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Efficacité, constance, faible absentéisme… tout ce que les autistes Asperger apportent à l’entreprise

Les salariés atteints du syndrome d'Asperger connaissent des taux de chômage qui peuvent atteindre 80 à 90%. National Human Genome Research Institute/Flickr, CC BY-SA

Les organisations, à travers leurs développements des ressources humaines, sont soumises à une double pression : d’une part, celle d’une responsabilisation sociale invitant notamment à l’inclusion de la neurodiversité (terme qui regroupe des handicaps invisibles comme la dyslexie, le syndrome de la Tourette, la maladie mentale ou encore neurologique), qui concerne 10 à 15 % de la population ; et d’autre part, celle plus traditionnelle de l’amélioration des performances de l’organisation, par une productivité accrue, des processus de travail efficaces et des contributions individuelles.

Au-delà de la finalité humaniste, le projet de recruter ou de manager doit ainsi s’inscrire dans une logique de contribution effective au bon fonctionnement de l’organisation.

Dans le cadre d’un travail doctoral, nous nous sommes intéressés plus précisément aux salariés concernés par le syndrome d’Asperger, dont l’American Psychiatric Association donne la définition suivante :

« Des déficits persistants dans la communication sociale et les interactions sociales dans de multiples contextes, tels qu’une incapacité à la conversation ou une absence totale d’expressions faciales ».

Historiquement, ces salariés connaissent des taux de chômage très élevés. En 2019, il atteindrait environ 80 % aux États-Unis. En France, le taux de chômage des salariés autistes Asperger atteindrait même les 90 %.

Les adultes autistes Asperger, à l’image de l’industriel Henry Ford, des réalisateurs Woody Allen et Stanley Kubrick ou encore de la physicienne Marie Curie, présentent donc de nombreuses caractéristiques recherchées en qualité d’employés : l’honnêteté, l’efficacité, la précision, la constance, un faible taux d’absentéisme, ou encore un désintérêt pour la « politique de bureau ».

Il ressort ainsi des 13 entretiens menés, sur plus de 7 heures, que tous les enquêtés expriment des qualités inaliénables, une forte implication organisationnelle, un fort allocentrisme et plus généralement une volonté manifeste de faire correctement leurs tâches.

Accros au travail

Par exemple, interrogé sur ce qui fait selon lui un « bon salarié », un participant répond :

« C’est quelqu’un qui va faire son travail correctement, respecter les autres, et se respecter soi-même. Il va acquérir la connaissance de l’autre et, en même temps, va apporter à l’autre ce que l’autre n’a pas non plus ».

À l’inverse, selon un autre :

« Le mauvais salarié va plutôt être celui qui va tout reposer sur les autres, celui qui pense à écraser ou qui attend la « plainte client » avant d’agir. C’est celui qui n’est pas capable de dire : “je ne sais pas”, quand il ne sait pas répondre à une question et ne réagit pas face aux injustices. »

En plus de tendre vers le « bon salarié », le salarié autiste Asperger semble concrètement nourrir un besoin d’« apporter quelque chose » à son organisation, ses collègues, son client. Il aura du mal avec les retards et pourra être vu comme un acharné ou un « accro » au travail. Il fera toujours le maximum pour que les choses avancent, quitte à passer parfois trois ou quatre nuits blanches sur sa mission.

Grâce à son sens du détail, il remonte souvent beaucoup d’erreurs, ce qui cependant peut parfois le mettre en difficulté socialement. En effet, il aura généralement du mal à dire non ou à définir le juste milieu entre passion, travail, lien social et équilibre émotionnel.

Paradoxe entre convention et idéaux

Une notion importante des relations au sein d’une organisation vient d’ailleurs à manquer parmi leurs compétences : celle de la compréhension de ce que la recherche définit comme le « contrat psychologique ». Ce contrat psychologique revêt l’intégralité des attentes non dites ou des rituels sociaux implicites, tel que de se regarder dans les yeux lorsque l’on nous parle ou encore celle de consommer à la machine à café commune pour s’intégrer. Autrement dit, il s’agit de l’ensemble des clauses non écrites sur son contrat de travail.

Le salarié autiste Asperger aura ainsi du mal avec une quelconque exigence non professionnelle. Une répondante ne s’en cache pas :

« Si la boîte exige que je sois coiffée et maquillée tous les matins, qu’ils me payent l’heure et demi que je vais y passer ».

Un salarié atypique pourra ainsi être mis en difficulté pour un regard, un oubli social, une légère différence de fonctionnement bien que ses résultats et ses apports soient indéniables. À l’image de ce témoignage de cette salariée aujourd’hui en arrêt maladie :

« Je m’étais lancé dans ce travail en pensant que j’allais être femme de chambre, c’est-à-dire sans être en contact avec les clients. En fait, j’ai aussi fait de l’accueil à la réception. Or, j’ai la phobie de rencontrer de nouvelles personnes. Dans ces moments-là, je pétais un plomb ».

Pour une entreprise, choisir de manager la neurodiversité, c’est donc finalement poser le paradoxe entre convention et idéaux, entre performance et politiquement correct. Le management de la neurodiversité prendra donc le soin d’embrasser la différence, de l’écouter, de la cultiver et d’en extraire toute sa richesse. Actuellement, des entreprises comme les géants de l’informatique SAP ou encore Microsoft, articulent une part importante de leurs recrutements autour de ces neurodivergents performants.

Ainsi, pour maintenir l’exemple de ces deux organisations. SAP se félicite d’avoir un taux de rétention de 90 % des embauches sur le spectre de l’autisme via leur programme de recrutement « Autism at Work » mis en place en 2013. De son côté, Microsoft, à travers son programme « Neurodiversity Hiring Program » mis en place en 2015, recrute continuellement des salariés neurodivergents par le biais de procédures de recrutements adaptées : séminaire en ligne, entrainements aux contextes formels et informels ou encore un examen approfondi pour chaque candidature entre profil du candidat et demande réelle du poste à pourvoir.

L’objectif reste avant tout d’adapter le recrutement puis de répondre à certains besoins au cas par cas : un bureau isolé pour l’un ou complètement ouvert pour un autre, casque antibruit pour l’un ou port d’un casque audio avec musique pour un autre, etc. Autant d’ajustements et d’investissements minimaux qui permettent à ces entreprises de bénéficier de toutes les compétences et les talents des salariés autistes Asperger


Franck Biétry, maître de conférences à l’IAE de Caen, a supervisé la rédaction de cet article.

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