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Intelligence artificielle

Diagnostic de maladies mentales : l'IA peut-elle vraiment aider les médecins ?

Une vingtaine de chercheurs et médecins se sont réunis lors du symposium "IA et Santé mentale", organisé par l’université de Caen, pour aborder le rôle de l'intelligence artificielle dans le diagnostic de pathologies et troubles mentaux. Dans quels cas peut-elle se révéler utile ?

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Le DSM-5 est le manuel de référence pour le diagnostic en santé mentale.

Le DSM-5 est le manuel de référence pour le diagnostic en santé mentale.

F.RdeC via Wikimedia
Le DSM-5 est le manuel de référence pour le diagnostic en santé mentale.
Diagnostic de maladies mentales : l'IA peut-elle vraiment aider les médecins ?
Simon Vionnet, Sarah Boulvard
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Le symposium "IA et Santé mentale" de Caen, ayant eu lieu les 29 et 30 janvier 2024 et réunissant une vingtaine de chercheurs et médecins français et internationaux, a permis de questionner la position de l’intelligence artificielle dans le quotidien du thérapeute.

L'IA va-t-elle effectuer les diagnostics à la place du spécialiste ? Non selon l’informaticien Gaël Dias, de l'université de Caen. Quant à Éric Bui, psychiatre spécialiste de stress post-traumatiques, il propose de voir la santé mentale au-delà du diagnostic, avec l’utilisation de JITAI ("Just In Time Adaptative Intervention", en français "Intervention adaptative juste à temps"). Explications.

630.000 combinaisons pour un diagnostic de stress post-traumatique

Les IA sont construites pour imiter le fonctionnement cognitif humain. Pour mieux comprendre comment une IA pourrait poser un diagnostic de santé mentale, il faut déjà comprendre comment les spécialistes du domaine le font.

Les psychiatres et psychologues se basent sur un socle commun : le Manuel Diagnostic et Statistique (DSM) actuellement dans sa cinquième édition. Cette référence est un regroupement de consensus portant sur les troubles de santé mentale. Les thérapeutes vont donc chercher des combinaisons de symptômes pour poser le diagnostic.

Comme le soulignait Éric Bui, pour les troubles de stress post-traumatique, 20 symptômes sont référencés (comme la réminiscence de l'évènement, un évitement des lieux ou d'une activité rappelant le traumatisme, des difficultés de sommeil ou encore des accès de colère). C’est donc plus de 630.000 combinaisons de symptômes pouvant déterminer un diagnostic de ce trouble. Si l’on ajoute la prise en compte des comorbidités, c’est plus d’un quintillion (1018) de façons d’être affecté par ce trouble ! Chaque patient est donc unique.

Un modèle qui montre les limites de l'IA seule

Lors du symposium, le professeur Gaël Dias a présenté l’analyse d’un modèle d’apprentissage profond prévu pour assister le diagnostic de la dépression. Sur la base de la retranscription d’entretiens, le modèle va évaluer plusieurs métriques utilisées par les thérapeutes pour diagnostiquer la dépression.

Le modèle a tendance à surévaluer ces valeurs pour les individus sains et à les sous-évaluer pour les patients diagnostiquer positivement. Ces biais dans l’évaluation ne permettent pas de se baser uniquement sur l’évaluation de l’IA, mais il faut la coupler aux observations non verbales de l’entretien.

Il est important de noter que dans des conditions similaires, les thérapeutes ont des erreurs de même nature. Ces IA ne sont donc pas à jeter mais peuvent aider les professionnels de santé. Le docteur Éric Bui nous présente l’exemple d’un psychiatre en hôpital qui, après un service de plusieurs heures, se conforte dans son diagnostic grâce à ces IA.

La fin du paradigme du diagnostic

Avec ces informations, on comprend que le paradigme actuel, avec les diagnostics, est de fournir à un profil unique un traitement général qui statistiquement marche pour les troubles observés chez le patient. Il est cependant possible de voir le soin en santé mentale différemment.

C'est dans l’optique de personnaliser davantage le parcours de soin que le psychiatre Éric Bui a présenté le principe des réseaux de symptômes. En 2017, le psychologue Denny Borsdoom, professeur à l'université d'Amsterdam (Pays-Bas), a proposé d’appliquer la théorie des réseaux à la santé mentale. Il a pu constater que les symptômes sont reliés par des connexions d’amplification et que des boucles de renforcement se mettent en place.

Une fois ces boucles repérées, il est possible de s’attaquer au réseau en ne se focalisant que sur les symptômes centraux (angoisses, manque...). Ainsi, en personnalisant le traitement, il serait possible de soigner efficacement un trouble.

Le principe des soins échelonnés pour soulager les spécialistes

Ces personnalisations du soin semblent demander donc beaucoup de travail aux professionnels de santé déjà surchargés (9 psys pour 100.000 habitants dans l’Ain par exemple et environ 22 psychiatres pour 100.000 habitants à l'échelle nationale). Il est cependant possible de le faire en diminuant la pression sur les psychiatres et psychologues.

Pour ce faire, il est possible de mettre en place le principe de soins échelonnés. Ce principe vise à diviser les soins en intensité : tout en bas, on retrouve le "self care", c'est-à-dire le soin quotidien que l’on fait à soi-même (il peut s’agir de moment de détente, d’exercices de respiration ou même de séances de sport). Tout en haut de l’échelle se trouvent les soins nécessitant l’intervention d’un thérapeute (traitement médicamenteux, hospitalisation...). Plus on monte dans les besoins, plus le professionnel de santé est présent.

Les JITAI : les soins en temps réel

Pour les soins les plus bas que les patients peuvent en théorie effectuer eux-mêmes, ils peuvent être déboussolés, en ne sachant pas ce qu'il faut faire et à quel moment. Le psychiatre Éric Bui propose l’utilisation de JITAI.

Les JITAI sont des applications se basant sur les données des téléphones et montres connectées pour proposer une intervention au bon moment.

Par exemple, si dans la rue, vous commencez à avoir une angoisse, votre rythme cardiaque va augmenter et vous allez commencer à suer. Ces changements physiologiques sont détectables à l’aide d'une montre connectée, voire pour certains par le téléphone. Si cette angoisse est détectée, une notification peut être envoyée pour proposer un exercice de respiration.

Pour Éric Bui, ces JITAI peuvent permettre d’échelonner le soin tout en le personnalisant. Il précise que le patient doit pouvoir à tout moment mettre en pause cette technique car son consentement reste extrêmement important.

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