Changement climatique en Normandie : « Il faudra songer à adapter les cultures »

Docteur à l'université de Caen, François Beauvais a réalisé sa thèse sur les conséquences du changement climatique sur l'agriculture. Changement qui n'épargnera pas la Normandie.

François Beauvais est docteur géographe-climatologue à l'université de Caen Normandie.
François Beauvais est docteur géographe-climatologue à l’université de Caen Normandie. (©François Beauvais)
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Jeune docteur géographe-climatologue à l’université de Caen Normandie, François Beauvais vient de recevoir le Prix Gérard Beltrando 2022 de la meilleure thèse en climatologie de l’Association internationale de climatologie.

Cette distinction récompense chaque année la meilleure thèse de doctorat soutenue au cours des deux dernières années en climatologie, ou dans un domaine scientifique connexe. Pour Les Informations dieppoises, il explique les conséquences que pourra avoir le changement climatique sur les récoltes agricoles du territoire dieppois. Entretien.

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40,4°C le 19 juillet à Dieppe

Actu : Les Informations dieppoises : Cette année, comme ailleurs en France, le territoire a souffert de la sécheresse et des vagues de chaleur. Ce phénomène est-il inédit ?

François Beauvais : On a tendance à comparer cette sécheresse à celle de 1976, or les anomalies concernant les températures et le manque d'eau en France sont plus importantes qu'en 1976. D'après Météo-France, l'humidité des sols de l'été 2022 a atteint un niveau plus bas qu'en 1976, avec un record de sécheresse atteint à la mi-juillet. Cela s'explique par le déficit de précipitation et une forte évapotranspiration. En termes de température, c'est le deuxième été le plus chaud depuis 1900, le premier étant 2003.
Spécifiquement sur Dieppe, entre le 1er janvier et le 31 août, il aurait dû pleuvoir 465 mm d'eau en moyenne et il n'a plu que 236 mm, soit un déficit de plus de 50 %. Et pour le mois de juillet, nous n'avons eu que 1,4 mm d'eau alors que normalement la moyenne est 60 mm. Sur le territoire dieppois, nous sommes donc en déficit sur l'ensemble de l'année, excepté au mois de juin.
Concernant les températures, nous enregistrons + 1,5 °C en moyenne depuis le début de l'année par rapport à la normale de 1981-2010. Et il y a eu des vagues de chaleur avec des températures maximales importantes. Le 19 juillet à Dieppe, il a fait jusqu'à 40,4 °C.

Quelles conséquences pour notre agriculture ?

F. B. : Ce déficit de précipitations engendre bien évidemment une sécheresse au niveau des sols, avec des conséquences sur l'agriculture, les nappes phréatiques et les cours d'eau. Concernant le blé, la maturité est arrivée plus tôt, ce qui a permis de limiter la casse. Mais ce n'est pas le cas pour la pomme de terre, le maïs, la betterave. Malgré les dernières pluies – 9,4 mm à Dieppe entre le 1er et le 6 septembre –, pour toutes ces cultures, le mal est déjà fait.
Concernant le lin, je n'ai pas de retour des exploitations agricoles pour le moment, mais pour le rouissage, il faut une alternance entre pluie et soleil permettant de séparer les fibres de la plante. Le manque d'eau au printemps a également pu engendrer des fibres creuses et plus courtes, donc une mauvaise récolte avec des répercussions, sur la filière textile par exemple.

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Chaleur et sécheresse : la norme

Et pour les éleveurs ?

F. B. : Ils ont déjà attaqué les stocks de fourrage de l'hiver, des stocks qu'ils ne retrouveront pas.

Votre travail porte aussi sur les projections. Quelles sont-elles ?

F. B. : Concernant les prochaines décennies en Normandie, d'ici à 2050, c'est déjà plus ou moins joué. Maintenant la question qui se pose, c'est : est-ce que l'on continue sur la trajectoire actuelle avec une hausse de la température de 4 °C par rapport à la période de référence 1976-2005 ; ou est-ce qu'on réduit les émissions de gaz à effet de serre pour limiter cette hausse à + 1,2 °C ?
Si l'on continue sur la trajectoire actuelle, le nombre de jours de chaleur sera multiplié par cinq avec des sécheresses prononcées et - 30 % de précipitations sur la période estivale. Les vagues de chaleur seront plus intenses et elles arriveront plus tôt dans l'année.
Les vagues de chaleur comme celle de 2003 et la sécheresse de 2022 seraient alors la norme d'ici 50 ans. Elles pourraient avoir des répercussions sur l'agriculture, la santé publique avec des périodes de canicule de plus en plus importantes et des problèmes d'approvisionnement en eau.
Concernant les cultures comme le maïs, le lin, la betterave, les conséquences seront importantes. Par exemple, il faudra peut-être songer à remplacer le maïs par le sorgho, plus adapté au manque d'eau. En ce qui concerne le blé, le cycle de la plante va s'accélérer en raison de la hausse de la température. Il sera plus court, ce qui permettrait de récolter plus tôt et d'éviter la sécheresse et la chaleur de l'été.
Cependant, la montaison du blé qui s'effectue actuellement au printemps aurait lieu à la sortie de l'hiver, l'exposant à des jours plus courts avec moins de rayonnement cumulé par la céréale, ainsi qu'aux gelées de la fin de l'hiver. Donc nous pourrions avoir des pertes de production. Et si les hivers sont trop doux, cela ne convient pas non plus car le blé doit être exposé à des jours de froid dans la première partie de son cycle en décembre, janvier, février, pour fleurir au printemps.

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Une situation moins défavorable pour la Normandie

Et pour Dieppe ?

F. B. : Dieppe et plus largement la Normandie pourraient bénéficier d'une situation moins défavorable, car elles seront exposées à une plus faible hausse du nombre de jours de chaleur, contrairement aux régions méridionales et continentales de la France. Aussi, les sols épais du pays de Caux avec de meilleures réserves en eau, permettent d'atténuer les sécheresses pour la plante contrairement à d'autres secteurs pourvus de sols minces.
Dans ce contexte, la Normandie pourrait alors rester une place forte de la céréaliculture française, à condition de semer des variétés de blé adaptées à des hivers plus doux.
D'autres leviers peuvent être envisagés : modification des dates de semis, précocité variétale, recherche de nouveaux idéotypes (autrement dit de plants de culture capables de s'adapter au nouvel environnement, NDLR), recours à des variétés rustiques ou d'autres cultures répondant aux stress identifiés.
En revanche, pour ce qui concerne les cultures que l'on sème actuellement au printemps (maïs, betterave, lin...) et déroulant leur cycle en été, les conséquences seront plus importantes, ce qui pose la question de leur faisabilité dans les prochaines décennies.

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