Le droit bouleversé par le transhumanisme

Les enjeux du transhumanisme ©Getty - © Mark Stevenson
Les enjeux du transhumanisme ©Getty - © Mark Stevenson
Les enjeux du transhumanisme ©Getty - © Mark Stevenson
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Le transhumanisme ne se conjugue pas au présent mais plutôt au futur et même au futur d’anticipation qui prédit ce qui ne manquera pas d’arriver.

Avec
  • Émilie Gaillard Maître de conférences HDR en droit privé à Sciences Po Rennes, directrice scientifique de la chaire d’excellence CNRS Normandie pour la paix (région Normandie, MRSH Université de Caen Normandie)
  • Amandine Cayol Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, membre de l’institut caennais de recherche juridique.

Le transhumanisme annonce les transformations de l’homme à venir, qui le libéreront des contraintes du temps et de la matière voire de toute contrainte – y compris de celle du droit.

Amandine Cayol "On distingue initialement un courant transhumaniste plutôt néolibéral et libertaire, qui existe aux Etats-Unis, où là, vraiment, l'idée, la décision de s'augmenter doit relever vraiment du choix individuel des individus, de la liberté individuelle et non pas d'une décision étatique plus collective. En Europe, et particulièrement en France, on a un courant qui est plus social avec la prise en compte davantage des questions d'inégalité et du collectif, notamment par l'association française transhumaniste Techno prog."

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Emilie Gaillard "Hans Jonas, dans l'ouvrage "Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique", ouvre les jalons d'une éthique pour l'avenir et il formule de nouveaux impératifs éthiques, dont l'idée selon laquelle il faut que nos actions permettent d'assurer l'être tel de l'être humain, c'est-à-dire que l'on respecte la condition humaine de l'être humain, et ça pose la question aussi de la condition humaine des générations futures."

Amandine Cayol "Les transhumanistes sont essentiellement des hommes blancs occidentaux, riches. C'est une question qui est très liée à notre société, et à un regard très particulier."

Mais on ne se débarrasse pas aussi facilement du droit ; les problèmes juridiques que soulève le transhumanisme sont nombreux : existe-t-il un droit à l’augmentation ? Qu’est-ce que la cryogénisation va faire à l’ordre généalogique ? Quel est le statut des chimères ?

Amandine Cayol "Les transhumanistes, de manière générale, même s'ils ont fait une déclaration qui affirment certains nouveaux droits, notamment le droit à l'augmentation, ne cherchent pas particulièrement le soutien du droit. Ils cherchent plutôt à s'en affranchir. En réalité, le but, c'est vraiment la liberté la plus totale, et l'idée, c'est plutôt que le droit ne les empêche pas de faire ce qu'ils souhaitent."

Ce sont quelques-unes des innombrables questions que pose le transhumanisme, qui doit être analysé conjointement avec le « trans-animalisme » et le « trans-terre », c’est-à-dire avec l’ensemble des techniques destinées à augmenter non seulement l’homme mais aussi les animaux et la nature.

Face à l’annonce de tels bouleversements, le rôle du droit n’est-il pas précisément de dresser des limites ? De rappeler des frontières morales qui ne sont pas disponibles ?

Amandine Cayol "Quand on n'est pas transhumaniste, on a l'habitude de considérer qu'il y a quand même au fond, une nature humaine immuable et sacrée, que l'on est sensé respecter, alors qu'au contraire, la vision des transhumanistes, c'est l'idée d'une perpétuelle évolution et le souhait de dépasser sans cesse nos limites pour atteindre peut-être, in fine, ce qu'ils appellent l'amortalité."

Emilie Gaillard "Quand on discute avec les transhumanistes, ils disent que, finalement, on a atteint un niveau d'évolution qui nous permet d'évoluer en conscience. Toujours est-il que l'on voit bien qu'il y a un saut qualitatif et d'ailleurs, même les transhumanistes parlent de singularité, d'atteindre une autre étape, une autre espèce, de créer une autre espèce que l'espèce humaine."

En quoi les juristes peuvent-ils aider à construire ce débat sur le transhumanisme jusqu’à présent laissé entièrement entre les mains des scientifiques et des futurologues : voilà le thème d’Esprit de justice qui a réuni Émilie Gaillard, Maître de conférences HDR en droit privé à Sciences Po Rennes, Coordonnatrice générale de la chaire d’excellence CNRS Normandie pour la paix, et Amandine Cayol, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, membre de l’institut caennais de recherche juridique. Toutes les deux ont remis un rapport intitulé “Transhumanisme(s) et droit(s)” à l’institut des études et de la recherche sur le droit et la justice.

Emilie Gaillard "Tous mes travaux portent à la fois sur l'intégrité de l'espèce humaine et l'intégrité de l'environnement, qui sont des temporalités différentes. Mais le point commun, c'est l'impératif d'anticipation, c'est-à-dire de conceptualiser et d'anticiper ce qui pourrait advenir, ce qui est complètement dans la lignée de la philosophie de Hans Jonas."

À écouter ou à réécouter : La menace transhumaniste avec Jacques Testart
La Grande table (2ème partie)
33 min

Pour aller plus loin

À écouter ou à réécouter : L’humain de demain
LSD, La série documentaire
55 min

Références citées

Extraits musicaux

  • Morceau choisi par Émilie Gaillard : " Gracias a la vida” de Violetta Parra (1957). Une chansons de Joan Baez et Mercedes Sosa.
  • Morceau choisi par Amandine Cayol : " Who wants to live forever" par Queen (1986) - Album : "A kind of magic". Chanson écrite par Brian May pour le film Highlander.

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