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PROJET D’UN RÈGLEMENT SUR LES BÉNÉFICES [•]

[PREMIÈRE PARTIE DU RÈGLEMENT]

§ 1

 [•]Il est de l’intérêt du Roi et de l’Église que les revenus des bénéfices ne diminuent point, faute de réparations de la part des titulaires, que le revenu de chaque bénéfice augmente [•] plutôt que de diminuer et que les parents et héritiers du titulaire ne soient plus vexés ni inquiétés, ni par les titulaires successeurs, ni par les officiers de l’économat, pour des réparations que le nouveau titulaire fera volontiers sans frais pour maintenir son revenu.

§ 2

Ordinairement le titulaire actuel fait les réparations absolument nécessaires aux fermes du bénéfice ; c’est que, sans cette dépense nécessaire, le fermier ne le paierait pas et le titulaire veut être payé en entier.

§ 3

D’ailleurs c’est peu de chose que ce nécessaire [•] ordinaire, et s’il manquait à quelques fermes, le titulaire successeur y suppléerait aisément en y employant la dixième partie du revenu [•] du bénéfice ; or ce dixième de moins ne le rendra pas fort à plaindre pour entrer en jouissance du reste d’un revenu nouveau qu’il n’avait point, et même, ce successeur aura toujours le droit d’employer à ces réparations ordinaires les deniers dus au prédécesseur par les fermiers du bénéfice.

§ 4

Je suppose donc que par un règlement [•], il soit ordonné que le receveur des décimes1 du bénéfice du nouveau titulaire prendra le tiers du revenu de ce bénéfice, charges payées, durant les premiers trois ans, pour faire une rente au denier trente2 de la somme totale d’une année du revenu du bénéfice au profit du même bénéfice, payable par lui au titulaire après le dernier tiers du revenu par lui reçu, à commencer après la cinquième année du jour de la mort du dernier titulaire.

§ 5

Ce receveur pourra donner ce capital, qui compose une année du revenu du bénéfice, en rente irrachetable à un moindre denier que le denier trente et par conséquent à profiter de l’augmentation de l’intérêt ; mais il sera obligé de donner ces capitaux en rente à des redevables qui aient des fonds dans le diocèse, et en ce cas il demeurera toujours garant de leur solvabilité envers le titulaire et le bénéfice.

§ 6

Le titulaire successeur pourra recevoir le rachat de ces rentes, ou même les vendre tous ou en partie pour en employer les capitaux aux réédifications des lieux réguliers du bénéfice, qui seraient tombés par accident ou qui menaceraient de tomber en ruine.

§ 7

Les titulaires actuels pourront exempter leurs héritiers des réparations de leur bénéfice en consignant entre les mains du receveur des décimes une année du revenu de leur bénéfice pour en former une rente au denier trente au profit du bénéfice.

§ 8

Le titulaire successeur pourra employer aux réparations les deniers qui seront dus par les fermiers au titulaire, son prédécesseur.

Éclaircissement

§ 9

1°. Je suppose que ce bénéfice change de main cinq fois en un siècle [•], qu’il soit de douze mille livres de revenu, charges payées, que le receveur ait reçu en trois ans une année de ce revenu montant à douze mille livres et qu’il en fasse quatre cents livres de rente au denier trente au profit du bénéfice.

§ 10

De là il suit qu’en cinq mutations, ce bénéfice serait augmenté de deux mille livres de rente, plus qu’il ne valait cent ans auparavant, en supposant cinq mutations en cent ans. Il est vrai qu’il faudra déduire les réédifications des lieux réguliers qui auraient été nécessaires pendant ces cent ans.

§ 11

2°. Avec ce règlement [•] les titulaires pourraient laisser leur patrimoine entier et libre à leurs héritiers, ce qui serait fort désirable surtout aux familles nobles distinguées.

§ 12

3°. Ne suffit-il pas au nouveau titulaire de commencer à jouir [•] durant trois ans des deux tiers du revenu du bénéfice, comme en jouissait, et aux mêmes conditions, son prédécesseur ? [•]

§ 13

 [•] 4°. Le gouvernement, soit politique, soit ecclésiastique ne doit-il pas être fort content de voir que cette rente irrachetable tourne à l’augmentation perpétuelle du revenu de ce bénéfice, sans avoir à craindre la diminution ?

§ 14

5°. Supposé que le roi et les abbés donnent par an pour plus de cent vingt mille livres de rente de bénéfices simples, il y aura tous les ans le tiers de ces cent vingt mille livres de fond à mettre en rente au denier trente au profit de ces mêmes bénéfices ; ainsi le total des bénéfices de France augmenterait tous les trois ans de quatre mille livres de rente au moins, sur quoi il y aurait à la vérité à déduire ce qu’il faudrait employer de fonds pour les réédifications des lieux réguliers.

§ 15

Mais par ce règlement le roi et l’Église seront sûrs que les bénéfices du royaume augmenteront plutôt en revenu qu’ils ne diminueront et que personne ne sera vexé dorénavant pour les réparations des bénéfices ; et c’est un grand point.

§ 16

Il est vrai que le nouveau titulaire, au lieu de commencer à jouir du total de son bénéfice dès la première année, ne jouira que des deux tiers de ce revenu ; c’est un malheur médiocre puisque ces deux tiers ne laisseront pas d’augmenter ordinairement son revenu de patrimoine de plus du double ; or sera-t-il bien à plaindre de n’avoir à dépenser durant les premiers trois ans que le double de ce qu’il avait avant d’être nommé au bénéfice, et doit-il pas au contraire se féliciter d’avoir encore à espérer trois ans après une nouvelle augmentation du tiers du revenu de ce bénéfice ?

§ 17

Or que l’on compare le petit malheur de ce nouveau titulaire au bien réel qui en revient à l’Église et à l’État et aux héritiers du titulaire et ce règlement paraîtra fort désirable.

§ 18

[Fin du Projet d’un règlement sur les bénéfices dans l’imprimé de Rotterdam.]

SECONDE PARTIE DU RÈGLEMENT [•]

§ 18

Je suppose qu’il fut ordonné par le même règlement que le chapitre de l’évêché qui est immortel et que la communauté de l’abbaye qui est immortelle fussent toujours chargés des réparations ordinaires et extraordinaires de l’Église et des lieux réguliers, et que pour cela le roi leur assignât la moitié du tiers qui est destiné aux réparations et charges du bénéfice, à condition d’en employer partie aux réparations ordinaires et que le surplus fut mis en dépôt de concert avec l’évêque et l’abbé pour employer un jour aux réparations nécessaires qui seraient causées ou par vétusté ou par accident.

Conséquences

§ 19

Il se paye plus de cent mille livres par an aux nouveaux successeurs des bénéfices, aux officiers des économats et autres officiers de justice, mais dont il ne revient nul profit, nulle augmentation de revenus aux bénéfices même.

§ 20

Or si par le nouveau règlement ces cent mille francs tournaient en rentes perpétuelles au denier vingt3 au profit du total des bénéfices qui auront changé de titulaires durant cette année 1740, le total des bénéfices de France augmenterait tous les ans au moins de cinq mille livres de rentes perpétuelles ; c’est que je suppose qu’il y a les deux tiers des bénéficiers qui ne laissent point d’héritiers.

§ 21

Or d’un côté cinq cent mille livres de rente d’augmentation des bénéfices en cent ans et de l’autre l’exemption de procès et le repos de dix mille familles, ne serait-ce pas un grand bienfait que ce règlement procurerait à l’État ?

§ 22

Si l’on voit que ce règlement à tout prendre, ne peut d’un côté qu’améliorer chaque siècle le revenu des bénéfices, et de l’autre faire plaisir à un grand nombre de familles considérables de l’État, pourquoi les plus sages et les plus équitables des bénéficiers ne le solliciteraient-ils pas, surtout présentement lors de leur assemblée ?

OBJECTION 1

§ 23

Augmenter le revenu du clergé de cinq cent mille livres en cent ans, c’est trop pour le bien de l’État. Le clergé, selon l’avis de bien des gens, n’est déjà que trop riche.

Réponse

§ 24

1° Les revenus du clergé ne peuvent-ils pas être encore mieux administrés ? Or s’ils l’étaient mieux, le clergé serait-il trop riche, même selon l’avis des plus gens de bien, puisqu’une grande partie tournerait encore plus au profit des hôpitaux et autres besoins du public ? Le gouvernement ne peut-il pas charger les bénéfices, avant de les donner, de pensions pour vingt ans en faveur de plusieurs hôpitaux de soldats et officiers invalides, surtout à prendre sur ces rentes dont le roi par son bon règlement aura augmenté le revenu des bénéfices ?

§ 25

Les rois ses successeurs ne pourront-ils pas accorder diverses pensions passagères pour vingt ans, non seulement à des collèges, à des hôpitaux de malades, surtout dans les années de disette générale ? Ainsi serait-ce un mal pour l’État que cette augmentation de pensions à distribuer sur cette augmentation du revenu des bénéfices de l’État ?

OBJECTION 2

§ 26

Je conviens que le bénéfice de douze mille livres du titulaire assez bon économe pour laisser des héritiers, sera augmenté de six cents livres de rente, mais le nouveau titulaire sera obligé de réparer à ses frais plusieurs petites réparations ordinaires négligées afin de conserver le revenu de ses fermes.

Réponse

§ 27

1° Qu’y a-t-il de plus juste que celui qui entre en possession de nouvelles fermes et de nouveaux revenus fasse une nouvelle dépense sur ce même revenu ?

§ 28

2° Ce même titulaire qui commencera par faire cette petite dépense à ses frais ne laissera-t-il pas aussi souvent par négligence quelques petites réparations à faire à son successeur, et s’il a des héritiers, ne lui laissera-t-il pas six cents livres de rente de plus ?

§ 29

3° Si son prédécesseur n’a point d’héritiers, il pourra employer à former une petite rente d’amélioration les restes dus par les fermiers du bénéfice.

OBJECTION 3

§ 30

Je comprends bien que ce nouveau règlement sera utile à celui qui succède au titulaire qui a des héritiers et qui lui payeront facilement ses six cents livres de rentes d’augmentation ; mais que gagnera à ce règlement le nouveau titulaire d’un bénéfice de pareil revenu dont le titulaire ne laisse ni héritiers ni arrérages sur les fermiers du bénéfice ?

Réponse

§ 31

Je conviens que ce dernier bénéfice n’augmentera pas pour cette fois, mais il augmentera par l’économie de plusieurs de ses successeurs dans l’espace d’un siècle et quand d’entre les successeurs à ce bénéfice on en supposera un des trois bon économe, est-ce en supposer trop ?

OBJECTION 4

§ 32

Les abbés et prieurs réguliers n’ont point d’héritiers.

Réponse

§ 33

Le même règlement peut ordonner que ce titulaire régulier mettra tous les ans en séquestre entre les mains du receveur général du clergé4 le tiers du revenu de son bénéfice jusqu’à ce qu’il y ait de quoi acheter cette rente.

OBJECTION 5

§ 34

La moitié du tiers lot destiné aux réparations est un peu trop en faveur des religieux et des chapitres.

Réponse

§ 35

Ce ne sera pas trop pour les réparations extraordinaires et futures, et il faut que les communautés immortelles ne soient pas surchargées et qu’elles puissent s’acquitter commodément de leurs charges et n’en être pas incommodées ; au contraire il est à propos que pour leurs soins le règlement ordonne qu’elles auront à leur profit la dixième partie du revenu qui leur sera délégué et elles seront quittes en déposant tous les ans au trésorier particulier ou général du clergé ce qu’elles tireront de plus de la délégation que ce qu’elles emploieront en réparations ordinaires et extraordinaires des lieux réguliers et églises.

§ 36

Ainsi il y aurait toujours un revenu en dépôt destiné pour les grandes réparations ordinaires et extraordinaires des églises et lieux réguliers causées par des incendies ou autres accidents imprévus, et cela sans que personne en fût ruiné.

§ 37

Ainsi l’augmentation de cinq cent mille livres qui arriverait au revenu du clergé ne serait point aux dépens des familles, mais seulement aux dépens des bénéfices qui auraient bien économisé les revenus de leurs bénéfices.

§ 38

Ainsi finiraient pour jamais les procès et les procès-verbaux de commissaires et d’experts qui inquiètent et qui accablent les familles les plus considérables de l’État.


1.Receveur qui, à l’échelle du diocèse, était chargé de lever les décimes, impôt direct prélevé par le clergé sur les bénéfices ecclésiastiques ; voir Dictionnaire de l’Ancien Régime, Lucien Bély (dir.), Paris, Presses universitaires de France, 1996, art. « Décimes ».
2.Denier trente : 3,33 % [c’est-à-dire que l’intérêt annuel est calculé sur la base de 1 denier pour 30 investis, soit au taux de 1/30 = 0,0333 = 3, 33 %].
3.Denier vingt : 5 % [c’est-à-dire que l’intérêt annuel est calculé sur la base de 1 denier pour 20 investis, soit au taux de 1/20 = 0,05 = 5 %].
4.Le receveur général du clergé de France était chargé du versement dans les caisses du roi des décimes levées sur les bénéfices. En 1740, Bollioud de Saint-Julien succédait à cette charge par survivance à son oncle François Olivier de Sénozan ; voir Claude Michaud, L’Église et l’argent sous l’Ancien Régime. Les receveurs du clergé de France aux XVIeet XVIIe siècles, Paris, Fayard, 1991.