"Les Trois Brigands", la littérature jeunesse chahutée : épisode • 4/4 du podcast Il était une fois… la littérature de jeunesse

Couverture des "Trois Brigands" illustré par Tomi Ungerer - © 1968, l'école des loisirs, Paris
Couverture des "Trois Brigands" illustré par Tomi Ungerer - © 1968, l'école des loisirs, Paris
Couverture des "Trois Brigands" illustré par Tomi Ungerer - © 1968, l'école des loisirs, Paris
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En 1968, paraît en France "Les Trois Brigands". L'album pour enfants incarne une contre-culture dans la littérature jeunesse à partir des années 1960. Iconoclaste, l'ouvrage présente un monde sombre où les méchants deviennent accueillants pour Tiffany, la petite fille qu'ils ont fait captive.

Avec
  • Loïc Boyer Designer graphique indépendant
  • Anne Schneider Maîtresse de conférences HDR en littérature française à l’Université Caen Normandie

Un éléphant, un castor et un reporter à houpette, voici trois figures de l’année 1931, avec la création de Père Castor par Paul Faucher, de Barbar par Cécile et Jean de Brunhoff, et de la parution de Tintin au Congo, une nouvelle aventure que propose Hergé. Pourtant, en 1931, un événement passe inaperçu et c’est normal : la naissance d’un enfant à Strasbourg. Il s’agit de Tomi Ungerer qui, trente ans plus tard, avec les Les Trois Brigands, chahute la littérature destinée aux enfants.

"Les Trois Brigands", une création née aux États-Unis

Les Trois Brigands a été illustré et écrit par Tomi Ungerer aux États-Unis en 1961. L’ouvrage est dessiné par un Européen parti chercher aux États-Unis une terre propice à la création après la Seconde Guerre mondiale. "Tomi Ungerer est un enfant de la guerre qui a subi l’occupation allemande. Il est issu de la bourgeoisie protestante. Il a appris l’alsacien sur le tas et est mâtiné de trois langues. À vingt ans, il décide de partir avec son carton de dessin sous le bras", raconte Anne Schneider. La littérature jeunesse trouve à New York un terreau où des auteurs et autrices, illustrateurs et illustratrices peuvent plus aisément coucher leurs inspirations sur papier. "Il y a une scène effervescente à New York avec une création d’arts plastiques qui va dans toutes les directions et qui nourrit Tomi Ungerer. Les Américains perçoivent d’ailleurs son style comme européen", explique Loïc Boyer. "C’est aussi cela qui plaît aux États-Unis, cette forme d’exotisme de Tomi Ungerer."

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Une œuvre de contre-culture ?

L'œuvre participe d'une contre-culture qui bouleverse les rôles prédéterminés imposés aux protagonistes de la littérature jeunesse. À partir des années 1960 et 1970, au fil des pages, les enfants ne sont plus forcément punis pour leurs bêtises. Ils sont même encouragés à questionner l’autorité des adultes et leur hubris. "Ce qui est nouveau, c'est la façon dont les illustrateurs et auteurs vont considérer l'enfant. Pour eux, l'enfant peut aller jusqu'à une transgression permanente et totale de la figure maternelle et de l'autorité. Tomi Ungerer s’inscrit dans cette démarche", explique Anne Schneider. "Il y a une vertu éducative chez Tomi Ungerer. Quelque chose de subversif, mais qui prend l'enfant en compte comme un personnage à part entière." D’un point de vue graphique et visuel, la rupture entre le monde des enfants et celui des adultes est quasiment invisible. "Il y a un univers pop dans l’album qui est en décalage avec le vocabulaire graphique pour les enfants. (...) La critique identifie ce style à la publicité plus qu’à l’édition de jeunesse", explique Loïc Boyer. "Les illustrations sont picturalement extrêmement fortes. Il est sur des aplats de couleurs. Il y a une présence du noir qui est très importante et qui à l’époque ne correspond pas graphiquement à ce qu’on a l’habitude de voir pour les enfants", explique Loïc Boyer.

En France, une littérature jeunesse bouleversée

C'est justement à travers des ponts entre New York et Paris que la littérature pour enfants trouve une nouvelle jeunesse en France. Grâce notamment à des éditeurs tels que Delpire ou François Ruy-Vidal, qui veulent pour les enfants des histoires et des dessins encore réservés aux plus grands. "Tout le projet de François Vidal, c'est de dire que les enfants ne sont pas en dehors de la société, mais qu’ils en font partie. Donc, on s'adresse à eux comme on s'adresse aux adultes", explique Loïc Boyer. Ces éditeurs dénichent en France une génération d'auteurs qui trouve sa place dans le paysage de la jeunesse. L'imaginaire des plus petits trouve là un accès aux mondes du design, de la presse et de la publicité.

Le mouvement n'est pas dénué d'intentions politiques. Les personnages de femmes et de petites filles de Tomi Ungerer ont du caractère et de l'initiative. À partir des années 1970, des histoires comme Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon proposent aux petites filles de nouveaux rôles qui façonnent leurs générations.

En fin d'émission

Valérie Hannin, directrice de rédaction du magazine L’Histoire, présente le numéro de décembre, "Voyageurs des Lumières".

Pour aller plus loin

  • Loïc Boyer, Les Images libres. Dessiner pour l’enfant entre 1966 et 1986, éditions MeMo, 2022
  • Anne Schneider, "Des filles et des garçons dans l'imaginaire européen de Tomi Ungerer", dans Être une fille, être un garçon dans la littérature de jeunesse en Europe de 1950 à 2014, (dir.) Christiane Connan-Pintado, Gilles Béhotéguy, MRSH de Bordeaux-ESPE, PUB, 2014

Références sonores

  • Archive INA de la psychanalyste Françoise Dolto à propos des lois sociales pour l'enfance, RTF, 1948
  • Extrait d'une lecture par Tomi Ungerer des Trois Brigands dans le film réalisé par Hayo Freitag, 2007
  • Archive INA de François Ruy-Vidal sur la lecture des enfants, RTF, 1975
  • Archive INA de l'éditeur américain Harlin Quist au sujet de l'illustration de jeunesse, France Inter, 1997
  • Archive INA d'Arthur Hubschmid, fondateur de l'école des loisirs, Antenne 2, 1986
  • Archive INA de Christian Bruel, fondateur des Éditions du "Sourire qui mord", à propos du métier d'éditeur pour enfants, France Culture, 1978
  • Archive INA de Tomi Ungerer lors d'une séance de dédicace à Strasbourg, "Autour d'eux", Grand Est, 1997
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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