Interview Santé. « Une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer garde son identité »

Francis Eustache, neuropsychologue originaire de Virandeville (Manche), a été l'un des pionniers à utiliser l'imagerie cérébrale pour mieux comprendre la maladie d'Alzheimer.

Le 21 septembre, c'est la Journée mondiale de la maladie d'Alzheimer.
Le 21 septembre, c’est la Journée mondiale de la maladie d’Alzheimer. (©Archives / Jean-Paul BARBIER)
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A l’occasion de la Journée mondiale de la maladie d’Alzheimer, jeudi 21 septembre 2023, Francis Eustache, neuropsychologue à l’Université de Caen, originaire de Virandeville, a accepté de répondre à nos questions.

Ce professeur à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), à Paris, a été l’un des pionniers en France à utiliser l’imagerie cérébrale pour mieux comprendre la maladie d’Alzheimer.

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Actu : Votre carrière et vos travaux sur la mémoire ont été des vecteurs pour comprendre l'origine d'Alzheimer. Pouvez-vous nous dire par où vous êtes passé ?

Francis Eustache : Après des études secondaires passées à Cherbourg, je suis allé à Paris et à Caen pour mes études supérieures. Directeur de 2013 à 2016 du centre d'imagerie biomédicale Cyceron à Caen (le premier en France et dans le monde à utiliser l'imagerie cérébrale pour étudier le fonctionnement cognitif et la mémoire humaine), j'ai commencé à travailler sur le sujet en 1979. À la création de ce centre dans les années 1980, période où j'exerçais, on a compris que la perte de mémoire n'était pas due à la vieillesse, mais bien une maladie. Un bond en avant extraordinaire.

225 000 cas

En France, 225 000 nouveaux cas de la maladie d'Alzheimer sont dépistés chaque année.

Peut-on dire qu'une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer a perdu son identité ?

F.E. : Je vous remercie pour cette question qui est assez fondamentale. Je lis parfois des choses, et souvent je ne suis pas d'accord avec ça. Je pense qu'une personne va conserver son identité même si elle est malade. Dans notre identité, il y a des choses qui sont relativement fixes. Par exemple, je suis originaire du Cotentin. Quand j'avais 15 ans, j'avais déjà des idées que j'ai encore aujourd'hui parce que j'ai bénéficié d'une certaine éducation et d'un certain nombre de valeurs. Je les ai gardées ces valeurs, mais aujourd'hui, à 65 ans, j'ai changé. Les gens qui vont avoir une maladie du cerveau vont aussi être modifiés, mais cela ne veut pas dire qu'ils n'ont plus d'identité. Ce que je ressens le plus chez ces personnes, et ce qu'on a aussi pu mesurer, c'est qu'elles s'attachent à un moment très caractéristique de leur vie.

Le neuropsychologue Francis Eustache est originaire de Virandeville, dans la Manche.
Le neuropsychologue Francis Eustache est originaire de Virandeville, dans la Manche. (©Inserm / Mehrak)

« S'attacher à un moment caractéristique de la vie », pouvez-vous développer ?

F.E. : J'ai le souvenir d'une femme agricultrice. Je faisais un examen neuropsychologique, puis tout d'un coup, elle m'a dit : « Il faut qu'on abrège, car je dois m'occuper de mes vaches. » Alors que c'était une femme qui n'avait plus sa ferme. Ce moment faisait partie de sa vie. Il faut faire attention quand on parle de la perte d'identité, ce n'est pas rien. C'est terrible si on prend ça à la lettre. Pour moi, une personne atteinte (même avec des troubles très importants) garde toujours son identité. Elle se révèle dans des moments d'échanges avec un proche, lors d'une activité particulière... Il faut profiter de ces instants.

L'imagerie cérébrale a été un élément clé pour comprendre cette maladie. Qu'a-t-elle concrètement permis ?

F.E. : Ce qu'on a pu montrer dans un premier temps, ce sont des cartographies du cerveau. L'évolution des lésions atrophiques et, surtout à Cyceron grâce à la tomographie par émission de positons (PET Scan), les répercussions de ces lésions sur le fonctionnement du cerveau. À l'époque, ça donnait un rationnel scientifique extrêmement fort.

Vous en avez aussi conclu, grâce aux recherches et à la compréhension de la dynamique de la maladie, que le cerveau peut s'adapter. D'où l'importance de rester actif...

F.E. : Le cerveau est très malléable et peut créer des mécanismes compensatoires pour contrecarrer la maladie, la retarder. Et il y a moyen de les amplifier avec une certaine hygiène de vie, en privilégiant les relations sociales, l'activité intellectuelle et physique. Toutes ces notions, aujourd'hui passées dans le langage courant, n'existaient pas il y a trois ou quatre décennies.

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L'alcool, fléau des troubles de la mémoire

La consommation d'alcool, un fait de société vu comme festif pour la plupart des Français, entraîne lui aussi de graves troubles de la mémoire. Ingéré de façon excessive, l'alcool est associé à un triplement du risque de démence et à un doublement de celui de développer la maladie d'Alzheimer. Amnésie, difficulté à créer de nouveaux souvenirs, problèmes de concentration...
À l'hôpital Pasteur de Cherbourg-en-Cotentin, « les cas sont nombreux, trop nombreux, assure Damien Caronnet, neurologue. C'est la première cause de démence chez les jeunes ».
La thiamine (vitamine B1), présente dans nos aliments, est essentielle pour le bon fonctionnement de nos neurones. Or, l'alcool diminue son absorption. Et il coupe la faim, notamment lorsqu'il est couplé à des boissons sucrées.
« Le whisky coca et le rhum sont un fléau chez les jeunes. Avec le sucre qu'ils assimilent, une dénutrition peut apparaître, car ils ne ressentent plus le besoin de se nourrir », affirme le neurologue de l'unité d'évaluation neuro-gériatrique. Cette carence est appelée syndrome de Korsakoff, une maladie neurodégénérative.
Récemment, un jeune de 23 ans a été admis à l'hôpital Pasteur après avoir bu excessivement pendant trois à quatre mois. « Son circuit de Papez, un ensemble de connexions dans notre cerveau, s'était nécrosé. » Cette dégénérescence est basée sur le même principe que la maladie d'Alzheimer. Et les lésions cérébrales sont irréversibles.

On attend aujourd'hui des progrès pharmacologiques. Où en est-on ?

F.E. : Nous sommes à une période charnière. Au moins quatre ou cinq médicaments sont actuellement testés aux États-Unis. Ils agissent sur les plaques amyloïdes qui se forment dans le cerveau en les gommant et retardent les effets délétères sur la cognition. Malheureusement, il y a un grand nombre d'effets secondaires, et ils ne sont pas encore arrivés en Europe. Il faut donc faire attention et ne pas donner de faux espoirs aux patients.

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Francis Eustache a participé, avec six autres auteurs, à l’écriture du livre « Mémoire et traumatisme » sorti début septembre 2023 aux éditions Dunod. Prix : 24 euros.

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