AT III, 597

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE CIX.

MON REVEREND PERE,
Ie ne suis pas marry d’avoir apris des nouvelles de AT III, 598 celuy dont vous m’avez envoyé un mot de Lettre , c’est un homme fort curieux qui sçavoit quantité de ces petits secrets de Chymie, qui se debitent entre gens de ce mestier, dés-lors qu’il estoit avec moy, s’il a continué, comme il semble, il en doit sçavoir maintenant beaucoup davantage ; Mais vous sçavez que ie ne fais aucun estat de tous ces secrets : Ce que i’estime en luy est qu’il a des mains pour mettre en pratique ce qu’on luy pouroit prescrire en cela, et que ie le croy d’assez bon naturel. Il m’offre de venir icy, ce que ie ne voudrois pas maintenant, à cause que ie ne me veux point arrester à faire aucunes experiences que ma Philosophie ne soit imprimée ; Mais aprés cela, si tant est qu’il soit entierement libre, et qu’il n’ait point de meilleure fortune, ie ne serois pas marry de l’avoir pour quelque temps avec moy ; Ce que ie vous prie pourtant de ne luy dire point, car il peut arriver mille choses avant ce temps-là qui le pourroient empescher, et ie ne voudrois pas luy donner suiet de se tromper en son conte, qui est Clerselier II, 512 la faute des Chymistes la plus ordinaire ; mais si vous sçavez l’estat de sa fortune, et ce qu’il fait maintenant, ie ne seray pas marry de le sçavoir de vous.

Le Livre de N. contre moy est sur la presse, i’en ay veu les premiers feüilles, il l’intitule Philosophia Cartesiana, il est environ aussi bien fait qu’un certain πεντὰλογοs que vous avez veu il y a deux ans ; et ie AT III, 599 ne daignerois y répondre un seul mot, si ie ne regardois que mon propre interest ; Mais parce qu’il gouverne le menu peuple en une Ville, où il y a quantité d’honnestes gens qui me veulent du bien, et qui seront bien-aise que son authorité diminuë, ie seray contraint de luy répondre en leur faveur, et i’espere faire imprimer ma réponse aussi-tost que luy son Livre ; car elle sera courte, et son Livre fort gros, et si peu croyable, qu’apres en avoir examiné les premieres feüilles, et avoir pris occasion de là de luy dire tout ce que ie croy luy devoir dire, ie negligeray tout le reste, comme indigne mesme que ie le lise. En la quarante-quatriéme page où il parle des vaines esperances dont il dit que i’entretiens le Monde, il a ces mots : Ut verò animosè sperare hominem liqueat, alicubi etiam sperare audet sua deliria locum inventura esse circa Doctrinã de Transsubstantiatione ; cuius occasione se Romano-Catholicæ Religioni favere profitetur, in gratiam scilicet Patrum Societatis Iesu, ad quorum asylum fugit, quò ab ijs deffendi possit contra Doctissimum Mersennum, aliosque Theologos ac Philosophos Gallos, a quib. inflictas plagas pertinaciùs persentiscit, quam ut dissimulare queat. Où vous voyez qu’il persiste en ce que vous avez veu dans les Theses qu’il a faites touchant les Formes substantielles, où il disoit que vous écriviez contre moy, nonobstant que vous m’ayez AT III, 600 ce me semble mandé, que vous luy en avez fait des reproches. Ie ne voudrois pas vous prier de vous méler icy en ma querelle, si ce n’est que vous y soyez entierement disposé de vous-mesme ; car i’ay tant d’autres choses à luy dire pour monstrer qu’il a tort en ce qu’il avance, que ie n’en suis pas à cela prés ; Mais si vous y estes disposé, i’aurois un moyen tres-efficace pour le confondre, si par exemple vous Clerselier II, 513 luy écriviez une Lettre fort courte, où vous luy mandassiez qu’on vous a écrit qu’il y a un livre contre moy sous la presse, en la 44. page duquel sont ces mots, etc. Ce qui vous a fort estonné, pource qu’ayant sceu cy-devant qu’il avoit mis quelque chose de semblable en ses Theses, vous luy aviez écrit pour le desabuser, etc. Et aussi que vous fissiez mention en cette Lettre, qu’il vous avoit desia écrit il y a deux ou trois ans, pour vous inciter à écrire contre moy ; Mais que vous luy ayant répondu que vous le feriez tres-volontiers si vous en aviez sujet, et s’il vous vouloit envoyer des memoires, de ce que luy ou les siens auroient pû trouver à reprendre en mes Ecrits, et que luy ne vous ayant rien répondu à cela, d’où vous aviez iugé que c’estoit seulement par animosité qu’il vouloit vous irriter contre moy, vous avez voulu luy écrire encore cette Lettre, et me l’envoyer ouverte pour luy addresser, et me témoigner que vous desavoüez ce qu’il écrit de vous etc. Si vous m’envoyiez une telle Lettre, AT III, 601 et que ie la fisse imprimer, cela luy osteroit tout son credit. Mais ie serois tres-marry de vous rien prescrire, ou que vous fissiez aucune chose contre vostre inclination ; Et vous pouvez faire mille autres choses, car cette pensée d’une telle Lettre ne m’est venuë en l’esprit que depuis que ie commence à vous en écrire.

Ce que i’ay dit d’un boulet de canon parfaitement dur, qui rencontre un autre Corps plus petit, et aussi parfaitement dur, ce n’estoit pas pour prouver qu’il y a de tels Corps parfaitement durs sur la Terre, mais seulement pour dire que les Loix de la Nature ne requierent point, que les Corps qui commencent à se mouvoir passent par tous les degrez de vitesse : Car si elles ne le requierent point en ceux qui sont parfaitement durs, il n’y a point de raison pourquoy elles le requierent plûtost en tous les autres.

Ie vous remercie de vostre Experience touchant la pesanteur de l’air, mais il seroit bon que ie sceusse les particularitez que vous y avez observées, pour m’y pouvoir assurer ; Clerselier II, 514 Car ie la trouve extremement grande si elle est à l’eau comme deux cens vingt-cinq à dix-neuf, qui est quasi comme douze à un.

AT III, 612 Ie suis tres-aise de ce que vous m’avez appris qu’une lame de cuivre ne peze point plus estant froide que chaude, car c’est le principal point de toute vostre experience touchant l’Eolipile, et duquel il faut estre bien assuré ; Car cela estant il n’y a point de doute que ce qui la rend plus legere de quatre ou cinq grains estant chaude que froide, est la seule raréfaction de l’air qui est dedans, et ainsi que le moyen de pezer l’air est trouvé. Ie voudrois bien aussi que vous prissiez garde, si lors que l’Eolipile est extremement chaude, elle attire de l’eau si-tost que son bout est mis dedans, ou bien si elle attend quelque temps, ainsi que vous m’aviez mandé ; ce qui se peut voir fort aisément en la tenant en équilibre en la balance ; car si elle attire, elle s’enfoncera incontinent plus avant dans l’eau, à cause qu’elle deviendra plus pesante.

Ie ne puis deviner si l’air ordinaire se peut plus raréfier que condenser par les forces Naturelles, car c’est une question purement de fait ; mais par une force Angelique ou surnaturelle, il est certain qu’il peut estre raréfié à l’infiny, au lieu qu’il ne peut estre condensé que iusques à ce qu’il n’ait plus de pores, et que toute la matiere subtile qui les remplit, en soit chassée. Ie ne sçay aussi en quelle proportion doit estre AT III, 613 augmentée la force pour le condenser de plus en plus, sinon que c’est le mesme qu’à bander un arc, excepté qu’il peut y avoir des applications plus faciles pour condenser l’air, en ce qu’on n’a pas besoin de repousser tout l’air desia condensé, mais seulement une petite partie, au lieu qu’à chaque moment qu’on veut plier un arc plus qu’il n’est desia plié, il faut avoir toute la force qu’on a euë à le plier iusques-là, pour le retenir en ce mesme point, et quelque chose de plus pour le plier davantage.

Ie croy que deux Corps de diverse matiere poussez Clerselier II, 515 de bas en haut, et commençans à monter de mesme vitesse, n’iront iamais si haut l’un que l’autre, car l’air resistera toûjours davantage au plus leger.

Ce qui fait qu’un soufflet s’emplit d’air lors qu’on l’ouvre, c’est qu’en l’ouvrant on chasse l’air du lieu où entre le dessus du soufflet qu’on hausse, et que cét air ne trouve aucune place où aller en tout le reste du monde, sinon qu’il entre au dedans de ce soufflet : Car ex Suppositione, il n’y a point de vuide pour recevoir cét air en aucun lieu du monde.

Ie viens à vostre seconde Lettre que i’ay receuë quasi aussi-tost que l’autre ; et principalement pour ce qu’il vous plaist d’employer en vos écrits quelque chose de ce que i’ay écrit des Mechaniques, ie m’en remets entierement à vostre discretion, et vous avez pouvoir d’en faire tout ainsi qu’il vous plaira, plusieurs l’ont desia veu en ce païs, et mesme en ont eu AT III, 614 copie. Or la raison qui fait que ie reprens ceux qui se servent de la vitesse pour expliquer la force du levier, et autres semblables, n’est pas que ie nie que la mesme proportion de vitesse ne s’y rencontre tousiours ; Mais pource que cette vitesse ne comprend pas la raison pour laquelle la force augmente ou diminuë, comme fait la quantité de l’espace ; et qu’il y a plusieurs autres choses à considerer touchant la vitesse, qui ne sont pas aisées à expliquer. Comme, pource que vous dites qu’une force qui pourra élever un poids d’A, en F, en un moment, le pourra aussi élever en un moment d’A, en G, si elle est doublée, ie n’en voy nullement la raison ; Et ie croy que vous pourrez aisément experimenter le contraire, si ayant une balance en équilibre vous mettez dedans le moindre poids qui la puisse faire trebucher ; car alors elle trebuchera fort lentement, au lieu que si vous y mettez le double de ce mesme poids, elle trebuchera bien plus de deux fois aussi viste ; Et au contraire prenant un éventail en vostre main, vous le pourrez hausser ou baisser, de la mesme vitesse qu’il Clerselier II, 516 pourroit descendre de soy-mesme dans l’air si vous le laissiez tomber, sans qu’il vous y faille employer aucune force, excepté celle qu’il faut pour le soûtenir ; mais pour le hausser ou baisser deux fois plus viste, il vous y faudra employer quelque force qui sera plus que double de l’autre, puis qu’elle estoit nulle.

Ie n’ay point besoin pour maintenant de voir la AT III, 615 Geometrie de M. Fermat. Pour ma Philosophie, ie commenceray à la faire imprimer cét Esté ; Mais ie ne puis dire quand on la pourra voir, car cela dépend des Libraires, et vous sçavez que la Dioptrique fust plus d’un an sous la presse. Ie suis,