Maurice Ravel : L’étrange sortilège qui a lésé son cerveau décrypté par des neurologues

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Orchestrateur incomparable, figure majeure de la musique du début du XXe siècle, quel curieux sortilège a frappé le cerveau de Maurice Ravel ? C’est la question à laquelle ont répondu trois neurologues : Fausto Viader, Bernard Lechevalier et Bernard Mercier. Invité du Journal du Classique, c’est au micro de Laure Mézan que Fausto Viader pose un diagnostic précis à la lumière des progrès de la médecine, grâce à une riche documentation d’époque.

 

Dès 1930, Maurice Ravel exprime sa difficulté à achever son Concerto en sol

Spécialistes en neurologie, les auteurs se sont interrogés sur la « maladie singulière » qui affectait Maurice Ravel, lui infligeant – dès la cinquantaine – des troubles de l’écriture et du geste. « Il était très fragile, de petite taille et en proie à la dépression, voire aux idées suicidaires » confie le professeur émérite à l’université de Caen, Fausto Viader. Sujet à des périodes de fatigue et d’insomnie, le musicien était tourmenté : « Il prenait énormément de temps à composer jusqu’à ce qu’il juge qu’il avait atteint son objectif ». Toujours à la pointe en matière artistique, Maurice Ravel a été un véritable pionnier sur le plan musical. Pourtant, le musicien à la santé fragile, sera exempté de combat pour « faible constitution » durant la guerre de 14. Mesurant seulement 1,61 mètre pour 48 kilos, c’est à cette époque qu’il subit sa première opération. Ce n’est pas faute d’avoir consulté des médecins – en particulier le professeur Valléry Radot, petit-fils de Louis Pasteur – qui le traitera uniquement pour sa fatigue chronique, sans même déceler les prémices de ses troubles neurologiques.

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Atteint d’une maladie dégénérative, Maurice Ravel exprime, dès 1930, sa difficulté à achever son Concerto en sol. Il écrit alors : « Je suis désespéré. Ce concerto avançait avec une rapidité surprenante quand tout à coup, j’ai été pris d’une grande lassitude. Les médecins m’ont immédiatement ordonné de me reposer et de ne reprendre le travail que peu à peu ». Pour Fausto Viader cela ne fait aucun doute, il y a deux époques dans la vie du compositeur. La première étant celle ponctuée de hauts et de bas  – comme n’importe quel individu normalement constitué – puis celle où la maladie neurologique s’est manifestée. Et c’est à l’été 1932 qu’une simple baignade a failli être fatale au musicien. À Saint-Jean-de-Luz, Maurice Ravel ne sait, tout à coup, plus nager. À cela s’ajoute des troubles de l’écriture décelés dans ses courriers : « On voit des ratures, des hésitations. On voit des mots manquants ». Des mots qui témoignent en réalité, des premières manifestations de la maladie et de ses difficultés gestuelles. Maurice Ravel est atteint d’apraxie. La maladie s’apparente à ressentir une grande difficulté à exécuter quelque chose que l’on a pourtant appris à faire. La zone du cerveau qui est en charge de cette action est lésée. La cause de cette déficience n’est pas clairement identifiée chez Ravel. Peut-être est-ce dû à la perte tragique de sa mère ou encore à un accident de taxi qui a certainement contribué à aggraver sinon la maladie, tout au moins son expression clinique. Le retentissement psychologique de l’accident a été considérable et aurait pu être davantage impactant chez le compositeur tourmenté.

 

« Cet opéra est là dans ma tête, mais je ne l’écrirai plus jamais »

Le brillant orchestrateur n’a alors plus le choix. Il doit non seulement renoncer à jouer du piano, mais également renoncer à composer. En 1931, il ne parvient même plus à inscrire les notes sur les partitions pour son opéra. « Valentine, je ne ferai jamais ma Jeanne d’Arc. Cet opéra est là dans ma tête, je l’entends, mais je ne l’écrirai plus jamais. C’est fini, je ne peux plus écrire ma musique » c’est ce que dira Ravel à son amie Valentine Hugo, en 1933. Le musicien gardera pourtant toutes ses capacités intellectuelles et ce, jusqu’au bout. « Il avait justement conscience de cette incapacité, c’était une immense souffrance pour lui » assure Fausto Viader. Conscient de son mal-être, son inspiration ne sera pas non plus affectée. « J’ai tant de musique dans la tête » dira Maurice Ravel, tandis que son écriture, elle, ne pourra plus jamais être au service d’un des plus grands compositeurs de la musique occidentale du début du XXème siècle.

Ondine Guillaume

 

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