Navigation – Plan du site

AccueilÉtudesÉcrire l’histoire au Moyen Âge2008Fréculf de Lisieux : l’histoire d...

2008

Fréculf de Lisieux : l’histoire de l’Antiquité comme témoignage de l'actualité

Frechulf of Lisieux: the history of Antiquityas testimony for contemporary affairs
Michael I. Allen

Résumés

Pendant les années 820, Fréculf de Lisieux composa une Histoire universelle qui devait être le plus grand travail historiographique de l’époque carolingienne. Les nombreuses sources réunies ont permis à l’évêque de mériter d’une renommée de bibliographe avisé et énergique. En revanche, en raison d’un parcours événementiel insolite qui s’achève dès le septième siècle de notre ère, on a souvent refusé de lui reconnaître un statut de témoin historique et l’on a, de ce fait, sous-estimé l’originalité de sa pensée historique. À partir des acquis de la nouvelle édition critique de Fréculf, on fait ici le point sur les origines et les relations de l’évêque-auteur, lesquelles mettent en lumière le développement de sa pensée augustinienne et l’enjeu politique actif de son entreprise historique.

Haut de page

Texte intégral

Ce texte reprend mon exposé lors de la table-ronde de Lisieux. Je tiens à remercier vivement tous ceux qui y ont participé et tout particulièrement les organisateurs, M. Daniel Deshayes, et surtout M. Christophe Maneuvrier. Ils ont dû patienter bien plus que je n’aurais voulu pour la remise de ces mots, écris, tapés, engloutis, extorqués à moi-même, et finalement rédigés à nouveau en français. J’ai visé ici à la sobriété dans les notes, et à la clarté dans le texte. Les Lexoviens, parmi lesquels j’ai tâché de perfectionner mon français pendant quatre mois il y a vingt-deux ans, diront dans quelle mesure j’y ai réussi. Lors de ce séjour, bien avant que le souffle de Fréculf ait troublé mon esprit, j’ai connu l’accueil chaleureux de M. Henry Demay († 8 juin 1991) et de sa famille. M. Demay, longtemps enseignant et directeur de l’Institution Frémont à Lisieux, m’a beaucoup appris, et j’aurais bien voulu lui offrir cet essai. Je le dédie à sa mémoire. Sauf indication contraire, les références se reportent à mon texte des Histoires (= Hist.), dans Frechulfus Lexoviensis, Opera omnia, éd. Michael I. Allen, Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis, 2 vol., 169 [Introduction], 169A [Edition]), 2002. L’Introduction se distingue de l’édition par la pagination à astérisque.

  • 2 Von den Brincken, 1957, p. 64.
  • 3 Hist. I 4, 10 [5/6], p. 224 : Pericides moritur. Cf. Von den Brincken, 1957, p. 124 et n. 197.

1Dans son étude de l’historiographie universelle pendant le Moyen Âge latin, Anna-Dorothea von den Brincken a proposé et employé un critère clef pour tracer les rapports et les dépendances entre les témoins qu’elle prend en revue. La connaissance de l’Antiquité grecque devint très mince dans l’Occident médiéval, et Madame von den Brincken remarque que la formule Pericles moritur (« Périclès mourut ») – léguée à la postérité par la Chronique de saint Jérôme en l’an 378 de notre ère – résume en deux mots ce que le Moyen Âge latin savait de la vie politique d’Athènes pendant le cinquième siècle avant Jésus-Christ. Savoir que Périclès mourut, ce n’est pas beaucoup2. Comme chez d’autres écrivains médiévaux, l’érudite allemande a cherché et trouvé dans l’œuvre de l’historien Fréculf, évêque de Lisieux pendant le deuxième quart du neuvième siècle, cette mention lapidaire sur la mort de Périclès. La formule, là où elle se présente dans les volumineuses Histoires de Fréculf, est déformée en « Pericides mourut »3. Anna-Dorothea von den Brincken n’en convient pas moins que l’évêque carolingien en savait autant que la tradition latine depuis saint Jérôme, et donc aussi peu, sur le grand homme politique de l’âge d’or d’Athènes. À y réfléchir de près, cette constatation réduit néanmoins la perspective, et notre compréhension, de l’évêque-historien.

  • 4 Le premier changement serait un exemple modifié du phénomène de la dittographie. L’acte d’écrire en (...)
  • 5 Eusebius-Jerome, Die Chronik…, 1984, sub anno (ab Abraham) 1476, p. 103b, l. 22 ; s.a. 1562, p. 111 (...)
  • 6 Il s’agit du manuscrit de Saint Gall, Stiftsbibliothek 622, connu sous le sigle G dans la nouvelle (...)
  • 7 D’où vient, en partie, la table des « noms déformés » dans l’Introduction, p. 221*-235*.

2On pourrait peut-être expliquer la graphie Pericides par une déformation paléographique consécutive à une substitution de d au lieu du doublet cl, après un dédoublement préalable qui a fait cIcl du cl primitif. Soit, au sein de Pericles, on passe de cl en cIcl, qui se lit cid4. Quoique j’aime les explications paléographiques, il nous faut regarder de plus près ce qui précède cette formule chez Fréculf ainsi que dans sa source hiéronymienne. Ce contexte évoque à deux reprises le nom de l’écrivain Ferecydes : d’abord, chez Jérôme, il est fait mention de « Phérécyde l’historien » (historicus) puis, quelques pages plus loin, de « Phérécyde » qualifié de « deuxième écrivain d’histoires » (secundus historiarum scriptor)5. Le glissement phonémique de l’initiale f en ph, voire même en p sans spiritus asper, ainsi qu’en sens inverse, se produit fréquemment dans un manuscrit contemporain de Fréculf, lequel fut probablement écrit dans son cercle immédiat6. La permutation-type f/ph/p invite donc au rapprochement Pericides/Ferecydes. Quant aux voyelles impliquées, les Lexoviens d’aujourd’hui, habitants de Lisieux, comprendront les permutations entre e, i, et i-grec. Fréculf et ses scribes ont parfois altéré, ou simplement varié, la graphie de noms propres lorsqu’ils se documentaient sur les hauts lieux et les grands personnages du passé7.

3Pourtant, dans le cas de Pericides, il semble que l’évêque voulut faire le point sur Ferecydes quand il dit :

Bachides, auteur de poèmes, fut connu à cette époque, et Pericides mourut.

  • 8 Hist. I 4, 10 [5/7], p. 224 : Bachides carminum scriptor eo tempore agnoscitur, et Pericides moritu (...)

4Ce faisant, Fréculf joignit et recomposa des notices éparses trouvées chez saint Jérôme, et « refit » les noms du poète Bacchylide et de Périclès. Il créa aussi un contexte nouveau visant l’histoire littéraire qu’il compléta tout de suite et du même souffle par une notice sur les écrivains de comédie8.

5Le caractère et le poids de ce personnage qui mourut se dégagent mieux si l’on se souvient de ce qu’en dit Isidore de Séville († 636) dans le chapitre de ses Étymologies consacré aux « premiers auteurs d’histoires » (De primis auctoribus historiarum) :

  • 9 Il entend par là la tradition des écrivains croyants, d’abord hébreux, ensuite chrétiens.
  • 10 Etymologiae I, 42.

Chez nous9, Moïse écrivit le premier l’histoire depuis la création du monde. Chez les gentils, Darès le Phrygien fit le premier l’histoire des Grecs et des Troyens […]. Après Darès, en Grèce, Hérodote fut tenu pour le premier en matière d’histoire. Après lui, Phérécyde brilla du temps où Esdras écrivit la loi10.

  • 11 Voir Hist. I 3, 1 [1/6], p. 158.
  • 12 Hist. I 2, 26, p. 141-148. Voir aussi Jung, 1997, p. 191-192.

6Fréculf aussi, dans son ouvrage, fait allusion à tous ces historiens. S’il n’en savait pas long sur Phérécyde ou Hérodote – guère plus, à peu de choses près, qu’il ne pouvait trouver dans l’œuvre de saint Jérôme –, l’évêque consacra les premiers livres de ses Histoires aux origines de l’humanité, que « nous » – les chrétiens – connaissons le mieux, depuis le début même, à partir de Moïse et de ses émules bibliques11. Fréculf offrit de même une paraphrase étendue du récit apocryphe – et entre-temps très remanié – du fameux Darès, sur la chute de Troie, les débuts de Rome et les supposées origines troyennes des Francs, ce qui donne un des plus longs chapitres des Histoires12.

7L’évêque-historien travailla presque toujours en compilateur, mais il sut lier et agencer ses sources – comme le montre le cas de Pericides – pour faire ressortir les thèmes et les relations qui lui tenaient à cœur. Pour un compilateur d’histoires, il valait la peine de noter qu’un devancier, Phérécyde, mourut, et si Fréculf arrêta ses Histoires plus de deux cents ans avant son époque, la méthode et l’œuvre de cet historien n’en témoignent pas moins richement de préoccupations touchant à l’actualité. C’est la conjoncture carolingienne qui lui permit de rassembler et d’exploiter un tel trésor de textes. Ses choix ultérieurs, et même ses silences habiles, démontrent une volonté d’influencer les lecteurs et de les gagner à une vision particulière. Autant que possible, il faut délimiter les fondements de cette activité.

  • 13 Que Tritheim ait voulu multiplier le plus possible les auteurs rattachés à la Germanie et à son ord (...)
  • 14 Pour les détails avec références, voir l’Introduction, p. 11*-17*.
  • 15 Voir l’Introduction, p. 24* et n. 24.
  • 16 Ce jumelage prosimétrique peut aussi faire écho à l’exemple de l’abbé de Fulda : le schéma est fréq (...)

8Il est courant parmi les médiévistes de prendre à la légère les « faits » qui paraissent pour la première fois sous la plume de l’humaniste bénédictin, Jean Tritheim (1462-1516). Celui-ci n’hésitait pas, il est vrai, à inventer les autorités qui lui faisaient défaut. Pourtant, « fausser l’histoire », c’était pour lui faire passer l’intuition avant les choses bien établies là où l’usure du temps avait rogné les titres. L’abbé humaniste n’avait pas tort, en effet, de supposer que Fréculf avait commencé sa vie de clerc comme moine de l’abbaye de Fulda, aux confins de la Saxe13. Sans que Tritheim ait pu le savoir, le nom Fréculf paraît dans un registre des moines de Fulda rédigé vers la fin de l’année 822, et ce même religieux a souscrit plusieurs fois des chartes de donation en faveur de l’abbaye de 817 à juin 824. Le nom disparaît ensuite des registres conventuels – d’une richesse hors pair pour l’époque carolingienne – avant de réapparaître sans ambiguïté dans une notice nécrologique écrite à Würzbourg peu avant 855. Grâce à ce seul document, qui ne mentionne la mort d’aucun autre prélat en Francia14, nous savons que l’évêque Fréculf de Lisieux est mort un 8 octobre, entre 850 et 852. Je ne m’attarderai pas ici sur les liens multiples entre l’abbaye de Fulda et l’évêché de Würzbourg ; ceux qui existaient entre Fulda en Germanie et Lisieux seront éclaircis plus loin. Quant à Tritheim, il a sans doute tiré ses conclusions sur les origines de Fréculf à partir du nom de l’évêque, frek-wulf (ou « loup intrépide » bien qu’on ne tenait déjà plus compte du sens primitif du nom au neuvième siècle), et des relations amicales de ce dernier avec Raban Maur, abbé de Fulda à partir de 822, lequel composa à sa demande les cinq commentaires sur le Pentateuque. Les lettres échangées entre ces deux hommes, mises en préface des commentaires, nous montrent Fréculf – et seulement lui – s’adressant à l’abbé sous le simple nom de « Maure », surnom que Raban avait reçu de son maître, Alcuin, lors d’un stage à Tours. En demandant les commentaires au début de son épiscopat, vers 824, Fréculf connaissait une caractéristique toute récente, attestée depuis 822 seulement, de la production littéraire à Fulda, qui consistait à mettre le sigle « M » pour « Maure », en face des propres contributions de l’abbé à la production exégétique de l’abbaye, du reste compilée à partir des Pères de l’Église. Un manuscrit isolé du premier des commentaires offerts à Fréculf, où les lettres-préfaces manquent, conserve un poème liminaire de huit couplets, qui évoque de manière personnelle les efforts faits par l’auteur, depuis sa jeunesse, sur l’exégèse du premier livre biblique15. Fréculf, pour sa part, semble avoir réemployé une formule trouvée dans ces mêmes vers – tout comme d’autres éléments de la dédicace en prose qui se présentent, à quelques lacunes près, ailleurs dans la tradition – pour élaborer son prologue prosimétrique des Histoires16. Dans l’ensemble, ces indices suggèrent des racines à Fulda et une amitié soutenue avec Raban. La notice nécrologique évoquée plus haut – écrite à proximité de l’abbaye et de l’abbé devenu archevêque de Mayence (847-856) – n’en serait que le témoignage final.

9Avant d’introduire d’autres précisions biographiques, il convient de souligner que ce sont les Histoires elles-mêmes qui véhiculent l’essentiel de nos renseignements sur Fréculf. Ce vaste ouvrage en douze livres se divise en deux parties au tournant de l’Incarnation : les sept premiers traitent d’événements et de personnages allant de la Création à l’avènement du Christ ; la suite en cinq livres développe l’histoire des temps chrétiens. Le texte complet, de quelque sept cents pages, est connu surtout pour sa prétendue fin en l’année qu’on placerait sous le millésime 609. Le spectacle de la consécration du Panthéon à Rome en église, quoique dépassé chronologiquement par le VIe concile œcuménique de 660/661 (Constantinople II), que Fréculf décrit juste après, tient souvent lieu de limite chronologique et fait l’objet de commentaires dans les études modernes. Quel que soit le « moment final » considéré, il s’agit, dans le contexte de l’œuvre achevée, d’une transformation globale et peu à peu consolidée qui invite l’auteur à refermer son œuvre :

  • 17 Hist. II 5, 27 [22/24], p. 724 : Romanorum iudicibus et Gothis ab Italia et Galliis depulsis, his F (...)

Ici – les fonctionnaires romains et les Goths ayant été expulsés d’Italie et des Gaules, et les Francs et les Lombards succédant à ces royaumes – je me suis avisé de mettre un terme à mes livres17.

  • 18 Voir Boureau, 1987, p. 247-262. C’était une ambassade de Fréculf à Rome qui prépara l’assemblée ecc (...)

10Écrivant vers 830, Fréculf s’offre une place de choix dans les débats sur la fin de l’Antiquité, ou pour prendre des termes plus appropriés, sur la transformation de celle-ci vers ce qui devient le monde carolingien. On constate un rétrécissement des horizons en faveur de la géographie politique des Francs et des Lombards, deux peuples réunis sous l’égide des Carolingiens depuis 774. De même, écrivant dans les années 820, Fréculf s’arrange, en citant Bède († 735), pour ne pas mettre au nombre des grandes assemblées orthodoxes et catholiques le VIIe concile œcuménique de 787, c’est-à-dire, le concile Nicée II, que les Francs tenaient toujours pour suspect18. Au-delà du spectacle lointain, l’évêque met donc subtilement en jeu les acquis et les préoccupations de son temps.

  • 19 On rattache souvent la nouvelle perspective à l’impulsion donnée par Spörl, 1933, p. 281-303.
  • 20 Cf. Schelle, 1952, p. 85-86, p. 144-145.
  • 21 Staubach, 1995, p. 167-206. C’est Staubach aussi qui a donné la première analyse vraiment probante (...)

11Néanmoins, son exposé des faits, présenté comme une « simple » rétrospective, a longtemps valu à Fréculf et à ses Histoires de rester dans les ténèbres de l’édition princeps. Ce texte imprimé de 1539, repris avec ses fautes et ses lacunes dans les grandes collections d’auteurs ecclésiastiques, a suffi à documenter tantôt l’indifférence de Fréculf à la disparition de l’Empire romain, tantôt son attachement à la survie de ce même empire comme quatrième monarchie universelle. Cette contradiction tient, bien entendu, moins à Fréculf qu’à un texte mal établi, mais en phase avec les attentes et les partis pris des lecteurs. À cet égard, depuis les années 1930, les historiens du Moyen Âge ont dépassé le seul critère documentaire qui laissait de côté les témoignages de seconde main de « faits » mieux connus ailleurs, pour en venir à une appréciation qui rend compte aussi de l’intention et de la construction historiographique19. Pour ce qui est de Fréculf, Bertha Schelle, dans sa thèse de 1952, ne voulait pas lui attribuer, et à bon droit, des « faits » nouveaux. Mais en usant des concepts peu souples de « but pratique » et « d’idée directrice », elle fut amenée à la conclusion décevante que l’évêque ne possédait ni l’un ni l’autre20. Entre-temps, une immersion plus profonde dans le texte reçu en a fait émerger la « grande idée » et a mis en valeur la place de Fréculf dans l’histoire des idées. C’est Nikolaus Staubach qui, dans un article magistral de 1995, a poursuivi la thématique augustinienne des « deux cités » chez Fréculf, et a fini par lui reconnaître une intelligence et une mise en œuvre authentiques du célèbre paradigme métahistorique, chose quasiment unique de l’Antiquité à l’époque moderne21. Fréculf s’appropria l’optique historique et, du moins à cet égard, l’esprit de saint Augustin, à l’aide de lectures directes et, comme nous le verrons, indirectes. En triant ses sources, l’évêque de Lisieux sut faire des choix propres à construire un arrière-plan cohérent et nuancé pour la grande mosaïque qui devait retracer en même temps l’histoire sacrée et l’histoire profane, c’est-à-dire, l’histoire « parallèle » des deux cités.

  • 22 Hist. I 1, 33 [4/15], p. 64 : … ita post diluuium nec iustos defuisse crediderim ; cf.  Hist. I 1, (...)
  • 23 Cf. Hist. I 1, 7-8, p. 32-34.

12D’emblée, Fréculf reconnut la présence réciproque et – ce qui fait la différence fondamentale avec les traditions dites à tort « augustiniennes » – il reconnut le croisement ambigu, voire l’entrelacement irréductible, de la cité de Dieu et de son « pendant » terrestre. Ainsi, depuis Noé jusqu’aux promesses faites à Abraham, lorsque la Bible ne mentionne aucun homme juste sur terre, ne faut-il pas pour autant douter de la continuité de cette présence : on sait que ni justes ni impies n’ont jamais fait défaut22. De même que le culte bien réglé annonce et désigne l’homme juste, l’état des injustes commence et consiste dans la méconnaissance du devoir envers Dieu, et bientôt envers les hommes. Là aussi, inévitablement, il s’agit d’un silence de fait qui ne nous permet pas de cerner les choix cachés qui débouchent sur l’injustice, qui n’est pas dans la cité divine. C’est Dieu seul qui saisit les faits et les intentions ; nous autres, historiens ou lecteurs, rois ou sujets, devons attendre les dénouements visibles et les explications verbales23. En rassemblant son premier livre, Fréculf esquissa donc les « cités » augustiniennes, groupements primordiaux de la société humaine sur terre, sans prétendre réduire ni l’ambiguïté temporelle des droits de cité en cause, ni celle de leurs citoyens, qu’ils soient connus ou méconnus.

  • 24 Voir encore Boureau, 1987 et Cavadini, 1986, p. 43-50.
  • 25 Cf. Schelle, « Frechulf », p. 76.
  • 26 Hist. I 1, 53, p. 81-82.

13En tant qu’éditeur, nous avons dû retracer l’utilisation des sources faite par l’auteur, et s’il est bien acquis – et ceci depuis longtemps, mais sans précision ni conséquence avant le travail de N. Staubach – que Fréculf voulut se prévaloir de saint Augustin, l’examen du processus de compilation démontre jusqu’à quel point l’historien avait assimilé l’attitude circonspecte de la véritable pensée augustinienne, qu’il reproduisit le plus souvent d’après les versions de Claude de Turin. Or, le fait même de citer Claude témoigne concrètement de l’ambiguïté que les hommes connaissent au cours de leur vie et que les propos compilés commentent, car ce même auteur, contemporain de Fréculf, exégète renommé et grand connaisseur d’Augustin, s’est positionné pendant les années 820 en iconoclaste acharné24. À la lumière d’une telle dépendance, ce que Bertha Schelle a jugé en son temps comme une suite de chapitres hors de propos – que Fréculf avait ajoutés au premier livre parce qu’il lui restait de la matière dont il ne savait que faire – se révèle plutôt comme un discours sur le cloisonnement mouvant de la communauté humaine25. Le bien, tout comme son absence, peut se manifester graduellement, en divers endroits et au fil du temps. Ainsi, quand Dieu annonce la naissance d’Isaac, il est le seul à savoir distinguer le rire heureux d’Abraham de la dérision maligne de sa femme26. Or, nous n’y voyons clair qu’à condition d’en recevoir l’explication postérieure. Tout le contexte, développé par Fréculf au moyen de questions et de réponses empruntées à Alcuin, conduit à une représentation sociologique et quasiment psychologique de la condition humaine, condition qui s’accommode – ou doit s’accommoder – des vices et des mérites qui s’entremêlent. Dès lors, on peut se servir d’écrits et d’exemples pris à l’intérieur de cette ambiguïté, soit à travers Claude de Turin, soit à travers des païens méritoires. La force et l’enjeu du résultat dépendent ainsi de l’attention que l’on y porte, et surtout, me semble-t-il, de notre patience face aux limites de la technique même du compilateur, laquelle permet de fléchir, de combiner et d’élaguer les sources, mais pas de les contredire, du moins ouvertement. Fréculf a donné naissance à ses Histoires dans un milieu où il existait des courants aussi différents qu’opposés, ce que l’ouvrage reflète dans une plus large mesure qu’on n’a généralement voulu le reconnaître.

  • 27 Les documents qui traitent de l’assemblée et du dossier “anti-iconodoule” que l’empereur lui demand (...)

14Les chartes et les registres de Fulda évoqués plus haut suggèrent que le moine Fréculf quitta l’abbaye peu après juin 824. L’année suivante, avant l’automne, l’empereur Louis le Pieux (814-840) envoya l’évêque Fréculf en mission à Rome auprès du pape, Eugène II (824-827), pour traiter de la querelle des images, de nouveau à l’ordre du jour en Occident, comme l’atteste la correspondance diplomatique et la pratique pastorale de Claude de Turin. Après le retour de l’ambassade, un conseil de prélats francs se réunit aussitôt à Paris, en décembre 825, chargé par l’empereur de discuter des questions soulevées avec le pape. À cette occasion, l’évêque de Lisieux fut chargé d’un rapport signalant les excès iconodoules dont il avait entendu parler à Rome et qu’il attribua à « l’ignorance de la vérité » et à « la pire tradition »27.

  • 28 Voir Nelson, 1992, p. 75-77 et les notes.

15Son arrivée à la cour, qu’on aperçoit dans sa rapide ascension et ses premières activités comme évêque, laisse entrevoir une réponse à une autre circonstance récente et pénible. Le 13 juin 823 l’impératrice Judith († 843) avait accouché d’un fils, le futur Charles le Chauve († 877). Ce quatrième fils par une seconde femme n’avait pas sa place dans les dispositions successorales que l’empereur, dès 817, avait présentées solennellement – irrévocablement, diraient plusieurs intéressés par la suite – au pape. Fréculf figurait sans doute parmi la première vague de conseillers d’Outre-Rhin, les transrhenani qui, selon l’hagiographe Adrevald de Fleury, vinrent à l’époque semer le trouble en France, c’est-à-dire, en l’occurrence, veiller sur les intérêts présomptifs du prince cadet28.

  • 29 Introduction, p. 15*-16*.
  • 30 Voir Bischoff, 1981, p. 232-233.
  • 31 Hist. I, Prologue 37/39, p. 19.
  • 32 Hist. I, Prologue 52/54, p. 20.

16La dédicace de la première partie des Histoires laisse aussi penser que Fréculf connut d’abord un accueil chaleureux de tous les côtés. L’évêque en offrit les sept premiers livres à Hélisachar, ancien chancelier et alors homme de confiance de Louis le Pieux depuis leurs débuts dans le royaume secondaire d’Aquitaine sous Charlemagne. Cet abbé érudit allait, à partir de 830, faire le jeu des révoltés contre la révision des dispositions successorales en faveur du fils puîné, lequel s’amorça nettement dès 828. La dédicace, comme auparavant l’ambassade à Rome, suppose qu’on estimait les capacités intellectuelles de l’évêque. Si Fréculf en appelle à Hélisachar comme à son « précepteur » – dans un latin baroque qui ne relève nullement de la langue de chancellerie réformée par ce dernier –, il s’adresse ici à l’un des plus grands maîtres de son l’époque29. On peut en déduire qu’Hélisachar initia et patronna un ouvrage historique qui prendrait en compte les deux dimensions, sacrée et profane, du passé. Si l’on en juge par la technique de compilation, ce travail s’inscrivait sans doute dans les efforts faits par Hélisachar, pour – entre autres – procurer à tous des commentaires sur toute la Bible, complétés par des textes patristiques30. Fréculf évoque en outre une table historique qu’Hélisachar lui avait confiée. Cette même « table peinte », ou plutôt rubriquée, signale presque visuellement la Chronique de saint Jérôme, laquelle avait guidé longuement notre historien dans le tri et le choix des matières à approfondir à partir d’autres sources31. Cette impulsion d’Hélisachar ne doit pas faire illusion et elle invite trop facilement à classer Fréculf et son ouvrage dans des catégories dont ils ne relèvent pas. S’il s’agissait vraiment d’une pièce tissée au goût d’Hélisachar, ce serait un tissu différent. Pour s’en tenir au procédé, Fréculf avait prié Raban Maur de noter ses sources dans la marge mais, de son côté, l’évêque s’excusa auprès d’Hélisachar de se soustraire à cette même recommandation pourtant explicitement donnée par son « précepteur »32. On peut bien se demander comment notre compilateur aurait fait pour signaler les maints emprunts faits à Claude de Turin, qui lui ont servi à jalonner le propos sur les débuts et les ambiguïtés de la société humaine. Sur le plan idéologique qui sous-tend les choix techniques, on est en droit de s’attendre à d’autres divergences, et elles manifestent dans les détails ce que nous connaissons de la vie de Fréculf.

  • 33 Voir l’Introduction, p. 81* et n. 70.

17Par la suite, et alors pleinement dans son rôle de conseiller, Fréculf dédia son chef-d’œuvre à l’impératrice Judith afin qu’elle s’en serve pour l’instruction de son fils. Ce don a pu être fait en 829, lorsque le jeune prince se vit confier un duché important dans le sud de l’Allemagne précisément là où dominait la famille de sa mère. C’est à peu près au même moment que Walafrid Strabon († 849), moine transrhénan issu de l’abbaye de Reichenau, aux confins du nouveau duché, et ancien élève de Fulda, apparut à la cour impériale et dans le cercle immédiat de Judith, vraisemblablement pour participer à la formation de Charles, qui approchait l’âge de raison, sept ans, et donc de celui où il avait besoin de précepteurs et de livres scolaires33.

  • 34 Hist. II, Prologue 8/14, 28/40, p. 435-437. Voir aussi Silagi, 1978, p. 786-791.
  • 35 Cf. II Samuel 11, 2-5 ; 25-26 ; I Rois 1, 5-53 ; Hist. II, Prologue 32/35, p. 436-437.
  • 36 Cf.  Hist. I 3, 3 [32/44], p. 162-163. C’est en ces propres termes que Fréculf souligne dans ce pas (...)

18À une époque où l’on attribuait une valeur particulière aux noms, surtout dynastiques – dès les années 790 le doublet cara lux (« chère lumière ») était quasiment vu comme une étymologie à valeur programmatique de Carlus (Charles) –, Fréculf fit tout dans sa nouvelle préface pour évoquer le nom et le renom lumineux du grand-père, Charlemagne, qu’il annonça revivre dans le petit-fils homonyme. Dans le même élan, l’évêque mit aussi Judith explicitement en scène comme Betsabée, femme de cœur du roi David, instruisant son petit Salomon34. Évidemment, Fréculf ne recula pas devant le rôle de Nathan, sinon en prophète, du moins en maître à penser. Nous savons comment s’est dénoué le récit biblique : le coup d’État du frère aîné, Adonias, contre son père David et son frère cadet Salomon (l’héritier choisi) échoua grâce au sacre de ce dernier. Sans forcer ce parallèle, les termes et les images employés par Fréculf dans sa dédicace affichent pour le moins le grand espoir mis dans le jeune Charles, annoncé à la fin de la préface comme « roi de notre joie et d’une ère nouvelle » (novi saeculi regem)35. Tout cela montre clairement le jeu de notre transrhénan, venu soutenir Judith et Charles, même au risque d’une révision de l’ordre de l’empire chrétien36.

  • 37 Pour un survol de la problématique de l’unité impériale, voir Boshof, 1990, p. 161-190.

19On a souvent considéré que le haut clergé lettré faisait alors cause commune avec cet Empire et le principe, récemment affirmé, de l’unité impériale. Pourtant, l’actualité carolingienne ne se plia pas sans réserve à la nouvelle « théorie générale » de l’exclusion du cadet, pas plus qu’à un parallèle entre Charles et Salomon37. Le jeune prince allait survivre aux complots de ses frères et des théoriciens adverses, et au bout du compte, il régna sur une part non négligeable de l’héritage contesté. Au début de ce long processus, tandis que tant d’autres ecclésiastiques se tenaient à l’écart ou, comme Hélisachar, se rangèrent du côté des défenseurs de l’ordonnance « unitaire », prétendument irrévocable depuis 817, le manuel historique de Fréculf montre son auteur engagé dans une cause risquée et bientôt quasiment désespérée lors des révoltes de 830/833, qui repoussèrent toute révision des dispositions successorales. Il fallait une intelligence bien décidée pour s’aventurer alors à contre-courant, et c’est avec habileté que Fréculf devait faire l’histoire, autant sur la scène événementielle que littéraire.

  • 38 Hist. I, Prologue 51/54, p. 20.

20Les tendances, soit de partisan, soit d’exégète-enseignant, que l’historien affichait dans ses dédicaces s’accommodèrent dans l’ouvrage même des exigences et des limites de la méthode compilatoire. Cela se fit avec prudence et dans un souci, tout carolingien, de fidélité littérale aux autorités pillées. C’est dans ce sens bien déterminé que Fréculf dit vrai quand il prétend, dans sa première préface, suivre l’interprétation commune de ses sources dont les emprunts pouvaient alors rester anonymes38. Il ne se contenta pas de les abréger, mais il changea parfois le sens en procédant à des agencements et à des rapprochements, à des silences et à leurs pendants actifs, les retranchements. C’est là une démarche qui progresse à mesure qu’elle fait passer discrètement et sans drame les faits et les détails du passé vers l’actualité.

21C’est donc doucement et à voix basse que Fréculf présente dans ses Histoires les faits et les modèles exemplaires qui donnent chair à l’ossature d’une synthèse vaste et avisée. L’optique augustinienne lui permit de trouver et de prôner de bons exemples, même issus des ténèbres suspectes, voire païennes. Sur le plan de la structure globale, une ouverture d’esprit analogue envers la tradition historiographique – quitte à verser dans la révision critique – conduisit à l’élaboration d’une armature propre, ou disons mieux adaptée, à mettre en lumière les vrais tournants ou stades de l’histoire.

  • 39 Les chapitres finaux des livres reviennent systématiquement sur l’engagement des vrais fidèles dans (...)
  • 40 Hist. II 5, 26, p. 722 ; cf.  Hist. I 1, 27, p. 52-65.

22Des origines des deux cités métahistoriques – catégories invisibles mais distinctes – Fréculf procède, dès l’âge d’Abraham, à un élargissement systématique sur la Chronique de saint Jérôme. Les premiers chapitres des Histoires avaient procuré une sorte de sociologie d’intention, fixée, du côté du bien, dans le droit de cité céleste, et centrée sur terre dans le culte du vrai Dieu. L’économie qui en ressort n’a ni bornes fixes ni forme stable que l’œil purement humain puisse saisir. Toujours est-il que ce sont le culte et les lieux de culte – les vrais autant que les faux – qui servent de motif déterminant pour tout ce qui suit dans les Histoires. Durant les sept livres de la première partie, Fréculf arpente le temps historique en fonction du vrai service divin : d’abord entrevu dans la descendance d’Adam, ensuite dans le droit des fils d’Abraham, et puis symbolisé dans les heurs et malheurs du temple de Jérusalem. L’évêque articule les cinq livres depuis l’Incarnation en marquant l’extension du nouveau culte salutaire à travers le monde, quasiment en sens inverse, par l’échec progressif de tout autre culte : c’est-à-dire, la fermeture, voire la désaffectation, des temples périmés, à Jérusalem ou ailleurs39. C’est en dernier lieu, à Rome, la conversion du Panthéon en l’église dédiée à sainte Marie et à tous les martyrs (en 609) qui met un terme au tracé événementiel de l’ouvrage. Le fait semble aussi, dans son étendue figurée par sa dimension symbolique, justifier l’attention portée, depuis les nations semées par les fils de Noé, et encore depuis Abraham, né sous Ninus, roi premier et primordial de l’histoire profane, aux multiples peuples de la terre, lesquels, dans les temps chrétiens, peuvent tous faire partie de la cité divine40. La conjoncture finale consacre un acquis long et déjà décisif dans l’histoire sacrée, voire l’histoire humaine tout court, et cela en même temps que s’accuse un nouvel et durable relais dans la vie politique, ainsi que Fréculf le souligne en terminant l’ouvrage :

  • 41 Hist. II 5, 27 [22/24], p. 724.

Ici – les fonctionnaires romains et les Goths ayant été expulsés d’Italie et des Gaules, et les Francs et les Lombards succédant à ces royaumes – je me suis avisé de mettre un terme à mes livres41.

  • 42 Goez, 1961, p. 93-110, surtout à la fin.
  • 43 Hist. II 5, 27 [1/17], p. 723.

23Nous pouvons douter que Fréculf ait voulu, à travers ce texte, réduire les deux constatations, religieuse et politique, à quelque prétention unitaire42. Au beau milieu de ces démarches, Fréculf évoque le désaccord, politique et religieux, entre son Occident et l’Orient suspect, qui « retenait et célébrait » – comme, d’ailleurs, le pape consulté à Rome en 825 – le concile de Nicée II, que notre évêque ignore en passant par-dessus le terme de la transformation du Panthéon pour nommer le concile de Constantinople II de 680/68143. Le fait de compiler lui laissait les mains libres, mais le choix de s’en tenir à la lettre de Bède († 735), et non aux faits connus et vécus, devait refléter la déception du diplomate et aussi un préjugé courant de l’actualité franque.

  • 44 Voir l’apparat pour le colophon, Hist. II 5, p. 724.
  • 45 Hist. II, Prologue 28/32 ; 43/44, p. 436-437. Fréculf est le seul auteur carolingien à employer le (...)

24À la fin, Fréculf choisit de sceller son histoire des transformations religieuses en y intégrant une évocation de l’espace politique que ses lecteurs pouvaient tout de suite reconnaître comme le leur. La formule du colophon-envoi qui s’ensuit « … jusqu’aux royaumes des Francs dans les Gaules et des Lombards en Italie… » fait, de même, écho à une titulature royale qui – avant le sacre impérial orchestré par le pape en 800 et avant toute thèse de l’empire unitaire – mettait en exergue la formule « …roi des Francs et des Lombards… », présente dans de nombreux diplômes de Charlemagne après la conquête du royaume d’Italie en 77444. Par cet écho aussi, la longue accumulation de « gestes d’empereurs, triomphes des saints, et enseignements des docteurs magnifiques » paraît viser à une identification, voire à des identifications, entre le passé et le présent. Dans la dédicace à Judith, c’est dans cet esprit que Fréculf lance son défi au lecteur : ces livres devraient lui servir de « miroir » (speculum) pour qu’il puisse « y découvrir ce qu’il faut faire avec circonspection et ce qu’il faut éviter avec adresse »45.

  • 46 Voir Hist. I 1, 7, p. 32-33, et la « table des chapitres », p. 23.
  • 47 Hist. I 7, 19 [63], p. 432 : Vt omnes sciant : in me sunt. Il s’agit d’un rajout (propre à la versi (...)

25Bien qu’ils alourdissent le sens et la traduction, il s’agit bien chez Fréculf de circonspection et d’adresse, et l’évêque lui-même en fait preuve maintes fois en maniant ses ciseaux, sa colle et ses phrases de liaison, autant dans les vignettes bien taillées que dans la structure d’ensemble sans précédent. Sa grande Histoire relève en fait de la théologie, avec ses questions bibliques et surtout sa vision globale ; Fréculf travaille en théologien. En bon historien de l’Antiquité, il n’en rassemble pas moins les hauts faits et les récits exemplaires du passé, et il raconte ces Histoires pleines de faits et d’exemples dans l’intention d’amener le lecteur à s’y reconnaître. Pour l’historien, les Histoires ont un double sens. Les lecteurs sur leur banc partagent, pour ainsi dire, les choix des acteurs en scène, et le lecteur avisé devrait se prévaloir de la grâce divine et du propre bon jugement pour s’en démêler. Si l’évêque ne peut prévenir la méconnaissance, il prend soin très tôt, sous le titre remarquable « De l’origine des deux cités », donné à son septième chapitre, d’énumérer une typologie des choix légitimes. En partant du méfait de Caïn, Fréculf illustre les dispositions et les buts qui devraient occuper ses lecteurs, carolingiens ou autres, jusqu’à la fin et cela même dans les détails censés être familiers46. Une telle analyse des mobiles implique le lecteur, et c’est bien à cet effet que Fréculf ajoute l’envoi au programme qui achève la première partie de ses Histoires : « Que tous le sachent, ils sont en moi »47.

  • 48 Voir le prologue d’Eusèbe, Eusebius-Jerome, Chronik, 16-17 et Allen, 2003, p. 40-41.
  • 49 Voir Hist. I 1, 25 [4], p. 50 ; I 1, 35 [19/21], p. 67 ; II 1, 2 [41/42], p. 442.
  • 50 Voir l’Introduction, p. 210* et n. 51.

26Dans le même dessein, loin de confondre les six âges du monde, d’omettre les quatre monarchies universelles ou même de les mélanger – toutes solutions possibles selon certaines critiques sur l’œuvre de l’évêque –, Fréculf ne s’en sert pas comme systèmes pour tracer sa route. À partir d’Abraham, il pratique une division temporelle fondée sur l’idée de peuple choisi (d’abord et longtemps les Hébreux) et calquée sur une remarque présente chez saint Jérôme, mais que celui-ci n’avait pas développée48. Fréculf chemine donc par l’Exode de l’Égypte, le Temple de Salomon, et ensuite le Temple restauré, au fur et à mesure qu’il s’approche du Christ. L’articulation met en relief les tournants effectifs de l’histoire sacrée. Du reste, Fréculf s’arrange pour supprimer les signes habituels là où ils ne s’accordent pas avec son système tout en les admettant à d’autres moments du récit. Il note donc les âges courants commencés par le Déluge, la vocation d’Abraham, et l’avènement du Christ, et ne fait même aucun état de l’adjectif incohérent de « sixième » dans l’emprunt verbal de Bède qui annonce ce qui fonctionne, si l’on veut, comme un septième âge à partir de l’Incarnation49. De même, quoique les règnes et les dynasties se succèdent et l’historien Orose (fl. 415) soit présent au travers d’amples citations, Fréculf s’est gardé de toute allusion à l’allégorie, fort préconisée par ce devancier, des quatre monarchies universelles. Cette détermination paraît sans équivoque lorsque l’on consulte l’édition nouvelle, en regardant les emprunts faits à Orose qui manquent dans les indices et le texte. On constate, du côté positif, que Fréculf sait citer le commentaire de Jérôme sur Daniel, et même rajoute cet ouvrage à l’inventaire des écrits du père, tandis qu’il ignore son exégèse sur le Colosse de Nabuchodonosor et des Quatres bêtes, laquelle avait inspiré le système orosien rejeté par Fréculf50. Sans partager la hantise impériale d’Orose, Fréculf met en avant des étapes qui sont mieux adaptées à sa conception augustinienne de l’éclosion du plan divin. Il a donc rajusté ou supprimé les systèmes que l’on s’attend à trouver et que l’on trouve ailleurs. Même si l’attente est déçue, Fréculf conçoit à nouveau le cours du temps en agençant les livres, les points de repère et les périodes, et en passant sous silence ce que le compilateur aurait du mal à contredire.

  • 51 Sur ce point-ci, voir, par exemple, Diebold, 1993, p. 271-300 ; Nelson, 1989, p. 194-205.

27Si la figure de Fréculf a pu prendre jusqu’ici quelque relief grâce à ces liens et par des éléments finement choisis, aussi importants qu’inattendus, ses écrits n’en restent pas moins un sentier rocailleux, même si le contenu et les idées sont rehaussés par une typographie différenciée et mis en lumière par l’analyse minutieuse des sources et par la mise en forme de tables liminaires des chapitres dans lesquels l’auteur définit parfois ses intentions. Au sein de son milieu social et culturel, Fréculf se distingue par la forme, par la tendance, et peut-être surtout par la masse des informations traitées. En dépit de contraintes autant matérielles que de méthode, il a su rassembler un imposant tableau rétrospectif qui engageait sérieusement ses contemporains, du moins à en juger par la précocité de la tradition manuscrite de l’œuvre et de cet imaginaire historique qui, d’après les textes et les objets d’art subsistants, prenait une force nouvelle sous le règne de Charles le Chauve (840-877)51.

  • 52 Voir l’Introduction, p. 24*.
  • 53 Sur les bénéfices d’Hélisachar, voir Depreux, 1997, p. 238. Je n’entre pas ici dans l’histoire des (...)
  • 54 Pour des exemples et des détails, voir l’Introduction, p. 199*-219*.
  • 55 Voir ici l’Introduction, p. 204*-205* et les notes.

28La publication des Histoires marqua la fin d’un effort intellectuel poussé qui dépendait forcément d’un réseau de bibliothèques. Arrivant à Lisieux, Fréculf n’avait trouvé, dit-il, ni Bible complète ni les commentaires qu’il lui fallait. En s’adressant à Raban Maur, il savait où trouver ce qu’il désirait, et nous savons par ce qui subsiste de leur correspondance qu’il reçut en prêt de Fulda de nouveaux commentaires et qu’il les rendit par la suite52. Si Hélisachar donna l’impulsion à l’entreprise historique de Fréculf par l’envoi d’un exemplaire de la Chronique hiéronymienne, l’abbé disposait certes de trois riches bibliothèques dans les abbayes qu’il dirigeait, à Jumièges, à Saint-Aubin d’Angers et surtout à Saint-Riquier (Picardie), où Alcuin, vers 800, avait recherché les Histoires de Jordanès pour le compte de Saint-Martin de Tours53. Sous l’égide d’Hélisachar, Fréculf aurait dû à son tour profiter de semblables possibilités de « prêt inter-bibliothèques ». De fait, tout au long de ses Histoires, l’évêque met à profit ce que nous avons l’habitude d’appeler des « textes contaminés », c’est-à-dire des exemplaires, voire des extraits en fiches, munis de gloses ou de variantes puisées dans d’autres traditions d’un même auteur. Il s’agit souvent d’un emploi de sources collationnées, qui dépendait au préalable, d’une confrontation d’au moins deux exemplaires différents. L’analyse détaillée des quelque trente-cinq sources employées par Fréculf documente une pratique répétée de la collation de l’autorité54. Même sans prétention de méthode, le phénomène laisse entrevoir à tout le moins un souci et une maîtrise bibliographiques à la taille des ressources d’un Hélisachar. Du reste, dès le début de son entreprise Fréculf put puiser un commentaire fortuit sur les Argonautes caché dans l’Histoire ecclésiastique tripartite (compilée par Cassiodore vers 550), source qui n’est présente – mais de façon abondante – qu’après le concile de Nicée I de 32555. En plus de l’unité de la conception de son œuvre, Fréculf put s’assurer d’emblée un accès extraordinaire à ses matériaux littéraires de base et ce jusque dans les derniers chapitres des Histoires. Si l’on n’est pas, dans l’état actuel de nos connaissances, en mesure de relier tel exemplaire ou telle tradition au cercle immédiat d’Hélisachar, il en va autrement du côté de Fulda en Germanie.

  • 56 Depreux, 1997, p. 173-174 et les notes.
  • 57 Voir ici l’Introduction, p. 201*-203*, 214*-216*.

29Aux éléments biographiques évoqués plus haut, on doit ajouter la preuve fournie par la critique textuelle. On peut même s’étonner de voir combien la philologie répond ici à nos questions « historiques ». Fréculf, on l’a vu, recevait et renvoyait les commentaires de son ancien confrère, Raban Maur. Grâce à Hincmar († 882), successeur à Reims de l’archevêque Ebbon, nous pouvons suivre les traces de ce prélat révolté contre Louis le Pieux en 833 et déposé en 835, d’abord lors d’une détention peu contraignante à Fulda sous Raban puis, de là, à la garde de Fréculf jusqu’en 84056. Si ces geôliers se prêtaient de la sorte à l’accueil d’Ebbon, méritant dans cette affaire – en anciens confrères – la confiance impériale, Lisieux devait être à l’époque plus isolé, et isolant, que les sombres forêts d’Allemagne. Nous pouvons clairement en retenir le cheminement qui relie encore Fréculf à son ami et à leur monastère de Fulda. Même en l’absence de ces témoignages, il nous faudrait admettre ces liens avec l’est du royaume et un échange de livres, que suggèrent les nombreuses variantes retrouvées dans les Histoires de Fréculf, et les rapports avec des traditions manuscrites ancrées à Fulda, ou dans ses alentours, auxquelles ces variantes doivent se rattacher. De plus, il s’agit là de plusieurs des autorités que Fréculf cite soit le plus souvent, soit le plus massivement, tels les Histoires d’Orose ou l’Abrégé anonyme des Césars. Très suggestifs aussi sont les propos sur Boèce qui montrent Fréculf découvrant une nouvelle « vie » de ce philosophe, dont on avait tout juste exhumé la Consolation, texte dont le plus ancien manuscrit subsistant fut copié à Fulda vers 83057.

  • 58 Voir ici l’Introduction, p. 208*-210*, 214*, et les notes ; cf. Miller, 1978, p. 315-318.
  • 59 Voir ici l’Introduction, p. 200*-201* et les notes.
  • 60 On pourrait le rapprocher du succès, jusqu’à la Renaissance, de l’Abrégé de l’art militaire de Végè (...)
  • 61 Voir l’Introduction, p. 142*-144*, p. 159*-162*.

30Dans le sablier des traditions littéraires, le renouveau carolingien parvint, on le sait, au goulet d’étranglement : une fois l’intérêt éveillé, l’écoulement pouvait s’élargir à condition de survivre aux nouveaux tris, rajustements, ou raccourcissements. Il va sans dire que, comme historiographe, Fréculf œuvrait au carrefour de ces activités. De plus, par les traditions qu’il intègre dans ses Histoires, Fréculf occupe une place notable dans la transmission des textes. Parfois son rôle doit même être qualifié de capital. Retenons deux exemples frappants, qui s’apparentent au cas de Boèce évoqué ci-dessus, mais avec plus de clarté quant à la génétique textuelle et des traditions qui renvoient à l’ouest du royaume franc. Il n’y a pas lieu de douter qu’en faisant ses Histoires, Fréculf manie les éléments constitutifs de deux assemblages textuels avant que ceux-ci ne soient fixés après avoir été interpolés ou raccourcis. Le premier exemple est celui de la Chronique de Jérôme, dans sa typologie « fréculfienne », suivie d’une série d’appendices annalistiques, le tout copié d’un trait avant la fin du neuvième siècle, comme en témoigne un manuscrit encore subsistant. Dans ses Histoires, Fréculf cite à volonté le début hiéronymien et la fin annalistique (annales dites de Marius d’Avenches), mais il ignore le beau milieu du texte, aujourd’hui isolé et connu sous le nom de Chronique de 452, et qu’on qualifie, d’ailleurs, depuis quelques temps, de « faux » carolingien. Quel que soit l’intérêt des annales interpolées, il est bien possible que Fréculf ou quelqu’un de son atelier les aient rajoutées : l’unité qui en est issue connut, tout comme les Histoires, une large diffusion58. Il en va de même de la combinaison de deux autres sources de Fréculf, centrées cette fois sur Alexandre le Grand. L’évêque voulut nuancer et élargir le portrait odieux donné du conquérant par Orose, et à cet effet, il put employer les Gestes d’Alexandre de Jules Valère avant qu’elles soient attelées, dans une forme très abrégée, au début de la Lettre apocryphe d’Alexandre à Aristote, que Fréculf devait connaître59. Or, ce nouvel attelage, qui se fit dans le courant du neuvième siècle, eut un grand succès pendant tout le Moyen Âge60. À deux reprises, des scribes-lecteurs médiévaux ont reconnu, sinon le lien réel, du moins la convergence entre les tendances historiques et éthiques des Histoires et celles de l’Alexandre des Gestes abrégés : on en est même venu à copier les deux textes ensemble. Un de ces jumelages naquit, au douzième siècle, à la cour de Champagne au moment où l’on fit de nouvelles évocations d’Alexandre qui, elles non plus, ne font pas abstraction des bons côtés – même s’ils sont ambigus – du grand conquérant païen61.

  • 62 Voir Hist. I 7, 19 [49/55], p. 431-432, et les « Notes complémentaires » sur ce passage, p. 733-735

31Le bien pouvait s’exprimer, on l’a déjà constaté, à partir de faits exemplaires qui restaient toutefois « imparfaits » de même qu’à travers des incohérences chronologiques, éthiques, et autres. Fréculf semble même avoir cultivé parfois ces incohérences. Dans ses sept premiers livres, la pratique chronologique s’approche par intervalles d’un fétichisme du nombre, en ce sens que le découpage des périodes semble être constitué de délires numériques. À la veille de l’Incarnation, des incohérences de calcul et finalement l’errance du résultat, contredit par les sources en cause, viennent démontrer, pour ainsi dire en cachette, la vanité du fétichisme des chiffres. Il s’agirait, me semble-t-il, de mathématiques ironisées, qui mettent en question tout effort de ramener à l’intelligence commune le nombre et la durée du temps62. Le fond, du moins, est tout à fait dans l’esprit augustinien.

32Après l’Incarnation, ce sont les tournants mêmes, non pas les séries chronologiques, qui ponctuent les livres et la cadence historique créant les espaces où peuvent se déployer les actions héroïques, ou blâmables, des dirigeants, empereurs ou autres, et les enseignements salutaires des saints. Après le passage aux temps chrétiens, qui se distinguent en grâce et donc en qualité des âges précédents, les repères sont caducs, ou plutôt d’emblée inutiles en raison du grand tournant liminaire. Dorénavant, il s’agit de consolider et d’élargir ce qui est acquis. Les cinq derniers livres des Histoires représentent alors la mise en perspective de l’actualité chrétienne : l’échec des temples de la religion périmée, la diffusion de la foi nouvelle et l’éclosion de sa littérature, et à la fin l’établissement dans l’espace carolingien des successeurs des Romains, des Francs et des Lombards que Charlemagne associe en 774. Ce faisant, le temps continue et s’articule en livres, règnes, auteurs, pécheurs, heurs et malheurs, défaites et triomphes. Néanmoins, le changement décisif de l’histoire et de toute la nouvelle époque s’est produit, de manière unique, au seuil de l’Incarnation.

  • 63 Voir l’apparat du colophon pour les analogues internes, Hist. II 5, p. 724.
  • 64 Voir Cross, 1977, p. 101-135 ; et l’Introduction, p. 207* et les notes.

33On a souvent prétendu que Fréculf achève sa vision du triomphe chrétien et instaure une période nouvelle avec la conversion « finale » du Panthéon. C’est pourtant lui qui met précisément l’accent, à plusieurs reprises, sur l’arrière-plan spatio-politique : l’établissement durable des royaumes des Francs et des Lombards en Gaule et en Italie63. Il va sans dire que si l’évêque cherchait à cultiver chez le lecteur des actes d’identification, il serait mal à propos de vouloir nier un tel rôle à l’épisode du Panthéon. La conversion de ce temple de tous les dieux en église avait, bien entendu, une puissante valeur symbolique, et se prêtait tout à fait à un leitmotiv du culte et des lieux de culte instaurés anciennement ou devenus caducs. Il convient pourtant de replacer cette mémoire dans le contexte carolingien. En effet, il était à l’ordre du jour de mettre en exergue l’événement de 609, car il renvoyait concrètement à un projet initié sous Louis le Pieux et favorisé directement par Hélisachar. On cherchait alors à généraliser à travers le monde carolingien la fête de la Toussaint, pendant chrétien d’une célébration païenne en l’honneur des morts. À cet effet, Hélisachar composa un sermon, très diffusé par la suite, qui expliquait les origines lointaines de la nouvelle fête justement en commençant par la consécration du Panthéon, acte que « Nous lisons dans les histoires ecclésiastiques… »64. Par le simple fait de reprendre cette justification, inspirée de Bède, Fréculf pouvait seconder son précepteur.

  • 65 Hist., II 5, 26, p. 722.

34Du reste, le tournant qui se produisit à Rome sous les ordres du pape n’en dépendit pas moins d’une permission explicite obtenue à Constantinople auprès de l’empereur. Dans un même ordre d’idées, le rescrit impérial de 607, évoqué dans le même chapitre, reconnaissait le titulaire du « siège de l’Église romaine et apostolique » comme le « chef de toutes les églises »65. En faisant œuvre de compilateur, Fréculf ne touche pas à la dépendance complexe entre le chef des églises et les chefs politiques, et le statut précis des empereurs se brouille même, il faut l’admettre, à l’intérieur d’une géographie administrative déjà sous l’emprise des royaumes franc et lombard. Or, cette complexité restait d’actualité. Les dirigeants, comme leurs serviteurs, évêques, ambassadeurs, historiens ou autres, s’aventuraient de fait, sinon par choix, dans l’ambiguïté de la vie terrestre à la base de l’optique historique augustinienne.

  • 66 Hist., II 5, 27 [1/17], p. 723.
  • 67 Citation d’après la version française de Jean-Paul II, « Lettre apostolique pour le 12e centenaire (...)

35Dans un cadre global soigneusement ordonné, l’historien ne cherche pas à résoudre toute question, et quant au siège apostolique de Rome, l’ancien ambassadeur aurait su justifier sa circonspection. À la différence de Grégoire de Tours († 597), notre évêque ne cherche pas à formuler un exposé de ses croyances et moins encore à proclamer une doxologie liminaire. Sa profession de foi s’accumule tout au long de son discours formulé d’après les règles et dans les limites paradoxales de l’art compilatoire. Ainsi, à la fin de son ouvrage, Fréculf établit un catalogue des grands conciles œcuméniques, tous tenus dans l’Orient chrétien, souvent sous l’égide du pouvoir séculier, et quasiment toujours engagés contre des ecclésiastiques autant que contre des erreurs théologiques. C’est ce catalogue qui est le garant de l’orthodoxie qu’il préconise. La liste encadre de façon concise un ensemble de repères théologiques pour lesquels Fréculf manie explicitement, et ici en termes propres, la « foi catholique bien conçue » (catholicam fidem sana mente retinent) comme critère d’admission66. Laissant de nombreuses pages, il cueille chez Bède des informations qui vont jusqu’en 670/671. Fréculf passe sciemment par-dessus le problème de Nicée II qui courait encore et qui avait assombri son expérience romaine. En l’occurrence, l’ambiguïté de son expérience mettait en cause l’autorité romaine aussi bien de la part de l’ambassadeur devenu historien que de celle de ses contemporains francs qui cherchaient depuis décembre 825 à contester le mauvais emploi des images fait tant à Rome qu’en Orient, sans égard pour les malentendus du concile de 787. La théologie franque des images s’appuie dorénavant sur la lettre de saint Grégoire le Grand († 604) à l’évêque Serenus de Marseille qui prône un usage modéré permettant aux illettrés de « lire sur les murs en les voyant ce qu’ils ne sont pas capables de lire dans les livres »67. Or, à titre de résumé final de toute son œuvre d’historien, Fréculf met en relation le temps de ce même pape Grégoire Ier – y compris les gestes mémorables de ses successeurs jusqu’en 609 – au grand changement qui prépare l’espace politique du monde carolingien :

  • 68 Hist. II 5, 27 [20/24], p. 723-724.

[…] j’ai continué le second ouvrage jusqu’au trépas de l’insigne docteur Grégoire, et j’ai aussi effleuré quelques faits du temps du pape Boniface. Ici – les fonctionnaires romains et les Goths ayant été expulsés d’Italie et des Gaules, et les Francs et les Lombards succédant à ces royaumes – je me suis avisé de mettre un terme à mes livres68.

  • 69 Hist. II 5, 24 [28/29], p. 721.

36Fréculf fait, bien entendu, abstraction de deux cents ans d’histoire, concernant soit l’influence ou le contrôle des Byzantins en Italie, soit les luttes, intestines ou non, en Gaule. Néanmoins, pour ainsi dire, il donnait inévitablement les éléments reliant le jour actuel à son aube. Il invitait son lecteur à s’identifier au processus historique dont il traitait, depuis la titulature du « lumineux » grand-père du jeune Charles le Chauve, jusqu’aux applications pratiques de la théologie. Quant à saint Grégoire, Fréculf savait bien, et l’avait dit, là aussi en propres termes, que « beaucoup de ses lettres exist[ai]ent toujours, et [qu’]elles [étaient] utiles aux lecteurs pour les affaires auxquelles elles [avaient] trait »69. Ces quelques commentaires personnels reflètent comme un miroir de l’époque – avec un éclairage discret –, à la fois la source que Fréculf évoque et la question des images pour laquelle les lettres de Grégoire étaient de fait devenues bien utiles, voire capitales.

37Le grand miroir des Histoires revêt des limites et une structure bien particulières. Cette structure répond à une logique augustinienne quasiment unique qui entraîne une grande subtilité de l’énoncé, même là où les propos compilés ne cherchent pas un effet nouveau. En dehors de l’action divine qui constitue le cadre global de l’histoire, les faits et les exemples insignes des histoires individuelles participent à une vision qui renvoie très souvent à la caution, ou à l’ambiguïté en attente d’exégèse. Le reconnaître ne signifie pas l’absence chez Fréculf de ligne stable, de doctrine, d’idée conductrice. Cet historien peut bien ne pas répondre à nos attentes usuelles et familières, sans pour autant manquer de satisfaire aux possibilités méconnues de la tradition et aussi aux besoins ou aux expériences de ses contemporains.

38Quant à Périclès, feu homme d’État athénien, Fréculf, historien de l’antiquité, se trompe lorsqu’il l’évoque en faisant de lui un précurseur qui avait dû, certes, mourir. L’évêque de Lisieux n’appartient donc pas au rang de ces historiographes médiévaux qui surent, d’après Anna-Dorothea von den Brincken, que Périclès mourut. Pour autant, il ne faudrait pas tenir son engagement pour moins profond, moins apprécié, ou moins novateur. Fréculf avait ses intérêts et ses raisons en donnant sa version du passé, et ces intérêts et ces raisons tenaient étroitement aux besoins, aux possibilités, et au rôle actif de l’évêque-historien dans cette actualité.

Haut de page

Bibliographie

Allen, Michael Idomir, « Universal History 300-1000 : Origins and Western Developments », in Historiography in the Middle Ages, edited by D.-M. Deliyannis, Leiden, 2003, p. 17-42.

Anton, Hans Hubert, Fürstenspiegel und Herrscherethos in der Karolingerzeit, Bonner Historische Forschungen, 32, Bonn, 1968.

Bischoff, Bernhard, «Die Bibliothek im Dienste der Schule », in Mittelalterliche Studien, vol. 3, Stuttgart, 1981, p. 213-233.

Boshof, Egon, « Einheitsidee und Teilungsprinzip in der Regierungszeit Ludwigs des Frommen », in Charlemagne’s Heir : New Perspectives on the Reign of Louis the Pious (814-840), edited by P. Godman and R. Collins, Oxford, 1990, p. 161-190.

Boureau, Alain, « Les théologiens carolingiens devant les images religieuses. La conjoncture de 825 », in Nicée II, 787-1987, Douze siècles d’images religieuses, edited by F. Boespflug and N. Lossky, Actes du Colloque international Nicée II, tenu au Collège de France, Paris, les 2, 3, 4 octobre 1986, Paris, 1987, p. 247-262.

Brinckenvon den, Anna-Dorothea, Studien zur lateinischen Weltchronistik bis in das Zeitalter Ottos von Freising, Düsseldorf, 1957.

Cavadini, John.-C. « Claudius of Turin and the Augustinian Tradition », in Proceedings of the PMR [Patristic, Mediaeval and Renaissance] Conference, vol. 11, Villanova, 1986, p. 43-50.

Cross, J.-E., « “Legimus in ecclesiasticis historiis” : A Sermon for All Saints, and Its Use in Old English Prose », Traditio, 33, 1977, p. 101-135.

Depreux, Philippe, Prosopographie de l’entourage de Louis le Pieux (781-840), Sigmaringen, 1997, XI-496 p.

Diebold, William J., « Nos quoque morem illius imitari cupientes. Charles the Bald’s Evocation and Imitation of Charlemagne », Archiv für Kulturgeschiche 75, 1993, p. 271-300.

Eusebius, Jerôme, Die Chronik des Hieronymus (Hieronymi Chronicon), 2d rev. ed. by R. Helm. Griechische Christliche Schriftsteller 47 [= Eusebius Werke 7/1], 3d ed. reprint, with a preface by U. Treu, Berlin, 1984.

Frechulfus Lexoviensis, Opera omnia, 2 vol., Edited by M. I. Allen, Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis 169 [Introduction], 169A [Edition], Turnhout, 2002.

Goez, Werner, « Zur Weltchronik des Bishofs Frechulf von Lisieux », in Festgabe für Paul Kirn : Zum 70, Geburtstag, edited by E. Kaufmann, Berlin, 1961, p. 93-110.

Jung, Marc-René, « L’histoire grec : Darès et les suites », in Entre fiction et histoire : Troie et Rome au Moyen Âge, edited by E. Baumgartener and L. Harf-Lancner, Paris, 1997, p. 185-206.

Miller, Molly, « The Last British Entry in the “Gallic Chronicles” », Britannia 9, 1978, p. 315-318.

Nelson, Janet L., « Translating Images of Authority : The Christian Roman Emperors in the Carolingian World », in Images of Authority. Papers Presented to Joyce Reynolds on the Occasion of her 70th Birthday, edited by M.-M. Mackenzie and C. Roueché. Cambridge Philological Society, Supplementary vol. 16, Cambridge, 1989, p. 194-205.

Id., Charles the Bald, London, 1992.

Schelle, Bertha, « Frechulf von Lisieux : Untersuchungen zu Leben und Werk », Ph. D. diss., University of Munich, 1952.

Silagi, Gabriel, « Karolus – cara lux », Deutsches Archiv 37, 1978, p. 786-791.

Spörl, Johannes, « Das mittelalterliche Geschichtsdenken als Forschungsaufgabe ». Historisches Jahrbuch 53 (1933) : 281-303. (Repr. in Geschichtsdenken und Geschichtsbild im Mittelalter : Ausgewählte Aufsätze und Arbeiten aus den Jahren 1933 bis 1959, ed. W. Lammers [Darmstadt, 1965], p. 1-29).

Staubach, Nikolaus, « Christiana tempora : Augustin und das Ende der alten Geschichte in der Weltchronik Frechulfs von Lisieux », Frühmittelalterliche Studien, 29, 1995, p. 167-206.

Id., « Quattuor modis intellegi potest Hierusalem : Augustins “Civitas Dei” und der vierfache Schriftsinn », in Alvarium : Festschrift für Christian Gnilka. Jahrbuch für Antike und Christentum, Ergänzungsband, 33, Münster, 2002, p. 345-358.

Stiennon, Jacques, L’écriture, Typologie des sources du moyen âge occidental, 72, Turnhout, Brepols, 1995, 142 p.

Trithemius, Johannes, Opera pia et spiritualia, Edited by J. Busaeus, 16-149, Mainz, 1605.

Id., Opera historica, 2 vol. in 1, Edited by M. Freher, Frankfurt, 1601 ; reprint, Frankfurt, 1966.

Haut de page

Notes

2 Von den Brincken, 1957, p. 64.

3 Hist. I 4, 10 [5/6], p. 224 : Pericides moritur. Cf. Von den Brincken, 1957, p. 124 et n. 197.

4 Le premier changement serait un exemple modifié du phénomène de la dittographie. L’acte d’écrire entraîne presque inévitablement une évolution de l’écrit, même là où l’on se voudrait « simple copiste ». Voir Stiennon, 1995.

5 Eusebius-Jerome, Die Chronik…, 1984, sub anno (ab Abraham) 1476, p. 103b, l. 22 ; s.a. 1562, p. 111, ll. p. 24-25 ; cf. Hist. I 3, 17 [178/179], p. 195 : Ferechides historiarum… inuentores habentur (d’après la version intermédiaire d’Isidore de Séville !) ; Hist. I 4, 7 [11/12], p. 222 : Ferecedes secundus historiarum scriptor. Le nom grec depuis Eusèbe, source de Jérôme, est « Pherekýdes ».

6 Il s’agit du manuscrit de Saint Gall, Stiftsbibliothek 622, connu sous le sigle G dans la nouvelle édition. Voir l’Introduction, p. 59*-68*, et planches 1-5.

7 D’où vient, en partie, la table des « noms déformés » dans l’Introduction, p. 221*-235*.

8 Hist. I 4, 10 [5/7], p. 224 : Bachides carminum scriptor eo tempore agnoscitur, et Pericides moritur. Eupolis autem et Aristophanes scriptores comediarum agnoscuntur. Voir aussi l’apparat critique.

9 Il entend par là la tradition des écrivains croyants, d’abord hébreux, ensuite chrétiens.

10 Etymologiae I, 42.

11 Voir Hist. I 3, 1 [1/6], p. 158.

12 Hist. I 2, 26, p. 141-148. Voir aussi Jung, 1997, p. 191-192.

13 Que Tritheim ait voulu multiplier le plus possible les auteurs rattachés à la Germanie et à son ordre bénédictin ne change rien à sa sensibilité littéraire. Il fait mention de Fréculf, comme « évêque de Luxeuil » et d’origine « saxonne » (et donc originaire d’un pays des plus reculés de la Germanie), dans trois de ses multiples ouvrages d’histoire religieuse et littéraire. Voir Trithemius, Opera historica, 1601, vol. 1, p. 252, vol. 2, p. 10 ; Trithemius, De uiris illustribus Ordinis sancti Benedicti (libri IV), in Opera pia et spiritualia, 1605, p. 38, p. 141.

14 Pour les détails avec références, voir l’Introduction, p. 11*-17*.

15 Voir l’Introduction, p. 24* et n. 24.

16 Ce jumelage prosimétrique peut aussi faire écho à l’exemple de l’abbé de Fulda : le schéma est fréquent dans son œuvre, quoique les témoins connus du Commentaire sur la Génèse y laissent la question ouverte.

17 Hist. II 5, 27 [22/24], p. 724 : Romanorum iudicibus et Gothis ab Italia et Galliis depulsis, his Francis et Langobardis succedentibus in regnis, hic terminum censui meorum inponere librorum. Je me garde en traduisant de ramener les ablatifs absolus à quelque simple énoncé de temps ou de cause ou de circonstance, car il s’agit, me semble-t-il, des trois à la fois.

18 Voir Boureau, 1987, p. 247-262. C’était une ambassade de Fréculf à Rome qui prépara l’assemblée ecclésiastique de décembre 825, où l’on devait combattre les abus iconodoules tout en contournant le concile Nicée II, auquel l’église franque les rattachait à cause d’une traduction fautive en latin des actes grecs.

19 On rattache souvent la nouvelle perspective à l’impulsion donnée par Spörl, 1933, p. 281-303.

20 Cf. Schelle, 1952, p. 85-86, p. 144-145.

21 Staubach, 1995, p. 167-206. C’est Staubach aussi qui a donné la première analyse vraiment probante de la problématique des “cités” chez Augustin : « Quattuor modis intellegi potest Hierusalem : Augustins “Civitas Dei” und der vierfache Schriftsinn », in Alvarium : Festschrift für Christian Gnilka, Jahrbuch für Antike und Christentum, Egänzungsband 33, Münster, 2002, p. 345-358.

22 Hist. I 1, 33 [4/15], p. 64 : … ita post diluuium nec iustos defuisse crediderim ; cf.  Hist. I 1, 1-5, p. 28-31 ; I 1, 9 [37/54], p. 36 ; I 1, 14 [10/17], p. 42.

23 Cf. Hist. I 1, 7-8, p. 32-34.

24 Voir encore Boureau, 1987 et Cavadini, 1986, p. 43-50.

25 Cf. Schelle, « Frechulf », p. 76.

26 Hist. I 1, 53, p. 81-82.

27 Les documents qui traitent de l’assemblée et du dossier “anti-iconodoule” que l’empereur lui demanda sont édités par A. Werminghoff, MGH Concilia 2/2 (1908), p. 473-551 ; pour le rapport de Fréculf, p. 482. Voir Boureau, 1987.

28 Voir Nelson, 1992, p. 75-77 et les notes.

29 Introduction, p. 15*-16*.

30 Voir Bischoff, 1981, p. 232-233.

31 Hist. I, Prologue 37/39, p. 19.

32 Hist. I, Prologue 52/54, p. 20.

33 Voir l’Introduction, p. 81* et n. 70.

34 Hist. II, Prologue 8/14, 28/40, p. 435-437. Voir aussi Silagi, 1978, p. 786-791.

35 Cf. II Samuel 11, 2-5 ; 25-26 ; I Rois 1, 5-53 ; Hist. II, Prologue 32/35, p. 436-437.

36 Cf.  Hist. I 3, 3 [32/44], p. 162-163. C’est en ces propres termes que Fréculf souligne dans ce passage la volonté du roi David « encore vivant, que ses [autres] fils obéissent à Salomon comme au Seigneur. » Cette majuscule remarquable, que les manuscrits demandent par l’emploi du nomen sacrum, renforce l’incontestabilité présente et l’obligation future du choix paternel. Le commentaire spontané de Fréculf, qui continue à entrecouper l’extrait de Flavius Josèphe et en rehausse considérablement l’enjeu, vise à la soumission des frères, des fils, et même des nepotes (« petits-enfants », ou « neveux »), à la parole du roi-père vivant. On a voulu voir là un soutien aux ordonnances successorales de 817, contre le petit Charles. J’y entrevois l’ombre du souvenir de Bernard d’Italie († 818), neveu révolté de Louis le Pieux, et un rappel au devoir d’obéissance qui s’imposait aux fils aînés de l’empereur lequel exerçait toujours ses prérogatives.

37 Pour un survol de la problématique de l’unité impériale, voir Boshof, 1990, p. 161-190.

38 Hist. I, Prologue 51/54, p. 20.

39 Les chapitres finaux des livres reviennent systématiquement sur l’engagement des vrais fidèles dans le service divin, voire le sort d’un temple. Dans la première partie, cela se fait surtout par l’amoncellement de repères-clefs à partir desquels on décompte avec une grande solennité les années jusqu’au repère actuel.

40 Hist. II 5, 26, p. 722 ; cf.  Hist. I 1, 27, p. 52-65.

41 Hist. II 5, 27 [22/24], p. 724.

42 Goez, 1961, p. 93-110, surtout à la fin.

43 Hist. II 5, 27 [1/17], p. 723.

44 Voir l’apparat pour le colophon, Hist. II 5, p. 724.

45 Hist. II, Prologue 28/32 ; 43/44, p. 436-437. Fréculf est le seul auteur carolingien à employer le mot « miroir » (speculum) dans le contexte de l’éducation princière. Longtemps on n’a pas voulu le reconnaître comme auteur d’un speculum principis (« miroir du prince »). Fréculf aligne les exemples promis mais non les préceptes caractéristiques du genre tel qu’on a voulu le définir. Cf. Anton, 1968.

46 Voir Hist. I 1, 7, p. 32-33, et la « table des chapitres », p. 23.

47 Hist. I 7, 19 [63], p. 432 : Vt omnes sciant : in me sunt. Il s’agit d’un rajout (propre à la version finale du texte) restitué dans la nouvelle édition.

48 Voir le prologue d’Eusèbe, Eusebius-Jerome, Chronik, 16-17 et Allen, 2003, p. 40-41.

49 Voir Hist. I 1, 25 [4], p. 50 ; I 1, 35 [19/21], p. 67 ; II 1, 2 [41/42], p. 442.

50 Voir l’Introduction, p. 210* et n. 51.

51 Sur ce point-ci, voir, par exemple, Diebold, 1993, p. 271-300 ; Nelson, 1989, p. 194-205.

52 Voir l’Introduction, p. 24*.

53 Sur les bénéfices d’Hélisachar, voir Depreux, 1997, p. 238. Je n’entre pas ici dans l’histoire des bibliothèques et des sources en question.

54 Pour des exemples et des détails, voir l’Introduction, p. 199*-219*.

55 Voir ici l’Introduction, p. 204*-205* et les notes.

56 Depreux, 1997, p. 173-174 et les notes.

57 Voir ici l’Introduction, p. 201*-203*, 214*-216*.

58 Voir ici l’Introduction, p. 208*-210*, 214*, et les notes ; cf. Miller, 1978, p. 315-318.

59 Voir ici l’Introduction, p. 200*-201* et les notes.

60 On pourrait le rapprocher du succès, jusqu’à la Renaissance, de l’Abrégé de l’art militaire de Végèce dans la version corrigée de Fréculf, qui existe aussi dans un manuscrit de son scriptorium lexovien : Introduction, p. 25*-52*.

61 Voir l’Introduction, p. 142*-144*, p. 159*-162*.

62 Voir Hist. I 7, 19 [49/55], p. 431-432, et les « Notes complémentaires » sur ce passage, p. 733-735.

63 Voir l’apparat du colophon pour les analogues internes, Hist. II 5, p. 724.

64 Voir Cross, 1977, p. 101-135 ; et l’Introduction, p. 207* et les notes.

65 Hist., II 5, 26, p. 722.

66 Hist., II 5, 27 [1/17], p. 723.

67 Citation d’après la version française de Jean-Paul II, « Lettre apostolique pour le 12e centenaire du IIe Concile de Nicée », avec notes et références. Pour le nouveau caractère grégorien du discours franc, voir Boureau, 1987.

68 Hist. II 5, 27 [20/24], p. 723-724.

69 Hist. II 5, 24 [28/29], p. 721.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Michael I. Allen, « Fréculf de Lisieux : l’histoire de l’Antiquité comme témoignage de l'actualité »Tabularia [En ligne], Écrire l’histoire au Moyen Âge, mis en ligne le 24 octobre 2008, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/tabularia/1607 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tabularia.1607

Haut de page

Auteur

Michael I. Allen

Department of Classics
University of Chicago

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search