Aliénor d'Aquitaine et les Plantagenêts, le temps des crépuscules : épisode • 4/4 du podcast Aliénor d'Aquitaine, une reine pour deux royaumes

Peinture de la "chasse royale" de la chapelle Sainte-Radegonde de Chinon, 12e siècle ©Getty - DeAgostini
Peinture de la "chasse royale" de la chapelle Sainte-Radegonde de Chinon, 12e siècle ©Getty - DeAgostini
Peinture de la "chasse royale" de la chapelle Sainte-Radegonde de Chinon, 12e siècle ©Getty - DeAgostini
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À l’été 1189, Aliénor d’Aquitaine perd son époux, le roi Henri II d’Angleterre. Cette période de veuvage est synonyme d’intense activité politique. Il s’agit avant tout de protéger les intérêts de son fils Richard Cœur de Lion, parti en croisade, et de veiller à l’intégrité de l’empire Plantagenêt.

Avec
  • Frédérique Lachaud Professeure d'histoire médiévale à Sorbonne Université, spécialiste de l’histoire de l'Angleterre médiévale et de culture politique médiévale
  • Fabien Paquet Maître de conférences en histoire médiévale à l’Université de Caen Normandie

La mort d’un souverain peut-elle être une bonne nouvelle ? C’est peut-être le cas pour Aliénor d'Aquitaine. Henri II d’Angleterre retenait son épouse en captivité depuis de longues années, après une sombre histoire de révolte (les souverains sont susceptibles). Quand il meurt en 1189, Aliénor est libérée, après seize ans, par la décision de leur fils Richard, ce Cœur de Lion qui bat d’amour pour sa maman. Elle ne le sait pas encore, mais il lui reste 15 ans à vivre ; ce dont elle est certaine, c’est qu’il lui reste beaucoup de choses à réaliser.

Une veuve à la tête de l’empire Plantagenêt ?

Retenue en captivité suite à une série d’intrigues contre son époux, le roi d’Angleterre Henri II, Aliénor d’Aquitaine est libérée en 1189, à la mort du souverain. Cette libération inaugure pour la veuve de 65 ans une période d’intense activité politique, où elle a l’occasion d’exercer un pouvoir d’une étendue assez inédite pour une femme du 12e siècle. "Aliénor apparaît comme la garante de la continuité", explique l'historien Fabien Paquet. "Elle parvient à imposer (son fils) Richard Cœur de Lion, qui apparaît comme le candidat le plus solide, et elle l'accompagne dans ses premiers moments pour solidifier l'œuvre administrative et globale de son père, fondée sur la pacification de la société, le contrôle de l'aristocratie, etc." Selon l'historien, Aliénor d'Aquitaine reprend goût à ce pouvoir d'action et s'affirme politiquement.

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La troisième croisade

À peine monté sur le trône, Richard Cœur de Lion doit quitter son royaume. Il se joint, avec son ami Philippe Auguste, roi de France et fils de Louis VII, à la troisième croisade, au cours de laquelle il s’agit de récupérer Jérusalem, dont Saladin s’est emparé quelques années auparavant. En l’absence du souverain, il revient à Aliénor de protéger les intérêts de son fils, de contenir les ambitions des puissants du royaume et de s’assurer la fidélité des nobles.

La priorité d'Aliénor est de trouver une épouse à son fils : il n’y a pire danger qu’un roi sans héritier. Elle se rend à cheval jusqu’en Navarre, où elle va chercher Bérengère, la fille du roi Sanche, qu’elle conduit auprès de son fils, déjà en route pour la croisade. Une fois le mariage célébré à Chypre, en mai 1191, le roi Richard met le cap sur Jérusalem, tandis qu’Aliénor rentre en Angleterre. En Terre Sainte, Richard Cœur de Lion multiplie les prouesses, ce qui donne lieu à des tensions avec son ancien ami, le roi des Francs Philippe Auguste. Visiblement échaudé, il rentre dans son royaume plus tôt que prévu et se rapproche de Jean sans Terre, le jeune frère de Richard Cœur de Lion, avec lequel il noue une alliance : Jean sans Terre lui livre la Normandie en échange de son assistance pour mettre la main sur le trône des Plantagenêt.

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1h 05

Le retour du roi

Richard Cœur de Lion quant à lui ne retrouve son royaume qu’en 1194, après avoir été retenu captif pendant plus d’un an par Henri VI, l’empereur du Saint-Empire. "La finesse politique d'Aliénor a certainement permis la libération de Richard", observe l'historienne Frédérique Lachaud. Outre la levée de fonds pour la rançon, la reine se rend à la cour de l'empereur pour négocier la libération de son fils. "Il semble que c'est elle qui conseille à Richard de prêter serment de vassalité à Henri VI pour faciliter sa libération. C'est un acte qu'on lui a souvent reproché par la suite."

Une fois rentré, Richard Cœur de Lion fait la paix avec son jeune frère et occupe les années suivantes de son règne à reconstituer son empire. Aliénor, elle, se retire progressivement à l’abbaye de Fontevraud, où elle compte passer ses dernières années. La fin des années 1190 se révèle cependant particulièrement éprouvante pour elle : elle perd trois de ses filles, Marie, Alix et Jeanne, ainsi que son fils Richard Cœur de Lion, qui succombe à la suite de blessures le 6 avril 1199.

La mort d'une reine

Aliénor sort de sa retraite spirituelle et chevauche à travers l’empire Plantagenêt pour convaincre les nobles du royaume de soutenir son fils, Jean sans Terre, dont la succession est menacée par Arthur de Bretagne. La reine obtient gain de cause, mais le règne de Jean ne se révèle pas aussi brillant qu’elle l’avait espéré. Les dernières années d’Aliénor d'Aquitaine, morte en 1204, sont aussi celles de l’empire Plantagenêt, qui se désagrège peu à peu.

Alors que l'historien David Bates disait que l'empire Plantagenêt était avant tout un homme, Henri II, Fabien Paquet considère qu'il est aussi incarné par Aliénor d'Aquitaine : "Il semble qu'il y ait chez Aliénor une conscience de faire groupe, de faire dynastie dans cette famille qui a été déchirée. Et Fontevraud, qu'elle a choisi elle-même, va être l'écrin de ce groupe en devenant une des nécropoles de la monarchie anglaise."

L'Esprit des lieux
3 min

Pour en savoir plus

Frédérique Lachaud est professeure d'histoire médiévale à Sorbonne Université, spécialiste de l’histoire de l'Angleterre médiévale et de culture politique médiévale.
Elle a publié :

  • Histoire des îles Britanniques, codirigé avec Stéphane Lebecq, Fabrice Bensimon, Jean-François Dunyach et François-Joseph Ruggiu, Presses universitaires de France, 2022 (3e éd.)
  • Jean sans Terre, Perrin, 2018
  • L’Éthique du pouvoir au Moyen Âge. L’office dans la culture politique (Angleterre, vers 1150-vers 1330), Garnier Classiques, 2010

Fabien Paquet est maître de conférences à l’Université de Caen Normandie.
Il a publié :

  • Maîtriser le temps & façonner l'histoire. Les historiens normands au Moyen Âge, sous sa direction, Presses universitaires de Caen, 2022

Références sonores

  • Archive sur la mort d'Henri II Plantagenêt, Loire Bretagne Actualités, 1971
  • Extrait du film Le Lion en hiver de Anthony Harvey, 1968
  • Archive du reportage sur l'exposition "L'Orient de Saladin" à l'Institut du monde arabe, France 3, 2001
  • Extrait du film animé Robin des Bois des studios Disney, 1973
  • Archive de Charles Samaran, Heure de culture française, RTF, 1954
  • Lecture par Frédérique Labussière du poème "Pour Aliénor" de Jacques Roubaud, Le Livre d’Aliénor, 2014
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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