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COLLÈGES DES BÉNÉDICTINS

PREMIER MÉMOIRE

§ 1

Les bénédictins de la congrégation de St Maur furent réformés il y a 120 ans par Dom Tarrisse1 leur premier général, qui avait certainement intention de faire pratiquer à ses religieux les œuvres les plus efficaces pour obtenir plus sûrement le paradis. Mais malheureusement, il n’avait pas assez de lumières pour connaître quelles étaient ces œuvres les plus efficaces ; c’est que les personnes qui ont la meilleure intention ne sont pas toujours les plus éclairées.

§ 2

Il avait à la vérité une règle pour les connaître, mais il n’y fit pas assez d’attention. Cette règle, c’est le précepte de la charité bienfaisante qui est dans St Mathieu, 7, 12 : Faites donc pour les autres tout ce que vous voudriez qu’ils fissent pour vous ; car en cela consiste toute la loi et les prophètes2 ; c’est-à-dire tout ce qui est de plus efficace pour plaire à Dieu et pour en obtenir le paradis.

§ 3

S’il eut fait assez d’attention à cette grande règle, il aurait aisément compris que la plus grande sainteté et la meilleure manière de plaire à l’Être infiniment bienfaisant et d’en obtenir le paradis, ce n’était pas tant de chanter ses louanges que de l’imiter en pratiquant le précepte de la charité bienfaisante, puisqu’il est recommandé comme l’essentiel de la religion.

§ 4

Il aurait compris que prier Dieu que les pauvres fussent assistés et que les ignorants fussent instruits des différentes manières de pratiquer dans leur condition la charité bienfaisante pour plaire à Dieu, ce n’était pas, à beaucoup près, une œuvre si efficace pour obtenir le paradis que d’assister en effet ces pauvres dans leurs misères, et d’instruire réellement ces ignorants de leurs devoirs et de leur fournir souvent un motif suffisant pour s’en acquitter avec joie, tel qu’est l’espérance des plaisirs éternels fondée sur la pratique continuelle de la charité.

§ 5

Il est vrai que, de là, il aurait compris qu’il fallait de la solitude et de la retraite pour méditer sur toutes les branches de cette loi si aimable, soit pour connaître tous les devoirs de la charité, soit pour faire connaître aux hommes tous leurs devoirs réciproques, soit pour leur donner incessamment un motif agréable et suffisant pour s’en acquitter ; il aurait compris en même temps que les jours de retraite de ses religieux, loin de nuire à la charité bienfaisante, devaient servir à s’en bien acquitter.

§ 6

De là, il eût vu qu’à la vérité ses religieux, pour être en état d’assister un plus grand nombre de pauvres, devaient vivre avec frugalité, et que pour instruire les enfants dans des collèges des différentes parties des œuvres de l’essentiel de la religion et pour leur inspirer les motifs suffisants pour les pratiquer, il ne fallait pas se borner à la retraite, aux prières, au chant et à des austérités, ni à des spéculations peu importantes, tandis qu’il y a des œuvres incomparablement plus efficaces qui sont recommandées comme l’essentiel du culte divin.

§ 7

Il n’est pas étonnant que, dans ce siècle qui est plus éclairé que celui où il vivait, les personnes qui ont le plus de lumières regardent le but de cette réforme comme très peu utile à l’Église et à l’État, en comparaison du but de la société des jésuites qui est d’avoir soin de l’administration des collèges pour l’éducation de la jeunesse.

§ 8

Mais sa congrégation plus éclairée aujourd’hui qu’elle n’était dans sa naissance, et en suivant, mais avec plus de lumières, les bonnes intentions et le dessein de son fondateur, doit diriger ces exercices religieux vers la plus grande sainteté où il désirerait qu’ils aspirassent, et par conséquent, aux œuvres journalières de la plus grande charité bienfaisante, telle qu’est l’éducation la plus sage de la jeunesse.

§ 9

La congrégation présente a le pouvoir de faire aujourd’hui ce que leur réformateur ferait lui-même s’il vivait parmi nous, mieux instruit par l’Évangile même sur la grande efficacité des œuvres de la charité bienfaisante en comparaison de l’efficacité des longues prières.

§ 10

Cette congrégation pratique déjà la partie de la bienfaisance chrétienne qui tend à assister les pauvres, car elle fait beaucoup d’aumônes ; elle a d’un autre côté déjà commencé elle-même à établir plusieurs collèges à l’imitation des anciens bénédictins de France lorsqu’ils y étaient si utiles, mais si elle veut viser à la plus grande sainteté, si elle veut être regardée comme pratiquant la plus grande charité bienfaisante et comme la plus utile à l’État et à l’Église, il lui manque deux choses : la première, de multiplier ses collèges, la seconde, de les perfectionner du côté de la pratique des vertus et des talents plus utiles au bonheur de la société que n’est le talent de composer en beau latin et de faire de beaux vers grecs et latins.

§ 11

Il est évident que cette congrégation, si elle continuait à tourner ses vues et ses travaux du côté de l’éducation la plus vertueuse et la plus utile, s’attirerait les bénédictions de tous les ordres du royaume et l’applaudissement des personnes les plus éclairées et les plus vertueuses. Il est évident que, devenant alors les religieux les plus utiles du christianisme, elle serait aussi la plus favorisée entre les sociétés religieuses des États chrétiens, et que les souverains, pour aider davantage aux frais d’une si désirable éducation de la jeunesse, uniraient volontiers à leurs collèges divers prieurés et abbayes dont le revenu ne peut jamais être plus utilement employé qu’à une éducation plus vertueuse.

§ 12

Il est vrai que les religieux de cette congrégation ont commencé à établir des collèges malgré les statuts de leur réformateur, mais premièrement, ils n’en ont pas la dixième partie de ce qu’ils en devraient avoir par rapport aux revenus qu’ils tirent de l’État, secondement, et ce qui est de plus important, ils n’ont encore jusqu’ici donné à leurs écoliers dans leurs collèges que la même médiocre éducation que reçoit la jeunesse chez les jésuites et dans les autres collèges de France, au lieu d’une éducation incomparablement plus vertueuse, qu’ils pourraient leur donner et qui serait beaucoup plus utile à l’Église et à l’État.

§ 13

De là, il suit que, si cette congrégation prenait la résolution de mettre à la place des exercices peu utiles du chœur les exercices très utiles de l’instruction des collèges, afin de donner plus d’attention à multiplier et à mieux diriger leurs collèges, le gouvernement et l’Église conspireraient à multiplier leurs revenus dans la certitude que ces nouveaux revenus seraient par elle beaucoup plus utilement employés qu’ils ne sont par les possesseurs ordinaires pour l’augmentation du bonheur des hommes.

§ 14

Il y a une considération très importante et décisive pour faire désirer aux bénédictins de multiplier et de perfectionner l’éducation vertueuse des collèges, c’est que la principale fonction des religieux qui y seront employés sera de travailler tout le jour et tous les jours à inspirer aux écoliers d’un côté le grand motif de la pratique des différentes parties de la justice, c’est-à-dire la crainte de déplaire à Dieu et de mériter l’enfer par différentes injustices, et le grand motif de la pratique des différentes parties de la bienfaisance chrétienne pour plaire à Dieu, et pour en obtenir le paradis, c’est-à-dire un état de joies éternelles.

§ 15

Or ces religieux peuvent-ils jamais avoir des occupations journalières qui soient plus utiles pour leur propre salut que d’avoir tous les jours à représenter sans cesse ces motifs à leurs écoliers ? Peuvent-ils s’en occuper à chaque moment sans penser tout le jour à l’éternité et à plaire à l’Être souverainement bienfaisant, et sans faire ainsi beaucoup d’œuvres de bienfaisance, et par conséquent sans devenir incomparablement meilleurs religieux et d’une plus grande sainteté ?

§ 16

C’est que l’on ne parvient point à faire désirer passionnément le paradis sans le désirer soi-même passionnément et par conséquent sans songer à se mieux acquitter de jour en jour du précepte de la charité, c’est-à-dire de l’essentiel de la religion qui est le moyen le plus efficace pour plaire à l’Être infiniment bienfaisant et pour en obtenir le paradis.

§ 17

Je suppose donc que, dans la première assemblée générale, la congrégation prenne la résolution générale de tourner la plupart de ses exercices vers les œuvres d’une plus grande charité et sainteté et, par conséquent, de multiplier peu à peu leurs collèges et de les perfectionner du côté des vertus chrétiennes, en diminuant peu à peu leurs autres exercices qui sont moins efficaces pour obtenir le paradis, et que, pour en venir plus promptement à bout, ils établissent dans la capitale un conseil perpétuel et provisionnel sur le nouveau plan d’un nouveau collège de Paris ou des environs qui puisse servir de modèle pour les autres qu’ils établiront ailleurs et qu’ils pourront perfectionner tous les ans.

SECOND MÉMOIRE
Plan de gouvernement du nouveau collège

Premier but

§ 18

Le but le plus important, c’est de faire en sorte que les écoliers sortent du collège à l’avenir beaucoup plus vertueux qu’ils n’en sortent aujourd’hui, c’est-à-dire : 1°. beaucoup plus prudents et plus accoutumés qu’ils ne sont à suspendre leur jugement et à examiner les partis opposés avant que de choisir entre le bon et le meilleur parti, pour le bonheur de leurs deux vies, avant que de décider sur le plus ou le moins vraisemblable, sur le plus ou le moins désirable, 2°. qu’ils en sortent beaucoup plus justes, et beaucoup plus accoutumés qu’ils ne sont à pratiquer envers leurs parents et envers ceux qui les environnent, toutes les parties de la justice et de la bienfaisance, telle qu’est la politesse, la douceur, la patience, l’indulgence et surtout le pardon des injures pour plaire à Dieu et en obtenir le paradis.

Second but

§ 19

Le second but, mais moins important, est de faire en sorte que les écoliers sortent du collège l’esprit beaucoup mieux cultivé et plus accoutumé à raisonner juste, et beaucoup plus instruits des commencements de toutes les sciences qui importent plus à leur bonheur et au bonheur de leur patrie que n’importe la connaissance exacte et étendue de la langue latine et de la langue grecque où l’on emploie tant de temps si précieux ; c’est qu’il vaut beaucoup mieux apprendre des choses que des mots, et que pour former des hommes estimables et aimables, il faut, d’un côté, employer plus de temps dans l’éducation à donner une forte habitude à l’application aux connaissances les plus utiles à l’augmentation du bonheur des écoliers, de leurs parents et de leur patrie, et, de l’autre, de fortes habitudes à la pratique de toutes les parties de la justice et de la bienfaisance.

Conséquences

§ 20

De là, il suit que les habitudes aux vertus étant beaucoup plus importantes pour l’augmentation du bonheur dans nos deux vies que les habitudes aux talents, il est à propos d’employer les heures du matin aux exercices les plus propres à fortifier les vertus, de l’après-dîner, aux exercices propres à fortifier les talents. De là, il suit qu’entre les talents, il faut employer plus d’heures de la semaine à cultiver ceux qui sont les plus utiles à l’État que les moins utiles.

§ 21

De là, il suit que la principale différence qui sera entre ce nouveau collège et les anciens, c’est que, dans les anciens, on met beaucoup plus d’heures matin et soir à l’étude des langues latine et grecque que l’on y en mettra dans le nouveau, et cependant, avec le secours des nouvelles méthodes, et en commençant l’étude du latin à dix ans et en n’y mettant que sept ou huit heures par semaine, les écoliers en sauront assez à quinze ou seize ans pour entendre facilement les auteurs latins et les citations.

§ 22

De là, il suit que ceux qui se destineront à quelque profession particulière pourront cultiver davantage cette langue au sortir du collège par la traduction du français en latin avec le secours de maîtres particuliers, comme font les autres jeunes gens qui au sortir du collège se destinent à la profession des armes, prennent des maîtres de fortification, et comme d’autres qui prennent des maîtres de droit, d’autres qui vont aux écoles de médecine, etc.

§ 23

De là, il suit que les collèges étant composés d’enfants destinés à remplir toutes les professions de l’État, il faut faire en sorte que les exercices de leur première éducation soient les plus propres qu’il est possible à les faire réussir tous dans chacune de ces professions beaucoup mieux qu’ils n’auraient fait sans une pareille éducation.

§ 24

De là, il suit que si les écoliers, au lieu d’employer cinq ou six heures de trop par jour à la langue latine ou à la grecque, ils les emploient à se rendre plus vertueux, meilleurs raisonneurs et plus instruits dans les commencements de la géométrie, de l’arithmétique, de la sphère3, de l’astronomie, de la géographie, de l’anatomie, de la médecine, de la physique, de la chimie, de l’agriculture, de la jurisprudence, de l’art militaire, de la théologie naturelle4, de la musique, du commerce et des autres connaissances qui sont beaucoup plus utiles à l’État que la connaissance si parfaite de la langue latine, le monde deviendra bien plus peuplé d’hommes qui seront, d’un côté plus vertueux, et de l’autre plus laborieux, et plus habiles dans les différents talents de leurs professions.

§ 25

Ainsi, et eux et leurs concitoyens, en seront beaucoup plus heureux ; il y aura beaucoup moins d’injustices, de vengeances, de persécutions, et beaucoup plus de douceur, d’indulgence, de droiture, de bienfaisance dans le commerce du monde. Ainsi les jours seront plus remplis de plaisirs innocents et de consolations désirables que donne une espérance mieux fondée du paradis.

§ 26

Tels seront les effets naturels des nouveaux collèges et, en particulier, tel sera dans la suite l’effet du nouveau collège vertueux qui aura servi de modèle aux autres bons collèges.

§ 27

Les raisons qui ont obligé nos ancêtres à tourner si fort l’éducation de nos collèges vers la connaissance parfaite de la langue grecque et latine, ont presque entièrement cessé depuis que tous les bons ouvrages grecs et latins de deux mille ans, sur les mêmes matières, ont été traduits. Est-il donc fort étonnant qu’ayant profité des lumières et des expériences des Anciens, nos meilleurs esprits aient ajouté plusieurs découvertes aux ouvrages des Anciens ?

§ 28

Les premiers instituteurs de nos collèges avaient raison pour leurs temps de barbarie de nous donner les moyens, par le latin et par le grec, de sortir de notre profonde ignorance, mais nous serions inexcusables envers la raison si, présentement, nous employions beaucoup de temps à cultiver des moyens qui nous sont devenus inutiles pour cultiver notre raison, au lieu d’employer ce même temps à acquérir des connaissances très utiles, en ne nous servant que de notre langue maternelle.

§ 29

Faisons donc ce que nos ancêtres français auraient fait eux-mêmes il y a cinq ou six cents ans dans la direction de leurs collèges s’ils avaient été à notre place et s’ils n’eussent pas eu plus besoin que nous d’entendre le latin et le grec pour devenir habiles dans toutes les sciences et dans tous les arts. Imitons les Romains qui ont cessé d’apprendre le grec dès qu’ils ont pu apprendre en latin plus que ne savaient les Grecs.

Moyens

§ 30

Je suppose que ceux qui gouvernent ou qui sont destinés à gouverner la congrégation de St Maur soient persuadés de toutes ces vérités, et qu’il ne s’agisse plus que de délibérer sur les moyens d’exécuter un projet si avantageux à l’Église, à l’Europe en général et à la France en particulier, et de commencer à former une ébauche de ce nouveau collège ou à Paris, ou à St Denis ou ailleurs, sur quoi il y a plusieurs observations à faire.

§ 31

Je suppose que l’on sache que les habitudes, tant pour les vertus que pour les talents, ne s’acquièrent et ne se fortifient qu’à proportion du grand nombre de répétitions des exercices et des motifs de ces exercices.

§ 32

De là, il suit que pour une seule classe de vingt écoliers ou environ, il faut un régent pour cette classe et deux répétiteurs pour les deux chambres de chaque classe, et quelquefois encore, d’autres maîtres si on veut leur faire employer le temps le plus utilement qu’il est possible.

§ 33

De là, on voit que ces collèges nouveaux coûteront moitié plus que les anciens seulement pour la subsistance pour les officiers du collège, mais que les écoliers seront trois fois, dix fois, cent fois mieux instruits et mieux disciplinés.

§ 34

De là, il suit qu’il est à propos que les régents et les répétiteurs soient et vertueux et instruits des commencements de toutes ces connaissances, et qu’il est nécessaire de choisir et de former en deux ou trois ans au moins dix bons sujets pour commencer ce nouveau collège, et de prendre des mesures pour les bâtiments, et les meubles nécessaires pour le meubler.

§ 35

De là, il suit qu’il est à propos que le gouvernement favorise cet établissement si avantageux à l’État chez les bénédictins et dans les autres lieux qui demanderont cette méthode, et que le roi établisse un bureau ou conseil auquel la congrégation ait recours pour avoir des arrêts dans les différentes occasions où l’autorité royale est nécessaire.

§ 36

De là, il suit que la congrégation elle-même doit avoir, auprès du général, un conseil perpétuel pour diriger toujours et perfectionner ces nouveaux collèges.

§ 37

De là, il suit que, pendant deux ou trois ans de préparation, ceux de la congrégation qui seront destinés à commencer cette éducation prépareront les canevas5 d’exercices de chaque classe, tant pour le matin et l’après-dîner des premiers trois mois de la première année que pour les autres quartiers6 de chaque année, selon la différente portée des esprits de différents âges et de différentes classes, et selon leurs différents progrès, année par année.

§ 38

Le canevas des exercices du matin et de l’après-dîner pour les trois premiers mois de la première classe de sept ou huit ans, donnera de la facilité à faire le canevas des trois autres quartiers de la même année, et des exercices annuels des autres classes suivantes.

§ 39

Il se trouvera souvent, à la fin ou vers le milieu de l’année, une classe, par exemple dans la classe de huit à neuf ans, des esprits plus tardifs qui perdent leur temps dans cette classe ; il faudra les renvoyer dans la première de sept à huit ans comme l’on fait dans les anciens collèges.

§ 40

Je suppose neuf classes ; que chaque classe soit de vingt écoliers, qu’il y ait un religieux régent, que cette classe soit divisée en deux chambres de dix écoliers chacune, que chaque chambre ait un religieux répétiteur, et qu’il y ait dans le collège deux ou trois religieux pour suppléer aux régents et aux répétiteurs incommodés.

§ 41

Comme je suppose ces canevas d’exercices écrits pour chaque jour, les trois religieux suppléeurs7 pourront facilement savoir ce qu’ils ont ou à enseigner de nouveau tel jour, ou à faire répéter à une chambre de telle classe.

§ 42

Quand les canevas des neuf années d’exercices seront faits, on pourra ouvrir les trois premières classes du collège pour soixante pensionnaires, les uns de sept, les autres de huit, et les autres de neuf ans, et préparer pour l’année suivante un régent et deux répétiteurs pour récompenser la première classe de sept à huit ans, et ainsi de suite.

§ 43

Je demanderais que deux ou trois religieux de quarante ans, gens d’un esprit supérieur, fussent chargés de travailler à ces canevas d’exercices, et qu’ils fussent destinés à être l’un principal, l’autre préfet du collège, et qu’ils eussent entre eux une conférence une fois la semaine pour perfectionner le travail l’un de l’autre qu’ils se communiqueraient, et sur les observations de ceux qui auront examiné le travail des autres, et que le conseil de la congrégation pour le nouveau collège décidât sur les opinions différentes.

§ 44

Je demanderais qu’ils travaillassent aussi aux petits ouvrages nécessaires pour les exercices de chaque classe, à former les scènes vertueuses qui sont très propres à inspirer, par la déclamation, des sentiments vertueux ; par exemple, à rassembler les endroits des bons auteurs qu’il faut faire répéter aux écoliers pour exercer leur mémoire, et toujours dans le but, 1°. de diminuer leurs défauts, 2°. dans la vue d’augmenter leurs vertus, 3°. dans la vue de fortifier leurs motifs par la crainte de l’enfer et par l’espérance du paradis, et même par la considération des malheurs qu’attirent les vices et par les récompenses des bonnes œuvres qu’attirent les actions vertueuses dès cette première vie.

§ 45

Neuf classes de vingt feraient cent quatre-vingts pensionnaires. Ainsi, il faudrait neuf professeurs, dix-huit répétiteurs, trois suppléeurs, le préfet et le principal, c’est trente-deux religieux. Il faudrait outre cela deux maîtres pour enseigner à bien écrire, et quelque chose de la musique et des instruments de musique.

§ 46

De sorte qu’un excellent collège de cent quatre-vingts excellents écoliers coûterait à la congrégation la subsistance de plus de quarante personnes, sans les dépenses de l’imprimerie, de la sacristie, des cartes de géographie, des machines de la physique expérimentale. Ainsi il faudrait qu’elle se déterminât à destiner les revenus de deux ou trois de ses abbayes pour former le collège qui doit servir de modèle.

§ 47

Mais quelle différence d’écoliers de seize à dix-sept ans de ce collège à d’autres écoliers élevés dans les autres collèges ! Or voyons-nous en Europe des revenus ecclésiastiques ou autres revenus publics qui puissent jamais être plus utilement employés qu’à établir de pareils collèges et à former de pareils écoliers ?

§ 48

S’il est vrai que l’essentiel de la religion soit la pratique des œuvres de la charité bienfaisante, combien s’en éloignent ceux qui préfèrent le chant des psaumes et les austérités inutiles au prochain, aux travaux et aux peines d’une éducation chrétienne pour former d’excellents écoliers dans sa patrie.


1.Jean Tarrisse, devenu en religion Grégoire Tarrisse (1575-1648), élu Supérieur Général de la congrégation en 1630, s’employa à développer la grande érudition qui fit la réputation des mauristes. Voir François Rousseau, Dom Grégoire Tarrisse, premier supérieur général de la Congrégation de Saint-Maur (1575-1648), Paris, Lethielleux, 1924.
2.Matthieu, VII, 12.
3.Sphère armillaire : « instrument composé de six grands cercles, et de quatre petits, qui sert à montrer la composition et le mouvement des cieux, dans lesquels on s’imagine un pareil nombre de cercles qui nous expliquent tous les phénomènes ou apparences célestes. Ainsi on dit, il sait bien la Sphère, il enseigne la Sphère » (Furetière, 1690).
4.Au XVIIIe siècle, on distinguait la théologie naturelle fondant l’existence de Dieu sur l’expérience du monde, de la théologie surnaturelle fondée sur la Révélation. La théologie naturelle ou physico-théologie qui alimente les preuves cosmologiques de l’existence de Dieu a été théorisée en Angleterre par William Derham (Physico-Theology, Londres, W. Innys, 1713) et Samuel Clarke (De l’existence et des attributs de Dieu, M. Ricotier [trad.], Amsterdam, J.-F. Bernard, 1717), vulgarisée en France par l’abbé Pluche : les quatre premiers tomes de son Spectacle de la nature étaient parus entre 1732 et 1739 (Paris, veuve Estienne).
5.Canevas : « Premier projet de quelque ouvrage d’esprit » (Académie, 1694).
6.Quartier : « La quatrième partie d’une chose » (Académie, 1694).
7.Suppléeurs : néologisme, comme les affectionne l’auteur, désignant les religieux remplaçants mentionnés au paragraphe précédent.