Un archéologue à la recherche des trésors de pirates

INTERVIEW. Des Antilles à Madagascar, Jean Soulat, chercheur à l’université de Caen et de Paris I, cherche les traces des flibustiers du XVIIIe siècle.

Propos recueillis par

Jean Soulat et Yann von Arnim ont exhumé en novembre 2023 de nouveaux canons sur l'épave du Speaker, au large de Maurice.
Jean Soulat et Yann von Arnim ont exhumé en novembre 2023 de nouveaux canons sur l'épave du Speaker, au large de Maurice. © DR

Temps de lecture : 9 min

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Il revient tout juste de l'île Maurice où il a fouillé l'épave du Speaker, le navire du pirate anglais John Bowen, qui a fait naufrage le 7 janvier 1702 au large de Pointe aux Feuilles, entre les communes de Quatre Sœurs et de Grande Rivière Sud-Est. Jean Soulat, fondateur en 2019, avec John de Bry et Alexandre Coulaud, du programme de recherche « Archéologie de la Piraterie », s'apprête à repartir à Madagascar pour explorer la bien nommée « île aux Forbans ». En attendant de conduire ces nouvelles fouilles, le chercheur de 38 ans détaille, pour Le Point, les trésors qu'il traque. Il revient aussi sur les travaux qu'il a conduits depuis près de dix ans à travers divers archipels, travaux auxquels il consacre d'ailleurs un ouvrage* aux éditions Alisio.

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Le Point : Vous revenez de l'île Maurice où vous avez exploré l'épave d'un navire pirate de John Bowen coulé en 1702. Qu'y avez-vous trouvé ?

Né en 1985, Jean Soulat est aujourd'hui chercheur associé au Laboratoire ArchAm, Archéologie des Amériques, à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne (UMR 8096 - CNRS).
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Né en 1985, Jean Soulat est aujourd'hui chercheur associé au Laboratoire ArchAm, Archéologie des Amériques, à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne (UMR 8096 - CNRS). © DR

Jean Soulat : Avec Yann von Arnim, archéologue sous-marin, nous avons effectivement pu replonger sur l'épave du Speaker. Nous y avons retrouvé, dans le banc de sable, en partie découverts à la suite des intempéries des jours précédents, cinq canons habituellement peu visibles ainsi que trois boulets de canon. Notre mission a aussi porté, cette année, sur le réexamen des objets archéologiques provenant du fort hollandais Frederik Hendrik, fondé en 1638 par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) et qui fut actif jusqu'en 1720. Ce fort a son importance dans l'histoire du Speaker,car il a accueilli son équipage durant trois mois avant qu'il ne quitte l'île. Les archives nous apprennent que des transactions ont eu lieu sur place entre les Hollandais et les pirates. À ce titre, on retrouve sur l'épave et sur le fort des objets communs, comme des fragments d'assiettes en porcelaine japonaise fabriquées pour la VOC et relativement rares. Ce sont les témoins probables de ces échanges.

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Jean Soulat n'explore pas seulement les fonds marins. Il fouille surtout les zones à terre où les contrebandiers auraient installé un comptoir marchand.
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Jean Soulat n'explore pas seulement les fonds marins. Il fouille surtout les zones à terre où les contrebandiers auraient installé un comptoir marchand. © DR

Chaque plongée sur l'épave du Speaker amène son lot de découvertes. Partiellement fouillée par Jacques Dumas et Patrick Lizé en 1980, l'épave a conservé une part de mystère. Les technologies actuelles nous permettent de répondre aux questions qui restent en suspens, et notamment de mieux comprendre les conditions du naufrage. La recherche archéologique permet ainsi de mettre régulièrement en évidence de nouveaux vestiges comme des canons et des objets singuliers allant de la petite perle de verre au boulet de canon. Lors de la mission que j'ai dirigée en 2021, nous avons développé un modèle en 3D afin de mieux percevoir les canons et les ancres sur la zone difficilement accessible en raison de sa forte exposition à la houle. Au total, ce sont plus de 1 700 objets qui ont été remontés depuis 1980 et que les archéologues font parler. Chaque petit fragment de céramique peut raconter une histoire…

Depuis combien de temps vous intéressez-vous au monde de la flibuste ?

Enfant, j'ai toujours voulu chercher, identifier, déterminer les restes du passé et l'archéologie est la science qui m'a toujours fait rêver. Le désir d'exotisme et d'aventure dans des îles perdues comme celles décrites dans les livres de Robert Louis Stevenson a énormément joué dans ma décision de partir à la redécouverte de ces forbans des mers. Avant d'être archéologue, j'étais passionné par ces personnages de pirates devenus caricaturaux, malgré eux, dans la pop culture actuelle. Retrouver leurs repaires et leurs navires engloutis a toujours été un objectif pour moi.

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C'est mon intérêt pour les objets archéologiques qui m'a permis de faire le lien entre les pirates saxons bousculant l'Empire romain le long des côtes des mers du Nord, au Moyen Âge, et les forbans des Antilles ou de l'océan Indien du XVIIIe siècle. Ayant un doctorat en archéologie mérovingienne à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, c'est grâce à mon statut d'ingénieur d'études au sein du Laboratoire LandArc, spécialisé dans l'étude des objets, que j'ai pu développer mes travaux sur les colonies françaises d'Amérique. Ce domaine de recherche relativement récent en France m'a naturellement conduit à la piraterie en m'intéressant au navire du pirate Edward Teach, plus connu sous le nom de « Barbe Noire ». Son bateau, le Queen Anne's Revenge, sabordé en 1718 dans la baie de Beaufort (Caroline du Nord), était à l'origine une frégate nantaise du nom de La Concorde. Fouillée depuis 1997, l'épave a livré un grand nombre d'objets de fabrication française, notamment les ustensiles du chirurgien de Barbe Noire, qui était lui-même Français. J'ai ensuite créé en 2019 le programme de recherche « Archéologie de la Piraterie » en partenariat avec l'université de Caen et le Centre Michel de Boüard (Craham – UMR 6273 / CNRS) où je suis désormais chercheur associé.

Plus de 1 700 objets ont été remontés de l'épave du <em>Speaker</em> au large de l'île Maurice.
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Plus de 1 700 objets ont été remontés de l'épave du Speaker au large de l'île Maurice. © DR

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L'île Sainte-Marie est un petit bout de terre de 47 kilomètres de long qui appartient à Madagascar. Cette île abrite, dans sa partie sud, une baie enclavée que l'on nomme depuis le début du XVIIIe siècle la baie des pirates. Un lieu-dit qui fait partie de la commune d'Ambodifotatra. Ce sont les Français qui l'ont baptisée ainsi au moment où ils cherchaient à en prendre possession. Ce nom ne doit rien au hasard. Cette baie a accueilli un centre de contrebande pirate entre 1690 et 1730. Adam Baldrigde, un flibustier de Nouvelle-Angleterre, y a installé un comptoir ainsi qu'un fortin pirate. Fuyant la mer des Caraïbes, les forbans sont arrivés dans l'océan Indien à la fin du XVIIe siècle pour capturer les navires chargés de luxueuses marchandises qui faisaient la route des Indes. Sur place ont d'ailleurs été faites les plus importantes saisies de toute l'histoire de la piraterie. L'une des bases de repli des flibustiers est cette île Sainte-Marie qui accueille les équipages de William Kidd, Olivier Levasseur dit « la Buse », ou encore Christopher Condent. Trois des plus célèbres pirates de l'histoire. Ces derniers viennent s'y ravitailler, réparer leur navire et revendre leur butin, y compris les esclaves.

À LIRE AUSSI Une retraitée découvre deux trésors vikings sur l'île de ManQuels artefacts ont été retrouvés sur place ?

À l'entrée de la baie, les pirates ont sabordé certains de leurs vieux navires pour en bloquer l'accès aux vaisseaux de guerre britanniques et français. D'après les archives, au moins quatre bateaux pirates se trouvent ainsi au fond de l'eau. Il est écrit que les mâts de ces embarcations ont longtemps dépassé de la surface. Ce qui devait créer une drôle d'atmosphère. L'archéologie a retrouvé au moins l'une de ces épaves qui contenait de nombreux objets.

La côte est de Madagascar fut fréquentée par les Européens dès le XVI<sup>e</sup> siècle. Aux Portugais sont venus s’ajouter les Hollandais suivis par les Anglais et les Français. L'équipe de Jean Soulat recherche leurs traces sur un îlot accessible seulement en pirogue.
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La côte est de Madagascar fut fréquentée par les Européens dès le XVIe siècle. Aux Portugais sont venus s’ajouter les Hollandais suivis par les Anglais et les Français. L'équipe de Jean Soulat recherche leurs traces sur un îlot accessible seulement en pirogue. © DR

Quelles étaient les cargaisons de ces navires ?

Une importante quantité de porcelaines chinoises et de céramiques asiatiques a été remontée entre 2000 et 2015 par une équipe américaine dans des conditions éthiquement discutables. Leur examen approfondi a notamment laissé à désirer. Sur les préconisations de l'Unesco, cette collection, conservée au Musée de la Reine Bétia sur l'îlot Madame, a donc dû faire l'objet d'une étude nouvelle plus complète, dont je me suis chargé. Avec mon équipe, j'ai monté la première mission archéologique terrestre sur l'île Sainte-Marie en mai 2022. À cette occasion, nous avons entrepris le réexamen de l'intégralité de ces objets. Côté terrestre, nous avons équipé un drone d'un boîtier Lidar pour scanner et topographier les lieux. Des sondages nous ont, en outre, permis de découvrir des zones de carénage et de ravitaillement pour les navires pirates. Mais aussi des zones de stockage des marchandises et, sur les hauteurs de la baie, les prémisses d'une installation malgache remontant bien avant l'arrivée des pirates.

Que nous enseignent les études que vous avez conduites sur la vaisselle chinoise que vous évoquez ?

Que ce soit sur l'épave de la baie, qui pourrait être le supposé Fiery Dragon, coulé en 1721, ou sur les zones de stockage, de très nombreuses porcelaines chinoises ont été découvertes. Il s'agit d'une porcelaine très homogène à décor bleu et blanc, parfois polychrome de style Imari. Ces motifs permettent de la dater de la période Kangxi du nom de l'Empereur chinois ayant régné de 1662 à 1722. Cette porcelaine a été produite dans le sud de la Chine et était destinée au marché portugais en Europe. On y retrouve notamment des aigles bicéphales, représentant le symbole de la famille portugaise. Un décor très rare ! On a aussi identifié, sur un seul fragment, un blason armorié appartenant au comte Luis de Meneses, vice-roi des Indes portugaises. Cette assiette aurait fait partie de la cargaison du navire La Vierge du Cap. Un bateau capturé en 1721 par le célèbre pirate « la Buse » au large de l'île de La Réunion.

L’archéologie de la piraterie est une thématique récente, encore plus dans l’océan Indien.

Des pièces en or ont également été retrouvées…

Parmi les objets retrouvés sur l'épave de la baie, 13 monnaies en or ont effectivement été remontées. Comme pour les monnaies du Speaker, ces quelques pièces ont été frappées dans différentes régions du monde : à Venise, au Caire ou en Hollande. Certaines d'entre elles étaient percées car ces pièces pouvaient être montées en collier ou cousues sur les vêtements des pirates. Malheureusement, aujourd'hui, une seule est toujours conservée au musée.

Jean Soulat étudie particulièrement un îlot dans la baie des pirates, à Madagascar. Son nom ? L'île aux Forbans ! 
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Jean Soulat étudie particulièrement un îlot dans la baie des pirates, à Madagascar. Son nom ? L'île aux Forbans !  © DR

Au cœur de cette baie se trouve un lieu qui n'a jamais été fouillé. Pourquoi ?

Sur l'île Sainte-Marie, au cœur de la baie d'Ambodifotatra, se trouve un petit îlot, appelé « l'île aux Forbans ». Cet îlot, tout comme la baie, n'a jamais fait l'objet de fouilles archéologiques. Cela tient à une raison simple. L'archéologie de la piraterie est une thématique récente, encore plus dans l'océan Indien. Les Américains, pionniers dans cette branche, se sont tournés essentiellement vers la recherche des épaves, surtout aux Caraïbes et le long des côtes américaines. Mais plus rarement ailleurs. En mai 2022, en partenariat avec les institutions malgaches et les étudiants locaux, j'ai décidé de m'intéresser à ce repaire de pirates, pourtant bien connu dans les archives…

Avez-vous l'espoir de mettre la main sur les joyaux de la couronne portugaise, volés par « la Buse », dont on prétend que ce pirate les aurait enfouis sur place ?

Non, car les pirates n'enterraient pas leur butin ! Il s'agit d'une idée reçue contre laquelle je me bats et qui a été véhiculée par la légende du pirate « la Buse », mais surtout par la littérature. Les auteurs Irving Washington, Edgar Allan Poe et bien sûr Robert Louis Stevenson sont pour beaucoup responsables de cette légende. Le pirate est, en réalité, un opportuniste, il préfère soit dépenser son butin, soit le placer dans des affaires lucratives. De plus, on voit souvent le trésor comme un coffre plein de pièces et de bijoux, mais le butin était plus souvent constitué d'épices, de sucre, de café, de porcelaines ou encore d'étoffes. Autant de marchandises qui se conservent mal quand on les enterre. Le trésor de « la Buse » a tout simplement été partagé au sein de son équipage sur l'île Sainte-Marie, dans la baie d'Ambodifotatra.

Le pirate est un opportuniste, qui préfère dépenser son butin, ou le placer dans des affaires lucratives.

L'imaginaire de la flibuste est malgré tout plein de trésors qui font rêver. L'un des plus mythiques serait celui du galion espagnol San José, coulé en 1708 dans les Caraïbes par les Britanniques avec quelque 200 tonnes d'or, d'argent et de joyaux à son bord. Quel magot vous fascine le plus ?

Le « magot » comme vous dites, c'est l'ensemble des objets archéologiques que j'ai la chance et le plaisir d'étudier régulièrement. Mais sans langue de bois, j'aimerais surtout découvrir les vestiges d'habitations utilisées par les forbans de l'île Sainte-Marie avec des zones de consommation, de campement, voire de fortifications même sommaires. Nous allons essayer de retourner sur l'île en 2024 pour justement aller plus loin dans nos investigations afin de mieux comprendre le quotidien de ces pirates à terre.

Sans foi ni loi, dépravé, sanguinaire, le pirate qui hante nos imaginaires a tout de la caricature. Et pour une raison simple... La fiction a pris le pas sur la réalité et passe sous silence une autre vérité : une vie dangereuse, souvent courte où l’objectif n’est pas d’abattre le premier adversaire venu mais de rester en vie. L’archéologue Jean Soulat raconte pour la première fois la véritable histoire des flibustiers, loin des clichés véhiculés par la légende...
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Sans foi ni loi, dépravé, sanguinaire, le pirate qui hante nos imaginaires a tout de la caricature. Et pour une raison simple... La fiction a pris le pas sur la réalité et passe sous silence une autre vérité : une vie dangereuse, souvent courte où l’objectif n’est pas d’abattre le premier adversaire venu mais de rester en vie. L’archéologue Jean Soulat raconte pour la première fois la véritable histoire des flibustiers, loin des clichés véhiculés par la légende... © DR
*Pirates, de Jean Soulat, éditions Alisio, 160 pages, 26,90 €.

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