Il y a 50 ans, le castor était réintroduit en France

LETTRE DES ANIMAUX. Nous, les rois du barrage, sommes à l’honneur, après avoir été considérés comme des parias par les humains. C’est l’heure de faire la fête et de montrer à ces bipèdes sans plumes que nous ne sommes pas que des vilains rongeurs.

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Un castor se tient devant son barrage.
Un castor se tient devant son barrage. © Troy Harrison / Moment RF / Getty Images

Temps de lecture : 5 min

Simone de Beauvoir avait pour surnom « Le Castor ». Ce qualificatif lui a été donné par son ami René Gabriel Eugène Maheu, professeur de philosophie et attaché culturel à Londres, en pensant à beaver, castor en anglais, et qui se prononce presque comme Beauvoir. Ce sobriquet sera repris et popularisé par Sartre, qui aimait l'appeler ainsi, et tenait en estime les castors, des animaux « qui vont en bande et qui ont l'esprit constructeur ».

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Je m'appelle Castor, je suis un rongeur aquatique de la famille des Castoridés. J'ai le poil dense, de petites oreilles, de grands yeux et de longues dents. De loin, on me confond avec le ragondin. Je suis plus grand (1,20 m) et plus lourd que lui (jusqu'à 35 kilos). Quand je nage, seule ma tête dépasse. La lignée de mon genre qui a conduit aux formes contemporaines est apparue il y a 54 millions d'années. Nos chemins entre le castor d'Europe et celui du Canada se sont séparés il y a 7,5 millions d'années.

Nous sommes monogames. Nous vivons en groupe familial (4-7 personnes) et pas en bande, comme le disait l'auteur de La Nausée. Nous ne sommes pas des fornicateurs comme les rats taupier. Après une centaine de jours de gestation, ma femme donne naissance entre mai et juin à une portée d'un à huit petits. Les juvéniles restent deux ans auprès d'elle avant de coloniser leur territoire. Pas de « Tanguy » chez nous, ces jeunes qui tardent à quitter le foyer familial.

Les humains nous ont chassés pour notre fourrure

Du point de vue de la science, je suis au même niveau que l'homme, un animal comme les autres. Je n'ai pas ses facultés exceptionnelles, comme le langage ou son rapport au futur, à la politique et à l'esthétique. Mais ces aptitudes ne sont, au fond, que le résultat de processus d'adaptation. Nous faisons partie de la même humanité, mais nous avons évolué différemment.

La queue du castor lui sert de gouvernail et de réserve de graisse. 
©  ARDEA/MARY EVANS/SIPA
La queue du castor lui sert de gouvernail et de réserve de graisse.  © ARDEA/MARY EVANS/SIPA
J'ai des choses dont ils sont dépourvus : mes incisives à croissance continue, taillée en biseau, s'affûtent les unes sur les autres non-stop ; ma queue me sert de gouvernail et de réserve de graisse ; mes griffes me permettent de creuser des galeries et de porter des charges. Du point de vue des représentations, on m'aime autant qu'on me déteste. Les préjugés à mon égard s'inscrivent dans une histoire commune ancestrale, trop longue à raconter.

Nous avons partagé avec l'homme les mêmes bords de cours d'eau et lacs, les mêmes lisières de forêts. Nous avons entretenu des relations positives et négatives. À la fin de la préhistoire, les communautés de chasseurs-cueilleurs s'installaient sur notre territoire pour bénéficier d'espaces avec une végétation plus clairsemée.

Puis, les humains nous ont chassés pour notre fourrure, notre chair et notre castoréum, plébiscité pour son odeur musquée. Ensuite, nous sommes devenus nuisibles, source de conflit d'usage avec le monde agricole, avant d'être érigé comme espèce sacralisée, archétype de la nature sauvage. Mon nom a inspiré une enseigne de bricolage, le magazine jeunesse Les Castors juniors ou encore l'encyclopédie des contes, le Père Castor.

Le castor réintroduit en France en 1974

En France, je suis un revenant. En 1909, avec l'interdiction de ma chasse, j'ai été sauvé d'une extinction certaine. Grâce aux efforts conjoints de visionnaires, tels que Jean-Pierre Jollivet et la Société d'études et de protection de la nature du Loir-et-Cher, je retrouve ma place légitime dans les écosystèmes en 1974. C'était il y a un demi-siècle.

Pour célébrer cette réintroduction historique, la Société nationale de protection de la nature, en collaboration avec le comité départemental de la protection de la nature et de l'environnement (CDPNE), ainsi que de nombreux autres partenaires locaux et nationaux, dont l'Office français de la biodiversité, lance ce dimanche 7 avril l'Année du castor. Quel honneur !

Ce matin, avec tous les membres éminents de la communauté des rongeurs architectes, nous avons fêté ça en grande pompe : nous avons construit un beau barrage. Un peu maladroit, j'ai inondé la maison de mon voisin raton laveur, qui est sorti furieux en brandissant une racine de saule.

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Grâce à plusieurs millions d'années de pratique, j'ai permis par mes constructions, 100 % écoconçues, de retenir l'eau, de ralentir son écoulement, de renflouer les nappes phréatiques, de déborder sur les pâturages, d'attirer la faune. Je travaille dur, ni avec mes mains ni avec mes pieds, mais avec ma queue et mes dents. Je suis comme l'artisan, fier du travail bien accompli.

Dans un village du nord-est de la France, une rue porte mon nom : la « route des castors ». Les habitants doivent-ils me craindre ? Pas du tout. Longtemps cette route a été bordée de pavillons occupés par des familles nombreuses et travailleuses. Généralement, ces foyers obtenaient les prêts pour acheter leur maison à partir de leur troisième enfant. Ces familles travaillaient dur pour financer leur maison, et à l'usine, et en faisant des enfants. L'appellation fait allusion à ma queue bâtisseuse, qui me sert de propulseur, et parce que je suis considéré comme un gros travailleur.

Je n'emmerde personne, je fais mon boulot, je construis ma maison, j'élève mes enfants, je régule, j'entretiens, je nettoie. Je ne suis pas syndiqué mais sacrément futé. Je suis végétarien, comme l'étaient les premiers hominidés arboricoles, avant de devenir des carnivores terrestres. Je me nourris de matière végétale : écorces, tiges et branches, feuilles, baies ou tubercules. Ma vision nocturne et diurne est bonne, et mon flair bien plus puissant que celui des humains.

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Un agriculteur remonté comme un coucou

Avec les hommes, nous avons des conflits de voisinage. Ce matin, l'ouvrage terminé, nous avons eu la visite d'un agriculteur, remonté comme un coucou car son champ était gorgé d'eau. Un autre m'a reproché de grignoter les arbres de son verger. Ce n'est pas de ma faute si je ne fais pas la différence entre un saule sauvage et un pommier. Bâtisseur de talent, très doué pour modifier les cours d'eau, je suis capable de causer de grandes destructions, pour mener mes projets à leurs termes, comme les humains d'ailleurs.

« L'Année du castor a pour vocation de fédérer les acteurs impliqués dans ma préservation afin de bâtir un projet de stratégie nationale », dit le communiqué. Expos, ateliers, projections, colloques convergent vers un même but : réhabiliter mon image dans l'imaginaire collectif. Attention à ne pas trop me sacraliser, car comme tous les animaux, je fais des bêtises. Ce n'est pas non plus une raison pour me crucifier au portail de la mairie.

Rémi Luglia, chercheur au laboratoire Histemé à l'université de Caen-Normandie, raconte dans Vivre en castor (Quae, 2024) mon histoire et propose des pistes intéressantes vers une possible réconciliation entre les hommes et les castors. Vivre ensemble ? Faut pas exagérer, non plus. Enfin, sauf si les humains nous proposent des cohabitations acceptables.

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Commentaires (10)

  • Charles de Schwarzach

    Mais que raconte ce prof ? Les castors feraient partie de l'humanité ? Et puis quoi encore...

  • INTERSTELLAR

    À la même époque 1974 débutait la gabegie financière. Les castors à queue plate sont « En Même temps » aux commandes des finances et de la faillite programmée « En Marche ».

  • CAIUS06

    Bonjour. … il y en a meme eu d’introduit a Paris, dans un certain palais... Mis incapables de construire des barrages aux maux qui rongent la France…