De Vienne , le 28 Janvier 1685.
II y a eu
un grand embrasement
à Neuhausel & plusieurs Chrestiens
esclaves
se sont sauvez de cette place pendant que la garnison estoit occupée à l'éteindre. Ils ont rapporté que les Turcs y souffroient encore
une grande disette de vivres
: & que les deux derniers convois ne pouvoient suffire à les entretenir plus de deux mois. Ils ont aussi rapporté que la garnison manquoit entiérement de bois. Cet avis a donné de nouvelles espérances de pouvoir entreprendre avec succez le siége de cette place à l'ouverture de la campagne : & dans cette vûë , l'ordre a esté envoyé aux troupes d'en continüer le blocus , de maniére qu'il n'y puisse entrer aucun nouveau convoy. Le Comte de Palfi partit le 15 de ce mois, pour aller presser la marche des troupes nationales de Hongrie , qui doivent joindre celles que commande le Colonel Heusler. Il a porté environ vingt mille florins , afin de leur payer ce qui leur est dû , avec l’avance d'un mois de solde.
On travaille ici , avec toute la diligence possible à faire de grandes provisions de farine, d'avoine & de toutes les munitions de guerre & de bouche nécessaires pour en remplir les magasins. On a acheté quantité de grains dans l'Empire, qui seront transportez par le Danube vers la Hongrie , aussitost que les glaces seront rompuës. Les troupes Impériales sont encore dans une nécessité extréme de vivres & de fourrages , & il meurt tous les jours quantité de soldats & de chevaux : tellement que sans de prompts secours , il sera difficile que l’armée soit en état au printemps , d’exécuter
aucune entreprise considérable. Le Baron Abelé a esté durant quelques jours à. Trentschin : & il en devoit partir le 15, pour se rendre à Neusol , afin d'appaiser s'il est possible, les Communautez de Hongrie , qui continüent à se plaindre de l’incommodité qu'elles reçoivent des quartiers d'hyver, & de representer l'impuissance dans laquelle elles sont de fournir les contributions qui leur ont esté demandées pour la subsistance des troupes. Les païsans de la Haute Hongrie se retirent toûjours en grand nombre , quelques promesses qu'on leur ait faites de les soulager. Il est survenu un grand différent pour les quartiers, entre le Général Schultz & le Comte Schérini qui commande les Bavarois , sur ce que le premier prétendoit que ceux que le dernier occupoit luy avoient esté assignez. On luy avoit proposé de se loger sur les terres des Turcs, entre Agria & Débretzin : mais il a représenté qu'il luy seroit impossible d'en sortir apres le dégel sans rüiner ses troupes , parce qu'il y a quantité de marécages à passer , & que d'ailleurs la marche des troupes ne seroit pas seure , à cause des courses continüelles des Infidéles. Le Comte Schérini arriva ici le 19 de ce mois , pour exposer aussi à la Cour ses raisons sur ce sujet. Mais on dit que le Général Schultz est entré dans les quartiers , en résolution de n'en point sortir. Le brüit court qu'on a reçeu: des avis certains que les Turcs avec toutes leurs forces , ne seront pas en état de soûtenir en mesme temps la guerre en Hongrie, en Pologne, & contre la République de Venise : & qu'ils estoient fort consternez de la Tréve de vingt ans concluë entre
l'Empereur
&
le Roy Tres Chrestien
, ne doutant point qu'elle ne donne moyen à
Sa Majesté Impériale
de réünir contre eux toutes les forces de la pluspart des Princes Chrestiens avec les siennes. Mais des avis venus de Waradin confirment qu'ils font des préparatifs extraordinaires du côté de Wirowitza & vers le pont d’Esseck : que leurs troupes sont en tres bon état dans leurs places frontiéres : & quelles attendent les ordres pour l'ouverture de la Campagne. On a mesme eu avis que ces Infidéles estoient assemblez au nombre de quatre mille hommes pres de Novigradt : où ils devoient se joindre avec
le Comte Thékeli
, pour tâcher de jetter un nouveau secours dans Neuhausel. On asseure ainsi que le Séraskier Bacha est arrivé à Bude : & qu'il a ordonné à huit ou dix mille hommes de ses troupes de se tenir prestes à marcher , sans qu'on sçache son dessein. On a envoyé ordre aux troupes Impériales qui sont de ce costé là , de se tenir sur leurs gardes : & de rompre les glaces, à la faveur desquelles il y a sujet de craindre que les Infidéles ne veuillent faire quelque entreprises. Le Comte de Hohenloe a terminé ici, sa négociation pour le secours de troupes que doit envoyer le Cercle de Franconie : & il est allé assister à la Diéte des Estats de ce Cercle à Nuremberg. L'Envoyé du Landgrave de Hesse Cassel a aussi conclu un traité avec
l’Empereur
, süivant lequel ce Prince envoyera en Hongrie, mille chevaux & trois mille fantassins, qui retourneront apres la campagne en quartier d'hyver dans ses Estats. L'Ambassadeur de Venise a obtenu de
Sa Majesté Impériale
les estapes pour le passage des troupes que les Princes de la Maison de Brunswich envoyent à la République : & il a reçeu ordre de tascher d'obtenir de semblables secours des Princes de l'Empire , la République ayant résolu d'avoir à cette Campagne , des forces par mer & par terre , beaucoup plus considérables qu'en la précédente. Le Comte de Rosemberg a esté déclaré Commandant de Copranitz en Croatie : & son régiment a esté donné au Chevalier Lubomirsky. Le Comte Wladislas de Staremberg a esté fait Burgrave de Boheme à la place du feu Comte de Martinitz: & le 24 de ce mois , il presta le serment pour cette charge. On n’est pas encore convenu avec
l'Electeur de Brandebourg
, pour le secours de ses troupes que l'Empereur luy a fait demander. Le Baron Dorsling qui en est Maréchal de Camp Général , offre d'aller faire la Campagne en Hongrie comme Volontaire, en cas que le Traité ne soit pas conclu. Le Lieutenant Général Chauvet commandera en chef les troupes auxiliaires des Princes de la Maison de Brunswich. Les Cantons Süisses ont fait offrir cent milliers de poudre , au lieu d'un secours de troupes ou d'argent qui leur avoit esté demandé , au nom de Sa Majeste Impériale.L'Arménien envoyé par le Commandant de Bude est encore ici : mais on asseure qu'il n'a pas jusqu’à présent paru qu'il ait autre commission que de proposer l'échange de quelques prisonniers Allemans qui sont demeurez dans la place , depuis la levée du siége , contre quelques autres prisonniers que les Impériaux ont faits sur les Turcs. On a tâché de découvrir s'il avoit un pouvoir de traiter avec cette Cour : mais il a seulement témoigné qu'il le seroit voir si on vouloit entrer en négociation. On est ainsi persüadé plus que jamais qu'il n'est venu que pour observer sous ce prétexte , ce qui se passe en cette Cour : & pour s'instrüire du détail des préparatifs de guerre &.des résolutions du Conseil Impérial sur l'ouverture de la campagne. On travaille a rétablir l'artillerie , dont une partie fut abandonnée lors que l'armée Impériale leva le siége devant Bude. II y en a plusieurs piéces démontées : & les équipages sont entiérement rüinez.