable. Plusieurs manuscrits pourraient être les témoins de ce fonds primitif, à commencer par les treize textes réunis à la Vita Aichardi et à la Vita Hugonis dans le manuscrit 1377 de Rouen, ces fragments portant sur les sujets les plus divers : une Historia Monachorum de Rufin d’Aquilée, deux Vies de saint Antoine, un traité sur le cantique des cantiques, un écrit de saint Jérôme, une liste des étoiles, etc.. Il faut peut-être y joindre le traité De corpore et sanguine Domini de Paschase Radbert et la Vita sancti Launomari, du début du Xe siècle (Rouen 1409), ou encore ces huit fragments de la fin du IXe siècle ou du début du Xe siècle recensés par Geneviève Nortier : un extrait des Epitres de saint Paul, un commentaire sur ces mêmes textes, les livres Sapientiaux suivis d’extraits divers, une partie des Moralia de saint Grégoire, des opuscules de Bède et de saint Jérôme, des fragments de droit canon, et même une liste de drogues médicinales73. On ne s’étonnera pas de retrouver également dans le fonds de Jumièges la plupart des ouvrages utilisés par le biographe des saints Hugues et Aycadre, telle la Vita Karoli Magni d’Eginhard74. Enfin, sachant le goût de notre auteur pour le calcul des dates, il n’est sans doute pas sans intérêt de noter la présence à Jumièges d’un manuel de comput ecclésiastique, du IXe siècle75.

  • 76 Howe, John, « The Hagiography of Jumièges… », p. 96-98.
  • 77 Lifshitz, Felice, The Norman Conquest of Pious Neustria, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, (...)
  • 78 Spear, David, « Les archidiacres de Rouen au cours de la période ducale », Annales de Normandie, 34(...)

30Le départ de l’abbé Annon pour Micy vers 944/5 porta un coup d’arrêt à cet essor riche de promesses. Mais la greffe était prise, et de Micy, Annon continua à encourager l’activité du scriptorium de Jumièges et à enrichir la bibliothèque de l’abbaye. En effet, c’est très probablement après son départ pour l’Orléanais qu’Annon donna à transcrire « en l’honneur de saint Pierre et de saint Philibert » le livre de l’Invention de saint Etienne où figure en préambule la célèbre mention quam (sic) domnus abba Anno fieri jussit (Rouen 1378). L’écriture est d’un type plus tardif que celle du manuscrit 1377, et l’on n’a peut-être pas assez remarqué que le texte et ceux qui suivent – apparemment de la même main – se rapportent pour plusieurs d’entre eux à des cultes de l’Orléanais. Saint Etienne était un des principaux saints patrons de l’abbatiale de Micy, qui abritait un autel au protomartyr, et l’une des pièces suivantes, un texte sur l’Invention de la Croix, pourrait être mise en relation avec la dédicace de la cathédrale d’Orléans à la Sainte Croix. Dans ce même manuscrit 1378 de Rouen, on trouve également une Vita de saint Aycadre selon la version de Rouen 1377. Avec un manuscrit de Bamberg du Xe siècle – ce dernier provenant d’Aquitaine, notons-le au passage, et associé à des Vies des saints Philibert et Hugues – c’est une des premières copies connues de la Vita prima.76 Le texte allait faire l’objet plus tard d’une réécriture complète sous la plume d’un certain Fulbert, le même auquel on doit une Vie de saint Romain de Rouen. Si nous évoquons ici cette Vita secunda, c’est parce que Felice Lifschitz et, à sa suite, John Howe, ont cru pouvoir dater sa rédaction du milieu du Xe siècle, ce qui ferait de son auteur un contemporain d’Annon77. Or, le premier manuscrit connu de la Vita en question n’est pas antérieur au XIe siècle. D’autre part, Fulbert lui-même explique que si les moines de Jumièges lui ont demandé de refaire cette Vita, c’est parce qu’elle était jugée très médiocre dans sa version existante. À l’évidence, cette réécriture est donc largement postérieure à l’édition de la Vita prima des années 940. Outre le fait que le même Fulbert est l’auteur d’une Vie de saint Romain de Rouen, ceci accrédite fort son identification à l’archidiacre de Rouen Fulbert I, dit le sophiste, mentionné dans divers documents du temps de l’archevêque Maurille (1055-1067)78. La Vita Aichardi de Fulbert ne saurait par conséquent être considérée comme une des premières productions du monastère de Jumièges après sa restauration, ni la Vita Romani du même auteur comme un témoignage sur la Normandie du Xe siècle.

Seconde partie (à venir) : La « Complainte sur la mort de Guillaume Longue-Epée »

31Aperçu sommaire : composée sans doute peu après la mort du duc, à l’abbaye de Jumièges, la Complainte pourrait avoir été conçue comme un hymne à chanter chaque année à la messe de Requiem de Guillaume. D’une structure analogue à celle des offices composés à partir d’une Vie de saint, elle semble reprendre sous une forme abrégée le contenu d’une narration plus développée, vraisemblablement une « Vie de Guillaume » aujourd’hui perdue. Cette Vita Guillemi fut sans doute une des sources principales de Dudon de Saint-Quentin pour le livre III de ses Gesta consacré à la biographie de Guillaume Longue-Epée. Des fragments s’en retrouvent également dans les Gesta plus tardifs de Guillaume de Jumièges. Les deux textes pourraient être l’œuvre de l’abbé Annon lui-même. Complétant le dispositif mis en place avec les Vitae Aichardi et Hugonis, leur réalisation s’inscrirait dans une campagne de défense de la mémoire de Guillaume Longue-Epée contre la propagande française de l’entourage du roi Louis IV installé à Rouen.

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Notes

1 Fauroux, Marie, Recueil des actes des ducs de Normandie, Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, t. XXXVI, Caen, 1961, p. 20, n˚ 2. En dépit des réticences d’Olivier Guillot (« La conversion des Normands peu après 911. Des reflets contemporains à l’historiographie ultérieure (Xe- XIe s.) », Cahiers de Civilisation Médiévale 24 (1981), p. 101-16 et 181-219), nous ne voyons pas de motif sérieux pour récuser la date de 918. Nous reviendrons sur cette question dans notre ouvrage sur Rouen et les Vikings. De la cité carolingienne à la ville normande (en préparation).

2 Annales fontanellenses priores, éd. Jean Laporte, Mélanges de la Société de l’Histoire de Normandie, 1951, p. 74-75.

3 Vernier, Jules-Joseph, Chartes de l’abbaye de Jumièges (v. 825-1204), Rouen-Paris, Société de l’Histoire de Normandie (ci-après SHN), 1916, t. 1, n˚ IV, p. 11-14.

4 Duft, Jean, « Le ‘presbyter de Gimedia’ apporte son antiphonaire à Saint-Gall », in Jumièges. Congrès scientifique du XIIIe centenaire, t. 2, Rouen, Lecerf, 1955, p. 925-936.

5 Le Maho, Jacques, Rouen et les Vikings… (en préparation).

6 Les annales de l’abbaye Saint-Pierre de Jumièges, éd. Jean Laporte, Rouen, Lecerf, 1954, p. 83.

7 Le Maho, Jacques, « Un exode de reliques dans les pays de la Basse Seine à la fin du IXe siècle», Bulletin de la Commission Départementale des Antiquités de la Seine-Maritime, t. XLVI (1998), p. 157-160.

8 Le Maho, Jacques, Rouen et les Vikings… (en préparation).

9 The Gesta Normannorum Ducum of William of Jumièges, éd. Elisabeth Van Houts, t. 1, Oxford, Clarendon Press (Oxford Medieval Texts), 1992, p. 74-77 et 84-89 [ci-après GND.].

10 Dudon de Saint-Quentin, De moribus et actis primorum Normanniae Ducum, éd. Jules Lair, Caen (M.S.A.N., t. XXIII), 1865, p. 200-201  ; GND, éd. Elisabeth Van Houts, op. cit., p. 87.

11 Lemarignier, Jean-François, « Jumièges et le monachisme occidental au haut Moyen Age (VIIe-XIe s.) », in Jumièges. Congrès scientifique du XIIIe centenaire, t. 2, Rouen, Lecerf, 1955, p. 759-763.

12 Lambert, Jean, « Les calendriers de Jumièges », in Jumièges. Congrès scientifique du XIIIe centenaire, t. 2, Rouen, 1955, p. 885.

13 Fauroux, Marie, Recueil…, n˚ 36.

14 « Maceriis in sua soliditate in sullime porrectis » (GND, éd. Elisabeth Van Houts, p. 20) ; « Sanctique monasterium resarciens competenter texit » (ibid., p. 86).

15 Le Maho, Jacques, L’abbaye de Jumièges, Editions du patrimoine, Paris, 2001, p. 50-51 ; voir également notre étude à paraître sur les « Tours et entrées occidentales des églises de la basse vallée de la Seine (IXe-XIIe siècles) », communication au colloque d’Auxerre de juin 1999.

16 Les annales de l’abbaye Saint-Pierre de Jumièges, éd. Jean Laporte, Rouen, 1954, p. 84.

17 Laporte, Jean, « Les listes abbatiales de Jumièges », in Jumièges. Congrès scientifique du XIIIe centenaire, t. 2, Rouen, 1955, p. 455.

18 Sur le détail événementiel de cette période, renvoyons une fois pour toutes à l’ouvrage de Philippe Lauer, Le règne de Louis IV d’Outremer, Paris, Bouillon (Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes), 1900, p. 87 et suiv.

19 Dudon de Saint-Quentin, éd. Jules Lair, p. 248-249.

20 GND, éd. Elisabeth Van Houts, p. 110-111.

21 Voir notre étude à paraître sur les « Tours et entrées occidentales des églises de la basse vallée de la Seine (IXe-XIIe siècles) », communication au colloque d’Auxerre de juin 1999.

22 Le Maho, Jacques, « Transports de matériaux de construction dans la région de la basse Seine au haut Moyen Age (VIIe-Xe siècles) », actes du colloque de Saint-Lô de novembre 2000, à paraître.

23 GND, éd. Elisabeth Van Houts, p. 102.

24 Fauroux, Marie, Recueil…, n˚ 53.

25 Dumas, Françoise, Le trésor de Fécamp et le monnayage en Francie occidentale pendant la seconde moitié du Xe siècle, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Paris, 1972, p. 100, n. 2. Nous préparons actuellement une étude sur ce monnayage, en collaboration avec Jacqueline Pilet-Lemière (CRAHM).

26 Sur l’archevêque Hugues, cf. Musset, Lucien, « Aux origines d’une classe dirigeante : les Tosny, grands barons normands du Xe au XIIIe siècle », Francia, 5 (1977), p. 48-49.

27 Recueil des Actes de Louis IV, roi de France (936-954), éd. Maurice Prou et Philippe Lauer, Paris (Collection des Chartes et diplômes publiés par l’Académie des inscriptions et belles-lettres), 1914, n˚ XVIII, p. 47.

28 Les Annales de Flodoard, éd. Philippe Lauer, Paris, 1906, p. 88.

29 Ce point fera l’objet d’une étude détaillée dans notre ouvrage en préparation, Rouen et les Vikings…

30 Vita S. Chrothildis, éd. Bruno Krusch, M.G.H., Scriptores rerum merovingicarium, t. II, p. 347 ; sur la date de composition de cette Vita (sans doute peu après 956), voir Karl-Ferdinand Werner, « Der Autor der Vita sanctae Chrotildis », Lateinische Kultur im 10. Jahrundert Akten des I. Internationalen Mittelateinerkongresses, W. Berschin (éd.), Heidelberg, 12-15 septembre 1988, Mittelateinisches Jahrbuch, Band 24/25, 1989-1990.

31 Lauer, Philippe, Le règne de Louis IV d’Outremer, p. 120-124.

32 Sans faire référence à ces événements, l’historien anonyme de Jumièges du XVIIIe s. situe le départ d’Annon « vers la fin de l’année 944 » ; on ignore ses sources (Julien Loth, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges, t. 1, SHN, Rouen, 1882, p. 136).

33 Orderic Vital, Histoire ecclésiastique, éd. Marjorie Chibnall, t. 3, p. 328 et suiv. Il n’est pas de témoignage plus ancien sur cette translation.

34 Voir ci-dessous notre analyse du manuscrit 1378 de Rouen.

35 Laporte, Jean, « Les listes abbatiales de Jumièges », p. 455-456. Dans cette étude, l’auteur tente de reconstituer une partie de la liste abbatiale pour les dernières décennies du Xe siècle. Cependant, aucune des hypothèses formulées ne tient vraiment, comme dom Laporte l’a reconnu lui-même dans un travail ultérieur (Laporte, Jean, « Les obituaires du Mont Saint-Michel », Millénaire monastique du Mont Saint-Michel, t. 1, Paris, 1967, p. 733).

36 De s. Aichardo abbate gemmeticensi in Normannia, Acta Sanctorum, 15 sept., sept. V, p. 80-102. Van Der Straeten, Joseph, « Vie inédite de s. Hugues évêque de Rouen », Analecta Bollandiana, 87 (1969), p. 215-260.

37 Van Der Straeten, Joseph, ibid. ; du même, « L’auteur des Vies de s. Hugues et de s. Aycadre », Analecta Bollandiana, 88 (1970), p. 63-73 ; Howe, John, « The Hagiography of Jumièges (Province of Haute-Normandie) », in L’hagiographie du haut moyen âge en Gaule du Nord, sous la direction de Martin Heinzelmann, Beihefte der Francia, 52 (2001), p. 95-107 (Vita Aichardi) et 118-125 (Vita Hugonis).

38 Laporte, Jean, « Légendes de Jumièges », in Jumièges. Congrès scientifique du XIIIe centenaire, t. 1, Rouen, 1955, p. 44.

39 Le Maho, Jacques, « Les origines de l’abbaye de Fécamp, de l’histoire à la légende », in De l’histoire à la légende. La broderie du Précieux-Sang, catalogue d’exposition, Musées municipaux de Fécamp, 2001, p. 13.

40 Gesta sanctorum Patrum fontanellensis coenobii, éd. Fernand Lohier et Jean Laporte, SHN, Rouen-Paris, 1936, p. 37-43.

41 Van Der Straeten, Joseph, « Vie inédite de s. Hugues », p. 229.

42 ibid., p. 226.

43 Vita IIa S. Audoeni, éd. Guillelmus Cuperus, Acta Sanctorum, Aug. IV, p. 810-819.

44 Ibid. p. 811-812 et 816.

45 Ibid, p. 814-817.

46 Vernier, Jules-Joseph, Chartes de l’abbaye de Jumièges (v. 825 à 1204), SHN, t. 1, 1916, n˚ III, p. 5- 10. Siegia n’est pas en Caux mais probablement dans l’Évrecin (Musset, Lucien, « Les destins de la propriété monastique… », in Jumièges, t. 1, p. 7-8) ; Beaunay n’appartient pas au Talou mais au pagus de Caux (v. notre étude citée à la note suivante, p. 174) ; de même, Amlidum doit être en Bessin et non dans le Talou (v. note suivante).

47 Situé dans la basse vallée de la Seulles à l’est de Bayeux, le domaine d’Amblie est voisin de Vienne-en-Bessin, Colombiers-sur-Seulles et Banville, tous trois propriétés de Jumièges au début du IXe siècle (v. notre étude « Autour d’une fondation monastique de saint Wandrille ( 668) au diocèse de Rouen : la question de Vintlana », Bulletin de la Commission Départementale des Antiquités de la Seine-Maritime, t. XLV (1997), p. 153-158).

48 Van Der Straeten, Joseph, « L’auteur des Vies de s. Hugues et de s. Aycadre », p. 63-73.

49 Ibid., p. 64-69.

50 Howe, John, « The Hagiography of Jumièges… », p. 124.

51 Van Der Straeten, Joseph, « L’auteur des Vies… », p. 69.

52 Van Der Straeten, Joseph, « Vie inédite de s. Hugues », p. 224-229 ; du même, « L’auteur des Vies… », p. 69-73.

53 Les annales de l’abbaye Saint-Pierre de Jumièges, éd. Jean Laporte, Rouen, 1954, p. 83.

54 Howe, John, « The Hagiography of Jumièges… », p. 124.

55 Avril, François, Manuscrits normands XIe-XIIe siècles, catalogue de l’exposition de la bibliothèque municipale, Rouen, 1975, n˚ 1, p. 7-8.

56 Nous remercions le frère Pascal Pradié, de l’abbaye de Saint-Wandrille, d’avoir effectué pour nous cette recherche.

57 Voir par exemple les Annales Bertiniani, éd. G. Waitz, M.G.H. Scriptores II, Script. in us. schol., 5, p. 140.

58 Vernier, Jules-Joseph, Chartes de l’abbaye de Jumièges, n˚ II, p. 2-5 ; autre édition par Levillain, Léon, Recueil des actes de Pépin Ier et de Pépin II rois d’Aquitaine (814-848), Paris, 1926, n˚ XXIX, p. 124-127.

59 Voir ci-dessus, note 46.

60 Rouen, Bibl. mun., ms 1378  ; Dudon de Saint-Quentin, éd. Jules Lair, p. 171.

61 Sur cet amphithéâtre et sa fréquentation par les prostituées de la ville, voir la Vita metrica S. Romani, PL 138, col. 177 B (Xe s.). Aux Xe et XIe siècles, le site était à l’abandon. Il avait jadis abrité une église Notre-Dame (ibid.), mais le titre de cette dernière fut réuni à l’église Saint-Romain voisine (auj. Saint-Godard), cf. la Vita S. Gildardi, 9, éd. A. Poncelet, Analecta Bollandiana 8 (1889), p. 401. Sur les légendes terrifiantes qui s’attachaient à ces ruines au XIe s., voir la Vita Romani de Fulbert, éd. Felice Lifshitz, The Norman Conquest of Pious Neustria, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval studies, 1995, p. 248. Au XIIIe siècle, l’endroit portait le nom caractéristique de « La Roque » (Passy, L., « Notice sur le cartulaire de Bourg-Achard », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, t. 3, 5e série, 1862, p. 526).

62 Recueil des Actes de Louis IV, roi de France, op. cit., p. 47.

63 Van Der Straeten, Joseph, « Vie inédite de s. Hugues… », p. 231.

64 Ibid ., p. 229.

65 Notons le silence très révélateur de la Vita Aichardi du XIe siècle au sujet du lieu où reposent les reliques (réf. ci-dessous à la note 77). Il semble que les moines de Jumièges aient été assez tôt convaincus de la présence des corps à Haspres (voir ci-dessus, note 53).

66 Fauroux, Marie, Recueil…, n˚ 53.

67 Vita IIa S. Audoeni, p. 816.

68 Dudon de Saint-Quentin, éd. Jules Lair, p. 256.

69 Voir ci-dessus, n. 30. C’est évidemment au même Hugues qu’Adson devait ses informations sur l’histoire d’Andely (comm. des Andelys, Eure), autre propriété de l’archevêché de Rouen.

70 ranslationes S. Dadonis vel Audoeni episcopi, Acta Sanctorum, Août, t. 4, p. 823.

71 Sauvage, Eugène-Paul, Vita S. Audoeni, Analecta Bollandiana, 1886, t. 5, p. 67-146 (l’éditeur la date, sûrement à tort, du XIe siècle).

72 Dom Jean Laporte, par exemple, jugeait insignifiant l’apport intellectuel des moines de Saint-Cyprien à la Normandie (« Influences intellectuelles sur la Normandie des dixième et onzième siècles », in La Normandie bénédictine au temps de Guillaume le Conquérant, Lille, 1967, p. 445). Jean-François Lemarignier parle d’une « survie sans éclat » de Jumièges après la mort de Guillaume Longue-Epée (« Jumièges et le monachisme occidental », p. 763).

73 Nortier-Marchand, Geneviève, « La bibliothèque de Jumièges au Moyen-Age », in Jumièges, Congrès scientifique du XIIIe centenaire, t. 2, Rouen, 1955, p. 600.

74 Rouen, Bibl. mun., Y. 1.

75 Cordoliani, Alfred, « Le plus ancien manuscrit de comput ecclésiastique du fonds de Jumièges », dans Jumièges, Congrès scientifique du XIIIe centenaire, t. 2, Rouen, 1955, p. 691-702.

76 Howe, John, « The Hagiography of Jumièges… », p. 96-98.

77 Lifshitz, Felice, The Norman Conquest of Pious Neustria, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, Toronto, 1995, p. 123 et 134, n. 87 ; Howe, John, op. cit., p. 101-107.

78 Spear, David, « Les archidiacres de Rouen au cours de la période ducale », Annales de Normandie, 34e année – n˚ 1, mars 1984, p. 19-20. L’allusion dans la Vita Romani à un retour récent de reliques en Normandie est probablement à mettre en relation avec le rapatriement des reliques de saint Nicaise à Rouen en 1032. Ceci correspondrait assez bien à la date du plus ancien manuscrit de la Vita Aichardi de Fulbert, de peu antérieur, semble-t-il, à 1037 (Howe, John, op. cit., p. 101). Ces écrits furent sans doute composés à l’époque où Fulbert officiait comme magister à l’école du chapitre de Rouen, voisine de l’église Saint-Romain (auj. Saint-Godard).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jacques Le Maho, « La production éditoriale à Jumièges vers le milieu du Xe siècle »Tabularia [En ligne], Jumièges, foyer de production documentaire, mis en ligne le 22 octobre 2001, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/tabularia/2019 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tabularia.2019

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Auteur

Jacques Le Maho

CNRS
CRAHM
Université de Caen Basse-Normandie

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