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Projet pour perfectionner nos lois sur le duel [•]1

Avertissement [•]2

§ 1

 [•]Je donnai en 1715 un mémoire sur les moyens d’extirper en France la malheureuse coutume des duels. On m’a dit qu’il avait été imprimé en anglais et en italien. Le feu roi, entre les mains de qui il était parvenu par hasard, quinze jours avant qu’il tombât malade de la maladie dont il mourut en septembre 1715, l’avait lu et y avait apparemment remarqué des réflexions solides et importantes puisque après sa mort le Régent en trouva un exemplaire dans une cassette où étaient ses montres, quelques bijoux, et plusieurs papiers de conséquence.

§ 2

Je sens le ridicule que l’on peut me donner sur ce que je rapporte un fait si honorable pour cet ouvrage ; mais pourvu que le lecteur en ait plus d’attention à le lire, et le Conseil plus de soin à le faire examiner, je consens à demeurer chargé de ce ridicule. Je ferai toujours sans peine de pareils sacrifices à l’utilité publique.

§ 3

Ce qui est de constant, c’est que rien n’est plus à la louange de ce grand prince, qui avait eu pendant tout son règne une si grande application à tout ce qui pouvait diminuer et anéantir les duels dans son royaume, de vouloir bien lire sur ce sujet les pensées d’un simple particulier pour en faire profiter le public.

 [•]La maladie est encore très pernicieuse, mais plus cachée

§ 4

Le duel est une maladie [•] populaire qui n’est connue qu’en Europe, et le feu roi Louis XIV, par ses édits, a tâché de l’extirper. Mais nous voyons avec douleur que malgré les lois de l’Église et de l’État, elle subsiste toujours. Elle est à la vérité plus cachée, mais elle n’en est guère moins fréquente, et guère moins meurtrière. Il semble même qu’elle n’attend qu’un règne faible pour se fortifier et pour recommencer à moissonner tout publiquement la fleur de notre plus précieuse noblesse qui, par sa naissance, devrait être un jour le plus grand ornement et le plus solide soutien de l’État.

§ 5

Cette maladie fait d’autant plus de ravage que le roi en est beaucoup moins informé que les [•] parlements, et que les parlements ne sont pas informés de la millième partie des duels qui se font, tant dans les armées et sur les frontières que dans le cœur du royaume.

§ 6

Il semble que ceux qui ont connaissance de ces combats se soient comme donné le mot de les cacher aux commandants ; et que les commandants aient résolu, non seulement de n’éclaircir aucun soupçon, mais encore de faire semblant d’ignorer ce qu’ils savent, de n’en rien dire au général, et de n’en jamais informer la Cour.

§ 7

Or ce silence opiniâtre et affecté ne peut venir que de ce qu’ils sont dans l’opinion que les duellistes sont beaucoup plus à plaindre qu’ils ne sont coupables. Cependant [•] il est certain que ces meurtres se perpétueront tant qu’ils demeureront impunis ; et ils demeureront impunis tant qu’on les cachera avec un pareil secret.

§ 8

Il faut donc [•] une bonne fois constater si ces combats, dans les circonstances présentes, sont des crimes punissables de mort ; ou bien si en pareilles circonstances ils ne sont punissables que de marques déshonorantes, comme d’être cassé, d’être mis en curatelle et en prison parmi les fous, perdre ses charges et ses dignités, et autres punitions. Car alors on les accusera tous et on les punira tous sévèrement.

§ 9

Il faut bien que les remèdes, ou plutôt les préservatifs, tels qu’est la crainte de la mort, ne soient pas suffisants, puisque la maladie subsiste. Il faut bien même qu’il ne soit pas aisé de trouver des remèdes efficaces, ou du moins de les faire approuver [•], tant par le Conseil que par le public : puisque tant de gens éclairés et zélés pour le bien de l’État, ou ne les ont point trouvés, ou n’ont point trouvé les moyens de les faire approuver [•].

 [•]La maladie est considérable

§ 10

C’est une maladie considérable qui emporte [•] en dix ans plus de deux mille officiers ou gentilshommes, soit dans les armées, soit sur les frontières, soit dans les provinces [•] : perte très considérable pour l’État. D’ailleurs on sait qu’outre ceux qui meurent de leurs blessures, il y en a presque autant qui, par crainte des procédures de la justice, se retirent chez nos ennemis. Or c’est une double perte qu’une pareille désertion.

§ 11

Outre la perte réelle de l’État, on doit encore peser tous les maux que cette manie cause aux familles particulières, les inquiétudes et les peines où sont les femmes, les pères et les mères des officiers, des gentilshommes et des jeunes gens de qualité : non seulement quand il est arrivé une affaire à leurs enfants, mais par la seule considération qu’il leur en peut arriver tous les jours de pareilles, aussi dangereuses que dans une bataille et dans un assaut [•].

§ 12

Or s’il est de la bonne politique d’épargner de très grandes pertes à l’État, il n’est pas moins de la bonne police de mettre tout en œuvre pour épargner des afflictions très sensibles, des inquiétudes cruelles à un aussi grand nombre de citoyens considérables. Le mal n’est donc que trop considérable, mais heureusement il n’est pas incurable.

La maladie n’est pas incurable [•]

§ 13

Ce qui me persuade que cette espèce de maladie politique peut cesser, c’est qu’elle n’a point été connue, ni chez les Perses, ni chez les Romains3, dans les temps mêmes qu’ils étaient les plus occupés de la guerre, et que, par leurs victoires et par leur valeur, ils étaient devenus les maîtres du monde, dans le temps qu’il naissait tous les jours cinq cents querelles dans les armées, parmi des officiers qui se piquaient de bravoure, et qui craignaient autant que les nôtres la réputation de poltron.

§ 14

Quelques personnes croient que cette sorte de maladie d’État est née parmi nous, au milieu des siècles ignorants, dans lesquels la superstition avait introduit la coutume ridicule de consulter Dieu par le sort et par différentes épreuves. Le sort des combats singuliers fut pris par les officiers goths en Languedoc pour une de ces manières d’interroger la vérité éternelle4.

§ 15

Il est vrai que l’on commença à voir les duels condamnés vers le milieu du neuvième siècle, dans le concile de Valence, sous Charles le Chauve5. Mais quoi qu’il en soit de l’origine de cette coutume brutale et insensée, il semble qu’elle n’a été connue que dans le christianisme.

§ 16

Il est évident que si elle avait fait chez les païens les mêmes ravages que chez nous, leurs historiens et leurs lois en auraient fait souvent mention. Or il demeure constant parmi les savants que l’on n’en trouve pas la moindre trace dans leurs histoires, ou dans les différents recueils de leurs lois.

§ 17

Il n’est pas moins constant qu’étant hommes comme nous, et qu’ayant les mêmes sujets de se quereller que nous, ils avaient de semblables querelles, mais qu’ils avaient une manière différente de les terminer. C’était le magistrat militaire dans les armées, et le magistrat civil dans les villes.

§ 18

 [•]Nul officier n’est déshonoré chez les Turcs, chez les Persans, chez les Chinois, ni chez les autres nations d’Orient, ni pour se plaindre d’une insulte au commandant, ni pour refuser un appel6. On ne l’en estime pas moins brave ; il en est au contraire estimé plus sage, et plus obéissant à la discipline militaire.

§ 19

Ce n’est donc pas une maladie qui soit absolument inséparable, ni de la nature humaine, ni même de la profession militaire. Elle ne vient que d’une opinion qui s’est établie parmi nous dans les siècles barbares, et qui ne s’était pas établie parmi les Orientaux. Mais quand les opinions ne sont pas fondées sur la nature, quand elles ne sont pas communes à tous les hommes, quand elles sont fausses et opposées au bon sens, quand elles sont très préjudiciables à la nation, elles peuvent changer, et elles changent effectivement, et même d’une manière très sensible en peu de temps ; surtout quand les bons esprits, de concert avec le gouvernement, travaillent à les faire changer. Ainsi cette maladie, qui n’a sa cause que dans une opinion fausse et opposée au bon sens, n’est pas absolument incurable.

§ 20

Il n’est donc question que de trouver les moyens les plus convenables de faire peu à peu évanouir cette opinion ; et comme elle est en partie fausse, il n’est pas impossible de démêler tellement le vrai du faux que le faux qui en fait tout le venin, étant exposé à découvert aux yeux de tout le monde, ne soit plus à la fin nuisible à personne.

 [•]Le vrai et le faux de l’opinion fondamentale du duel

§ 21

 [•]Il est faux que le sort d’un duel déclare toujours de quel côté est la justice, et que l’injuste soit toujours vaincu.

§ 22

 [•]Les princes ont donc eu raison de cesser de permettre le duel pour connaître la justice et la vérité ; de même qu’ils ont eu raison de défendre les épreuves de l’eau et du feu dont usaient aussi les Goths dans les premiers siècles du christianisme en France7. Et si leur duel nous est resté, c’est qu’il s’y était mêlé la vaine gloire de montrer mal à propos son adresse et sa valeur, et la crainte d’être cru poltron si l’on ne voulait pas se rendre justice à soi-même, ou si l’on refusait de se battre avec le plaignant.

§ 23

La bravoure est une qualité essentielle à l’homme de guerre, au gentilhomme : voilà ce qui est vrai parmi toutes les nations. L’homme de guerre offensé ne saurait être brave s’il n’appelle l’offenseur en duel, et l’offenseur appelé ne saurait être brave s’il n’accepte le duel. Voilà ce qui est faux.

§ 24

Les Perses, les Grecs, les Romains étaient braves, ce sont encore nos modèles de bravoure. Il y avait chez eux de braves offensés. Les offenses sont de tous les siècles et de tous les peuples ; cependant aucun offensé n’appelait l’offenseur en duel [•].

§ 25

Je sais bien que parmi ceux qui jugent comme le peuple, l’homme d’épée insulté, s’il ne fait point d’appel, doit passer pour poltron ; mais c’est [•] cette opinion que les personnes sensées trouvent très fausse et très déraisonnable.

§ 26

 [•]Elle est très fausse, et pour s’en convaincre, il n’y a qu’à définir le mot poltron. Celui-là est poltron qui ne veut pas risquer sa vie en se battant contre l’ennemi de l’État pour la défense de sa patrie.

§ 27

 [•]Or dans la réparation d’une injure, d’un discours insultant, d’un soufflet, d’un coup de canne, il ne s’agit point de combattre contre l’ennemi de la patrie ; il ne peut donc y avoir de poltronnerie ; il n’y a donc point de déshonneur, ni à se plaindre au commandant, ni à refuser l’appel.

§ 28

 [•]La poltronnerie n’est pas un vice dans les femmes, dans les enfants, dans les prêtres, dans les magistrats, qui ne sont point destinés à servir la patrie à l’armée.

§ 29

 [•]Tel officier n’est pas poltron, qui pour une petite somme, comme certains soldats, ni même pour une grande, ne veut pas risquer sa vie.

§ 30

 [•]Tel officier n’est pas poltron, pour ne pas appeler en duel celui contre qui il a un procès, où il s’agit de la valeur de mille pistoles ; et s’il l’appelait, tout le monde se moquerait de lui et de son appel, sans que l’appelé, refusant l’appel, passât pour poltron : et cela par la raison que quand il tuerait sa partie, il ne gagnerait pas pour cela son procès ; et parce que le danger où il se serait mis d’être tué lui-même ne rendrait pas son procès meilleur.

§ 31

 [•]Elle est très déraisonnable, puisqu’elle est contraire au bonheur de la société, qui a pour première règle : que nul ne se doit faire justice soi-même, et que nul n’est juge dans sa propre cause, et qu’il ne faut point tuer celui qui est un défenseur de la patrie.

§ 32

Car dans le fond l’offensé qui ne fait point d’appel ne doit pas plus passer pour poltron que l’officier qui ne fait point d’appel à son camarade avec lequel il a un procès ; et il ne doit pas plus passer pour poltron que le plus brave officier romain insulté qui ne faisait point d’appel.

§ 33

Les jugements vulgaires ont beau être fondés sur [•] quelques opinions anciennes, si ces opinions sont déraisonnables, et convenables seulement à des sauvages [•], qui n’ont nulles lois, nuls magistrats, nuls commandants qui soient chargés de faire observer les lois et de faire réparer les torts, il faut en revenir au bon sens et à la raison.

 [•]Les Romains n’étaient pas assez insensés pour attacher du déshonneur à ne pas faire un appel, et du déshonneur à le refuser

§ 34

 [•]Les hommes semblent être tacitement convenus d’honorer et de louer quiconque leur apporterait de l’utilité. Ils ont appelé vertueux, honnête, celui qui rendait service aux autres à ses dépens, et qui, négligeant ses propres intérêts, avait un grand soin de ceux du public.

§ 35

Ils se sont de même accordés à ne pas blâmer celui, qui sans faire tort à personne, avait uniquement soin de ses intérêts et de ceux de sa famille ; mais aussi ils ne l’ont pas trouvé digne de grandes louanges, ils n’ont pas jugé qu’il méritât d’être traité avec des égards distingués. C’est qu’il n’y a nulle distinction due à ceux qui ne travaillent que pour leur propre utilité et pour leur propre satisfaction. Ne songer qu’à ses intérêts, c’est le train commun des hommes et la distinction des louanges et des égards ne convient pas à celui qui n’a rien dans sa conduite que l’on ne trouve dans la conduite de tous les autres.

§ 36

Les hommes ont toujours honoré la vertu et admiré les grands talents ; et les plus sages n’ont honoré la vertu et les talents qu’à proportion des avantages qu’en retirait la patrie. Ils n’ont appelé [•] hommes illustres que ceux qui ont fait des choses très difficiles en elles-mêmes, et très utiles pour le bien public. La difficulté est une qualité essentielle à ce que nous appelons grand ; mais une qualité qui lui est encore plus essentielle, c’est l’utilité publique [•].

§ 37

Sur ce pied-là il n’est pas étonnant que dans chaque société, et surtout parmi les Romains, on y ait si fort élevé la valeur contre les ennemis de l’État au-dessus des autres vertus. C’est que par la valeur des soldats et des officiers, la société, la patrie est à couvert des attaques de ses ennemis. C’est par la bravoure des gens de guerre, c’est par leur valeur que chaque citoyen conserve ses biens, sa famille, sa liberté, sa vie. Or, que l’on nous montre une vertu qui, d’un côté, soit plus difficile à pratiquer, vu la répugnance et l’horreur naturelle que l’on a pour la mort et par conséquent pour les grands périls ; et, de l’autre, que l’on nous en montre une qui soit plus avantageuse à la société, au public, à la patrie.

§ 38

Mais si cette même bravoure se tournait contre les intérêts de la patrie même, loin qu’elle fût alors une grande vertu, loin qu’elle fût louable, ne serait-elle pas au contraire odieuse, très criminelle et très blâmable ? Loin qu’un pareil brave dût être honoré par ceux de sa nation, n’en devrait-il pas au contraire être détesté et n’en serait-il pas effectivement abhorré ? À moins que cette nation ne fût presque toute composée de fous et de gens qui auraient la sottise de louer celui qui pour sa querelle particulière tuerait un de leurs défenseurs, comme s’il tuait pour la querelle publique un de leurs ennemis.

§ 39

Or ne serait-ce pas là le dernier degré de la sottise et de l’extravagance de cette nation ? Cependant, le dirai-je à la honte de notre siècle, à la honte de notre police, cette nation [•] si extravagante, c’est encore jusqu’aujourd’hui la nation française ; ce sont tous ceux qui parmi nous disent encore : Celui-là doit passer pour poltron, qui, insulté, ne fait pas un appel en duel, ou qui, appelé, n’accepte pas le duel.

§ 40

Il n’est pas difficile de voir, par opposition à ce qui est honorable et digne de louanges, ce qui est honteux et infâme ; et de distinguer ainsi ce qui mérite de l’honneur de ce qui est digne de blâme et de déshonneur. Il n’est pas difficile de comprendre que plus la conduite de quelqu’un est nuisible et pernicieuse à sa patrie, à ses citoyens, à ses propres parents, à sa femme, et à ses enfants, à ses amis, plus elle est honteuse et infâme.

§ 41

Telles sont les règles naturelles de l’honneur et du déshonneur que l’on doit attacher aux actions humaines, ce sont les règles que les [•] Grecs et les Romains ont constamment suivies. Ainsi il n’est pas étonnant qu’ils n’aient pas attaché d’honneur, et qu’ils aient même, sans y penser, attaché du déshonneur, à un combat de citoyen contre citoyen, où les combattants, au mépris des lois des magistrats et des commandants, veulent se faire justice eux-mêmes aux dépens de la vie [•] des défenseurs de la patrie.

§ 42

Ils n’étaient pas assez insensés pour laisser sans note de déshonneur, sans note d’infamie et de brutalité, des combats volontaires et de sang-froid, qui eussent diminué tous les jours le nombre de leurs plus braves défenseurs. Il eût fallu que pour faire une pareille faute, ils eussent été entièrement dépourvus de bon sens : eux qui de ce côté-là sont encore aujourd’hui nos modèles [•] dans leurs lois.

§ 43

Parmi le nombre prodigieux de querelles qui arrivaient tous les jours entre les officiers romains d’une même armée, il est difficile qu’il ne soit jamais venu à l’esprit d’un offensé en fureur d’appeler l’offenseur en duel. Mais il n’est point étonnant que ces sortes d’appels fussent méprisés par les offenseurs qui n’étaient pas en pareille fureur et qu’ils fussent tournés en ridicule par ceux qui en étaient témoins.

§ 44

Et après tout, un pareil défi ne prouvait point du tout la bravoure de l’offensé, il en prouvait seulement la fureur et la folie. Le refus du défi ne prouvait pas davantage le manque de bravoure de l’offenseur, il prouvait seulement qu’il manquait de fureur, qu’il n’était pas fou, et qu’il ne voulait pas, au mépris des lois, employer contre les intérêts de l’État une qualité qui ne peut jamais être mise en œuvre sans crime [•], sans déshonneur, sans infamie contre un défenseur de la patrie.

§ 45

En effet le combat étant proposé et accepté, le succès ne prouve point du tout l’égalité de bravoure dans les combattants : c’est qu’il peut y avoir une très grande inégalité de péril. Et qui ne sait que celui qui a le double d’adresse, de force, de légèreté, d’expérience de pareils combats, et qui a de meilleurs yeux, peut être un poltron, un fanfaron, qui fuirait devant les ennemis, là où l’autre tiendrait ferme en combattant pour la patrie ?

§ 46

 [•]L’officier romain offensé ne voyait pas plus de déshonneur à se plaindre dans l’armée au commandant qu’à se plaindre à Rome de l’officier offenseur devant le magistrat pour obtenir réparation de l’offense.

§ 47

Il est facile de voir que si [•] César et Caton (ces Romains sages, vaillants et vertueux, comme ils étaient) revenaient parmi nous, ils seraient bien étonnés de l’extravagance de nos opinions sur le déshonneur.

§ 48

Ils auraient été encore bien plus surpris de l’impertinence de nos seconds d’il y a soixante-dix ans qui, sans avoir de querelles, se battaient de sang-froid et se tuaient très sérieusement pour la vanité de prouver leur bravoure à contretemps ou de peur de la honte d’être regardés comme poltrons s’ils ne se battaient pas sans sujet.

§ 49

Mais, Dieu merci, nous sommes déjà guéris en France, depuis ce temps-là, de cette espèce de frénésie ; l’excès du ridicule s’en est enfin fait sentir à tout le monde. Il est vrai que le combat entre milord Hamilton et milord Mohun, et entre leurs seconds, nous prouve qu’en Angleterre la frénésie des seconds subsiste encore8. Mais enfin la France en est déjà [•] heureusement guérie ; elle doit cette guérison à Louis XIV. Et j’espère qu’elle devra à Louis XV la guérison entière des duels.

§ 50

Toute bravoure n’est pas vertu. L’officier qui abandonnerait l’armée pour voler dans les bois aurait beau faire, en volant, des actions de bravoure extraordinaires contre les archers : cette bravoure serait-elle vertueuse, serait-elle louable ? Il serait ridicule de s’amuser à prouver qu’il n’y aurait rien d’estimable dans cette valeur et qu’elle ne mériterait que la roue.

§ 51

La valeur n’est donc estimable que par rapport à l’usage que l’on en fait. Elle est très estimable, très louable, elle est vertu dans l’officier, lorsqu’il l’emploie, par les ordres de ses supérieurs, à détruire les ennemis de son prince et de sa patrie. Mais elle est au contraire très blâmable, très honteuse, très digne d’horreur, et un grand crime dans le même officier, lorsqu’il l’emploie, pour sa propre querelle, à ôter la vie aux citoyens et aux défenseurs même de la patrie. Et voilà pourquoi les Romains avaient raison d’attacher de la honte, du déshonneur, de l’horreur même, aux combats singuliers de citoyen contre citoyen ; et voilà apparemment pourquoi ces combats ont été inconnus parmi eux, et pourquoi ils devraient enfin cesser parmi nous.

OBJECTION I

§ 52

En ôtant le duel parmi les officiers et les soldats, vous en ôterez la valeur.

Réponse

§ 53

1o Si cette objection était solide, le [•] feu roi aurait fait une grande faute contre l’intérêt de l’État, et contre ses propres intérêts, de travailler à abolir les duels : puisque ce serait ôter la valeur du milieu de la nation [•].

§ 54

2o Ce qui doit nous rassurer, et ce qui prouve décisivement que cette objection n’a rien de solide, c’est que ni les Perses, ni les Grecs, ni les Romains, ni les Turcs, ces peuples si belliqueux, n’ont point eu besoin du secours des duels pour exciter, pour entretenir, ou pour fortifier cette valeur avec laquelle ils se sont rendus les maîtres [•] des plus grands empires.

 [•]Il faut commencer par détruire l’opinion insensée du vulgaire sur le déshonneur de ne point faire d’appel et de refuser un appel

§ 55

Le commerçant, l’homme de lettres, l’homme de robe insulté peut pardonner l’insulte, soit par principe de religion, soit à la prière de ses parents, de ses amis, ou de quelque personne de très grande considération, sans se déshonorer, et même en acquérant la réputation d’homme vertueux.

§ 56

Il peut aussi s’en plaindre au juge, sans que cette conduite fasse le moindre tort à sa réputation. Les lois le protègent, et il n’est ni honteux ni déshonorant de recourir à la protection des lois.

§ 57

 [•]L’officier de guerre chez les Romains pouvait, dans Rome, obtenir du magistrat réparation de l’insulte qu’il avait reçue d’un autre officier ; il pouvait de même, à l’armée, porter sa plainte au tribun militaire, ou au général : et dans cette poursuite, il ne faisait pas plus de tort à sa réputation que dans la poursuite d’un procès d’intérêt contre le même homme devant le magistrat. Et les plus honnêtes gens se faisaient souvent beaucoup d’honneur dans le monde, ou de mépriser par grandeur d’âme, ou de pardonner par esprit de douceur de pareilles offenses.

§ 58

 [•]L’officier insulté en France est quant à présent dans une situation bien malheureuse, il se trouve entre deux abîmes : s’il évite l’un, il tombe nécessairement dans l’autre ; s’il méprise l’injure, s’il la pardonne, s’il s’en plaint au magistrat [•] ou civil ou militaire, enfin s’il ne se bat point, il est déshonoré du côté de la valeur ; s’il se bat, il perd souvent la vie dans le combat, ou il la perd toujours sur un échafaud, ou bien pour éviter l’échafaud, il s’exile pour toujours du royaume, et perd ainsi ses biens, ses emplois et sa patrie [•] si les lois sont observées.

§ 59

D’un autre côté, si les lois ne sont point observées, elles deviennent inutiles. Aussi voyons-nous avec douleur que ces édits, au lieu d’abolir les combats, n’ont guère produit autre chose que d’obliger les duellistes à les cacher. On ne se bat guère moins qu’autrefois [•], mais on ne s’en vante plus publiquement ; on prend grand soin d’en faire rien paraître en public ; on ne s’en vante plus qu’avec des camarades qui se croient obligés au secret ; mais l’État n’en perd pas moins de bons sujets. Enfin il demeure constant que dans la situation où sont les choses, l’homme d’épée étant dans un danger perpétuel d’être offensé, il est dans un danger perpétuel de perdre ou l’honneur ou la vie.

§ 60

J’en dis autant de l’homme d’épée offenseur. Le plus honnête homme du monde peut par mégarde, ou en badinant, offenser un brutal qui se tient offensé d’une badinerie et qui le fait appeler en duel : s’il refuse l’appel, quand même il déclarerait selon la vérité qu’il était fort éloigné de vouloir l’offenser, il est déshonoré dans l’esprit de ses camarades qui, en suivant la coutume et l’opinion du vulgaire, attachent sottement du déshonneur à ce refus.

§ 61

Ainsi on peut dire avec raison que tout homme d’épée qui offense, ou qui est offensé, est un homme perdu. Or combien de fois par mois, surtout à l’armée, court-il risque ou d’offenser ou d’être offensé ? Voilà une preuve complète que de ce côté-là [•] les opinions des femmes et des autres ignorants sur le déshonneur sont bien insensées.

§ 62

Que l’on fasse réflexion à la triste situation d’un officier offensé, brave comme César : d’un côté une loi d’honneur, ou plutôt une loi de déshonneur, loi non écrite, mais connue de tout le monde, soutenue de l’exemple de la coutume, de l’opinion du vulgaire ignorant dont il est environné, lui commande impérieusement de se battre, sur peine d’être déshonoré dans le monde, d’être regardé comme un poltron parmi ses camarades ; de l’autre la loi du prince lui défend de se battre, sur peine de la mort. Le voilà donc dans la triste nécessité de perdre ou l’honneur ou la vie.

§ 63

Or l’homme d’honneur peut-il balancer à préférer la mort à une vie déshonorée ? Le prince lui-même et l’intérêt de la patrie ne demandent-ils pas qu’un officier craigne moins la mort que le déshonneur ? Et cette maxime n’est-elle pas le fondement de la fermeté de l’officier dans les occasions les plus périlleuses ?

§ 64

D’un côté, comment ne pas blâmer le citoyen qui viole une loi faite pour la conservation des citoyens ? Mais de l’autre, comment blâmer l’officier qui ne la viole que pour éviter le déshonneur ?

§ 65

 [•]On voit combien les officiers seront à plaindre, tandis que le roi ne donnera pas ses soins à faire changer la loi présente, ou plutôt l’opinion du sot vulgaire sur le déshonneur. Elle est réellement très impertinente, mais tout impertinente qu’elle est, elle subsiste et subsistera, jusqu’à ce que l’on ait trouvé le moyen de remettre peu à peu le vulgaire français dans l’état de bon sens naturel [•] où étaient les Grecs et les Romains sur le vrai et le faux déshonneur.

§ 66

Cette impertinente loi, cette opinion insensée sur le déshonneur, est encore aujourd’hui tellement autorisée dans nos troupes qu’un officier qui a reçu une insulte, s’il ne fait un appel à l’offenseur, se trouve forcé par les autres officiers, et quelquefois par le commandant même, à quitter le régiment [•] s’il ne se bat. Tout le monde en sait divers exemples dans les corps mêmes qui gardent le roi ; voici leur faux raisonnement.

§ 67

Il ne se bat point, donc c’est un poltron : c’est un poltron, donc il faut le chasser [•].

§ 68

Est-il possible, me dira-t-on, que le roi soit, pour ainsi dire, tous les jours environné de duels, sans en être informé d’aucun ? Est-il possible qu’il y ait dans ses troupes une loi qui chasse honteusement l’officier, le soldat insulté qui ne se bat pas en duel ? Est-il possible, est-il vrai que cette loi non écrite soit cependant publique, connue de tout le monde, publiquement autorisée, publiquement exécutée, sans que le roi [•] en sache rien ?

§ 69

Cela n’est pourtant que trop vrai. Il n’est que trop vrai que ses ordonnances sur les duels, tant vantées par nos orateurs, tant chantées par nos poètes9, sont regardées comme des épouvantails presque inutiles ; tandis que la loi [•] de l’opinion sur le déshonneur, loi très insensée, est cependant très religieusement observée : et ce qui est de plus fâcheux, c’est que cela sera toujours ainsi, tant que le roi ne commencera pas par détruire cette opinion extravagante.

 [•]Vue générale sur les préservatifs

§ 70

Il n’est pas nécessaire de chercher d’autres preuves que celles que j’ai apportées pour montrer aux gens de bon esprit qu’il est faux que l’officier offensé doive être déshonoré, s’il pardonne l’offense, ou s’il s’en plaint au magistrat militaire [•]. Il ne serait pas même difficile de montrer que celui qui a fait un appel doit être au contraire déshonoré dans l’esprit des plus sages, comme un homme qui a fait une action très blâmable, à en juger par les lois fondamentales de la société, qui sont elles-mêmes les règles fondamentales de la morale. Cette vérité n’est pas difficile à persuader à ceux qui ont l’esprit droit.

§ 71

Le difficile, c’est de persuader cette même vérité au vulgaire prévenu, au vulgaire qui n’a point le sens de la vérité, qui n’a point le discernement nécessaire pour distinguer ce qui est blâmable de ce qui ne l’est pas, ni ce qui est très blâmable de ce qui l’est moins ; et qui ne juge du bien et du mal, de la gloire et de l’infamie, que par des préjugés anciens, par des exemples, et par coutume. Il ne faut pas se tromper par le mot de vulgaire. J’entends ici tous ceux, et même tous les honnêtes gens, qui pensent vulgairement, de quelque condition, de quelque naissance qu’ils soient ; le nombre en est plus grand qu’on ne croit.

§ 72

Mais qu’importe, me dira-t-on, de ce que pense le vulgaire sur ce sujet ? Qu’importe qu’il croie déshonoré du côté de la valeur l’officier qui pardonne l’offense, ou qui s’en plaint au juge préposé par l’État ? Est-ce au vulgaire, qui n’approfondit rien, à faire la loi du déshonneur ? Le vulgaire doit-il être écouté, doit-il être consulté dans une affaire aussi sérieuse ?

§ 73

Je ne dis pas que ce soit au vulgaire à faire une loi aussi importante ; mais enfin il l’a faite, cette loi. Je ne dis pas qu’il doive être écouté, mais il l’est : et son jugement, tout méprisable qu’il est en lui-même, est compté pour beaucoup : c’est que la plupart des jeunes gens, le gros des officiers et des gentilshommes, est vulgaire lui-même. Ainsi il n’est pas étonnant que tous les jeunes gens qui cherchent avec empressement l’approbation de ceux dont ils sont environnés, reçoivent la loi du déshonneur des mains de ce vulgaire. Et comment voudriez-vous qu’un jeune officier insulté, qui n’a encore ni principes pour juger de ce qui est blâmable et de ce qui est louable, ni fermeté pour se tenir à des principes, n’écoutât pas et ne suivît pas l’opinion de tous ceux dont il est environné ?

§ 74

Il est donc de la dernière importance dans cette affaire d’aller jusqu’à la racine du mal, et par conséquent de désabuser peu à peu le vulgaire lui-même sur [•] le faux déshonneur, sur le faux brave ; et cela n’est pas si aisé qu’on pourrait se l’imaginer.

§ 75

 [•]Quand on n’a que des gens sensés à persuader, on est presque sûr du succès, pourvu que l’on ait de bonnes raisons à leur proposer : c’est-à-dire pourvu que l’on puisse leur montrer leur intérêt avec évidence, uni avec l’intérêt de la société ; mais il faut tenir une conduite toute différente avec la multitude, qui n’est qu’un assemblage de sots, qui n’ont pas le sens de connaître ni les intérêts de l’État, ni leurs intérêts particuliers.

§ 76

La raison par elle-même n’a nul crédit sur l’esprit des sots : leur ignorance, leur grossièreté, leur peu d’attention, leur défiance, leurs préjugés ridicules, et surtout leur manque de sens pour le vrai, pour le faux, pour le nuisible, pour le louable, pour le blâmable : tout cela fait que la raison par elle-même n’a nul empire sur eux, à moins qu’elle ne soit accompagnée des marques sensibles que l’on a coutume d’attacher aux actions [•] dignes de louanges, ou des marques sensibles que l’on a coutume d’attacher aux actions infâmes.

§ 77

Il faut donc que le législateur cherche dans les choses qui frappent les sens des marques déshonorantes et infamantes pour déshonorer celui qui par un appel, ou fait ou accepté, fera une action que la loi condamne comme infâme. Il faut mettre dans ces marques extérieures ce qui peut exciter le mépris et l’horreur du vulgaire même, et lui faire haïr comme infâmes ces fanfarons insensés, qui se piquent de bravoure contre le service du roi, contre leurs concitoyens, et par conséquent contre les intérêts de leur patrie.

§ 78

Il est de même à propos d’honorer par des marques extérieures de distinction les offensés qui auraient eu le courage, en méprisant l’opinion vulgaire, ou de pardonner en public, ou de se plaindre au magistrat militaire.

§ 79

Les remèdes les plus efficaces sont des remèdes proportionnés au malade et à la maladie. C’est cette proportion qui en fait l’efficacité. Il est triste pour un législateur d’avoir à inventer, à imaginer, à peser, à employer pour remèdes, pour préservatifs, des choses qui ne paraissent quelquefois que des minuties [•] au vulgaire. Mais s’il est vrai, d’un côté, que le vulgaire ne saurait être guéri sans ces minuties, qui sont en proportion avec son ignorance, et s’il est vrai, de l’autre, que sans ces minuties le vulgaire ne saurait être guéri sur le faux déshonneur qu’il attache à pardonner une injure ou à s’en plaindre, il est impossible de remédier efficacement à la maladie dont est question, il s’ensuit que ces minuties cessent en cette rencontre d’être minuties.

§ 80

Ainsi qu’on ne s’étonne point si au nombre des préservatifs les plus efficaces, on ose proposer de ces sortes de minuties ; et peut-être que plus on approfondira la matière, plus on les trouvera nécessaires, plus on voudra y en ajouter de nouvelles pour parvenir à guérir enfin notre nation, ou plutôt notre noblesse, d’une sotte [•] opinion, d’une manie qui la déshonorera sûrement dans la postérité du côté du bon sens, sans qu’elle en soit jamais plus estimée que les Romains du côté de la bravoure [•].

Nécessité de modifier la loi [•]

§ 81

 [•]L’impossibilité de ne pas contrevenir à la loi, et de l’autre la grandeur de la punition intéressent tous les honnêtes gens à cacher et à ôter les preuves d’un duel ; et les juges mêmes, par un sentiment d’humanité, ne demandent pas mieux que de ne point trouver de preuves suffisantes. Aussi arrive-t-il que condamnant eux-mêmes intérieurement la rigueur de la loi, ils ne punissent point du tout, de peur d’être forcés à punir trop rigoureusement trop de prétendus criminels. Or une loi que les juges craignent de faire observer ne devient-elle pas presque inutile ?

§ 82

 [•]Une loi qui condamnerait à mort quiconque tuerait une biche, un cygne, une perdrix passerait pour une loi trop rigoureuse. Cependant comme chacun peut facilement s’empêcher de tuer ces animaux, elle ne serait pas si rigoureuse qu’une loi qui défend, sur peine de la vie, de faire une chose que tout homme qui ne veut pas être déshonoré ne peut s’empêcher de faire. Un criminel qui a une excuse légitime doit-il être puni comme réellement criminel ?

§ 83

 [•]Si la même loi portait dans un article : Il est défendu à tout officier insulté de se battre en duel, sous peine de mort ; et dans un autre article : Il est ordonné à l’officier insulté de se battre, sous peine d’être déshonoré dans le monde, et d’être chassé de son régiment comme poltron. Si la même loi portait dans un article : Il est défendu à l’officier appelé de se battre sur peine de la vie ; et dans un autre article : Il est ordonné à l’officier appelé de se battre, sur peine d’être chassé de l’armée, et déshonoré comme poltron, une semblable loi pourrait-elle être regardée comme une loi sérieuse puisqu’elle se contredirait elle-même ?

§ 84

 [•]Or qu’importe que ce soit une même loi qui soit opposée à elle-même, ou que c’en soient deux opposées entre elles : il sera toujours certain qu’avant que l’officier soit punissable de mort, il faut faire casser la loi qui le condamne à être déshonoré ; loi qui, pour n’être pas écrite, n’en est pas moins rigoureusement exécutée. Or y a-t-il un homme tant soit peu équitable, qui ne voie que selon la vérité du fait, la chose est dans le fond telle que si la même loi portait la contradiction et l’extravagance dans ses propres termes ?

§ 85

C’est pour cela qu’en faveur de tant de braves et malheureux officiers [•] qui seront forcés à se battre, les bons citoyens, les personnes sages demandent avec instance au roi justice contre l’opposition de ces deux lois si rigoureuses. C’est pour cela qu’ils lui demandent, en faveur de leurs enfants, de leurs neveux, de leurs parents, de leurs compatriotes, que l’on commence par travailler à déraciner des esprits l’opinion insensée du vulgaire que c’est une poltronnerie à un officier de pardonner, ou de demander justice au juge militaire sur une offense, puisque c’est un point de discipline militaire.

§ 86

 [•]Quand le feu roi entreprit de détruire le duel, il y avait deux sources de cette coutume insensée. L’une de ces sources était la vanité et le désir d’acquérir la réputation de brave. On faisait un appel de gaieté de cœur sans avoir été offensé, et chacun se piquait d’être pris pour second, afin de pouvoir se vanter de s’être battu. Or le roi par sa constance à casser les officiers qu’il savait qui s’étaient battus, par sa fermeté à faire confisquer leurs biens, et à ne pardonner à aucun condamné, même après [•] vingt ans, est venu à bout de faire cesser cette espèce de vanité.

§ 87

 [•]Mais l’autre source vient de ce que l’offensé voit qu’attendu l’opinion du vulgaire, il ne peut pas s’empêcher de passer pour poltron, s’il ne fait pas un appel. Or il n’y a presque point d’officiers, quelque chrétiens qu’ils soient, quelque réputation de bravoure qu’ils aient acquise par leurs actions, qui puissent se résoudre à passer pour poltrons ; et qui, pour éviter une aussi grande brèche dans leur réputation, ne risquent leurs biens, leurs espérances, leur vie, et leur salut même. Or comme le feu roi n’avait pas encore travaillé à détruire cette fausse opinion du vulgaire, il ne faut pas être étonné si le mal dure encore, si les duels sont encore si fréquents [•] mais fort cachés, et s’il avait pris la résolution de faire examiner ce mémoire.

§ 88

 [•]Il me semble que jusqu’ici on n’a pas, dans cette affaire, assez rendu de justice à la force que l’opinion a et doit avoir sur la conduite des hommes. Mais j’espère que par la grande sagesse et par la grande application du [•] roi régnant nous trouverons les moyens de faire cesser le mal, en détruisant le préjugé faux et extravagant qui en est la source.

§ 89

 [•]Les coupables sont d’autant plus dignes d’indulgence que la fausse opinion sur le déshonneur et sur la poltronnerie a plus de force ; et qu’ils ne seront dignes des plus grandes punitions contre la désobéissance que lorsque la fausse opinion sur la poltronnerie sera anéantie.

§ 90

 [•]Or qui peut mieux savoir le degré de force de cette opinion que la noblesse elle-même, que les officiers eux-mêmes ? Et par conséquent qui peut mieux qu’eux trouver les moyens convenables de détruire cette opinion, qui peut plus justement qu’eux [•] commuer les peines, et décerner celles que mérite chaque crime de cette espèce ?

PREMIER MOYEN [•]
Établissement du conseil d’honneur

§ 91

 [•]On propose que le roi, en se servant du tribunal des maréchaux de France, et y ajoutant plusieurs officiers distingués tant par la valeur que par la pénétration et la justesse de leur esprit, deux lieutenants généraux, deux maréchaux de camp, deux chefs d’escadre, deux brigadiers, deux colonels, et deux capitaines de vaisseaux, se détermine à en former le Conseil d’honneur ; et que ceux qui le composeront soient chargés de proposer, d’examiner et de mettre en œuvre, par divers règlements, les moyens les plus propres pour détruire peu à peu la fausse opinion sur le déshonneur et sur la poltronnerie, qui [•] entretient parmi nous une maladie si pernicieuse à l’État.

§ 92

 [•]Il est nécessaire que le Conseil d’honneur soit nombreux, et que les membres ne durent que deux ans : parce que comme il s’agit ici de détruire une opinion parmi des hommes qui se piquent de bravoure, il est à propos que la saine opinion ait un très grand nombre de partisans distingués parmi leurs pareils, tant pour la valeur que pour l’esprit, et qui puissent rendre compte au public des raisons des différents règlements ; et le Conseil d’honneur subsisterait jusqu’à ce que tout duel fût regardé comme déshonorant, même par les officiers les plus jeunes, les plus braves, les plus turbulents et les moins sensés.

§ 93

Il faut que chaque officier soit accoutumé à penser sur cela comme un véritable Romain, qui croyait de son honneur d’être aussi soumis aux lois militaires qu’aux lois civiles [•]. Les officiers qui sont sortis du service avec grande réputation de valeur pourront encore être élus plusieurs fois : car il y en a de très estimés dans le monde ; et il faut toujours regarder cette affaire-ci comme une affaire d’opinion et où l’on a encore plus besoin de la force d’autorité que donne l’estime pour soumettre les ignorants que des meilleures raisons qu’ils ne sont pas toujours capables de goûter, ou dont ils ne sentent pas toujours la force.

§ 94

 [•]Il ne faut pas dire que les opinions des ignorants ne valent pas la peine que l’on s’applique sérieusement à les détruire. Car pour peu que l’on ait réfléchi, et que l’on connaisse l’usage du monde, et la manière dont se conduisent les hommes, on sera persuadé que ce sont les opinions des sots, des ignorants, des visionnaires, quand ils sont en très grand nombre, qui font agir la plupart des sages mêmes, qui sont toujours en très petit nombre.

§ 95

 [•]Il est à propos que le Conseil d’honneur juge, privativement aux parlements, toutes les affaires d’honneur sur les informations des prévôts des maréchaux ; et que par l’édit ce conseil ait l’autorité de diminuer et de modifier les punitions des coupables, ordonnées par les édits précédents. Voici mes raisons.

§ 96

 [•]1o Il convient mieux à ceux qui ont été consultés sur les moyens de détruire entièrement et radicalement la malheureuse et folle coutume des duels d’exécuter et de faire exécuter ce qu’ils ont trouvé de convenable pour en former des règlements, qu’il ne convient à des juges de robe, d’ailleurs habiles, mais qui ne sauraient pas si bien tous les motifs de ces règlements qui regardent l’anéantissement d’une opinion sur le déshonneur : ce qui est une affaire d’une espèce toute différente de celles qui se présentent aux parlements.

§ 97

 [•]2o Le Conseil ayant à juger tous les jours ces sortes d’affaires, et entretenant un commerce intime avec tous les autres officiers militaires, sera plus à portée de voir clairement ce qu’il faut ajouter, retrancher, ou modifier aux règlements, soit du côté de l’indulgence, soit du côté de la sévérité, soit du côté des moyens de connaître la vérité et de remédier au mal, que ne seraient des juges qui ne voient pas de si près ni les malades ni la maladie.

§ 98

 [•]3o Il s’agit de détruire une opinion qui est établie, depuis plusieurs siècles, parmi les gens de leur profession. Ainsi ils doivent mieux savoir que d’autres à quel point elle y est établie, et tout ce qui contribue le plus à l’y fortifier.

§ 99

 [•]4o Que peut-on imaginer de plus sage que de piquer d’honneur le corps entier de la noblesse militaire, pour l’obliger à trouver des punitions convenables, et des préservatifs proportionnés à une maladie qui n’attaque que la noblesse ? Que peut-on faire de plus honorable, et de plus intéressant pour un corps si illustre, que de s’en rapporter à lui seul des moyens propres pour anéantir peu à peu un préjugé extravagant, qui est l’unique source de cette étrange maladie.

§ 100

5o Ce sera une nouvelle manière d’intéresser de plus en plus les principaux officiers à trouver les moyens les plus propres pour extirper d’entre eux une [•] opinion très insensée et une coutume qui tient de l’impolice et de la brutalité.

§ 101

 [•]6o Il ne faut pas croire que les parlements aient la moindre peine à ne plus prendre connaissance des duels ; au contraire, ils en seront fort aises. Et effectivement, n’est-ce pas faire un très grand plaisir à un juge qui a tant soit peu d’humanité de le dispenser de rendre un jugement, quand d’un côté le coupable est fort à plaindre, et quand de l’autre la loi lui paraît trop rigoureuse ? Et n’est-il pas vrai que les parlements voudraient n’avoir jamais à condamner à la mort que des coupables très odieux et indignes de toute pitié ?

§ 102

 [•]Aussi tout le monde sait qu’en matière de duel, surtout entre personnes de considération, ceux qui font les informations ferment les yeux autant qu’ils peuvent aux preuves qui se présentent, loin de chercher sérieusement celles qui ne se présentent point. Un juge qui évite les preuves d’un duel fait-il une procédure sérieuse ?

§ 103

 [•]Or ne convient-il pas à des compagnies aussi respectables et aussi sérieuses d’être dispensées de pareilles procédures, qui ne font que décréditer leur autorité, en décréditant leur sévérité ? Une preuve sensible de la grande répugnance des parlements à faire mourir des officiers aussi estimables et aussi excusables, c’est qu’à ne compter que trois cents duels par an, et à ne point compter les seconds, c’est six cents duellistes, c’est trente mille criminels en cinquante ans. Cependant peut-on en citer [•] trente, de trente mille, qui aient perdu la vie sur l’échafaud, dans toute l’étendue du royaume depuis cinquante ans ?

§ 104

 [•]Je ne voudrais pas qu’il y eût d’appointements pour les membres de ce conseil ; l’État n’est déjà que trop chargé. Et l’honneur qu’ils recevront d’être choisis entre leurs pareils, comme des hommes distingués par leur valeur et par leurs lumières pour être les juges de la noblesse, ne doit-il pas être regardé comme une récompense suffisante de deux ans d’un pareil service ?

§ 105

 [•]Au reste il n’est pas à propos que l’édit qui formera le Conseil d’honneur révoque les peines portées par les édits précédents sur le duel ; mais ce conseil sera seulement autorisé à diminuer ces peines pendant un temps, selon les cas particuliers. Car après tout, la sévérité de ces édits, quelque mal observés qu’ils soient, ne laisse pas de contenir encore beaucoup de gens par la grandeur des peines dont ils sont menacés. Il est à propos de tirer tout le secours que l’on peut tirer du vieux bâtiment, tandis que l’on travaille à élever le nouveau.

OBJECTION II [•]

§ 106

L’opinion que tout offensé qui, au lieu de faire un appel, se plaint au tribunal militaire ; et que tout offenseur qui, au lieu de recevoir l’appel, se rapporte de la satisfaction aux juges de la discipline militaire, mérite d’être déshonoré, d’être chassé des troupes et d’être regardé de tout le monde comme un poltron, indigne de porter les armes pour la défense de la patrie, est une opinion si enracinée dans l’esprit des gens de guerre, et surtout des officiers et des gentilshommes français, qu’il est absolument impossible de la déraciner de leur esprit. Vous vous donnez bien de la peine en vain ; et le roi a beau se tourmenter, il ne saurait faire dans cette matière plus que le feu roi a fait ; il a diminué le nombre des duels, il les a rendus cachés, il a banni les seconds, et c’est tout ce qui s’y pouvait faire.

Réponse

§ 107

1o Le feu roi lui-même n’a pas cru qu’il fût impossible de faire quelque chose de plus qu’il n’avait fait pendant cinquante ou soixante ans puisqu’il a paru, peu de jours avant sa mort, qu’il voulait de nouveau examiner et faire examiner le mémoire imprimé qui visait à trouver des moyens de détruire peu à peu cette fausse opinion, source des duels. Pourquoi le roi régnant ne pourrait-il pas, avec sa grande sagesse, achever ce que le feu roi a si heureusement commencé ? Et pourquoi regarderions-nous comme absolument impossible ce qui a été cru très possible par un prince qui avait étudié si longtemps la matière ?

§ 108

2o Vous supposez ce qui est en question, qu’il est absolument impossible de déraciner des esprits cette opinion ridicule, mais vous ne démontrez pas cette impossibilité : et tant qu’elle ne sera point démontrée, n’est-il pas de la sagesse du gouvernement de tenter toute sorte de voies convenables pour en venir à bout ?

§ 109

3o Si cette opinion était fondée sur la vérité, si elle était avantageuse ou à quelques particuliers ou à la patrie, si elle était soutenue par quelques raisons, je conviens qu’établie comme elle est parmi nous et parmi nos voisins, il serait impossible de la détruire ; mais il est évident au contraire qu’elle est très pernicieuse, et aux particuliers, et à l’État, et entièrement opposée à la discipline militaire. Donc il n’est pas absolument impossible de la détruire, et d’établir l’opinion contraire : savoir, que c’est un très grand déshonneur, et une très grande infamie pour un gentilhomme et pour un officier, après avoir donné sa parole d’honneur de ne faire et de ne recevoir jamais d’appel, de violer lâchement son serment, de manquer à sa parole d’honneur et de contrevenir à une loi très importante pour le salut de la patrie.

§ 110

Donc il est à propos de tenter les moyens les plus convenables qui seront proposés pour détruire l’une et pour établir l’autre. Or, afin que ce ne soient pas des tentations passagères et inutiles, que peut-on faire de mieux que de former pour cela un conseil permanent ?

OBJECTION III [•]

§ 111

Peut-être que le roi par cet établissement pourrait venir à bout de déraciner cette opinion parmi nous si les autres nations faisaient chez elles de pareils établissements et de pareils règlements ; mais qui peut espérer qu’elles prennent une semblable résolution ? Or cependant il est visible que tant que nos voisins seront infectés de cette opinion, elle subsistera parmi nous, les fausses opinions ne sont que trop contagieuses ; ainsi la contagion rétablira ce que cet établissement pourrait détruire.

Réponse

§ 112

Je ne disconviens pas qu’il n’y ait dans les esprits humains une grande disposition à prendre certaines erreurs par contagion, comme il y en a dans les corps humains pour prendre certaines maladies les uns des autres. Mais outre que certains peuples, à force de précautions, savent se garantir des maladies contagieuses : pourquoi serait-il impossible que les nations chrétiennes, que les Anglais, les Hollandais, les Danois, les Suédois, les Polonais, les Allemands, les Italiens, les Espagnols, les Portugais, voyant d’un côté les grands malheurs que leur cause cette pernicieuse opinion, et voyant de l’autre des établissements et des règlements si propres à la détruire entièrement, s’efforcent d’imiter le roi ? Pourquoi ce prince, tant pour l’avantage des nations chrétiennes que pour l’avantage particulier de la nation française, ne solliciterait-il pas lui-même les souverains voisins à chasser entièrement cette malheureuse opinion de l’Europe ? Et qu’y a-t-il qui siée mieux à un grand prince, à un prince bienfaisant, que de chercher l’utilité de son peuple dans l’utilité des peuples voisins ?

 [•]SECOND MOYEN très important
 [•]Donner parole d’honneur

§ 113

Nous avons, surtout dans la noblesse française, une opinion ancienne, qu’il est infâme et indigne d’un gentilhomme de manquer à une parole d’honneur donnée solennellement sur une affaire sérieuse et importante.

§ 114

Cette opinion est, Dieu merci, si bien établie qu’elle passe chez nous en forme de loi. C’est une idée de nos lois du déshonneur ; et elle est si bien suivie qu’un officier prisonnier qui aurait donné sa parole d’honneur de ne point sortir d’une ville serait entièrement déshonoré dans le monde et parmi ses camarades, s’il osait s’enfuir ; chacun lui reprocherait son manque de parole. Cette loi n’est point écrite ; mais comme elle est fondée, non seulement sur l’équité, mais encore sur l’intérêt de la société, il n’y en a point de plus solide, et de moins sujette au changement.

§ 115

Or on peut se servir utilement de la force de cette loi pour affaiblir beaucoup, et même pour abolir entièrement la loi du déshonneur qui commande le duel ; et l’on peut s’en servir avec d’autant plus de succès, en les opposant l’une à l’autre, que la loi qui commande le duel est fondée sur le faux, qu’elle est insensée, contraire à l’intérêt de l’offensé, et directement opposée à l’intérêt de la société [•] et de la patrie.

§ 116

Il suffit pour cela que le roi ordonne que tout officier en entrant dans le service, et tout gentilhomme, donnera solennellement sa parole d’honneur de ne se battre jamais en duel.

§ 117

Il est évident qu’alors, outre tous les autres motifs raisonnables que l’offensé et l’offenseur ont de ne se point battre, ils en auront encore un nouveau très puissant, qui sera la crainte d’être déshonoré, en manquant à sa parole d’honneur donnée au roi et à l’État.

§ 118

Voici un formulaire de serment d’honneur [•], dont sera donné copie à l’officier.

Formulaire

§ 119

Je, soussigné, reconnais que c’est un crime, et une action très honteuse, très blâmable, et très indigne d’un officier et d’un gentilhomme, de violer les lois établies pour la conservation de la vie de mes compatriotes, et surtout pour la conservation de la vie des officiers et des gentilshommes mes pareils ; et que ce serait les violer que de faire un appel, d’en accepter un, et de se battre en duel.

§ 120

Je reconnais que la coutume des duels [•] affaiblit l’État, en lui ôtant tous les jours une partie de ses défenseurs ; que par conséquent de semblables combats ne sauraient jamais montrer qu’une bravoure honteuse, et très indignement employée ; et qu’ainsi tout bon Français, tout gentilhomme, tout officier, qui aime son prince et sa patrie, doit contribuer de tout son pouvoir à abolir entièrement cette coutume [•], et l’opinion fausse sur le déshonneur, sur laquelle elle est appuyée.

§ 121

Je reconnais que c’est une des choses du monde les plus honteuses, et les plus déshonorantes, que de manquer à sa parole dans une affaire aussi sérieuse et aussi importante à l’État ; et que ce serait une action très infâme de manquer à une parole d’honneur donnée au roi, en la personne [•] de l’officier qui représente Sa Majesté, surtout pour l’observation d’une loi nécessaire à la conservation des défenseurs de l’État.

§ 122

Dans cette persuasion, je donne ma parole d’honneur au roi, mon maître et mon seigneur, entre les mains de vous, Monsieur, qui le représentez ; et je jure par serment devant Dieu, en présence de tous ces braves et bons Français, qu’offensé et insulté je ne ferai jamais aucun appel, ni directement, ni indirectement ; mais que ou je pardonnerai l’offense, ou que je m’en plaindrai à l’officier à ce préposé [•], pour en demander justice.

§ 123

Je donne de même ma parole d’honneur, et fais serment, qu’étant regardé comme offenseur, je n’accepterai jamais aucun appel, mais que je donnerai aussitôt avis de l’appel au commandant, pour me soumettre à son jugement sur la satisfaction prétendue.

§ 124

Je donne ma parole d’honneur au roi, et fais serment, que je ne me battrai jamais en duel, que j’empêcherai autant qu’il sera en mon pouvoir tout duel, que je rendrai sincèrement témoignage de ce que je saurai, que je donnerai ou ferai donner avis de bonne heure au commandant de toute querelle et de tout duel dont j’aurai connaissance ; et qu’étant commandant, je donnerai sincèrement tous mes soins, et pour empêcher les duels, et pour arrêter tous les duellistes de mon département.

Éclaircissement

§ 125

Pour rendre ces serments plus solennels, il serait à propos qu’ils se fissent dans les revues, et s’il était possible entre les mains d’un prince du sang, ou d’un maréchal de France, ou au moins d’un lieutenant général, en mettant sa main dans la main du prince.

§ 126

Il serait bon aussi que celui qui prête le serment, avant de le prêter, eût donné son épée à quelqu’un de la suite de celui qui reçoit le serment ; et qu’alors celui-ci prenant l’épée, et la donnant à celui qui a prêté serment, lui dît : Monsieur, cette épée est au roi et à l’État, je vous la donne à condition que vous ne la tirerez jamais [•] pour aucun duel.

§ 127

Plût à Dieu que le roi voulût bien faire l’honneur aux maréchaux de France, aux officiers généraux, et même aux colonels, de recevoir leur serment d’honneur ! Cette solennité ferait une grande impression sur tout le monde [•], et il y a des cas où il faut des dehors pour persuader le peuple.

§ 128

Il serait peut-être à propos qu’en temps de paix, d’ici à deux ou trois ans, quelques maréchaux de France visitassent les frontières, tant pour recevoir les serments d’honneur des officiers que pour s’informer des querelles et des plaintes, et donner ainsi peu à peu vigueur à la loi, et s’informer de ce qui peut contribuer à la faire observer encore plus exactement.

§ 129

Il serait [•] nécessaire que les cadets ou gardes-marine prêtassent le même serment d’honneur10.

§ 130

L’édit pourrait de même ordonner que dans les provinces, les gentilshommes à dix-huit ans donneraient la même parole d’honneur entre les mains des subdélégués des maréchaux de France, et qu’ils n’auraient nulle préséance avant les roturiers après dix-huit ans qu’ils ne l’eussent prêté, et qu’ils n’eussent un imprimé du formulaire, au pied duquel serait le certificat de la prestation.

§ 131

Le major du régiment tiendra le registre des serments, et il y en aura un dans chaque corps militaire [•].

§ 132

Chaque subdélégué des maréchaux de France aura de même un registre pareil à celui du major.

§ 133

En 1651, un grand nombre d’officiers considérables signèrent une déclaration publique, par laquelle ils promettaient de ne se battre jamais en duel. Cette espèce de serment fut fort approuvée. Mais 1o on n’y apporta pas la forme et la solennité du serment et de la parole d’honneur. 2o Il n’était pas universel. 3o On en a discontinué l’usage [•]. 4o On n’en a pas tenu registre. Ainsi il n’est pas étonnant que l’on en ait tiré si peu de fruit.

 [•]TROISIÈME MOYEN
Punitions infamantes

§ 134

Comme la source du duel est la crainte d’un faux déshonneur, il est à propos d’y opposer la crainte d’un vrai déshonneur. On ne saurait donc trop attacher de marques infamantes à la punition de ce crime. Ainsi [•] celui qui aurait fait un appel, ou qui se serait battu en duel, serait mis en prison pour longtemps aux Petites Maisons11, et mis en curatelle pour longtemps, et cela pour avoir manqué à la parole d’honneur donnée au roi.

QUATRIÈME MOYEN
 [•]Punition des approbateurs du duel

§ 135

Il est certain que les hommes et les femmes qui approuvent en conversation l’opinion qu’il est déshonorant pour l’offensé de pardonner, ou de se plaindre, approuvent follement une opinion très opposée à l’intérêt de l’État en général, et très pernicieuse pour leurs propres familles. Cette approbation n’est donc pas seulement une vraie folie, par rapport à ceux qui approuvent ; mais comme elle est encore très nuisible à l’État, parce qu’elle contribue à soutenir et à faire durer [•] cette maudite manie, il est certain que c’est une folie punissable, et qui mérite d’être réprimée par une punition déshonorante.

§ 136

 [•]On pourrait même mettre quelquefois sur le théâtre des scènes pour jouer ces approbateurs et ces approbatrices, aussi bien que les duellistes. On peut plus tirer du théâtre que l’on ne pense pour rectifier nos mœurs [•] et nos opinions.

 [•]CINQUIÈME MOYEN très important
Interdire les maîtres d’armes

§ 137

 [•]L’art qu’enseignent ces maîtres d’armes ne sert de rien dans un assaut ni dans une bataille, soit sur terre, soit sur mer. Un bon grenadier rirait si, pour le perfectionner dans l’art de tuer beaucoup d’ennemis en peu de minutes, on lui conseillait d’aller apprendre son métier chez de pareils maîtres [•] d’armes. Ce que l’on apprend dans ces écoles, c’est donc uniquement à se bien battre en duel. Or là où le duel est interdit, n’en doit-on pas interdire les maîtres ?

§ 138

On ne s’entretient dans ces écoles que d’histoires de duels et de maximes très fausses sur l’honneur et sur le déshonneur, dont la jeunesse s’empoisonne avec beaucoup de facilité. Il semble que cet art n’a été nécessaire que dans les règnes [•] ignorants, où les combats singuliers se faisaient par permission du roi.

 [•]SIXIÈME MOYEN très important
Défendre de porter l’épée

§ 139

Les [•] officiers militaires ne portaient point d’épée à Rome : ils auraient trouvé aussi étrange que quelqu’un d’entre eux en portât ordinairement une dans les rues, aux temples et dans les maisons que nous trouverions étrange que quelqu’un d’entre nous portât toujours à Paris, dans l’église, dans les rues et dans ses visites [•], un mousqueton ou une hallebarde. Et à dire le vrai, si nous consultions la raison, nous trouverions qu’à l’exemple des Romains, nous devrions nous exempter de porter des armes, lorsqu’elles sont inutiles à notre sûreté et incommodes à porter. Il faut laisser le soin et l’incommodité d’en porter seulement à ceux dont le devoir est d’être toujours armés pour la sûreté du roi et des citoyens [•]. Les gardes, les archers en seraient beaucoup plus respectés, et les citoyens plus en sûreté, si les scélérats, les emportés étaient désarmés.

§ 140

 [•]On pourrait substituer pour les officiers, et pour les autres gentilshommes, une marque extérieure qui ne serait point incommode [•] ; dès qu’on verrait sortir quelque officier avec une épée, on serait bientôt à la suite pour l’empêcher de se battre.

§ 141

Il est certain que ce grand nombre de querelles qui arrivent nécessairement au cabaret, au jeu, au bal, aux spectacles, et en cent autres rencontres, ne seraient jamais meurtrières, si personne [•] que les gardes ne portait d’épée. Or il n’est pas moins du devoir du législateur de préserver ses sujets de ces sortes de meurtres et de blessures de rencontre que de les préserver des [•] combats en duel.

§ 142

Nos guerres civiles de la Fronde avaient si bien accoutumé les officiers à ne point quitter leurs bottes à Paris qu’ils faisaient leurs visites ordinaires bottés ; et comme c’était le bon air d’être toujours botté, beaucoup d’autres gens que des officiers prirent des bottes pour se faire honneur, de sorte qu’il était presque honteux de n’en pas avoir. On en diminua la pesanteur ; ensuite on les fit propres, blanches et très légères, avec des [•] talons rouges et des éperons dorés ; et on les portait tous les jours, sans avoir aucun dessein de monter à cheval, sans même avoir de cheval.

§ 143

C’est apparemment des guerres civiles que nous tenons aussi la mode de ne point quitter l’épée, quoique nous n’eussions pas plus de dessein de nous en servir pour attaquer ou pour nous défendre que nous avions dessein de nous servir de nos bottes et de nos éperons dorés pour monter à cheval : aussi à la fin nous avons ôté les gardes de nos épées et nous les portons si courtes qu’il est visible que ce n’est plus pour s’en servir qu’on les porte mais pour ne se pas singulariser.

§ 144

Le bon sens a enfin eu le crédit de nous défaire de nos bottes sans aucun secours d’ordonnance ; nous en avons renvoyé l’usage à la guerre et aux voyages. Le roi ne pourrait-il pas, par le nouveau règlement, suppléer à ce qui nous manque encore de bon sens à l’égard du port de l’épée en donnant aux gentilshommes et aux officiers une marque sur leur habit et nous ordonner de laisser chez nous nos épées pour la guerre et pour les voyages, comme nous y avons déjà laissé nos bottes [•] ?

OBJECTION IV

§ 145

Si l’on ne porte plus d’épée à la ville, ni la nuit ni le jour, les voleurs qui en auront ne craindront plus la résistance et par conséquent ils voleront beaucoup davantage.

Réponse

§ 146

1o Les voleurs n’oseront en porter puisque s’ils étaient pris la nuit avec une épée il ne faudrait pas d’autres preuves contre eux pour les faire condamner.

§ 147

2o Il est fâcheux de se laisser voler ; mais il est encore plus fâcheux de se faire tuer pour sauver sa bourse qui est toujours peu de chose en comparaison de la vie. Or quand un brave homme a une épée, il a bien de la peine à s’empêcher de la tirer en pareille occasion. D’ailleurs les voleurs ont grand soin d’être les plus forts et d’attaquer par surprise et avec avantage [•].

 [•]SEPTIÈME MOYEN
Récompenser l’offensé qui se plaint au commandant et l’offenseur qui refuse l’appel

§ 148

Ordinairement celui qui se plaint d’une offense ne mérite pas de récompense pour se plaindre et pour demander au juge réparation de l’offense [•]. Ordinairement l’offenseur qui refuse un appel et qui en avertit le commandant ne mérite pas non plus une récompense ; mais dans cette occasion il en mérite, parce qu’il a le courage de vouloir bien risquer de passer pour poltron dans l’esprit de ceux qui pensent comme le peuple sur le déshonneur et sur la valeur. Dans cette occasion l’un est digne de louange de se plaindre au commandant ; l’autre est aussi digne de louange de l’avertir de l’appel et de se soumettre à son jugement pour la satisfaction prétendue. Il est même fort louable d’observer la loi, d’être fidèle à sa parole d’honneur et de rendre ainsi un grand service à sa patrie, malgré la brèche qu’il fait à sa réputation de bravoure dans l’esprit du plus grand nombre de ses citoyens.

§ 149

Or tandis que ce fantôme du faux déshonneur subsistera, l’officier obéissant méritera d’être loué pour avoir tenu exactement sa parole d’honneur. Ainsi il paraît qu’il serait à propos que le commandant, en recevant pareille plainte d’un officier insulté, ou l’avertissement d’un appel de la part de l’appelé, en donnât avis à la cour : afin que l’un et l’autre de ces officiers en reçussent une lettre d’honnêteté et de remerciement du ministre de la part du roi [•], pour avoir exécuté si religieusement sa parole d’honneur, avec promesse de la récompenser.

§ 150

Il est vrai qu’une pareille distinction honorable tombera assez souvent, surtout dans les commencements, sur les moins braves et même sur des poltrons ; mais on peut répondre aussi qu’il n’y a aucun de ceux qui auront reçu pareilles lettres, et pareilles récompenses, qui ne se sentent obligés dans les occasions périlleuses de marquer plus de courage que leurs camarades afin d’effacer l’impression de manque de valeur qu’aurait pu faire, ou sa plainte au commandant, ou son avertissement. Ainsi cette plainte, cet avertissement, seront pour eux un nouvel engagement pour se distinguer à l’armée.

§ 151

D’ailleurs, quand le roi devrait récompenser durant quelques années quelques officiers, qui dans le fond sont des poltrons, et les traiter comme les plus braves qui ont fait preuve de bravoure ; comme, avec pareilles récompenses, on viendra à bout d’accoutumer tous les offensés, ou à se plaindre, ou à pardonner publiquement, et tous les appelés à avertir le commandant, ce sera toujours avoir tiré un prodigieux avantage de ces lettres honorifiques.

§ 152

Il serait bon encore que, quand il vaquerait quelque emploi, ceux qui auraient reçu pareilles lettres fussent toujours préférés, toutes choses presque égales. Il en coûtera peut-être à l’État de préférer quelques poltrons à un brave homme ; mais il faut se résoudre à procurer à la patrie un grand avantage, lorsqu’il n’en coûte que peu pendant peu d’années.

§ 153

Quand le nombre de ceux qui porteront leurs plaintes au commandant sera multiplié, on pourra juger alors que les querelles sont enfin parvenues à se mettre en règle, que la maladie est guérie ; et alors on ne donnera plus de récompenses de distinction pour avoir combattu contre le fantôme du faux déshonneur, lorsque ce fantôme sera entièrement évanoui [•].

§ 154

 [•]Au reste la proposition de récompenser celui qui refuse un appel n’est rien de nouveau. Cette pensée était déjà venue au roi Louis XIII en 1626, et à Louis XIV, son fils, en 1643. Voici l’art. 14 de l’édit contre les duels du mois de février 1626 :12

§ 155

 [•]Et d’autant que quelques-uns, se voyant appelés, se pourraient engager au combat, non par la seule fureur et passion brutale comme il arrive souvent, mais par la crainte d’être soupçonnés de manquer de valeur et de courage s’ils refusaient d’y aller ; pour lever cette vaine appréhension, et en outre récompenser le mérite et sagesse de ceux qui, conduits par la raison, par l’amour et crainte de Dieu, ou par un désir religieux d’obéir à nos lois, refuseront le duel, étant appelés, et se réserveront à employer leur courage aux occasions légitimes qui le peuvent requérir pour le bien de notre service et l’avantage de notre État, nous déclarons que nous réputons et réputerons toujours tels refus pour marques et témoignages d’une valeur bien conduite, digne d’être employée par nous aux charges militaires, et plus honorables et importantes, comme nous promettons et jurons devant Dieu de les en gratifier très volontiers, quand les occasions s’en offriront.

§ 156

 [•]Comme il est à craindre que quelqu[es]’un[s] ne veuille[nt] faire quelques railleries contre celui qui recevra pareilles lettres honorifiques, et qu’ils ne veuillent faire entendre qu’il aura eu à bon marché une pareille distinction, il est nécessaire de les prévenir et qu’ils sachent, par le nouveau règlement, qu’ils seront traités non seulement comme ceux qui approuvent l’infâme voie du duel, mais encore comme mutins qui le conseillent ; le commandant les fera arrêter, en écrira à la Cour ; et si le fait est prouvé, ils seront cassés honteusement à la tête du corps. [•]

Conclusion [•]

§ 157

 [•]On peut dire en général que les hommes se guérissent rarement de leurs préjugés et de leurs erreurs par la force et par la violence ; ce moyen n’a pas de proportion avec la persuasion ; mais ils s’en guérissent, les uns par l’exemple de leurs camarades, les autres par l’opposition qu’ils remarquent entre ces préjugés et des vérités constantes ; ceux-ci par l’estime qu’ils ont pour des personnes sages qui ont des opinions contraires, ceux-là par leurs propres réflexions ; quelques-uns par l’évidence des raisons qu’on leur apporte, presque tous par les marques de mépris et d’ignominie que l’on attache à ceux qui [•] jugent et qui se conduisent suivant ces préjugés.

§ 158

Or comme il s’agit ici d’un faux préjugé assez répandu dans le vulgaire de la noblesse militaire, rien n’est plus sage que de charger le seul ordre de la noblesse, et surtout les plus braves et les plus sensés d’entre eux, d’inventer, d’examiner, et de mettre en œuvre les moyens les plus convenables et les plus proportionnés à [•] l’erreur et à la coutume extravagante, injuste et pernicieuse d’une partie de la nation.

§ 159

Cette opinion gothique a duré en France onze ou douze cents ans. Elle y a plus duré que le goût gothique, et quels ravages n’y a-t-elle pas causés ? Nous nous sommes peu à peu défaits des épreuves extravagantes par le feu et par l’eau et des combats en champ clos. Nous sommes parvenus à sentir le ridicule de ces mœurs barbares et grossières : et c’est ce qui me fait espérer que nous nous déferons enfin de ce malheureux reste de barbarie, dans un siècle où l’on se pique de bon esprit et de discernement. Ainsi je crois qu’il est très possible que nous voyions, en peu d’années, ces malheurs entièrement cessés [•]. Ce qui est de certain, c’est que le mal est encore très grand quoique très caché, qu’on ne le guérira jamais par des punitions capitales, parce qu’elles sont excessives, tandis que l’erreur sur le déshonneur durera.

§ 160

Il faut donc commencer à ôter cette excuse légitime, en détruisant peu à peu la fausse opinion qui en est le fondement. Or peut-on espérer que cette opinion se détruise d’elle-même ? Je soutiens donc qu’il est très important de faire examiner ce mémoire, et les autres sur cette matière, par un bureau composé des maréchaux de France, et de quelques autres officiers généraux, si l’on veut tenter des remèdes proportionnés à l’espèce de maladie si ancienne et si pernicieuse dont nous sommes toujours affligés.


1.Le duel, c’est ainsi qu’il faut lire, et non les duels, comme on a mis au titre du projet et au haut des pages. [Note de l’auteur.]
2.Le Mémoire de 1715 est adressé « À nos seigneurs les prélats du clergé de France assemblés à Paris », dédicace consultable en ligne.
3.Argument topique utilisé par les détracteurs du duel, Vital d’Audiguier, Bodin, Brantôme, Camus… : voir François Billacois, Le duel dans la société française des XVIe-XVIIe siècles, Paris, Éd. de l’EHESS, 1986, p. 41.
4.Le combat singulier qui opposa en 820 deux Goths, devant Louis le Débonnaire, d’après son biographe anonyme, était mentionné à propos de l’origine du duel ; voir La Vie de Louis le Débonnaire, in Histoire de l’Empire d’Occident, de la traduction de M. Cousin, Paris, Claude Barbin, 1683, p. 237.
5.Lors du concile de Valence de 855, le duel judiciaire est condamné car son résultat est injuste et incompatible avec la paix qui doit régner entre les chrétiens ; voir Michel Rubellin, « Combattant de Dieu ou combattant du Diable ? Le combattant dans les duels judiciaires aux IXe et Xe siècles », in Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 18e congrès, Le combattant au Moyen Âge, Montpellier, 1987, p. 111-120 ; Michel Rubellin, Église et société chrétienne d’Agobard à Valdès, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2003, p. 111.
6.L’appel était le défi lancé par celui qui était offensé (appelant) pour provoquer l’appelé en duel, pratique condamnée par l’Église et par l’État.
7.L’abbé de Saint-Pierre prête aux seuls Goths les pratiques ordaliques des différents peuples barbares connues à l’époque par l’ouvrage de Louis Le Gendre (Mœurs et coutumes des Français dans les différents temps de la monarchie [1712], Tours, Mame, 1851, p. 70-77).
8.Le duel entre James Douglas 4e duc d’Hamilton (1658-1712) et Charles 4e baron de Mohun (1677-1712) eut lieu le 12 novembre 1712 à Hyde Park. Les deux duellistes succombèrent à leurs blessures. Leurs seconds, le colonel John Hamilton, condamné par la suite, et l’officier irlandais Georges Macartney, qui s’exila, s’étaient engagés dans le combat, selon l’usage. Sauvage et impliquant des tiers, ce duel provoqua un sursaut dans l’opinion et, en avril 1713, une mise en garde publique de la reine Anne contre le duel ainsi que l’introduction de deux bills qui n’aboutirent pas ; voir Stephen Banks, A Polite Exchange of Bullets : The Duel and the English Gentleman, 1750-1850, Woodbridge, The Boydell Press, 2010, p. 17-20.
9.Voir les poèmes de l’académicien Bernard de La Monnoye (Le duel aboli, 1672), d’Eustache Lenoble (Les travaux d’Hercule, 1693-1694), un passage des Fâcheux de Molière (II, 10), le Discours à ses enfants de Bussy-Rabutin (1694), cités par François Billacois, Le duel dans la société française…, p. 297-298.
10.Les gardes-marine sont de jeunes nobles destinés à devenir officiers de vaisseaux.
11.« On appelle à Paris, Petites Maisons, l’hôpital où l’on enferme ceux qui ont l’esprit aliéné » (Académie, 1718).
12.Sur proposition de Richelieu, Louis XIII fait interdire les duels : voir l’article 14, reproduit ci-dessous (§ 155), dans Recueil général des anciennes lois françaises, Isambert et al. (éd.), Paris, Belin-Leprieur et Verdière, t. XVI, Mai 1610 - mai 1643, 1829, p. 181 (en ligne) ; voir le texte de l’édit de juin 1643, dans ibid., t. XVII, 14 Mai 1643 - 19 Août 1661, p. 13 et suiv.