Assis au restaurant, vous écoutez l'anecdote d'une amie au milieu du bruit ambiant. Soudain, une de vos chansons préférées est diffusée. Parviendrez-vous à rester assez concentré pour ne pas avoir à faire répéter votre comparse ? D'après de nouveaux travaux encore non publiés, vous aurez plus de chances d'y réussir si vous avez reçu une formation musicale.
L'effet cocktail party
"La difficulté à décoder les informations auditives dans un environnement bruyant, c'est ce qu'on appelle l'Effet Cocktail Party, décrit dans les années 1960", résume Hervé Platel, professeur en neuropsychologie à l'université de Caen. "Il existe deux types de performances auditives : la détection des sons dans le silence et la capacité à discriminer une information sonore parmi d'autres."
La capacité à déjouer l'effet cocktail party dépend essentiellement de la seconde. En clair, il ne suffit pas d'avoir une ouïe fine lorsque l'environnement est bruyant, il faut surtout posséder une capacité attentionnelle permettant de se focaliser sur un signal auditif (la conversation, par exemple) et d'inhiber les autres (le bruit, la musique).
Les musiques familières déconcentrent plus
C'est ce que montrent les chercheurs de l'université de l'Indiana (Etats-Unis) dans leurs nouveaux travaux encore non revus par les pairs, mais déjà disponibles sur la plateforme BioRXiv. 31 personnes y écoutaient un audiolivre sur fond d'une musique dont le volume et la familiarité variaient. Ils devaient presser une touche de clavier dès qu'ils entendaient un mot clé défini, soit dans l'audiolivre, soit dans la chanson.
Comme attendu, les musiques très familières – parmi lesquelles figuraient le tube "Girls" de Beyoncé – déconcentraient significativement plus les participants du contenu de l'audiolivre.
Cette concentration était évaluée par électroencéphalogramme, qui mesurait le temps de latence entre l'apparition du mot-clé et sa détection par le participant. "Vous êtes d'autant plus captivé ou au contraire distrait par une information que votre cerveau la reconnaît comme familière", confirme Hervé Platel. Ce lien avec la mémoire se retrouve également dans les sons qui provoquent l'éveil, ajoute le neuropsychologue. "Vous aurez plus de chance de vous réveiller en entendant votre prénom, par exemple."
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Les musiciens sont meilleurs pour déjouer l'effet cocktail party
Un résultat de l'étude surprend Hervé Platel. En comparant les performances des participants, les chercheurs de l'étude s'aperçoivent que ceux qui ont reçu une éducation musicale repèrent plus vite les mots clés que les non musiciens, ce qui signifie qu'ils ont une meilleure capacité attentionnelle.
Pourtant, de précédents travaux ont montré que les musiciens ont du mal à se concentrer en écoutant de la musique, qui capte leur attention plus facilement. "Ces résultats semblent paradoxaux à première vue, mais en réalité cela montre que les musiciens arrivent mieux que les autres à gérer le partage d'attention entre langage et musique, ce qui n'est pas contre-intuitif", explique le neuropsychologue. Par nécessité, les musiciens apprennent à rester focalisés sur un signal sonore parmi d'autres, ce qui leur permet de mieux inhiber les informations intéressantes au profit de celles qu'ils veulent écouter.
Ce sont aux régions préfrontales latérales du cerveau que reviennent cette tâche de contrôle des signaux auditifs sur lesquels les ressources attentionnelles doivent se focaliser. "Ces régions vont émettre un signal d'inhibition qui module l'activité des régions cérébrales temporales, responsable du décodage des informations auditives", détaille Hervé Platel.
Cette capacité d'inhibition du signal auditif, essentielle dans l'effet cocktail party, n'est plus aussi pertinente dans le contexte d'une concentration de longue durée dans un environnement maîtrisé. Dans ce cas là, la musique est au contraire un stimulus qui capte particulièrement l'attention des musiciens. "Les musiciens disent la plupart du temps qu'ils ne peuvent travailler qu'avec une musique qui leur est tellement familière qu'ils peuvent l'écouter sans l'analyser", explique Hervé Platel.