Entre 1789 et 1914, quelles grandes évolutions touchent le monde rural et le métamorphosent ? Pourquoi peut-on dire que le XIXe siècle est le grand siècle agricole ? Comment l'industrialisation transforme-t-elle le monde des campagnes ?
- Jean-Marc Moriceau Historien, professeur émérite d’histoire moderne à l'Université de Caen Normandie, spécialiste d’histoire rurale
Trajectoires paysannes, pour tracer son sillon face à l’industrialisation, et trajectoires d’historien pour étudier les campagnes : quelles sources pour le monde paysan, au plus près de ceux et de celles qui travaillent la terre, qui élèvent du bétail, qui voient leur monde changer et qui contribuent à ces changements ? Comment retrouver les gestes, le vécu, les relations humaines, la lutte pour la survie, mais aussi les ambitions, le rêve d’un avenir meilleur, d’une nouvelle vache à acheter, d’une nouvelle terre à récupérer… et pourquoi pas une machine ! Voici La Mémoire des croquants, celle des paysans, et celle des gens de la terre ; voici Les Couleurs de nos campagnes et Les Campagnes dans l’histoire, avec Jean-Marc Moriceau.
Un monde paysan qui se transforme
La France est plus que jamais paysanne entre 1789 et 1914, et les paysans n’ont jamais été aussi importants démographiquement. Si le monde rural peut sembler au premier abord lent, traditionnel, calqué sur des rythmes de saisons immuables, voué à l’éternel retour du même, voire conservateur et adverse aux transformations, il est pourtant parcouru de bouleversements inédits. Le XIXe siècle voit en effet l’instauration progressive de la République et du suffrage universel (masculin), les progrès de la scolarisation et de l’alphabétisation, qui impactent le monde paysan. Dans le même temps, l’agriculture se modernise, avec l’introduction de nouvelles techniques, et notamment de la mécanisation, ce qui permet le développement des rendements et une véritable expansion économique. Le XIXe siècle est celui de l’industrialisation de l’agriculture et des progrès techniques, qui se répercutent en retour sur les conditions de travail et de vie des paysans. Comme le résume l'historien Jean-Marc Moriceau, "le chemin de fer, le télégraphe, l'agence postale, le courrier, la carte postale, l'école publique, le service militaire obligatoire, la conscription, ces éléments sont des nouveautés qui transforment profondément les campagnes entre 1820 et 1914".
Des méthodes modernes d’élevage apparaissent, tandis que les croisements visant à améliorer génétiquement les animaux se multiplient. De nouvelles variétés et de nouvelles espèces végétales sont travaillées, et les méthodes de conservation des produits agricoles sont perfectionnées. Dans le même temps, les engrais azotés apparaissent, et des nouvelles techniques de culture, comme la culture sous serre, sont introduites. Toutes ces évolutions conduisent à une élévation de la productivité agricole, et annoncent l’agriculture industrielle et intensive. Jean-Marc Moriceau insiste sur ce point : "Il faut rappeler que l'industrie, c'est d'abord les campagnes : l'image de l'industrie dans les villes ou aux portes des villes ne se développe qu'à partir du milieu du XIXe siècle. Auparavant, l'industrie était encore très disséminée dans le monde rural."
Les conséquences de l'industrialisation
Néanmoins, tous les paysans ne sont pas concernés par ces évolutions, et des poches de pauvreté et de misère subsistent. La société rurale du XIXe siècle reste très contrastée. Tous les paysans ne peuvent pas se permettre d’investir dans de nouveaux outils comme les locomobiles, ancêtres du tracteur. Certains, en particulier les journaliers et les métayers, restent dépendants de leurs maîtres et soumis à une grande précarité économique. Une partie des paysans modestes s’engagent pourtant pour le progrès, aux côtés des grands fermiers, qui peuvent investir dans de véritables fermes-usines qui annoncent, voire réalisent l’industrialisation agricole.
Pour en savoir plus
Jean-Marc Moriceau est historien, professeur émérite d’histoire moderne à l'Université de Caen Normandie et membre honoraire de l’Institut universitaire de France. Il est spécialiste d’histoire rurale.
Publications :
- La Mémoire des gens de la terre. Chroniques de la France des campagnes,1789-1914, Tallandier, 2023
- Les Couleurs de nos campagnes. Un siècle d'histoire rurale. 1880-1960, Les Arènes, 2020
- La Mémoire des paysans. Chroniques de la France des campagnes,1653-1788, Tallandier, 2020
- La Mémoire des croquants. Chroniques de la France des campagnes, 1435-1652, Tallandier, 2018
- Les Grands fermiers. Les laboureurs de l'Île-de-France (XVe-XVIIIe siècle), Fayard, 2017
- Secrets de campagne, figures et familles paysannes du XXe siècle, Perrin, 2014
Références sonores
- Archive de Marcel Lachiver, France Culture, 30 juin 1998
- Lecture par Henri Poirier d'un extrait de Jacquou le Croquant, roman d'Eugène Le Roy, archive France Culture, 27 août 1990
- Lecture par Thomas Beau d'un extrait des Mémoires d’un paysan bas-breton de Jean-Marie Déguignet
- Archive de l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie, Normandie Soir, 1976
- Lecture par Oriane Delacroix d'un extrait de la Notice biographique et nécrologique sur Émile-Vincent Pluchet, de Trappes, Bulletin de la Société d’Agriculture et des Arts de Seine-et-Oise, 1887
- Extrait du film Le Cheval d’orgueil de Claude Chabrol (1980), adapté du roman éponyme de Pierre-Jakez Hélias (1975)
- Mix d’extraits de l’émission La Tribune de l’histoire, France Inter, 1975
- Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020
L'équipe
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- Mathieu CoppalleStagiaire