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Le temps des villes et des territoires: tribune

Réchauffement climatique : où décidons-nous d’aller ensemble ?

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Pour Frédérick Lemarchand, sociologue, directeur du Cerrev à l’université de Caen-Normandie et coordinateur du programme Popsu-Transition à Caen, il faut «déployer les parachutes» face au mur climatique.
par Frédérick Lemarchand, sociologue et directeur du Cerrev à l'Université de Caen-Normandie
publié le 14 mars 2024 à 21h55
A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines.

Il y a cinquante ans, nous pouvions encore projeter de respecter les grandes «limites planétaires», ces seuils écologiques au-delà desquels l’habitabilité de la planète est menacée. Aujourd’hui, il est trop tard. Les dérèglements en cours vont impacter la Terre sur plusieurs milliers d’années – dans le meilleur des cas.

Les travaux que j’ai menés à Tchernobyl m’amènent à penser qu’après une catastrophe nucléaire, il n’y a pas grand-chose à faire. Et de la même manière qu’on ne peut ni supprimer ni déplacer les radiations, on ne peut annuler les dérèglements climatiques. Nous devons désormais faire avec. Reste que si l’adaptation est nécessaire, elle ne doit pas être un blanc-seing aux politiques néolibérales. Il ne s’agit pas de nier les alternatives au marché, mais plutôt de «sortir les amortisseurs», de «déployer les parachutes» face au mur climatique.

Se préparer à une décroissance maîtrisée

Cela passe par la mise en œuvre d’une politique de sobriété volontaire. Faire mieux avec moins est davantage une nécessité qu’un choix, car nous sommes au bord de l’épuisement des ressources, notamment des métaux critiques. Le modèle actuel, capitaliste et productiviste, ne propose qu’un changement de moteur sans remise en cause des fondements de notre société. Plutôt que de le poursuivre, il faut nous préparer à transformer la récession en une décroissance maîtrisée. Où décidons-nous d’aller ensemble ? Comment faire société ? Ce sont les questions qui se posent aujourd’hui – nous en sommes là.

Bien sûr, si l’on construit la sobriété comme un régime punitif, tel que cela a été expérimenté durant le Covid, à la manière d’un véritable crash test démocratique, cela ne fonctionnera pas – du moins pas durablement. A Tchernobyl, peu de temps après l’accident, les habitants ont suivi les recommandations publiques : ils ont arrêté de pêcher, de chasser, de cueillir, de se promener. Mais au fil des années, en l’absence d’alternative proposée, ils ont repris le cours normal de leur existence – quitte à ce qu’elle soit plus courte. Ce refus de vivre comme des bagnards dans un monde liberticide est à mes yeux une grande force culturelle. Pour être acceptée, l’adaptation ne doit pas être une souffrance silencieuse ; la sobriété doit avoir du sens.

Innovations silencieuses

Ce dernier se trouve dans le commun : si la santé, l’énergie, l’alimentation, les sols, sont perçus comme des biens véritablement publics, alors la convivialité et coopération compensent ce que l’on perd dans la frugalité. C’est ce que certains territoires, notamment ruraux, mettent déjà en pratique. A Argentan, en Normandie, une large diversité de solutions est déployée dans tous les secteurs, du logement (avec des habitats hybrides entre la maison individuelle et l’immeuble collectif), à l’alimentation (avec la mise en place d’une «légumerie», une exploitation agricole en régie municipale qui alimente écoles et services publics). L’enjeu de l’adaptation est là, dans ce maillage d’innovations silencieuses qui s’expérimentent localement.

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