Séance du 8 avril 1788
Séance tenue le mardi
8 avril 1788
― N° 2 Rue de Grammont.
M. Clavière,
président.
MM.
- Le marquis de La Fayette
- Le duc de La Rochefoucauld
- Petitval
- Blair
- Bouteiller
- Volney
- du Rouvray
- Montcloux
- de Funda.
M. le président a lu le discours suivant.
- 53 - {f.53}
Messieurs
En nous félicitant de
l’augmentation honorable et intéressante que notre Société
a
reçue dans sa dernière séance et dans celle d’aujourd’hui,
permettez-moi de
remarquer que nous nous y sommes
attendus.
Notre Société repose sur
les saints devoirs de l’humanité. Des actes de
bienveillance
sont l’unique travail qu’elle se propose, en faut-il davantage
au coeur du Français ? Sa précieuse sensibilité ne le fait-elle
pas accourir partout
où il peut aider à la faiblesse, tarir les
larmes des malheureux, en un mot
faire le bien ?
Mais puisque nous avons le bonheur d’être
assez nombreux pour soutenir les
travaux commencés, puisque
notre Société renferme tout ce qui peut donner de la
confiance
dans ses intentions, puisque tant de membres distinguées par leurs
qualités,
leurs lumières et leur rang, lui assurent les
accroissemensaccroissements
dont elle a besoin, vous
penserez sans doute, Messieurs, qu’il
convient de prendre une détermination
relativement à de
nouveaux membres.
Vous voyez que dans une assemblée plus
nombreuse, nos délibérations,
renouvelléesrenouvelées
chaque semaine, deviendraient trop longues, et que si nous gagnions
du côté des Lumières, nous risquerions de ne pouvoir rien
résoudre qu’avec
une décourageante lenteur.
Mais avant de passer aux arrêtés que la
circonstance exige, il est peut-être
utile de retracer en peu
de mots l’objet de notre association.
L’abolition de
l’esclavage des Nègres est le but principal auquel nous tendons.
Je crois pouvoir dire avec vérité, que si cet esclavage
n’existait pas, dans ce
siècle d’instruction sur les droits des
hommes, celui qui proposerait de l’établir,
encourrait un blâme
universel, et sans doute des expressions plus fortes
caractériseraient mieux les
sentimenssentiments
qu’un tel homme ne manquerait pas
d’inspirerélever contre lui.
Mais l’esclavage
existe et se trouve malheureusement lié à un ordre de
choses,
où l’on rencontre les impérieuses maximes de la politique, les
intérestintérêts
respectables de la propriété, et la persévérance d’une cupidité
d’autant plus
active qu’elle s’appuye sur une longue habitude
de préjugés nombreux et
commodes.
Cependant, Messieurs,
ce que toute l’Europe rejetterait comme criminel, est
- 54 -
{f.54}
par cela même condamné à prendre fin. C’est
de cette fin si désirable ;
de cette fin que la sagesse humaine
peut prévoir, et que plusieurs
événemensévénements
ont
préparé, que notre Société doit s’occuper.
Nous ne cherchons à
provoquer aucune de ces révolutions
qui commandées par la
force, n’entraînent jamais la persuasion. Nous
désirons suivre
la marche de la raison universelle dont l’empire s’avance ;
de
cette raison que nous voyons porter les hommes, tantôt
individuellement,
tantôt en masse, et par le seul ascendant du
vrai, vers une existence toujours
meilleure, toujours plus
propre à les faire jouir des avantages infini de
la
confraternité.
Recevoir nous-mêmes
l’instruction et la répandre, voilà les deux
points auxquels
nos travaux se rapportent. àÀ mesure que nous
recueillerons des
faits instructifs, et des discussions importantes sur tout
ce
qui est relatif à l’esclavage des Nègres, à la circonspection et à
la
sagesse, qui doit enfin leur donner le même état civil que
les Blancs,
nous publieront ces faits et ces discussions ; et
il viendra enfin
un moment où, résumant nous-mêmes tout ce que
nous aurons
publié, nous présenterons au Gouvernement, au
public, et aux
planteurs, aux
commerçanscommerçants,
aux armateurs et aux Nègres
eux-mêmes, le véritable état de la
question ; les vrais convenances
de chacun, et peut-être
l’unique plan, le seul sage à suivre pour
concilier tous les
intérestintérêts
avec celui qui doit les dominer tous,
l’intérestintérêt
de la justice et de l’humanité. Et pourquoi ne nous en
flatterions-
nous pas ? Ce plan ne sera pas notre ouvrage, il
sera le résultat
d’une opinion prépondérante sur laquelle nous
ne pourrons pas nous
méprendre. Ce que nous publierons élèvera
cette opinion, nous ne ferons
que peser et enregistrer les
suffrages qui constateront son existence.
Dans ce moment,
Messieurs, nous ne sommes que les
imitateurs des bons Quakers,
que l’écho en quelque sorte d’une Société qui
a mis devant elle
un but semblable au nôtre et cette circonstance est
heureuse.
Nous nous aiderons de ses travaux ; elle nous y invite. La
publier a du être notre première résolution, puisque cela seul
suffit pour
faire germer toutes les idées, pour que la liberté
soit rendue aux
Noirs dans les possessions françaises, non par
une imitation ―
- 55 -
{f.55}
servile, mais par une conviction raisonnée
qui fera de cette liberté un
présent donné avec autant de
joyejoie qu’il sera
reçu.
En même
temstems que nous
nous occuperons de ces publications,
nous nous instruirons
nous-mêmes ; ainsi notre marche est tout à la fois
simple et
facile, elle n’exige de nous que de l’assiduité, de la persévérance
et des règles strictement observées pour prévenir la confusion
et le désordre
dans nos délibérations. Car le sacrifice de tous
ces mouvemensmouvements
qui, malgré
les meilleures intentions, détruisent ou retardent
les succès les plus désirables,
ne nous coûtera point : notre
but nous rendra insensible aux épines de
l’amour propre. Nous
savons tous que sans cette condition le succès
de toute réforme
dans les objets de discussion publique sera toujours
très
incertain.
Ces règles qui doivent faciliter nos discussions,
les premiers fondateurs de
la Société ont cru devoir s’en
occuper ; et former, en attendant qu’elle fut plus
nombreuse,
un petit corps de
règlemensrèglements
propre à diriger ses premiers pas.
Nul doute, Messieurs, que
le lien de la Société sera plus ou moins fort
selon la nature
de ses règlemensrèglements,
qu’ils doivent être faits avec soin et que
pour cet effet ils
doivent être l’expression de la volonté générale, mais nous
devons attendre qu’une association plus nombreuse concourre à
cette volonté.
Ainsi, Messieurs, en vous proposant d’accepter
la législation provisionnelle des
fondateurs de la Société,
quelque défectueuse qu’elle puisse être, nous ne
faisons que
nous conformer à la nature des choses, à l’époque où une
Société se forme, elle peut se passer de la perfection dans ses
règlemensrèglements.
Son
but et le désir de s’accroître et de se fortifier ont plus
d’efficacité
pour la maintenir que les codes les plus parfaits.
Nous nous bornerons donc, Messieurs, à vous faire la lecture de
nos
règlemensrèglements, et
à recueillir les observations qu’ils vous feront naître en
attendant le terme fixé pour leur révision, terme où cet
ouvrage appartiendra
sans doute à une Société plus
nombreuse.
Qu’il me soit permis,
Messieurs, avant de passer à la lecture des
règlemensrèglements
de témoigner à Mr le secrétaire mes regrets de voir
interrompre ses travaux par une absence qui, nécessairement,
sera longue.
C’est à son zèle, à la chaleur généreuse de son
âme pour le bien, que
nous devons de nous voir rassemblés par
la plus noble des intentions.
Il eut été à désirer qu’il ne
s’éloignât pas de nous aussi promptement,
- 56 -
{f.56}
et que son activité infatigable veilla
encore quelque temstemps
sur le
mouvement qu’il nous a communiqué. Le voyage intéressant
qu’il va
entreprendre et dont il ne peut que rapporter d’utiles
instructions, doit
nous faire résigner avec moins de peine à
son absence. Mais il est
important que nous
profittionsprofitions
encore de tous ses
momensmoments. Pour
cet effet nous devons nous hâter de lui nommer un successeur
auquel il puisse transmettre les idées qu’il s’est faites de
ses fonctions et les
moyens qu’il avait de les remplir d’une
manière aussi satisfaisante pour
la Société.
M. Clavière a annoncé
ensuite qu’on allait procéder à la
lecture des
règlemensrèglements.
M. Carra a demandé
qu’auparavant la lecture des
règlemensrèglements, il
fut fait des
remerciemensremerciements
à M. le
président, et que son discours
fut
porté sur le Registre de la Société, laquelle motion a été agrée.
Ensuite on a procédé à la lecture des
règlemensrèglements
arrêtés dans la
précédente séance.
M. Bergasse a fait
ensuite la motion que copie fut envoyée à chacun
des membres
présensprésents desdits
règlemensrèglements, et
que les observations qu’ils
feront sur ces
règlemensrèglements
fussent adressées dans la quinzaine au secrétaire
pour
eten être
fait rapport et délibéré.
Sur laquelle motion après plusieurs tours, il a été arrêté que lesdits
règlemensrèglements
seraient exécutés provisoirement, que copie serait
envoiéeenvoyée à chaque
membre de la Société pour pouvoir faire ses observations et les
adresser dans
la quinzaine au secrétaire du Comité, qu’il en sera
ensuite délibéré dans une
assemblée générale fixé au
mardymardi 29 du
présent mois.
Sur la motion faite par M. le président que tous les membres qui se
présenteront jusqu’à l’époque de l’assemblée générale fussent
admis, il a été agréé
à l’affirmative.
Et attendu la résignation de M. Brissot de Warville
à la place de
secrétaire, il a été arrêté qu’il
serait procédé mardi prochain à l’élection d’un
secrétaire, et en
même temstemps à celle des
membres nécessaires pour compléter
le Comité.
Arrêté que le secrétaire à élire doit être membre de la Société, savoir
l’anglais
recevoir des
honnoraireshonoraires
lesquels seront fixés à 1800
livreslb. sauf à
augmenter
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{f.57}
par la suite, et qu’il ne pourra refuser ni rendre ces
honnoraireshonoraires
sous
quelque prétexte que ce soit.
Arrêté qu’il aura un commis,
lequel sera paiépayé à raison
de 600 livreslb. par an
outre le logement. Arrêté que le secrétaire sera toujours membre du
Comité.
M. de Warville a lu
ensuite le discours qui suit.
Messieurs
Je me proposais
aujourd’hui de vous entretenir de quelques uns des ouvrages
qui nous ont été dernièrement adressés par la Société de Londres. Mais le
défaut de
temstemps m’a forcé
de me restreindre à un seul qui n’ajoutera pas
peu de poids
à la cause des Nègres, et par le nom de son auteur et par
la manière
frapantefrappante
dont elle y est défendue. C’est un sermon prêché sur la
traite des Nègres dans une unitaire par le célèbre
Priestley.
Je n’ai pas besoin de vous observer ici, Mrs, combien il serait avantageux
pour le succès de la cause que nous
deffendonsdéfendons
que nos ministres de
l’Evangile adoptant la pratique des
ProtestansProtestants,
emploissiassentemployassent
tout l’ascendant
de leur ministère pour persuader au nom de
la religion des hommes que
nous voulons ramener par le
cacul de leurs
intérestintérêts.
L’influence de la religion
a sans contredit, avec
l’influence des papiers publics, de puissants ressorts pour
opérer en Amérique la révolution heureuse qui rendra la
liberté à une partie de ce
continent et quel pouvoir
n’aurait pas, parmi nous, sur des esprits encore attachés
aux principes du christianisme, le prêtre qui montrerait
toutes les vengeances du
ciel suspendues sur la tête des
hommes qui martyrisent des hommes.
Faisons donc des voeux,
faisons des efforts pour engager dans cette cause
sainte
les ministres de notre religion. Publions pour les y amener le
discours
de l’écrivain célèbre1 ,
dont je veux vous citer quelques morceaux, écrivain qui ne
laisse pas s’opérer une bonne action publique à laquelle il
ne s’empresse de
prendre une part active ; car voilà la
vraie destination, le premier devoir du
talent.
Ce n’est pas qu’on ne trouve quelques
erreurs dans ce discours ; il en est
une surtout que je
dois remarquer, parce qu’elle me semble outrageante pour
des hommes qui, quoique étrangers à notre religion, ont
scependant rendu de
grands services au
genre humain soit en l’éclairant, soit en
l’adoucissant.
Priestley
fait hommage à la religion chrétienne de tous les efforts que
- 58 -
{f.58}
l’on fait de tous côtés pour étendre
la liberté, pour élever la dignité de l’homme,
pour abolir
l’esclavage. Les païens n’avait point de semblables
idées
de nos droits.
Priestley
oubliait dans ce moment tant de grandes vérités développées par
le
païen Sénèque, avec son énergie
ordinaire sur la liberté et sur l’esclavage. Je ne
vous en
citerai qu’un fragment, mais il est
décisif.
J’apprend avec plaisir, dit-il, à un
de ses amis, que tu admets tes
esclaves dans ta
familiarité. Ta prudence exige cette conduite, elle honore
tes
lumières. Ce sont des esclaves ? Oui, mais des
hommes. Ce sont des
esclaves, oui, mais tes commensaux.
Ce sont des esclaves, oui, mais d’humbles
amis. Ce
sont des esclaves enfin, oui, mais d’humbles
amistes
esclaves, car la fortune
peut tout
sur toi comme sur eux. Ils sont nos égaux, nos frères, et
cependant
comment les traitons-nous ? ― C’est avec les
fouets qu’on appaise leurs
trop justes plaintes. Les
accidens même
inévitables n’échappent pas au
châtiment. Toussent-ils,
éternuent-ils, sanglotent-ils, on les en punit : on
les punit d’appartenir encore par quelque côté à la nature,
aussi de là résulte
que ceux qui sont forcés d’être
muets devant leurs maîtres, parlent contre eux.
Mais
ceux qui ne sont pas condamnés au silence, ceux sur qui les
maîtres laissent
tomber des regards de bonté, se
montrent leurs amis dans leurs malheurs, ils se
jettent
au devant du coup qui doit les percer. Ces esclaves parlent
dans les repas ;
mais ils se taisent au milieu des
lectures. Que devient donc ce fameux
proverbe ? Autant
d’esclaves, autant d’ennemis. La Nature ne les a point faits
nos ennemis, c’est notre cruauté
seule...2
Sénèque
présente ensuite l’image d’une foule de fonctions dégoûtantes
auxquelles on condamne les esclaves à Rome. Il se récrie
avec une vigoureuse
indignation contre ces avilissement,
contre ces atrocités...
CroionsCroyons
qdonc que
les philosophes de l’Antiquité avaient comme nous des idées
saines sur les
droits sacrés de chaque individu.
Je ne
prétensprétends
pas vous offrir une analyse détaillée de ce discours, mais vous
en présenter quelques idées ou neuves ou développées d’une
manière frappante.
Priestley se plaint avec raison qu’on
ait attendu si tard pour s’élever contre
l’usage barbare de
l’esclavage. Si les scènes révoltantes, dit-il, sur
lesquelles
l’attention publique se fixe
maintenant, eussent
étéesété
depuis longtemps présentées
au public, elles
n’auraient pas sans doute existé jusqu’à nos jours. La
nation indignée comme elle l’est aujourd’hui, eut
depuis longtemps signifié
- 59 -
{f.59}
à ses
représentansreprésentants
son opinion par la voie des remontrances et des
pétitions,
et la législature eut parlé. Peut-être
même à l’aspect de tableaux aussi
affligeansaffligeants,
beaucoup de planteurs, beaucoup d’armateurs
eussent refusé de se
jetterjeter
dans un
commerce aussi atroce... La lumière a paru,
s’écrie-t-il, et il ne reste plus
d’excuse pour le
crime. Qui le continue, qui tolère son existence, est
également
coupable. Nation, gouvernement,
individus, tous ceux qui n’emploient pas leurs
efforts pour le faire abolir à jamais, seront
également condamnés par l’éternel.
Et en effet
reste-t-il une justification à ce crime ? Dira-t-on que
les tableaux
que j’ai présentés ne sont que des
abus accidentels de ce trafic, et que ceux-là
seuls
méritent le blâme qui les occasionnent ?.. Vain sophisme
! Ici le trafic et
l’abus sont si étroitement liés
qu’il est impossible de les dijsjoindre,
qu’authoriserautoriser
l’un
c’est
authoriserautoriser
les autres. Ainsi donc
authoriserautoriser
la traite, c’est
authoriserautoriser
le massacre
des 100,000 hommes qu’il faut
assassiner pour obtenir les 100,000 autres que
vous exportez, c’est
authoriserautoriser
les incendies, les rapts, les violations de tous les
droits de l’homme, c’est
authoriserautoriser
les suicides, la seule ressource du Noir
énergique, l’infanticide le seul
moienmoyen
de soustraire à la torture son
malheureux enfant.
C’est
authoriserautoriser
la mort de 25,000 Nègres qui dans la
traversée
périssent soit de faim, soit de maladie, c’est
authoriserautoriser
la mort des
25,000 autres que le désespoir, le
regret d’être à jamais privés de leur patrie
enlève pendant les deux premières années de l’esclavage.
Je dis plus,
authoriserautoriser
le
trafic des Nègres, c’est
authoriserautoriser
l’atrocité calculée de ces planteurs qui, certains
de trouver dans ce trafic des recrues perpétuelles,
s’inquiètent peu d’adoucir, de
prolonger
l’existence de leurs esclaves, et ne cessent d’épuiser
leur sang pour le
convertir en or... Ne les
traiteraient-ils pas au moins comme les animaux
utiles si la recrue n’était pas si facile et si
assurée. Encore une fois ce
trafic ne peut pas
exister sans ces abus, ils en sont le cortège
inséparable.
S’occuper d’abolir l’abus seul est
donc une chimère, c’est le trafic qu’il faut
abolir.
Ce serait
en vain que nous prétendrions nous décharger de la
part que nous
avons à ce crime en le
rejettantrejetant
sur les armateurs, sur les planteurs. Il est
bien d’autres coupables... Ils le sont ceux qui y
prennent intérêt, sous quelque
forme qu’ils le
masquent ; ils le sont ceux qui le protègent par
leurs armes ; ils le
sont ceux qui prêtent
leurs vaisseaux, qui les assurent ; ils le sont ceux
qui,
étant éclairés, n’emploient pas leurs
lumières à éclairer leurs pas dans cet
affreux
trafic, ceux qui étant dans la législature,
n’emploient pas leur
- 60 -
{f.60}
influence pour l’amener à
l’abolition de ce trafic ; ils le sont surtout ceux
qui étant à la tête du gouvernement protègent
ce commerce. Ah ! S’ils
résistaient au concours de
lumières qui frappe aujourd’hui tous les
yeux,
de quelle masse
effraianteeffrayante
de forfaits ils auraient à répondre au
tribunal de l’Eternel. 150,000 hommes massacrés tous
les ans pour
en condamner 50,000 autres à un
esclavage qui les précipite infailliblement
tous au tombeau dans un espace de neuf ans : comment
reposer à côté
d’une image aussi
épouvantable...
Détournons, Messieurs, nos regards de
ce spectacle affligeant, et
lisons ce que le bon Priestley
nous raconte des heureux effets de l’abolition
de
l’esclavage entreprise par les Quakers... Guidés dit-il, par les
plus purs principes de l’humanité et du christianisme, ils
ont affranchi
leurs esclaves et ils ont trouvé même à leur
surprise qu’ils retiraient plus de
proffitsprofits
de leur travail libre et en leur
paiantpayant
des gages, que lorsqu’ils les
emploiaientemployaient
comme esclaves et sans leur donner aucun salaire. Ces nègres
travaillent avec satisfaction et
gaitégaieté !
Ce qu’on propose à l’Angleterre
d’exécuter, dit-il encore, l’a déjà été
par divers
États-Unis de l’Amérique. Notre patrie ne peut que s’honorer
de suivre leur exemple, et tout individu qui
emploieraemployera
ses talenstalents
ou son crédit
à amener cette révolution, aura part à
cette gloire. Mais à cet égard nous devons
tous céder
la première place aux Quakers qui ont été les premiers à se
montrer les amis des droits de l’humanité et ce qui est
plus encore, ceux qui ont été
les premiers à
rejetterrejeter
les avantages qu’ils auraient pu, comme les autres,
tirer du trafic inhumain de leurs semblables. Ajoutons,
à ces Quakers,
qui bien convaincus de l’injustice de
l’esclavage, et du droit des Nègres
lui ont sans
calculer sacrifié leur propriété.
Vous partagez sans doute, Messieurs,
l’impression douce que m’ont fait
naître ces idées
philanthropiques et religieuses. Puissions-nous les répandre
partout
les faire éclore dans les âmes de nos compatriotes.
Ils ont le même germe que
nous de sensibilité, d’équité :
il ne faut que le féconder. Amenons-les par la
sensibilité
à s’occuper de cette cause, à vouloir la discuter : tel doit
être notre but.
Pourquoi les
circonstances me forcent-elle à suspendre en ce moment
la
part que je désirais prendre à une révolution aussi humaine ?
C’est avec une
véritable douleur que je me vois forcé de
résigner la place à laquelle votre
indulgence m’avait
provisoirement
apelléappelé. Mais
en la quittant, en m’éloignant
- 61 -
{f.61}
de ces lieux momentanément,
j’emporte avec moi la douce pensée que j’ai
contribué à
remuer en faveur des Noirs, des hommes doués de
talenstalents,
d’énergie,
de sensibilité, que je laisse dans cette société
respectable de vrais amis, de vrais
frères, que j’en ai
acquis de nouveaux. Loin de vous, j’habiterai parmi vous,
j’assisterai en esprit à vos travaux. Loin de vous je
tâcherai de me rendre
encore utile à ces infortunés. Honoré
de la mission dont vous voudrez
bien me revêtir, je veux
dans le nouveau monde découvrir de nouvelles
preuves de la
dureté des bourreaux des Nègres, de l’absurdité du calcul
sur lequel est fondé l’esclavage. Je tâcherai de recueillir
les moiensmoyens qui
dans
les états du Nord ont oté à l’affranchissement les
inconvéniensinconvénients
qui lese
préparent dans ceux du
midyMidi.
Enfin, je veux recueillir les faits qui doivent
prouver
irrésistiblement le principe décisif que le travail libre
produit plus que le
travail esclave.
Ô comme je vais
réjouir l’âme des Américains, des quakers, en leur
aprenantapprenant
qu’il existe en France, à Paris même, un Société d’hommes qui
s’empressent de suivre leur exemple ! Comme je réjouirai
les Nègres que je
rencontrerai en leur
aprenantapprenant,
que les maîtres de cette capitale d’où
sort le tonnerre qui
gronde sans cesse sur leur tête s’occupe des
moiensmoyens
d’adoucir leur sort, de les et
de leur rendre un jour la liberté.
J’en suis sûr, des
larmes de joyejoie
couleront de leurs yeux. Non, non,
ce ne sont pas des
vengeances qu’il méditeront quand ils verront tomber
leurs
fers. Donnons leur du pain, qu’ils goûtent enfin le repos,
qu’ils aient
enfin la liberté d’embrasser leurs enfants, de
jouir avec eux et leurs épouses des
douceurs de la vie
domestique et ils seront loin de s’occuper de vengeances.
Au contraire, ils nous regarderont, nous aimeront comme
leurs libérateurs.
Le Nègre est tendre
marrimari, bon
père, la vengeance n’habite pas dans
une âme qu’animent ces
sentimenssentiments,
à qui on rend la libertée droit d’en jouir.
Ô vous dont j’ai jusqu’ici secondé
les efforts. Ô mes ami, mes frères,
soutenez-vous dans
votre ouvrage, n’abandonnez pas cette bonne oeuvre, que
les
obstacles ne vous découragent pas. Songez que dès à présent vous
n’appartenez plus à vous-mêmes, que cette cause vous
réclame à jamais ;
songez qu’il est sans doute déjà dans
les colonies, des Nègres instruits que
des Sociétés
s’occupent du soin d’adoucir leur sort, cette nouvelle a déjà
peut être suspendu leurs larmes... Ne trompez pas leurs
espoirs.
Mettez-vous sans cesse à leur place. Oh ! Comme
vous seriez
ardensardents
- 62 -
{f.62}
à invoquer les défenseurs de la
liberté, à les conjurer de redoubler de
zèle et de
constance... Faîtes donc ce que vous désireriez alors ;
travaillez,
et sous quelque prétexte que ce soit, ne
désertez jamais votre poste.
En vous unissant à cette
Société, vous avez fait tacitement le serment de
défendre
ces malheureux ; vous ne pouvez y renoncer qu’en devenant
coupables,
et vous le seriez d’autant plus qu’en trahissant
cette cause, vous feriez
rétrograder celle de la liberté en
général, qui doit vous occuper. Car ne cessons
de le dire :
rien de bon durablement, hors de la liberté, elle est l’essence
de
l’homme, elle constitue sa dignité, sa grandeur, elle
est la base de sa
sociabilité, de sa perfectibilité ; voilà
ce qu’il faut démontrer pour les Nègres, et
ce qui est
démontré pour eux ne peut qu’être utile aux Blancs de toutes les
contrées de la terre.
Arrêté qu’il sera dressé un modèle de lettres à
écrire au nom du Comité
aux diverses Sociétés des États-Unis
d’Amérique pour les engager à donner
toute confiance à
Brissot de Warville
sur les arrangemensarrangements
à prendre
pour affilier notre Société aux leurs, pour établir une
correspondance constante.
M. de Warville a lu
ensuite l’avertissement suivant.
Abolition de la traite des Nègres.
Comité pour l’abolition de la traite des Nègres établi
à Londres.
18 mars 1788.
L’esprit de la Société ayant été malicieusement altéré et
défiguré dans des
- 63 -
{f.63}
bruits
publics, par lesquels on a voulu faire croire que l’objet de
ses
efforts actuels était le projet extravagant de
faire affranchir immédiatement
les Nègres des colonies
anglaises ; la Société pense qu’il est de son devoir
de
déclarer publiquement publiquement,
qu’elle adhère uniformément à la
bazebase
première de son institution savoir l’abolition de la traite, convaincue,
comme
elle l’est, que si cette abolition a lieu, non seulement on
écartera
un mal très
allarmantalarmant,
mais que même, il en résultera infailliblement dans
les
colonies des
règlemensrèglements
qui tendront immédiatement au bonheur des
Nègres qui y
existent, et à l’amélioration de leur état public civil et
religieux.
Arrêté que cet avertissement sera envoyé à tous
les journaux français et
qu’il sera inséré dans le registre des
documensdocuments.
Monsieur le
président a demandé
ensuitteensuite si
quelcunquelqu’un des
membres
n’avait pas de propositions à faire. Mr Brack a dit que le
procès
de monsieur Cabrol, qu’il
avait présenté comme souscripteur à une
des dernières séances,
s’instruisait ; que son avocat désirerait avoir
des
renseignemensrenseignements
du Comité.
Arrêté qu’il lui sera fourni tous les
renseignemensrenseignements
qui dépendront du
Comité.
On a présenté ensuite les personnes suivantes
comme souscripteurs.
Monsieur Bréban a présenté :
Mr de Piles.
N° 19 rue de Grammont.
Monsieur le
marquis de la Fayette a
présenté :
Monsieur le marquis de Condorcet hôtel
de la Monnaye.
Mr
de Warville a
présenté :
MM. Blot
et du Rouvrai.
M.
de Bréban a présenté
Monsieur Esmangard conseiller au parlement rue des Capucines
M.3 a présenté :
Monsieur
d’Hières rue Jacob.
M.4 a présenté :
Monsieur de Menage viellevieille rue du temple vis
à vis la Rue du roi de Sicile
- 64 -
{f.64}
M.
de
Montcloux a présenté :
Monsieur des
Faucheret rue du Paradis,
M. de Gramagnac
M. Brack a
présenté :
M. Moreau.
M.
de Warville a
présenté :
M. Garlike attaché à l’ambassade d’Angleterre à Madrid,
M. Garail avocat au parlement rue de Bièvre N° 51.
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1. | Joseph Priestley, A Sermon on the Subject of the Slave Trade ; Delivered to a Society of Protestant Dissenters, at the New Meeting, in Birmingham, Birmingham, 1788. |
2. | Sénèque, Lettres à Lucilius, V, 47. |
3. | Espace laissé en blanc. |
4. | Espace laissé en blanc. |