Loup, y es-tu ? Quels visages donner à la bête du Gévaudan ? : épisode • 4/4 du podcast Les "mystères" de l’histoire

Recueil factice de pièces relatives à la bête du Gévaudan, formé par Gervais-François Magné de Marolles, 1765 - ©gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
Recueil factice de pièces relatives à la bête du Gévaudan, formé par Gervais-François Magné de Marolles, 1765 - ©gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
Recueil factice de pièces relatives à la bête du Gévaudan, formé par Gervais-François Magné de Marolles, 1765 - ©gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
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Entre 1764 et 1767, une mystérieuse bête fait des ravages dans le Gévaudan. Les attaques se multiplient et font de nombreux blessés, et même des morts, sans que personne ne réussisse à mettre la main sur la créature qui en est responsable... Qui se cache vraiment derrière la bête du Gévaudan ?

Avec
  • Jean-Marc Moriceau Historien, professeur émérite d’histoire moderne à l'Université de Caen Normandie, spécialiste d’histoire rurale
  • Valérie Hannin Directrice de la rédaction du magazine L'Histoire

Cette émission s'inscrit dans la programmation "L'Étrange Noël de France Culture".

Dans l’ancienne région du Gévaudan, qui correspond à l’actuel département de la Lozère, une région d’élevage montagneuse et forestière, le 30 juin 1764, une bête insaisissable fait une première victime. La jeune Jeanne Boulet, quatorze ans, est tuée près de Langogne. Tout au long de l’été 1764, les attaques continuent, tandis que les paysans organisent des battues pour traquer la bête anthropophage. Certaines confrontations entre la bête et des bergers et des bergères locaux rentrent dans les annales, à la fois par la férocité dont fait preuve la bête, qui attaque parfois même à proximité des habitations, et le courage de certaines de ses victimes, qui parviennent à lui échapper et à sauver les leurs. Jacques Portefaix, Jeanne Jouve ou Marie-Jeanne Vallet, surnommée la Pucelle du Gévaudan, sont quelques-uns de ces héros. Il demeure néanmoins impossible de mettre la main sur la bête, qui semble résister aux coups et aux blessures et reparaître toujours aussi assoiffée de sang.

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Une affaire médiatique et politique

L'écho de ce mystère sanglant est tel que la presse nationale et même internationale s’en emparent. Le Courrier d’Avignon ou La Gazette de France publient de nombreux articles et des gravures qui diffusent une image fantasmée de la bête. Fléau divin envoyé pour punir les pécheurs selon l’évêque de Mende, loup-garou, animal exotique, créature monstrueuse et surnaturelle… Les hypothèses, toutes plus farfelues les unes que les autres, agitent et déchirent les contemporains.

Le roi Louis XV lui-même ne tarde pas à intervenir, notamment en envoyant en Gévaudan son porte-arquebuse, François Antoine. Le 20 septembre 1765, celui-ci abat un loup de taille exceptionnelle, qui est reconnu par plusieurs victimes de la bête, dont Marie-Jeanne Vallet, comme l’animal auquel ils ont été confrontés. La dépouille est empaillée et apportée à Versailles où elle est exposée dans les jardins du roi. L'affaire semble close. La cour et la presse ne se préoccupent plus beaucoup de l’affaire.

Une bête réapparaissante...

En décembre 1765 pourtant, les attaques reprennent. La population continue à organiser des battues et des chasses, en vain. Jusqu’à ce jour de juin 1767, où Jean Chastel, un paysan du pays, tue un animal de grande taille, qui est identifié comme un loup ou comme un canidé ressemblant à un loup. Les attaques cessent alors, et la sanglante histoire de la bête du Gévaudan semble toucher à sa fin.

Ce n’est que le début du mythe de la bête du Gévaudan, qui a suscité jusqu’à aujourd'hui un engouement impressionnant, une vaste littérature scientifique et pseudo-scientifique, de multiples interprétations et fictionnalisations théâtrales, romanesques ou cinématographiques. La fiction popularise ainsi la thèse selon laquelle la bête du Gévaudan dissimulerait un sérial killer, un pervers sexuel, ou serait une bête dressée par un fou qui lui aurait appris à s’en prendre aux humains. Certains protagonistes réels de l’affaire, comme Antoine Chastel, le fils de Jean Chastel, ou le comte de Morangiès, sont accusés rétrospectivement d’avoir une responsabilité dans les crimes de la bête. Une veine romantique ou franchement fantastique se développe chez les chroniqueurs de l'affaire, ce qui contribue à la notoriété de la bête du Gévaudan. Le roman d’Abel Chevalley, La Bête du Gévaudan, paru en 1936, ou le film Le Pacte des loups de Christophe Gans, sorti en 2001, sont ainsi des interprétations fictionnelles de l’affaire qui ont durablement marqué les esprits, même si elles ne reposent sur aucune preuve historique.

Le "mystère" de la bête du Gévaudan

Les historiens savent aujourd’hui, en l’état actuel des connaissances, que la bête du Gévaudan était probablement un loup ou plusieurs loups qui seraient devenus anthropophages. Les curieux continuent néanmoins à alimenter des thèses alternatives. Le mystère, pourtant dissipé par la recherche historique, continue à passionner le public, et accède au rang de véritable mythe populaire.

L’affaire de la bête du Gévaudan dit aussi beaucoup du rapport conflictuel de l’homme et du loup à travers les siècles, du Moyen Âge au XIXe siècle. Le loup est en effet l’ennemi par excellence de l’homme, l’animal méchant et mauvais, qui constitue un danger et une menace. Dans cette perspective, il faut aussi replacer l’histoire de la bête du Gévaudan dans une histoire plus large, celle des “bêtes” dévorantes qui ont sévi ailleurs en France et en Europe, avant et après celle du Gévaudan. La "bête", terme employé par les contemporains et qui est parvenu jusqu'à nous, se définit ainsi comme un animal capable d’attaquer l’homme et de faire des dizaines de victimes, remettant ainsi en cause la suprématie humaine sur le règne animal. Jean-Marc Moriceau revient sur l'utilisation de ce terme : "Il y a des milliers d'attaques recensées depuis le début du XVe siècle jusqu'au milieu du XIXe siècle. On a ainsi plus de 10 000 cas d'attaques sur l'homme en France, avec de fortes variations selon les époques. La plupart des attaques de loups se concentrent sur le gibier et les animaux domestiques. On peut imaginer que dans la France du XVIIIe siècle, chaque année, de l'ordre de 8 à 10 000 chevaux, vaches, bœufs et veaux étaient prélevés, blessés ou tués par les loups. Il est vrai qu'il y avait entre 10 000 et 15 000 loups et peut-être 100 à 120 000 moutons. Occasionnellement, le loup attaquait l'homme et dans ces circonstances-là, les contemporains considéraient que ce n'était pas un comportement habituel du loup. Peut-être que c'était une très faible minorité, de l'ordre de 1% des loups qui pouvaient attaquer l'homme. On parait ces loups de caractéristiques, de qualificatifs tout à fait particuliers pour montrer qu'ils sortaient de l'ordinaire. Ce n'étaient en général pas les loups du pays, parce que les loups du pays, on les connaît, on y est habitué. Si un loup fait des attaques sur l'homme et remet en question la place de l'homme dans l'univers, c'est qu'il vient de l'extérieur, que c'est un méchant loup, un loup étranger, comme on le disait très souvent. On le parait de toute une série de qualificatifs : loup carnassier, loup redoutable. On parlait de 'bête', parce que quand le loup remet en question la place de l'homme dans l'univers, il sort de sa condition animale ordinaire. Dans les mentalités de l'époque et dans ces conditions, c'est un monstre. Le terme de monstre n'existe pas. On a un terme qui existe depuis la fin de l'Antiquité qui est la bestia, la bête. On qualifie le loup qui sort de cette condition ordinaire de bête, de bête féroce, de bête terrible. Et c'est la bête d'un pays quand il sévit pendant plusieurs mois ou plusieurs années. En l'occurrence, c'est la bête du Gévaudan."

Le traitement de l’affaire met également en évidence l’imaginaire associé à la nature et à la faune, qui convoque une représentation de la montagne et de la ruralité vues comme sauvages et archaïques, voire obscurantistes, à l’opposé de la ville et de la cour des Lumières, qui en plein XVIIIe siècle semblent tournées vers la rationalité, la modernité et le progrès.

Le Cours de l'histoire
53 min

Un jalon dans la longue histoire des rapports entre l'homme et le loup

L’affaire de la bête du Gévaudan, comme les autres affaires de bêtes dévorantes, notamment celle des Cévennes, qui sévit entre 1809 et 1817 non loin du Gévaudan, ont contribué à ternir l’image du loup, qui apparaît comme une créature sanguinaire, qui fait la terreur des éleveurs et des paysans. Par sa médiatisation particulièrement importante, et peut-être aussi par la prolifération des représentations contemporaines et ultérieures qui lui sont associées, il semble que le cas de la bête du Gévaudan, qui n’est pourtant pas isolé, ait particulièrement fait date et contribué à forger un imaginaire négatif attaché au loup. Dans les débats récents qui opposent les pourfendeurs et les défenseurs du loup, en particulier depuis la réapparition du loup en France en 1992, l’héritage de l’affaire de la bête du Gévaudan peut ainsi être réactivé et réinterprété dans un but polémique voire idéologique. Jean-Marc Morceau souligne le caractère protéiforme de l'affaire : "Comme elle a été médiatisée très fortement dès le début, elle a laissé une cicatrice dans notre histoire culturelle. Cette cicatrice rejoue selon les besoins des époques, selon les goûts et les modes. Ça a été le goût pour le romanesque au XIXe siècle ou au début du XXe siècle, c'est le goût pour le sauvage ou la biodiversité au milieu du XXe siècle. C'est le goût pour ou contre le loup depuis vingt ou trente ans également. Tous ces contextes rajoutent des épaisseurs, qui constituent des caisses de résonance à cette affaire qui se rejoue sans cesse, sans toujours distinguer ce qui est historique de ce qui est affabulé."

Notre invité

Jean-Marc Moriceau est historien, professeur émérite à l'université de Caen-Normandie, spécialiste d’histoire rurale. Il a notamment travaillé sur la question du loup dans les sociétés rurales.

Bibliographie

Le Pourquoi du comment : histoire

Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter  ici.

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

En fin d'émission

Valérie Hannin, directrice du magazine L'Histoire, présente le numéro de décembre intitulé Mille et une vie de la forêt française.

Références sonores

  • Extrait de l'enregistrement La Légende de la bête du Gévaudan par Jean-Jacques Aslanian, Jean Colomb, La Bourée, 1960, BNF Collection, 2014
  • Archive des Annales de l'insolite : la bête du Gévaudan, ORTF, 14 septembre 1972
  • Chanson sur la bête du Gévaudan en occitan, interprétée par le groupe La Bourée, 1960, BNF Collection, 2014
  • Archive de l'émission La Tribune de l'histoire : Chasses royales et impériales, ORTF, 6 octobre 1952
  • Extrait du film La Bête du Gévaudan de Patrick Volson, 2002
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

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